Déclaration de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, sur l'accès aux soins et la lutte contre les inégalités de santé dans le cdre de la Stratégie nationale de Santé, Saint Denis de la Réunion le 6 février 2014.

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Circonstance : Forum de la stratégie nationale de santé à la Réunion le 6 février 2014

Texte intégral


Je veux d'abord saluer l'organisation de ce forum et vous dire le plaisir qui est le mien d'être parmi vous aujourd'hui pour une partie de la restitution de vos travaux.
Près de 10000 kilomètres séparent l'hexagone de l'île de la Réunion. Mais que je me rende à Clermont-Ferrand, à Lille, à Strasbourg, ou ici à Saint-Denis, je me réjouis de voir que les questions de santé sont de celles qui provoquent le plus d'attentes, mais aussi le plus de propositions, de contributions. Je suis frappée de voir le volontarisme, l'engagement, l'engouement même, qui sont les vôtres, pour répondre à tous ces enjeux majeurs de santé. Si ces forums sont un tel succès, dans toutes nos régions, dans tous nos territoires, métropolitains et ultramarins, c'est pour une raison simple : ils touchent directement à notre vie quotidienne. Et partout, un même constat est formulé : la refondation de notre système de santé s'impose.
Une refondation, car notre organisation des soins ne permet pas de répondre, à ce jour, au vieillissement de la population et au développement des maladies chroniques.
Une refondation, pour continuer de lutter, encore et toujours, contre les inégalités de santé.
Une refondation, pour répondre aux aspirations renouvelées des professionnels, ainsi qu'aux attentes légitimes des patients.
Voilà pourquoi j'ai lancé la stratégie nationale de santé. Une stratégie, parce que nous avons besoin d'un plan cohérent sur plusieurs années. Une stratégie nationale, car il s'agit de retrouver et de promouvoir une vision partagée et globale. Une stratégie nationale de santé, et non uniquement des soins.
Si l'engagement pour l'avenir de la santé est le même partout en France, les défis que nous avons à relever, eux, ne le sont pas. C'est pourquoi j'ai choisi d'être pragmatique dans la mise en œuvre de la stratégie nationale de santé. Celle-ci sera adaptée aux spécificités, aux singularités de chaque territoire. Elle tient compte des forces et des faiblesses de chaque région. Elle s'appuie sur les initiatives qui ont déjà été déployées par les professionnels de santé, par les associations, par toutes celles et ceux qui font progresser, sur le terrain, notre organisation des soins.
Et sans doute ici plus qu'ailleurs, sans doute dans nos régions et nos départements d'outre-mer plus que dans tout autre territoire, il serait inenvisageable que la transformation de notre organisation des soins soit imposée d'en haut. Il serait inconcevable que la loi de santé que je présenterai dans quelques mois soit imaginée depuis Paris, par Paris, sans qu'à aucun moment, vous, c'est-à-dire les patients et les professionnels de la Réunion, les associations et les élus de ce magnifique territoire, que je vois ici extrêmement nombreux, ne soyez pleinement associés. Ça n'est pas ma conception de la politique.
Les lois de la République doivent s'appliquer partout. Mais elles ont aussi l'ardente obligation, pour être efficaces, d'être adaptées aux situations locales et aux spécificités ultra-marines. Les départements d'outre-mer, ici à la Réunion ou à Mayotte, aux Antilles, en Guyane ou à Saint-Pierre et Miquelon, chaque territoire est singulier. Je n'oublie pas Wallis-et-Futuna, les territoires de Polynésie française ou ceux de la nouvelle Calédonie avec lesquels nous coopérons.
Dans nos régions ultra-marines, l'éloignement de l'hexagone, l'insularité souvent, les risques naturels liés aux zones cycloniques ou aux risques de tremblements de terre, les enjeux épidémiologiques nous imposent d'adapter nos politiques publiques aux réalités du terrain. Je pense en particulier aux pathologies spécifiques aux zones tropicales. Nos amis martiniquais luttent d'ailleurs en ce moment même contre une nouvelle épidémie de Chikungunya. En Guyane, au début de l'année dernière, ou à Mayotte, actuellement, le défi de la dengue doit être relevé.
Votre expertise est donc indispensable pour enrichir notre stratégie nationale de santé. Je sais que les débats organisés en Guadeloupe, en Martinique, à Cayenne et ici ont été particulièrement constructifs. Les Réunionnais et les Mahorais ont plébiscité ces débats. Deux rencontres internes aux ARS ont déjà été organisées. La première réunion publique s'est tenue le 21 janvier à Mayotte et a permis de rassembler plus d'une centaine de participants. Et nous voilà aujourd'hui réunis pour la première rencontre publique à La Réunion.
