Interview de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, avec RTL le 10 février 2014, sur le vote des Suisses en faveur de quotas d'immigrés, les relations franco-américaines et sur la situation en Libye.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

LAURENT BAZIN
Jean-Michel APHATIE, vous recevez ce matin le ministre des Affaires étrangères, Laurent FABIUS.
JEAN-MICHEL APHATIE
Bonjour Laurent FABIUS.
LAURENT FABIUS
Bonjour.
JEAN-MICHEL APHATIE
Les citoyens suisses ont voté hier en faveur de quotas pour l'accueil des étrangers sur leur territoire, alors ça fait un peu drôle parce que les étrangers, ce coup-ci, c'est nous notamment, les Français, notamment les frontaliers. Comment la France, par votre intermédiaire, Laurent FABIUS, réagit-elle à ce vote ?
LAURENT FABIUS
C'est un vote préoccupant parce qu'il signifie que la Suisse veut se replier sur elle-même…
JEAN-MICHEL APHATIE
C'est dans l'air du temps ?
LAURENT FABIUS
Et c'est dans l'air du temps, d'une part, et d'autre part, c'est paradoxal, puisque la Suisse fait 60% de son commerce extérieur avec l'Union européenne, et elle vit très largement de l'Union européenne.
JEAN-MICHEL APHATIE
Qu'est-ce qui va se passer concrètement ?
LAURENT FABIUS
Alors, concrètement, il y a depuis 1999, des accords avec la Suisse, qui portent notamment sur la libre circulation des travailleurs, mais sur beaucoup d'autres éléments, et il y a une clause dite de guillotine, qui fait que si l'un des éléments est mis en cause, en l'occurrence, là, la libre circulation des travailleurs, tout tombe. Donc ça veut dire qu'il va falloir renégocier. Et je ne suis pas sûr que… enfin, le vote, il s'impose, le gouvernement suisse a trois ans pour en tirer les conséquences pratiques, mais ça signifie qu'on va revoir nos relations avec la Suisse…
JEAN-MICHEL APHATIE
Le gouvernement suisse qui était opposé à…
LAURENT FABIUS
Le gouvernement suisse est très surpris, moi, j'avais discuté de ça il y a deux semaines avec le président de la confédération, monsieur BURKHALTER, qui m'avait dit : ça va être difficile, mais enfin, on va gagner, enfin, lui était pour le non…
JEAN-MICHEL APHATIE
Pour le non, c'est ça. Donc il a perdu.
LAURENT FABIUS
Et puis, finalement, il a perdu.
JEAN-MICHEL APHATIE
Et donc il va falloir renégocier les traités avec la Suisse.
LAURENT FABIUS
Oui.
JEAN-MICHEL APHATIE
Et ça peut se faire à votre avis au détriment de la Suisse finalement ?
LAURENT FABIUS
Eh bien, la Suisse, c'est un pays qui est en bonne situation économique, mais qui est un pays qui, jusqu'ici, était très ouvert économiquement, la Suisse toute seule, ça ne représente pas une puissance économique considérable. Donc il va falloir tout rediscuter et…
JEAN-MICHEL APHATIE
C'est une mauvaise nouvelle ?
LAURENT FABIUS
Oui, c'est une mauvaise nouvelle, à mon avis, à la fois pour l'Europe et pour les Suisses, puisque la Suisse refermée sur elle-même, ça va la pénaliser.
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous décollerez tout à l'heure de Paris, Laurent FABIUS, direction Washington, vous accompagnez le président de la République François HOLLANDE…
LAURENT FABIUS
Exact…
JEAN-MICHEL APHATIE
Pour une visite d'Etat aux Etats-Unis, la première de ce statut depuis 1996. Alors nous sommes très amis avec les Etats-Unis, si l'on excepte l'espionnage dont nous avons été victimes de leur part, et si on néglige aussi par exemple le contournement de nos règles fiscales par leur mastodonte informatique, à quoi va servir ce voyage, Laurent FABIUS ?
LAURENT FABIUS
Alors, c'est un voyage important qui se présente bien parce que nous avons des… la France a un crédit politique en ce moment qui est très élevé aux Etats-Unis notamment, à cause de sa politique extérieure.
JEAN-MICHEL APHATIE
Grâce !
LAURENT FABIUS
Oui, grâce à sa politique extérieure. Donc les choses vont bien se passer, et nous sommes extrêmement heureux de ce voyage.
