Interview de M. Michel Sapin ministre des finances et des comptes publics, à "Europe 1" le 14 avril 2014, sur l'objectif du maintien du déficit budgétaire de la France à 3 %.

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Média : Europe 1

Texte intégral


THOMAS SOTTO
L'interview politique d'EUROPE 1, Jean-Pierre ELKABBACH, vous recevez Michel SAPIN, ministre des Finances et des Comptes publics. Messieurs, c'est à vous.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, une nouvelle fois, mais c'est chaque fois neuf et nouveau. Bienvenu Michel SAPIN, bonjour.
MICHEL SAPIN
Bonjour.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Nous avons tous retenu qu'à Washington, il nous a semblé que vous aviez tous l'obsession de la croissance. Est-ce que ça veut dire qu'elle va encore stagner ou enfin progresser ?
MICHEL SAPIN
Ça veut dire qu'elle progresse, mais pas suffisamment. Elle a repris sa progression en Europe, elle a repris sa progression en France, mais tous les observateurs disent, dans le monde, en Europe comme en France, il faut que ça accélère, il faut que ça aille plus vite.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Comment ?
MICHEL SAPIN
Avec un certain nombre de mesures prises dans chacun des pays, ou certaines mesures prises au niveau international, mais si je prends la France, le pacte de responsabilité, tel qu'il a été annoncé, tel qu'il est en train d'être aujourd'hui monté, tel que nous allons, dans les jours qui viennent le décrire, ce pacte de responsabilité correspond très exactement à cette volonté d'accélérer la croissance, d'accélérer l'investissement, d'accélérer l'emploi et les créations d'emploi.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous voulez dire qu'il y a là un mouvement plus grand, peut-être une accélération.
MICHEL SAPIN
Ce n'est pas la France toute seule...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ce n'est pas un voeu, mais une réalité.
MICHEL SAPIN
Ce n'est pas la France toute seule dans son coin, c'est la France dans un mouvement général. C'est la croissance qui reprend insuffisamment et qui doit accélérer partout et qui doit accélérer en France.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais la France sera-t-elle dans le mouvement général...
MICHEL SAPIN
C'est l'objectif, c'est ce que nous voulons.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Elle ne sera pas à la traine ?
MICHEL SAPIN
C'est ce que nous faisons, c'est pour ça qu'il y a ce pacte de responsabilité, c'est pour être à la hauteur de nos responsabilités, des responsabilités de la France, par rapport au reste du monde.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Quand sera-t-il voté ?
MICHEL SAPIN
Il sera adopté le 23 avril prochain, en conseil des ministres, globalement, c'est ce que l'on appelle la stratégie des finances publiques sur trois ans, puis il sera adopté, loi par loi, d'ici à l'été, de manière à ce que tout soit sur la table, tout soit connu, par les entreprises, par les acteurs internationaux, par les observateurs, par les Français, et qu'à partir de là toutes les décisions positives soient prises, par ceux qui ont à prendre ces décisions.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Avec un collectif budgétaire, ou un correctif budgétaire, comme l'a dit Jean-Marie LE GUEN hier, en juin.
MICHEL SAPIN
Oui, avec une loi de finances rectificative en juin qu'il prendra, qu'il mettra sur la table, qu'il mettra dans le débat, qu'il mettra au vote à l'Assemblée nationale, l'ensemble de ces décisions.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Michel SAPIN, nous avons tous reconnu qu'à Washington, vous avez également déclaré que les 3 % de déficit sont un objectif que nous devons maintenir. Ça veut dire que c'est un objectif mais que ce n'est pas encore un engagement ?
MICHEL SAPIN
Mais, tout le monde veut jouer sur les mots.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ben oui !
MICHEL SAPIN
Pourquoi faut-il que la France respecte le plus vite possible ces 3 % ? Ce n'est pas parce que ça serait une règle tombée du ciel...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais, va-t-elle le respecter ?
