Déclaration de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, sur l'insertion professionnelle dans le secteur de l'agriculture, Paris le 21 février 2014.

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Circonstance : Etats généraux de l'agriculture à Paris le 21 février 2014

Texte intégral


Vous avez bien voulu me faire l'honneur de conclure votre table-ronde consacrée à l'emploi, à l'insertion des jeunes dans vos métiers, à leur attractivité, et je vous remercie.
C'est une très belle initiative que vous avez prise. Vous abordez lors de ces états généraux des thèmes qui, au-delà de votre filière, concernent l'ensemble du pays : Emploi, Modernisation, Compétitivité, Simplification. Ces trois thèmes sont au cœur de l'action gouvernementale. L'emploi comme priorité, La modernisation et la compétitivité comme stratégie, La simplification comme engagement.
L'agriculture et la filière alimentaire sont un pourvoyeur essentiel d'emplois – permanents ou saisonniers – partout sur le territoire, tant dans les campagnes qu'en ville. Filière stratégique, au potentiel de développement réel, elle n'en est pas moins confrontée à des enjeux véritables qui ont été rappelés au cours de cette table-ronde.
- Enjeu d'image et d'attractivité des métiers,
- Enjeu d'amélioration de l'employabilité et des compétences.
- Enjeu de qualité des conditions de travail et de qualité du produit,
- Enjeu de coût du travail dans une industrie de main d'œuvre.
- Enjeu de concurrence extérieure, aussi.
Voilà les enjeux emplois et compétences qui sont devant nous tous – vous comme moi.
J'ajoute, comme élu d'un territoire rural et agricole, que l'agriculture n'est pas une filière comme une autre. Je connais son importance économique, mais aussi culturelle et je sais ce qu'elle a apporté et continue d'apporter à notre pays.
Pour conclure l'échange de ce matin, j'aimerais commencer par parler de formation professionnelle et partager avec vous l'enjeu qu'elle représente.
- Parce que sans elle il n'y aura pas d'avenir,
- Parce que sans elle, il n'y aura pas d'agriculture compétitive.
Je défends en ce moment au Parlement un projet de loi majeur et j'ai la conviction qu'en améliorant la formation des jeunes, des salariés, des chômeurs, nous travaillons pour la compétitivité de nos entreprises et de notre pays.
Votre filière – ce n'est pas assez connu – a su développer au fil des années une politique de formation adaptée aux spécificités de vos nombreux métiers. Les enjeux sont principalement de trois ordres :
- développer la formation dans un tissu de très petites entreprises ;
- renforcer le niveau de qualification moyen face à des exigences en termes de processus et de normes de plus en plus importantes ;
- faire de la formation un levier d'attractivité dans un secteur qui peine souvent à attirer les actifs et notamment les plus jeunes d'entre eux.
- A ce titre, le CIF professionnalisant est un exemple de dispositif adapté et efficace.
- De même, le dispositif ADEMA, qui permet à des demandeurs d'emploi de découvrir le secteur tout en se formant est intéressant. Il permet aux bénéficiaires d'avoir un aperçu du métier et de la vie qui les attend. C'est du « sur mesure », c'est innovant et ce doit être encouragé. Si la terre est la gardienne de traditions, elle pourrait en surprendre beaucoup par sa modernité !
- Et, je vous fais passer à nouveau ce message : n'hésitez pas à participer aux appels à projet du fonds paritaire qui viendront en complément de vos actions.
Nous pouvons constater la force des dispositifs conventionnels que nous avons forgés ensemble, à tous les niveaux de la filière. C'est l'une des méthodes les plus efficaces pour des progrès collectifs et pour rassembler les forces et les acteurs autour d'objectifs partagés.
Comme ministre en charge de l'emploi, je crois bien sûr à la « politique de l'emploi » au sens classique du terme et je crois aussi à la politique sectorielle et la politique de filière.
Je voudrais prendre un exemple : la convention cadre visant la qualification des salariés et des demandeurs d'emploi de la production agricole, que nous avons signées en septembre dernier avec Stéphane Le Foll.
