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Je suis particulièrement heureuse d'être ici aujourd'hui, parmi vous, pour la clôture de ce colloque qui a été, j'en suis sûre, passionnant. L'avènement du numérique comme composante clé de l'espace urbain et de l'architecture ouvre de nouvelles perspectives, enthousiasmantes, pour vivre ensemble en ville, et ce alors que la dynamique démographique des villes ne faiblit pas. Contrairement d'ailleurs à toutes les projections faites par les urbanistes et les sociologues il y a une dizaine d'années.
D'ici 2030, la population mondiale des villes aura en effet augmenté de près de 1,5 milliard de personnes, pour attendre 5 milliards de citadins. Dans le même temps, la surface urbaine aura triplé.
Cette expansion urbaine, bien sûr, va concerner majoritairement l'Asie. Mais la France, comme la plupart des pays, s'inscrit également dans cette dynamique : les 14 plus grandes zones urbaines françaises ont gagné 4,7 millions d'habitants au cours de ces 30 dernières années. C'est la moitié de la croissance de l'ensemble de la population française sur la même période.
Cette croissance des villes soulève de nombreux défis. Des défis de cohésion et d'échange social, d'accessibilité des services, de fonctionnement de la démocratie locale, d'utilisation des ressources en énergie et en eau, d'optimisation des moyens de transport, d'impact environnemental. Les enjeux énergétiques et environnementaux, en particulier, sont majeurs : les villes sont responsables de 80 % des émissions de CO2 et de 75 % de la consommation mondiale d'énergie.
Les questions environnementales et économiques sont donc très importantes et doivent être considérées avec la même vigilance. Le coût de l'énergie est en effet un élément de compétitivité très important pour les entreprises et a donc une incidence directe sur leur implantation et la création d'emplois. Par ailleurs, le coût de l'énergie pèse de plus en plus sur le budget des ménages et l'efficacité énergétique est donc aussi un enjeu de solidarité, un enjeu social, l'accès de tous au chauffage, à l'eau chaude, à la mobilité.
Ces défis, les villes vont devoir les relever en s'appuyant sur la technologie, et en particulier sur les technologies numériques.
Alors que les réseaux de télécommunication et internet sont devenus des outils privilégiés d'échange et de socialisation, alors que tous les objets du quotidien deviennent connectés et intelligents, l'engagement de la mutation numérique des villes est une évidence.
Une ville numérique, ou une ville connectée, ce n'est bien sûr pas juste une ville équipée en très haut débit. C'est une ville qui peut collecter des informations, les sélectionner, les utiliser pour interagir avec différents dispositifs physiques et avec les usagers. C'est une ville intelligente, qui peut s'adapter à des situations complexes pour garantir le bien-être de ses citoyens et son développement durable.
Les raisons pour les villes d'engager cette transformation sont nombreuses. J'en retiendrai trois.
Premièrement, pour offrir un environnement plus fluide, plus lisible, plus interactif, à leurs habitants : c'est le cas des solutions d'identification et de paiement NFC (Near Field Communication) avec les smart phones, des systèmes d'information sur les transports urbains et sur les places de parking, des systèmes d'observation de la qualité de l'air et de la pollution atmosphérique, de la valorisation du patrimoine culturel avec la réalité augmentée
Deuxièmement, pour améliorer la qualité de service aux usagers, tout en générant des économies et en limitant l'impact environnemental : c'est le cas de la dématérialisation des services administratifs, de la gestion de trafic, et bien sûr de la gestion des réseaux énergétiques pour permettre les effacements de consommation d'électricité lors des périodes de pointe, intégrer dans le réseau des sources d'énergie renouvelables produite de manière intermittente et décentralisée, favoriser la circulation de l'information du producteur au consommateur
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le MESR a inscrit en priorité, dans son agenda stratégique de la recherche, les orientations décrites ci-dessus, avec un effort particulier sur le stockage de l'énergie, la connexion des énergies renouvelables au réseau et les smart grids.
Et troisièmement, pour soutenir le développement économique : le très haut débit bien sûr, mais également l'accès aux données publiques, sont des éléments forts d'attractivité et de soutien au développement des entreprises. J'ai déjà évoqué l'impact du coût de l'énergie sur la compétitivité des territoires et leur attractivité pour l'implantation d'activité créatrices d'emploi. Je n'y reviendrai donc pas.
Ces trois enjeux sont chacun des enjeux majeurs, et la ville connectée se situe à leur intersection.
Dans certains pays - en Corée, dans les pays du Golfe
- des initiatives imposantes ont été lancées pour créer, de toute pièce, des villes intelligentes, ou plutôt des villes dont la conception est pensée en globalité, des villes démonstrateurs dont les bonnes pratiques peuvent être ensuite transférées ou adaptées.
En France, des quartiers expérimentaux ont également émergé, mais ce sont aussi près de 1 200 projets dans 200 villes qui ont été lancés ces dernières années. Et de nombreux autres projets vont l'être dans les années qui viennent.