Vous avez abordé de très nombreux sujets, toujours animés par la même volonté de construire des solutions propres aux enjeux de votre territoire. Vous avez ainsi débattu de l'attractivité médicale de l'île, de l'accès aux services de base, de la communication avec les patients non-francophones ou encore de la formation locale des professionnels de santé…
Je ferai, avec la plus grande attention, la synthèse des propositions qui me remonteront. Je veux faire en sorte que la stratégie nationale qui fixe le cap pour les dix prochaines années s'ancre durablement en outre-mer, grâce aux orientations spécifiques qui y seront déployées. Et c'est à partir de vos propositions que j'annoncerai cela.
Personne ne maîtrise mieux que vous les enjeux locaux. Vous connaissez les contraintes particulières qui s'exercent à Mayotte et à la Réunion.
Et je veux saluer ici toutes celles et ceux qui sont en première ligne, en particulier lorsque le contexte économique est difficile.
Je veux parler, bien sûr, de ceux qui s'impliquent au quotidien pour la santé de nos concitoyens. Professionnels de santé, que vous soyez hospitaliers, libéraux ou auprès de nos collectivités territoriales ; que vous soyez acteurs de la prévention au plus près des populations ou en établissement ; que vous soyez professionnels du secteur social auprès des personnes âgées ou de nos concitoyens en situation de handicap. A vous tous, je veux dire que je connais la valeur de votre engagement.
Je pense aussi à tous les élus de ce territoire que je rencontre régulièrement et qui portent haut vos attentes.
Ils me font part des difficultés qui sont les vôtres au quotidien. Et je sais que rien ne peut se faire sans eux parce qu'ils ont une approche globale. Sur des sujets aussi divers que la qualité de l'eau, l'apprentissage des réflexes préventifs à l'école, les programmes nutritionnels dans les cantines, ce sont les maires qui disposent des leviers d'action.
Bien entendu l'Etat doit être à leurs côtés et assumer ses responsabilités, j'y reviendrai. Mais ce sont les élus locaux qui mobilisent et qui impulsent.
Je n'oublie pas l'engagement des militants associatifs qui sont particulièrement actifs à La Réunion et à Mayotte. Là où, parfois, il faut encore convaincre de l'importance de l'engagement collectif pour notre santé, je sais qu'ici il suffit le plus souvent que l'Etat vienne en appui des initiatives portées par le monde associatif.
Comme patients, comme professionnels, comme élus, le succès de la stratégie nationale de santé est entre vos mains.
Cette stratégie repose sur trois piliers : d'abord, le développement de la prévention, partout et à tous les âges de la vie ; la révolution du premier recours, ensuite, afin que notre modèle s'organise autour du patient et non plus des structures ; enfin, le renforcement des droits des malades.
1/ La prévention : voilà le premier pilier de la stratégie nationale de santé.
La France a bâti son modèle sanitaire en donnant la priorité au curatif. Ce modèle fait notre fierté. C'est lui qui a porté tous les progrès du siècle dernier. Mais aujourd'hui, il faut compléter cette approche : nous devons placer la prévention au cœur de notre politique de santé.
Prévenir, c'est faire en sorte de développer un environnement sain, d'apprendre les comportements individuels et collectifs qui contribuent à une bonne santé, de bien manger, de bien bouger… Mais prévenir, c'est aussi lutter contre les causes d'une mauvaise santé : le bruit, la pollution, les toxiques dans l'air ou dans l'eau, la malbouffe, la sédentarité, l'abus d'alcool, la consommation de tabac…
C'est en généralisant le « réflexe préventif » que nous interviendrons en amont sur tous les déterminants de santé. Alors, nous allons agir partout : à l'école, dans nos entreprises, sur nos lieux de vie, auprès de nos associations. Agir avant que la maladie ne survienne : voilà tout l'enjeu !
A La Réunion, la prévention mobilise déjà tous les acteurs de terrain. J'ai à l'esprit la lutte contre le diabète, dont la prévalence est deux fois plus élevée (8,8%) que dans le reste du pays. Il s'agit là d'une cause régionale ! Dans le Nord-est de votre département, des médecins généralistes se sont mobilisés pour accroître et amplifier les actions de prévention. Ainsi, au mois de décembre dernier, vous avez organisé deux journées de dépistage au sein de cabinets de médecine générale. Et cette année, des officines emboîteront le pas.