- Elle permet une action renforcée en faveur de l'accès à l'emploi et à la qualification des jeunes et des salariés les plus fragiles.
- Elle sécurise davantage les parcours professionnels face aux mutations que connait le secteur, faisant des transitions des passages en douceur et non des ruptures brutales qui précipitent dans le chômage.
Nous avons intégré dans cette convention deux éléments fondamentaux : les emplois d'avenir et le contrat de génération.
Je tiens à dire que chacun de ces dispositifs représente une opportunité pour le monde agricole
Les emplois d'avenir, d'abord destinés aux employeurs non marchands, sont aussi ouverts dans une proportion limitée -et dont je sais que vous auriez aimé qu'elle soit plus forte- au secteur marchand et donc aux exploitations agricoles. Pour en parler, rien de mieux qu'écouter les acteurs et je voudrais ici citer le Président de la FDSEA de l'Ariège qui a lui-même recruté un jeune en emploi d'avenir dans son exploitation : « il y a un vrai déficit de main d'œuvre dans l'agriculture. Nous sommes dans un monde qui évolue nous changeons nos habitudes. Il n'est plus question, dans les exploitations, de pyramide familiale. Ce n'est pas parce que l'on n'a pas réussi à l'école que l'on ne peut pas réussir sa vie… Heureusement que ces emplois sont aidés, sinon on ne serait pas là ». Je crois que beaucoup de choses sont dites. Les emplois d'avenir apportent une réponse tant sur l'embauche de jeunes, la formation de ceux-ci, que sur le coût du travail. D'autres problématiques demeurent, bien sûr, comme le logement et le transport, mais vous avez là un instrument à votre main.
Mais une autre question se pose prioritairement aux agriculteurs que vous êtes : la transmission. - Je reprends les propos que je citais tout à l'heure : la transmission familiale n'est plus automatique - elle demeure importante, heureusement. Alors comment transmettre ?
Là aussi, nous apportons une réponse concrète et efficace : le contrat de génération dont le volet transmission a été pensé pour les artisans et les agriculteurs. Et nous avons innové ensemble avec la signature d'un accord interbranches sur les contrats de génération. Chaque année, 16 000 exploitations ne sont pas reprises. Le contrat de génération ouvre une possibilité. C'est absolument décisif pour la pérennité de l'agriculture française, à la démographie élevée. Le contrat de génération concerne des jeunes de moins de 30 ans d'un côté, et des plus de 57 ans de l'autre.
C'est ainsi que nous sommes au cœur de la politique moderne de l'emploi que nous voulons construire : imaginer une « sécurité dynamique » qui permette d'évoluer, de se former, de changer d'emploi sans être menacé en permanence. Une sécurité qui mette de la formation et de l'orientation entre chaque emploi, entre chaque secteur. C'est ce que porte la réforme de la formation professionnelle que je défends actuellement, bien au-delà de la seule agriculture.
Je pourrais multiplier les exemples de partenariats entre l'Etat et les acteurs de la filière agricole : la charte des Industries Agro Alimentaires, le contrat de filière qui s'est fixé des engagements importants :
- former et recruter 150 000 jeunes en alternance sur la période 2014-2017 ;
- faire bénéficier 5 000 salariés supplémentaires d'une formation sur l'acquisition des savoirs fondamentaux d'ici 2017 ;
- travailler sur la qualité de vie au travail et l'anticipation des évolutions de l'emploi et des compétences.
C'est la preuve que le dialogue social, riche dans le secteur agricole sur ces enjeux, peut être fructueux et bénéfique pour tout le monde : salariés, entreprises, demandeurs d'emploi.
Ce dialogue social, nous le confortons dans la loi formation professionnelle et démocratie sociale. La loi reconnait clairement la FNSEA comme organisation représentative nationale et multiprofessionnelle, statut qui renforce l'association de votre organisation, dans des formes nouvelles, aux négociations interprofessionnelles. Il valorise votre participation aux concertations menées par l'Etat et donne une assise à votre présence dans les grandes instances de consultation. Cette loi reconnait également votre spécificité avec une mesure de l'audience qui, comme vous l'avez souhaité sera réalisée sur un périmètre national - et non dans chacune des branches territorialement - et en ne tenant compte que des exploitations employant des salariés.