JEAN-MICHEL APHATIE
Il y a des problèmes quand même ! Ils nous ont espionnés…
LAURENT FABIUS
Alors, prenons les problèmes les uns après les autres : espionnage, oui, il y a eu un comportement qui n'était pas uniquement dirigé contre la France, mais qui était inacceptable. Donc il y a eu une re-discussion, qui n'est pas terminée d'ailleurs, il y a des choses qui sont acquises, c'est que les Etats-Unis – contrôle à l'appui – n'espionneront plus le président de la République, etc.…
JEAN-MICHEL APHATIE
On en est sûr ?
LAURENT FABIUS
Oui, on prend les dispositions aussi pour le vérifier, mais il y a encore des compléments à apporter, bon. Ça, c'est un aspect, l'autre aspect…
JEAN-MICHEL APHATIE
Contentieux fiscal…
LAURENT FABIUS
Contentieux fiscal…
JEAN-MICHEL APHATIE
Est-ce que vous confirmez au passage, Laurent FABIUS…
LAURENT FABIUS
Ça dépend de l'Europe, ça dépend de l'Europe…
JEAN-MICHEL APHATIE
Est-ce que vous confirmez que Bercy réclamait un milliard d'euros à GOOGLE ?
LAURENT FABIUS
Je ne sais pas, c'est ce que j'ai vu, et c'est tout à fait possible…
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous ne vous êtes pas renseigné avant de partir ?
LAURENT FABIUS
Non, mais c'est tout à fait possible…
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous profiterez du voyage dans l'avion pour le faire ?
LAURENT FABIUS
Oui, mais je sais qu'il y a…
JEAN-MICHEL APHATIE
D'accord, vous nous le direz au retour alors…
LAURENT FABIUS
Je sais… non, non, je peux vous le dire dès maintenant, les dispositions fiscales font que, non seulement GOOGLE, mais beaucoup d'autres sociétés Internet etc. ne sont pas domiciliées fiscalement en France, la plupart sont domiciliées en…
JEAN-MICHEL APHATIE
Irlande…
LAURENT FABIUS
En Irlande. Et ça, c'est quelque chose qui est à voir avec la réglementation européenne, et donc il faut certainement reconsidérer tout cela, mais ça, c'est à nous à faire notre ménage au sein de l'Europe.
JEAN-MICHEL APHATIE
Oui, nous, il faut aussi, il faut harmoniser la fiscalité avec l'Irlande, il va falloir qu'on baisse beaucoup, beaucoup, beaucoup les impôts.
LAURENT FABIUS
Et qu'ils élèvent les leurs…
JEAN-MICHEL APHATIE
Oui, enfin…
LAURENT FABIUS
Il n'est pas normal que d'un côté – c'est un vieux combat – il n'est pas normal que d'un côté, ils bénéficient d'une série de subventions, et que de l'autre, ils puissent attirer par un dumping fiscal des entreprises. Donc il y a du ménage à faire.
JEAN-MICHEL APHATIE
Donc vous verrez tous les… enfin, François HOLLANDE – vous l'accompagnerez – verra tous les responsables de ces sociétés, ces gens qui créent…
LAURENT FABIUS
Oui, on va les voir à San Francisco, oui.
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous leur expliquerez la taxe à 75% qui existe en France ?
LAURENT FABIUS
Ils la connaissent, mais ils savent aussi que…
JEAN-MICHEL APHATIE
C'est quand même deux mondes qui se rencontrent, c'est ça que je…
LAURENT FABIUS
Oui, c'est vrai, mais ce qui est vrai aussi, c'est qu'en matière d'innovation, il y a beaucoup de choses qui se font en France, et on veut vraiment mettre l'accent là-dessus. Moi, je suis pour avoir une… on a des chercheurs qui sont excellents, on a des étudiants qui sont excellents, donc il faut les encourager à créer en France, d'où le pacte de responsabilité, on revient toujours à ça.
JEAN-MICHEL APHATIE
Etats-Unis, pays qui exploite le gaz de schiste, devrait-on s'inspirer de l'exemple américain, Laurent FABIUS ?
LAURENT FABIUS
Je ne crois pas, mais quand on regarde…
JEAN-MICHEL APHATIE
Ah, ils ont tort…
LAURENT FABIUS
Non, mais ils n'ont pas du tout la même réalité de territoires que nous…
JEAN-MICHEL APHATIE
Eh bien, ils fracturent la roche, et donc…
LAURENT FABIUS
Oui, avec des dégâts sur l'environnement.