MICHEL SAPIN
Mais attendez, on a l'impression qu'on dit 3 %, 3 %, les gens ne comprennent pas pourquoi on dit 3 %. Pourquoi on dit 3 % ? Parce que c'est à partir, c'est en-dessous de 3 % de déficit par rapport au PIB, qu'on maitrise la dette et qu'on fait diminuer la dette. L'objectif c'est que la France se désendette, que chacun des Français se désendette, et c'est pour cela qu'il faut qu'il y ait 3 % de déficit en 2015, pas au-dessus, 3 % en 2015, c'est sur cette base-là que nous construisons notre stratégie budgétaire et que nous construirons notre budget pour 2015.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous dites : c'est faisable. Mais est-ce que c'est une promesse, est-ce que vous le ferez ?
MICHEL SAPIN
Mais on n'est pas dans les promesses, on est dans l'action, on est dans la décision, on est dans la destruction.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais, est-ce que ça se fera, est-ce qu'on le verra ?
MICHEL SAPIN
Mais bien sûr ! Si je vous dis là, aujourd'hui, c'est pas pour que ça se voit pas demain. C'est donc sur ce chiffre de 3 %, sur cet objectif-là que nous construisons toute notre stratégie budgétaire. La France, vous savez, elle est attendue dans le monde, elle est attendue en Europe, elle est attendue par les Français.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est ce qu'on vous a dit à Washington ?
MICHEL SAPIN
Oui, on m'a dit à Washington : la France est un grand pays, la France doit être à la hauteur de ses responsabilités.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Elle doit être à la hauteur.
MICHEL SAPIN
Et parmi ses responsabilités, il y a celle de maitriser son déficit et de faire diminuer son endettement.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Là on voit votre combativité avec Thomas et Julie, on vous regarde, et votre sérénité apparente, est-ce que ça veut dire qu'à Bruxelles on vous a déjà accordé un délai d'un an ou deux, pour que vous parliez de cette façon ?
MICHEL SAPIN
Mais la question n'est pas celle d'un délai, je ne vais pas à Bruxelles ou à Washington ou ailleurs, à genoux, pour demander un délai, mais ce n'est pas ça la France !
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Bruxelles, ce n'est pas cadeau, ça. Très bien.
MICHEL SAPIN
Mais la France n'est pas un pays qui s'agenouille devant je ne sais quelle idole au niveau bruxellois. La France a des engagements, ces engagements sont conformes aux intérêts de la France, la France respecte ces engagements parce que c'est conforme aux intérêts de chacun des Français.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais il faut le montrer.
MICHEL SAPIN
Mais ce n'est pas montrer ! Faire !
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous ne demandez pas un délai, vous demandez quoi, un sur... vous allez leur dire : il nous faut du temps, il faut... pour que le rythme de la trajectoire se produise.
MICHEL SAPIN
Ce que je veux, ce que j'ai commencé à faire, ce que nous faisons chaque jour, ce que je fais chaque jour, c'est de faire comprendre à l'ensemble des Européens, à l'ensemble de ceux qui nous regardent, à DRAGHI, qui a pris hier, non seulement des décisions mais un certain nombre... qui a prononcé ces paroles très fortes, de faire comprendre le sens de ce pacte de responsabilité, mais je peux vous dire que ce pacte de responsabilité, donner des moyens aux entreprises françaises pour retrouver de la compétitivité, donc investir, donc créer des emplois, ce pacte de responsabilité a été accueilli par tous, avec une forme de soulagement, avec un encouragement...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Parce qu'ils pensent que l'activité va reprendre...
MICHEL SAPIN
Parce qu'ils pensent que c'est la bonne manière de faire, parce qu'ils pensent que c'est comme ça que la France forte, en Europe, permettra à l'Europe d'être forte dans le monde.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Michel SAPIN, quelle tornade. L'euro est trop fort, 10 % de plus d'ici 2012, disait Manuel VALLS, trop fort, il gène évidemment la croissance. A Washington, vous le disiez, vous avez rencontré Mario DRAGHI, est-ce que vous confirmez qu'il est prêt à agir pour faire baisser l'euro ?