Je veux insister sur la méthode, celle du dialogue social qui lie les pouvoirs publics et les organisations professionnelles et syndicales dans le cadre d'une convention, pour qu'ils puissent définir, suivre et évaluer ensemble les actions choisies. Parce que chacun se sent une responsabilité commune, nous avons fixé des objectifs, des engagements ensemble et nous les suivons.
C'est la méthode de ce gouvernement et c'est celle du Pacte de Responsabilité.
Il est nécessaire maintenant d'ouvrir une nouvelle étape, d'accélérer ; parce que le temps est venu d'améliorer notre compétitivité. Il nous faut produire plus, produire mieux. Vous êtes vous-mêmes des producteurs, vous savez ce que cela veut dire : c'est sur l'offre qu'il faut agir.
- Cela signifie la poursuite de l'allègement du coût du travail. C'est un sujet qui vous tient à cœur et vous souhaitez –légitimement- que les spécificités de votre filière soient prises en compte.
- A cela s'ajoute une modernisation de la fiscalité sur les sociétés avec une diminution du nombre de taxes. L'objectif affirmé est d'offrir plus de visibilité aux entreprises avec une trajectoire claire de prélèvements obligatoires jusqu'en 2017.
- Dernier sujet, la simplification, cela veut dire la réduction du nombre de normes et de procédures.
Bien sûr, face à cela, il y aura ce que l'on appelle parfois des « contreparties » -ne nous arrêtons pas trop sur les mots, nous parlons tout simplement d'engagements réciproques de l'Etat et des entreprises pour la création d'emplois, la qualité des emplois et le redressement de la France. Des engagements dont les partenaires sociaux vont discuter, nationalement et dans les branches.
Nous sommes dans un moment charnière et il nous faut accélérer pour que notre croissance fasse enfin durablement reculer le chômage.
L'effort en direction des entreprises est historique, notez-le bien. Nous avons besoin de tous pour le convertir en emplois.
Cependant, on ne peut pas raisonner comme si nous étions seuls, comme s'il n'y avait pas de concurrence étrangère, comme s'il n'y avait pas non plus de travailleurs détachés dans des conditions inacceptables et de travail illégal. Le combat pour la compétitivité coût et hors coût se mène aussi au niveau européen, pour protéger nos entreprises et nos exploitations du dumping social.
Nous ne sommes pas restés inactifs en la matière. Nous avons remporté une grande victoire à Bruxelles, en décembre dernier, sur la directive sur le détachement des travailleurs étrangers. La France a lentement construit son modèle social et il n'est pas question qu'il soit écorné par une concurrence déloyale qui, de surcroît, exploite des travailleurs étrangers eux-mêmes victimes et non coupables. L'intérêt de cette directive d'application est de lutter plus efficacement contre les fraudes dans l'ensemble des pays européens.
En cohérence avec cette avancée européenne, l'Assemblée Nationale vient de voter la proposition de loi du député Gilles Savary qui renforce l'arsenal législatif national contre les fraudes organisées au détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services.
Mais au-delà de la question des fraudes – qu'il faut combattre – c'est celle de la convergence sociale en Europe qui se pose, en particulier de l'instauration d'un salaire minimum dans tous les Etats européens, et d'un salaire minimum qui se rapproche progressivement. L'Allemagne est sur cette voie et regarde vers la France. Nous ferons tout pour que d'autres suivent et que les distorsions de concurrence soient réduites.
C'est un combat de longue haleine, je sais que vous y êtes sensibles. Nous continuerons à le mener.
Pour tous ces combats merci encore à votre profession mobilisée, exigeante souvent – c'est légitime – mais aussi consciente de ses responsabilités devant la société, devant les jeunes en particulier.
Le ministre que je suis y sera toujours sensible, et sera toujours dans la recherche du dialogue, une valeur que nous partageons et dont votre journée est une belle illustration.
Je vous remercie.
Source http://travail-emploi.gouv.fr, le 25 février 2014