JEAN-MICHEL APHATIE
Oui, donc ils ont tort…
LAURENT FABIUS
Si on regarde quel est le renouveau économique américain, qui est indiscutable, il y a une partie qui est due à l'énergie, notamment le gaz de schiste, une partie qui est due au développement des sciences de la vie, génomique, génétique, et une partie, c'est celle qu'on va voir, qui est due au développement formidable du digital. Et donc il faut que nous, nous encouragions tout ce qui est création, absolument.
JEAN-MICHEL APHATIE
Et je reviens au gaz de schiste, votre collègue MONTEBOURG qui dit : on devrait s'inspirer des Etats-Unis…
LAURENT FABIUS
Moi, ma position, elle est simple, le système actuel de fracturation hydraulique est mauvais pour l'environnement, donc ce n'est pas celui-là qu'il faut exploiter. En revanche, qu'on fasse des recherches pour savoir s'il y a une autre possibilité d'exploiter le gaz de schiste, ça me paraît normal.
JEAN-MICHEL APHATIE
Ah donc, vous seriez d'accord pour qu'il y ait des essais au fluoropropane, puisque c'est la technique, vous seriez d'accord pour ça ?
LAURENT FABIUS
S'il y a des essais qui n'ont pas de conséquences négatives, vous savez, l'histoire…
JEAN-MICHEL APHATIE
On le sait après ça…
LAURENT FABIUS
L'histoire du progrès et l'histoire de la gauche, c'est toujours une histoire ouverte à la réalité scientifique, mais à condition évidemment qu'on protège l'environnement. Je suis chargé d'accueillir l'an prochain la grande conférence climat, on va en discuter avec les Américains, et donc ce n'est pas à la France de donner le mauvais exemple. Mais en revanche, être ouvert sur la recherche, oui, trois fois oui.
JEAN-MICHEL APHATIE
Un autre dossier important, vous rentrerez des Etats-Unis mercredi soir, un autre dossier important…
LAURENT FABIUS
Jeudi…
JEAN-MICHEL APHATIE
Jeudi, sud Libye, beaucoup de préoccupations, Aqmi aurait regroupé notamment beaucoup de combattants chassés par l'armée française du nord Mali, dans le sud Libye…
LAURENT FABIUS
Pas seulement…
JEAN-MICHEL APHATIE
Une intervention est-elle envisagée ?
LAURENT FABIUS
Non, non, une intervention, non, en revanche, nous avons une réunion début mars à Rome, toute une série de pays pour aider davantage la Libye, parce que c'est vrai qu'il y a des regroupements de terroristes dans le sud…
JEAN-MICHEL APHATIE
C'est une inquiétude…
LAURENT FABIUS
Donc j'ai eu récemment le Premier ministre, il s'appelle monsieur Ali ZEIDAN, au téléphone pour lui demander ce qu'on peut faire pour l'aider, quand je dis « nous », ce n'est pas simplement les Français, c'est les Français, les Britanniques, les Algériens, les Tunisiens, les Egyptiens, les Américains et beaucoup d'autres, les Allemands.
JEAN-MICHEL APHATIE
Et donc c'est un dossier…
LAURENT FABIUS
Eh bien, ça veut dire qu'il faut combattre le terrorisme partout, ça ne veut pas dire qu'il faut avoir des gens au sol, ça veut dire qu'il faut aider les gouvernements, c'est le cas du gouvernement de monsieur Ali ZEIDAN, qui veut se débarrasser du terrorisme.
JEAN-MICHEL APHATIE
Voilà donc, beaucoup de dossiers internationaux.
LAURENT FABIUS
Dossiers internationaux, l'Iran, bien sûr, la Syrie. Un mot sur la Syrie, si vous le voulez bien, les conversations vont reprendre aujourd'hui, nous demandons qu'il y ait une action beaucoup plus forte en ce qui concerne l'humanitaire, et qu'on ouvre les villes aux médicaments et aux vivres. Il est absolument scandaleux qu'on discute depuis déjà pas mal de temps, et qu'on continue à affamer les populations tous les jours. Et donc en liaison avec toute une série d'autres pays, nous allons déposer une résolution aux Nations Unies en ce sens.
JEAN-MICHEL APHATIE
Laurent FABIUS, ministre des Affaires étrangères, était l'invité de RTL ce matin.
LAURENT BAZIN
Merci beaucoup Laurent FABIUS. Bonne journée à vous. Bon vol.
LAURENT FABIUS
Merci beaucoup…
LAURENT BAZIN
Merci Jean-Michel. A demain.
JEAN-MICHEL APHATIE
A demain Laurent.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 17 février 2014