Texte intégral
Mesdames et messieurs les députés,
Mesdames et messieurs qui formez la communauté de professionnels de la santé et du bien-être au travail que vous soyez médecins, juristes, assureurs, psychanalystes, chercheurs mais aussi syndicalistes ou employeurs,
Vous tous qui composez le beau plateau des 4ème rencontres parlementaires sur la santé et le bien être au travail.
Je vous remercie de votre invitation à ouvrir votre matinée de travail. Elle va être très dense aussi
je vais être très bref.
Vous avez choisi un sujet tout à fait décisif pour la société française.
Un sujet qui n'est pas du ressort d'un seul acteur, mais qui se joue dans l'entrecroisement de nos périmètres d'action et de nos disciplines.
Il n'y a pas de santé au travail sans une médecine du travail ; médecine du corps, mais aussi d'autres maux, d'autres souffrances, d'autres stress qu'il faut être capable de prendre en charge.
Mais prendre en charge, qu'est ce que cela veut dire ?
Cela veut dire autant l'intervention de l'ergonome pour transformer le poste de travail, que du manager pour aider à trouver sa place.
Cela veut dire l'intervention du législateur pour encadrer et de l'inspecteur du travail pour prévenir ou réparer.
Si l'on en vient à parler de réparation, il faut aussi faire entrer en scène l'assureur.
Et si je m'élève un peu, c'est au philosophe et à l'économiste que je veux demander ce que produit le bien-être voire le bonheur au travail.
Chacun d'entre vous est légitime et pertinent sur ce sujet, et c'est en travaillant ensemble que vous ferez progresser notre compréhension des enjeux et la pertinence de nos actions respectives.
Je salue donc cette belle initiative parlementaire, sûr du fait que le rôle de l'Etat et de la puissance publique n'est pas de tout faire, mais bien de rassembler les acteurs, de faire converger les forces et les volontés pour mener ensemble les combats qui le méritent. Et celui-ci en est un !
Je vois trois raisons majeures pour agir sur le travail, donc la santé et le bien-être au travail, et pardon de rappeler ici quelques évidentes banalités :
1. D'abord, le travail a une place essentielle pour nos concitoyens. Il continue de jouer un rôle moteur dans notre société même si celle-ci ne s'organise plus autour de lui de la même façon qu'autrefois. Le travail est un moyen de gagner sa vie, bien entendu. Il est aussi un moyen de se réaliser, de se développer, d'avoir un sentiment d'utilité sociale, et de participer à un collectif, c'est-à-dire d'établir des liens sociaux avec d'autres pour participer à une même uvre. Certes, le travail peut rendre malade, dans certains circonstances, mais il est aussi souvent ce qui maintient en forme. C'est bien plus l'absence de travail qui tourmente que le fait d'avoir un travail.
2. Nous allons devoir travailler plus longtemps. C'est le deuxième enjeu. La prévention de la pénibilité prend une dimension nouvelle avec l'allongement des carrières professionnelles. Il s'agit à la fois de réduire l'exposition à la pénibilité, d'adapter et d'aménager les conditions de travail mais aussi d'aménager les carrières et de favoriser le maintien dans l'emploi. Le débat sur la retraite nous impose une réflexion profonde sur le travail et la santé au travail dans les prochaines années.
3. Enfin, je crois que nous avons face à nous un autre enjeu majeur : loin de n'être que souffrance et usure, le travail est une ressource. Sortons d'une vision trop systématiquement négative du travail développée ces dernières années, autour des suicides et des risques psychosociaux que créerait le travail. Ces risques existent et appellent une action de prévention sans faille, mais il devient urgent d'avoir aussi un discours positif sur le contenu du travail. Car c'est dans la qualité de vie au travail que notre économie peut aller chercher performance et compétitivité.
Le discours sur la qualité du travail est un discours autant social qu'économique, qui restaure la liaison intime entre ces deux sphères.
L'enjeu pour les entreprises est d'autant plus fort que les sociétés fondées sur l'économie du savoir dépendent d'équipes qui ont envie de relever les défis, d'individus qui sont capables de collaborer et de fonder une force qui soit plus que la somme de leurs individualités. Dans les services, mais aussi dans l'industrie, la vraie valeur est créée dans les relations nouées entre les salariés et leurs clients, dans l'interaction entre salariés. C'est bien souvent ce qui fait la différence entre deux concurrents. L'association au pouvoir est une des clés de cette motivation préservée ou retrouvée, le bien-être et le sentiment d'être reconnu en sont une autre, comme la possibilité d'avoir prise sur son travail et de ne pas être seulement un exécutant de tâches prescrites par d'autres.