MICHEL SAPIN
C'est à lui de dire ce qu'il a à faire, mais ce qui m'a intéressé beaucoup, c'est que Mario DRAGHI a parlé exactement dans les mêmes termes que Manuel VALLS. Manuel VALLS était dans son rôle de Premier ministre de la France, comme je le suis en tant que ministre des Finances, en constatant qu'aujourd'hui, oui, le niveau de l'euro est trop fort, est anormalement fort. Quand je dis « il est anormalement fort », je reprends les termes mêmes des responsables de la monnaie européenne, de la Banque centrale européenne. Donc ils ont pris conscience de cela, oui l'euro est aujourd'hui trop fort, anormalement fort, et c'est une gêne pour l'ensemble des pays européens qui ont l'euro et tout particulièrement pour la France. vous savez, si on veut plus de croissance....
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais à quel niveau de l'euro...
MICHEL SAPIN
Mais ce n'est pas à moi de donner un niveau, ni quoi que ce soit, c'est à la Banque centrale de dire ce qu'elle a à dire. Moi je m'aperçois d'une chose, c'est qu'elle a parlé fort, ce week-end, et que déjà ce matin les marchés en tiennent compte.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et donc il y a une certaine baisse aujourd'hui de l'euro puisqu'effectivement les Américains jouent sur la force du dollar, vous dites que l'Europe a le devoir de sauver ses entreprises, ses emplois à travers l'euro et tout à l'heure Nicolas BARRE, on l'écoutait ensemble, disait que Mario DRAGHI sortait du traité, que ce que permet le traité, que c'était le roi de la tricherie.
MICHEL SAPIN
Mais ce n'est pas une histoire de triche, il est dans le cadre du traité, il est dans le cadre, pour reprendre ses termes, de son mandat, du mandat que la Banque centrale européenne a reçu des peuples d'Europe, de ceux qui ont la monnaie, là, cet euro, pour faire en sorte que cet euro soit solide, que cet euro soit respecté dans le monde. Mais aujourd'hui ils le disent, il est trop fort, c'est un frein à la croissance de l'Europe et donc à la croissance de la France. Voyez, plus de croissance ça passe par quoi ? Ça passe par une monnaie gérée dans de bonnes conditions, c'est la Banque centrale européenne, par des décisions dans chacun des gouvernements, c'est le pacte de responsabilité.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Voilà. Pour bien comprendre, il faut l'euro, pour tous les Européens et en tout cas la zone euro. Il faut l'euro.
MICHEL SAPIN
Bien sûr, il est là.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Bon, il est là...
MICHEL SAPIN
Mais c'est une bonne chose. Il n'y aurait pas eu l'euro, je ne vous dis pas où nous en serions aujourd'hui, la franc, toute seule dans son coin.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors vive l'euro, mais un euro qui devra et qui va baisser.
MICHEL SAPIN
Un euro qui doit être à un bon niveau, et je reprends les termes exacts de Mario DRAGHI, l'euro étant aujourd'hui à un niveau anormalement fort, à l'évidence il faut qu'il soit moins fort.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors, à Bercy, pour le plan d'économie préparé par Bernard CAZENEUVE, on sent aussi la poigne de Michel SAPIN, pour les 50 milliards, la Cour des Comptes prévoyait 57 milliards, mais passons. Est-ce que vous confirmez ce matin que c'est 50 milliards ou un peu plus déjà ?
MICHEL SAPIN
Mais il nous faut déjà, en 2014, prendre un certain nombre de décisions, parce que notre déficit a diminué l'année dernière, mais pas diminué autant que nous l'aurions souhaité, donc nous avons dès cette année quelques décisions à prendre, et nous avons, sur les trois années, 2015, 2016, 2017, 50 milliards d'économies à mettre en oeuvre. Ce sera fait, ce sera précisément fait, vous connaissez les grandes masses...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Très très bien, oui.
