Déclaration de M. Pascal Canfin, ministre du développement, sur le projet de loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale, à l'Assemblée nationale le 28 janvier 2014.

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Circonstance : Audition devant la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, le 28 janvier 2014

Texte intégral

Merci pour votre invitation. Comme vous le savez, ce projet de loi est une première. Pour votre commission. Pour le Parlement. Pour le gouvernement. Une première de discuter au-delà du débat annuel sur le budget. Une première, aussi, de lancer un processus législatif. C'est en effet la première fois que la politique d'aide au développement est soumise au contrôle du Parlement. C'était un engagement du Président de la République lors de la campagne électorale. Dix-huit mois après, nous tenons cet engagement.
Cette loi, c'est tout d'abord un symbole. On passe d'un monopole de l'exécutif à un contrôle parlementaire démocratique. On passe d'une situation de non-transparence au contrôle, à l'évaluation et au débat démocratique parlementaire.
Mais, au-delà du symbole, cette loi a un contenu. Il faut raisonner sur l'ensemble, c'est à dire tant sur le projet de loi lui-même que sur le rapport. L'objet politique est contenu dans ces deux documents, essentiellement dans le rapport. Le Conseil d'État nous y a incités, et ce, afin que la loi soit courte. Celle-ci se concentre sur les grands principes. Vous pourrez amender le projet de loi en tant que tel et le rapport de la même manière.
Voyons, maintenant, les avancées contenues dans le projet de loi.
Le premier point que je souhaite évoquer concerne la finalité de l'aide publique au développement. On explique concrètement que celle-ci est la recherche du développement durable dans les pays où nous intervenons. On est dans la lutte contre la pauvreté. La France apparaît tournée vers le XXIe siècle dans un contexte de refonte de l'agenda mondial qui a pour but de trouver une nouvelle articulation entre la question sociale et celle de la soutenabilité. On participe, par cette loi, au grand consensus international de 2015. Nous redéfinissons les finalités de notre aide publique au développement, au regard des enjeux du XXIe siècle.
Deuxièmement, on clarifie certains points de doctrine. Ce qu'on appelait le Tiers-Monde n'est plus unique. Chine, Mali et Pérou sont différents. On clarifie la doctrine en matière de développement avec des partenariats différenciés. On acte, dans le rapport, le fait qu'il n'y aura plus de «coût-État» avec les grands émergents comme la Chine ou le Brésil. Ça ne coûtera plus rien à la France d'intervenir dans ces pays.
Troisièmement, l'évaluation et la redevabilité. Par nature, la loi représente un progrès dans la redevabilité et l'évaluation. Mais, sur le fond, on donne une grille d'indicateurs communs qui seront partagés par l'ensemble des opérateurs de l'aide publique au développement. Cette grille fixe la façon dont on évaluera l'impact de notre politique. C'est essentiel car trop souvent la politique est vue sous l'angle des moyens et non de son impact. Certes, depuis 2 ans, au niveau des moyens, on a maintenu l'engagement de la France au service du développement. Mais, pour la première fois, on fixe 30 indicateurs qui permettront d'analyser ex-post l'impact réel de notre politique via le bi et le multilatéral. C'est un effort important qui permettra de mettre tout le monde dans la même direction.
Quatrième point que je souhaite évoquer : la transparence. Avec cette loi, nous réalisons des progrès substantiels. On a mené une expérience pilote au Mali en 2013 et nous allons l'étendre aux 16 pays les plus pauvres, tous africains, et ce, selon les standards internationaux.
Cinquièmement, la cohérence. Il y aura un rapport d'évaluation remis au Parlement. Il vous faudra, de votre côté - et si vous le souhaitez -, amender le règlement de l'Assemblée nationale pour y introduire un dispositif permettant d'évaluer la cohérence des différentes politiques publiques au regard des enjeux de développement. La balle est dans votre camp.
Sixièmement, l'expertise. Il y a en ce moment une révision de notre politique d'expertise qui est en train d'être menée. On ne voulait donc pas lancer un grand chantier législatif tant que le ce processus n'était pas arrivé à sa fin. L'article du projet de loi consacré à l'expertise sera donc nourri lors de l'examen du texte par le Sénat, après les élections municipales.
Concernant les collectivités territoriales, l'article proposé tend en premier lieu à sécuriser leur action à l'international. Comme vous le savez, le cadre juridique actuel présente des insuffisances. L'article a fait l'objet d'une large concertation et repose sur un consensus avec les élus, dans l'objectif partagé de ne plus permettre que des associations diverses et variées gagnent en justice, sous réserve du respect des autres conditions légales. L'intérêt à agir des collectivités territoriales doit être affirmé. En second lieu, il s'agit de prendre acte du fait que les collectivités territoriales peuvent poursuivre des finalités différentes, comme l'État français, selon le pays concerné. L'article introduit pour cette raison la notion d'action extérieure des collectivités territoriales, qui va au-delà de celle de coopération décentralisée.
La question de l'équilibre entre bilatéral et multilatéral n'est pas absente. Pour la première, en 2014, une stratégie de notre politique d'aide va être élaborée, qui guidera nos choix d'intervention multilatéraux. L'idée est de pouvoir progresser dans la cohérence de notre politique multilatérale qui est aujourd'hui la sédimentation de choix divers et variés. Il ne s'agit pas de dévaloriser le multilatéral, mais au contraire de renforcer sa place dans un ensemble cohérent.