En vous rencontrant aujourd'hui, j'ai d'ailleurs pu constater que vous étiez aux avant-postes sur le volet prévention de la stratégie nationale de santé.
Je suis venue pour écouter et pour apprendre de vos initiatives. Je pense en particulier à la lutte contre les vecteurs de maladie pour éviter la transmission du Chikungunya ou de la dengue. Nettoyer une ravine, éviter les eaux stagnantes qui deviennent vite des nids à larves, se protéger avec des répulsifs : voilà autant de pratiques individuelles et collectives que vous apprenez très tôt aux enfants pour que, dès le plus jeune âge, ils fassent le lien entre un environnement sain et une bonne santé.
Je me réjouis que vous soyez déjà pleinement engagés dans la démarche préventive et je souhaite que nous puissions encore amplifier ce mouvement.
2/ Le deuxième pilier de la stratégie nationale de santé, c'est la révolution du premier recours.
Notre système de soins s'est construit autour des structures. A nous de l'organiser autour du patient et de ses besoins.
Pour cela, le développement de l'ambulatoire est décisif. Vous le savez puisque vous êtes ici à l'avant-garde dans ce domaine. Grâce à des professionnels qui s'organisent, grâce aux familles aussi, et à l'entourage des malades, qui permettent le maintien à domicile évitant ainsi des hospitalisations éprouvantes et inutiles.
La clef d'une meilleure prise en charge en ville, c'est la coordination. Il s'agit de mieux articuler les interventions des professionnels, des services et des établissements au sein d'un même territoire.
Une nouvelle fois, la lutte contre le diabète illustre la réussite de votre mobilisation : vous expérimentez un parcours du patient adulte diabétique dans le Nord-est de l'île. Quel était le problème ? Les parcours des patients connaissaient trop de ruptures. Pourquoi ? Parce que les professionnels ne communiquaient pas entre eux. Vous avez donc ouvert une messagerie sécurisée pour qu'ils puissent échanger, se parler et finalement travailler ensemble au bénéfice des patients.
L'émergence des parcours de soins passera également par le transfert sanitaire : transfert entre Mayotte et La Réunion, mais transfert aussi entre votre région et la métropole. C'est tout le sens du rapprochement récent entre le CHU de la Réunion et le Centre hospitalier de Mayotte.
Conduire la révolution du premier recours, c'est aussi lever les obstacles financiers aux soins. C'est ce que j'ai engagé, sans attendre la mise en œuvre de la stratégie nationale de santé, avec la généralisation de la couverture complémentaire en santé, avec l'accord sur les dépassements d'honoraires qui, très concrètement, permet aux patients d'être mieux remboursés et aux professionnels d'être mieux pris en charge, notamment sur le plan social.
Nous devons enfin lever les obstacles territoriaux à l'accès aux soins. C'est le sens du Pacte Territoire Santé que j'ai lancé il y a un an et dont je dresserai le premier bilan lundi prochain, en Bourgogne. Une chose est sûre : nous avons progressé et les résultats sont là. Je pense aux médecins correspondants du service des urgences de Mamoudzou qui sont installés, depuis un an, dans les quatre centres de référence de l'hôpital de Mayotte. L'un de mes engagements phares, c'est de développer l'exercice collectif de la médecine. Et je me réjouis, qu'à ce jour, trois nouveaux projets de maisons de santé soient en cours de finalisation pour les Réunionnais à Saint Denis et Saint Philippe.
3/ Le troisième axe de la stratégie nationale de santé, c'est de prolonger le mouvement de démocratie sanitaire.
Beaucoup reste à faire, pour faire progresser la représentation des usagers dans nos établissements. Après la reconnaissance des droits individuels, je veux améliorer les droits de tous en ouvrant la voie aux actions collectives en justice dans le domaine de la santé. Une sorte de « class action » à la française ! Et je veux que les associations d'usagers, de patients soient parties-prenantes des politiques publiques, qu'elles participent pleinement à leur élaboration, au lieu de réagir, seulement, à la manière dont elles sont organisées.
Mesdames et messieurs,
Au mois d'avril prochain, j'organiserai un évènement national de restitution. J'y présenterai la synthèse des travaux issus de toutes les régions. Elle préfigurera la loi de santé qui sera présentée avant la fin du premier semestre 2014.
Je tiens à remercier, à nouveau, chacune et chacun d'entre vous pour votre implication remarquable dans ces forums. Vous êtes déjà pour beaucoup dans la réussite à venir de la stratégie nationale de santé.
Je vous remercie.
Source http://www.social-sante.gouv.fr, le 12 février 2014