C'est à la lumière de ces trois enjeux qu'il faut définir les objectifs que nous poursuivons.
D'abord, préserver la santé physique et morale des travailleurs.
Le travail continue d'agresser. Parfois il tue. Tout le monde n'est pas égal devant la santé. Une partie importante des risques, souvent les plus graves, sont transférés sur des populations fragiles, sous-traitants, précaires, jeunes travailleurs et intérimaires. Il y a une responsabilité propre de l'Etat qui implique aussi les partenaires sociaux, dans l'entreprise et en dehors de l'entreprise.
Il subsiste aussi des risques « matériels » très classiques, sources d'accidents ou de maladies (les risques chimiques, ceux liés aux équipements, etc.). Mais à ces risques, d'autres se sont ajoutés, de nouveaux, souvent plus insidieux : ceux liés aux technologies de l'information et communication, aux nanotechnologies, ou ceux qui résultent de l'organisation des entreprises
- organisation interne aux entreprises
- et organisation entre les entreprises : sous-traitance en cascade, coactivité d'entreprises multiples sur un même site, travail en réseau des entreprises, risques majeurs venus d'ailleurs (crises nucléaire, chimique (ex : AZF), pandémie, manutention dans les ports ou aéroports, etc).
Ensuite c'est tout au long de la vie des travailleurs qu'il faut prévenir la pénibilité au travail. Et c'est pour cela que la réforme des retraites a créé une innovation majeure dont on mesure encore mal la portée : le compte de prévention de la pénibilité qui fonctionnera comme la mémoire des périodes de travail pénibles. C'est absolument fondamental.
A cette première approche de lutte contre la pénibilité, j'en ajoute une autre : viser le bien être au travail ou la qualité de vie au travail dans les entreprises.
Là, il me faut parler de dialogue social vous savez qu'il m'est cher c'est-à-dire de l'organisation et des rapports sociaux dans les entreprises, des lieux où l'on peut se parler franchement, dans un respect des divergences et un équilibre des forces, afin de fonder des compromis honnêtes qui ne sont pas la victoire d'un camp sur un autre.
Outre le dialogue social, il faut évoquer les stratégies d'entreprise, le rôle du management, de l'évolution des métiers, des collectifs de travail, de la tendance à l'individualisation, de l'égalité et de l'articulation entre vie privée et vie professionnelle et finalement de sens. Ces enjeux ne sont pas périphériques au travail (mesuré par la seule productivité). Ils sont les nouveaux enjeux de la participation des salariés et du débat qui doit se nouer sur le travail dans les entreprises.
Ces enjeux et ces axes de travail trouvent leur traduction dans les orientations concrètes de l'intervention de mon ministère, et je cite pour conclure les trois principales pour 2014 :
1. D'abord construire un nouveau Plan santé au travail pour les prochaines années. A la suite de la dernière grande conférence sociale, un chantier est en cours pour inscrire la santé au travail dans une stratégie positive de promotion au travail et de performance de l'entreprise. A l'été 2014, avec les partenaires sociaux, nous définirons les grandes orientations du futur plan santé au travail 3 qui sera la référence de l'ensemble des acteurs dans ce domaine pour les années 2015-2017.
2. Deuxièmement, prévenir la pénibilité. Comme je vous le disais, la loi sur les retraites a conçu le compte personnel de prévention de la pénibilité. Il doit commencer à fonctionner au 1er janvier 2015 pour chaque salarié exposé à des travaux pénibles. Il permettra de bénéficier de points acquis en fonction de l'exposition à des emplois pénibles que le salarié pourra utiliser pour se reconvertir par la formation sur un métier moins pénible, réduire son temps de travail ou bénéficier d'une majoration de durée d'assurance vieillesse. Ce compte sera aussi une opportunité pour développer la prévention dans l'entreprise, l'objectif étant de réduire la pénibilité et l'exposition à celle-ci.
3. Enfin, promouvoir la qualité du travail dans les entreprises. Les partenaires sociaux ont conclu un accord interprofessionnel le 19 juin 2013 sur la qualité de vie au travail qu'il faut diffuser et faire appliquer dabs les entreprises pour que, par la voie de la négociation, des mesures concrètes soient apportées aux salariés afin d'améliorer leur bien être au travail. Plusieurs entreprises, le plus souvent de taille importante, se sont déjà inscrites dans cette démarche et cette démarche doit être multipliée.
Vous le voyez le ministère du travail va être particulièrement intéressé à votre travail de la matinée, et en tirera j'en suis sûr matière à approfondir sa réflexion et surtout à mieux orienter son action.
Bon travail à vous
Je vous remercie.
Source http://travail-emploi.gouv.fr, le 19 février 2014