J'en termine par la responsabilité sociale et environnementale. Le texte contient un article qui permet d'engager une discussion sur le sujet et des amendements ont déjà été adoptés par la commission des affaires économiques pour avis et une proposition de loi a été déposée qui pourrait être convertie en amendements, car la loi d'orientation et de programmation constitue un véhicule législatif. Certes, l'article est en l'état actuel minimal, mais permet d'avoir cette discussion.
(Interventions des parlementaires)
Merci pour vos questions, derrière lesquelles je vois poindre de nombreux amendements.
La taxe sur les transactions financières a été évoquée par plusieurs intervenants. En 2013, nous avons alloué 10 % du produit de notre taxe nationale au développement, et nous avons prévu 15 % pour 2014. L'enjeu du moment est européen, avec une échéance à court terme : le prochain Conseil des ministres franco-allemand, où nous espérons passer des déclarations d'intentions à une proposition concrète pour la future taxe au niveau européen. Nous y travaillons : il y avait hier encore une réunion des deux ministères des finances sur la question. Nous avons une chance d'aboutir d'ici l'adoption définitive de la présente loi et les élections européennes. C'est la position du gouvernement et je le souhaite personnellement, car c'est l'une des rares opportunités que nous avons de dégager des fonds supplémentaires pour le développement, ainsi que pour la lutte contre le changement climatique.
Certains ont ironisé sur nos priorités sectorielles, qui seraient trop nombreuses. Mais il s'agit plutôt de domaines potentiels d'intervention. Après cela, les documents cadres de partenariat (DCP) permettent de préciser les priorités pour chaque pays et on n'interviendra pas dans les dix domaines nommés par la loi dans chacun des pays. La programmation conjointe avec les autres pays donateurs a justement l'intérêt de permettre un partage des champs d'intervention.
Nicole Ameline a parlé du rôle des entreprises. La question du lien entre aide publique au développement et diplomatie économique est justement l'une de celles que nous voulons expliciter dans le contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD. Pour moi, il n'y a pas là de contradiction, mais une différenciation à préserver : le fait que des entreprises françaises bénéficient de marchés financés par l'AFD peut être une conséquence, mais pas une finalité. Par exemple, le fait qu'une entreprise française ait obtenu un marché de fabrication des cartes d'électeurs au Mali est une conséquence de l'organisation d'élections au Mali, mais la finalité, c'était évidemment ces élections elles-mêmes et ce qui s'ensuit pour le Mali. Par ailleurs, il faut aussi tenir compte de la situation des pays : dans les grands pays émergents, en particulier, il y a une demande d'articuler l'aide avec l'apport d'une expertise, demande qu'il faut prendre en compte.
S'agissant de l'approche par les droits, Coordination Sud, dans son papier consacré au présent projet de loi, reconnaît qu'il consacre ce principe.
Le rôle des collectivités locales fait débat. Certains mettront l'accent sur la nécessaire cohérence de l'action des uns et des autres, d'autres sur la libre administration des collectivités. Faut-il modifier le projet de loi, élargir les dispositions concernant l'action des collectivités ? Le débat est ouvert et ne nous pose aucun problème, car il correspond à notre philosophie. C'est ainsi que les collectivités locales, loin d'être reléguées à un rôle secondaire, sont au centre de la préparation de la COP21.
Rien ne s'oppose à ce que la loi donne toute sa place à l'aide humanitaire. La mise en place d'un continuum de l'humanitaire au développement est un élément de notre politique, comme l'atteste le cas de la République Centrafricaine, sur laquelle nous avons tenu pour la première fois des réunions traitant à la fois d'aides d'urgence et d'actions de développement à moyen terme. Ce principe de continuum pourrait très bien figurer dans la loi.
Je ne crois pas que l'on puisse opposer l'intervention bilatérale à l'intervention multilatérale. J'ai sur ce point un désaccord public avec Serge Michailof : on ne doit pas réduire les dons de la France aux seuls dons bilatéraux. 70 % de nos dons passent par des canaux multilatéraux et le fait que nous contribuions ainsi nous permet aussi d'influer sur l'action des instruments multilatéraux. Le Fonds mondial a débloqué 40 millions d'euros pour la République centrafricaine, la Banque mondiale 100 millions, la Commission européenne 95 millions : l'influence de la France, grâce à ses contributions, y est pour quelque chose. En fait, la mobilisation des instruments multilatéraux permet même d'obtenir plus de fonds pour les causes qui nous tiennent à coeur. Elle nous permet aussi d'avoir une plus grande influence géopolitique.
Il y a sans doute aussi des opportunités d'améliorer le texte en ce qui concerne les aspects fiscaux, en particulier la responsabilité fiscale, sujet sur lequel le gouvernement travaille aussi.
Sur la renégociation du contrat d'AREVA au Niger, il est pour moi évident qu'alors que nous progressons sur les questions de transparence en interne, avec la loi bancaire, et au niveau européen, cela doit aussi être le cas pour ce contrat. Le développement repose sur deux jambes : il y a l'aide publique, mais aussi les conditions du développement, comprenant les politiques commerciales, la fiscalité, etc.
Enfin, un an après le drame du Rana Plaza, c'est je pense le bon timing pour progresser sur les questions de responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Et la présente loi est le bon objet politique pour affirmer une plus grande responsabilité des entreprises françaises quant à leurs pratiques et à celles de leurs sous-traitants. Car il y a un lien évident entre développement et responsabilité sociale. Pour ne prendre qu'un exemple, on ne peut pas séparer la question du travail des enfants de celle de leur accès à l'éducation, lequel est une condition essentielle du développement.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 février 2014