Une étude publiée il y a quelques mois par Syntec Numérique donne une idée de la diversité des projets préparés par les villes françaises : smart grids, bâtiments à énergie neutre ou positive, open data, télépaiement du stationnement en ville, découverte des places de parking libres, espaces de télétravail, cartographie 3D de la ville
Les technologies de l'information et de la communication, de plus en plus au coeur de nos modes de vie, vont donc représenter une part de plus en plus importante de l'infrastructure urbaine.
Ces technologies instaurent, pour l'usager, un nouveau rapport avec les lieux et les bâtiments. Des signes numériques vont tapisser l'espace public pour devenir, grâce à des dispositifs personnels, téléphones mobiles ou autres, autant de repères, de sources d'informations, de possibilités d'actions et d'échanges avec d'autres personnes. C'est une nouvelle forme d'interaction humaine.
La montée en puissance, la généralisation de l'usage des TICs renouvelle par ailleurs en profondeur les approches et pratiques de l'urbanisme et de l'architecture.
Il s'agit désormais d'une approche systémique, intégrée, pensée globalement dès la conception. La mobilité, l'efficacité énergétique, l'adaptation des réseaux, la densité, l'aménagement d'espaces privés, collectifs, semi-collectifs, l'intégration dans un environnement géographique, économique, urbain, plus large, tout cela doit être conçu et réfléchi en amont et en concertation car ce sont bien les usagers, les habitants qui seront in fine les acteurs de ces nouveaux systèmes urbains durables. Cela suppose donc un travail coopératif et interdisciplinaire où le thermicien, l'urbaniste, l'architecte, le designer, l'informaticien, l'ingénieur, l'habitant, la collectivité, les opérateurs énergétiques, les aménageurs, travaillent ensemble, avec de nouveaux métiers et de nouvelles pratiques, y compris dans les corps de métiers du BTP.
Les fonctions des bâtiments et des espaces deviennent dynamiques sous l'effet du numérique, l'interactivité entre un bâtiment et son écosystème prend une nouvelle dimension : il faut désormais penser en termes de systèmes dynamiques. Il faut penser, en somme, aux villes semblables aux organismes vivants, s'adaptant aux transformations continues de leur milieu et aux évolutions des besoins des habitants, de la société.
C'est l'émergence d'un urbanisme et d'une architecture réactifs au climat, à la lumière, à la pollution, produisant sa propre énergie et s'intégrant de manière intelligente dans le réseau électrique, gardant une trace numérique des évènements pour mieux s'adapter...
Le numérique remet radicalement en question les projets centrés autour du seul édifice : il ne s'agit plus seulement de concevoir une forme destinée à marquer son temps et son milieu, mais de la concevoir dans une logique de services diversifiés et évolutifs, adaptés aux usages et aux besoins des citadins et accessibles à tous. Il y a aussi des modèles économiques nouveaux à bâtir entre les opérateurs, au service des habitants et de la collectivité.
L'innovation transdisciplinaire et l'expérimentation sont au coeur de toutes ces transformations. Je suis donc particulièrement heureuse que des conférenciers éminents du monde du design, de l'architecture, de l'urbanisme, des industriels et des entrepreneurs, soient venus présenter ici leurs travaux, leurs expérimentations, leurs réflexions, leurs interrogations aussi, c'est ainsi que nous progresserons collectivement.
Ils ont offert leurs regards sur la ville de demain. Leur présence témoigne de l'intérêt des démarches d'innovation croisées, des dynamiques transdisciplinaires et des synergies entre les acteurs scientifiques, académiques et économiques.
A l'image de ce colloque, les acteurs du bassin grenoblois mettent en oeuvre des démarches d'innovation pluridisciplinaire par lesquelles la spécificité technologique du territoire se met au service d'enjeux sociétaux majeurs.
Les collaborations fécondes des Ecoles d'architecture, de l'IRT Nanoelec et de ses nombreux partenaires - Grenoble INP, Grenoble EM, CEA, Inria, Bouygues, Schneider, STMicroelectronics, Cofély- Inéo, Groupe Brunet apportent leur contribution au développement de villes innovantes, durablement attractives, créatrices d'emplois diversifiés et imaginatives.
Le pacte national pour la compétitivité, la croissance et l'emploi le rappelait : le redressement de notre pays passe par l'innovation et la recherche. Votre implication dans la construction des villes de demain sera, j'en suis convaincue, génératrice de croissance économique et d'emplois sur le territoire grenobloise. Car ces enjeux sont internationaux et concernent les villes du monde entier. Notre expertise dans ce domaine, en France, confortée par les programmes européens, est d'ailleurs exportable. C'est donc aussi une source de développement et de création d'emplois.
Grenoble, et je le dis après un voyage au coeur de la Silicon Valley avec le Président, a su développer un écosystème d'innovation de premier rang mondial : ce colloque montre une fois de plus sa dynamique et sa capacité à se projeter sur les enjeux majeurs pour notre avenir. Merci de stimuler cette anticipation !
Source http://www.giant-grenoble.org, le 25 mars 2014