MICHEL SAPIN
Vous connaissez les grandes masses, mais nous allons passer des masses au détail et ça, c'est le travail qui est devant nous pendant les 10 jours qui sont là devant nous.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Voilà. Mais depuis la déclaration du Premier ministre VALLS, 10 milliards de plus de baisse de charges pour les entreprises, 5 à 6 milliards pour les ménages et les petits salaires, les 50 milliards sont dépassés Michel SAPIN.
MICHEL SAPIN
Non parce qu'il faut l'inscrire… c'est là où je parlais de rythme…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça fait au moins 10 à 15 milliards de plus, disent les experts…
MICHEL SAPIN
Non parce que dans les 50 milliards, je ne vais pas rentrer dans tous ces détails avec tous ces milliards, les gens ne comprennent rien aux milliards, ils n'ont pas ça dans leur poche. Ce que je veux leur faire comprendre, c'est que nous allons financer premièrement la totalité du pacte de responsabilité, pour que les entreprises aient plus de moyens. La totalité de la baisse de notre déficit par des diminutions de dépenses, non pas par des augmentations d'impôts, c'est terminé les augmentations d'impôts…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous l'avez dit aux Etats-Unis aussi.
MICHEL SAPIN
A partir de 2015, il n'est pas question de financer…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais où avez-vous prévu de…
MICHEL SAPIN
Nos mesures par des augmentations d'impôts…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Où avez-vous prévu…
MICHEL SAPIN
Nous ferons tout par des baisses de dépenses.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Où avez-vous prévu justement de baisser et de réduire…
MICHEL SAPIN
Mais les collectivités territoriales, l'Assurance maladie sont touchés au niveau du remboursement du médicament. La Sécurité sociale, l'Etat, l'Etat qui doit aussi faire des économies, voilà…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Où, comment ?
MICHEL SAPIN
Mais on va rentrer dans le détail très précisément, ne vous inquiétez pas, vous aurez tous les éléments et vous aurez – comme disait CANTELOUP – l'occasion de me réinviter pour vous en parler.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Sans aucun doute, Jacques ATTALI disait hier soir sur EUROPE 1 qu'il ne fallait pas 50 ni 70 mais 100 milliards d'économies.
MICHEL SAPIN
…Ça peut être la course à l'échalote, mais personne n'a encore jamais fait 50 milliards d'économie.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et où est la difficulté…
MICHEL SAPIN
Donc les conseils sont faciles, l'action voilà, elle est là…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Où est la difficulté la plus grande, dans votre ministère social précédent ou aujourd'hui à Bercy ?
MICHEL SAPIN
Les difficultés sont les mêmes mais le combat est le même, le chômage, faire baisser le chômage. J'ai agi avec une réforme du marché du travail, avec une réforme de la formation professionnelle, avec des politiques de l'emploi. Aujourd'hui, il faut agir dans l'économie en profondeur, dans les entreprises parce que c'est là que vont se créer les emplois pour l'avenir…
THOMAS SOTTO
Merci.
MICHEL SAPIN
Et de manière durable.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça va toujours avec Arnaud MONTEBOURG qu'imitait tout à l'heure CANTELOUP ?
MICHEL SAPIN
Ça va superbement bien avec Arnaud MONTEBOURG, heureusement et il n'y a aucune raison que ça n'aille pas autrement.
THOMAS SOTTO
Michel SAPIN, très rapidement une dernière question parce qu'on en parlait dans le journal de 8 heures, parmi les mesures envisagées il y a la suppression des Allocations logement pour les étudiants non-boursiers, vous confirmez oui ou non ?
MICHEL SAPIN
Non mais je ne veux pas parler d'aucune des mesures mais…
THOMAS SOTTO
C'est sur la table ?
MICHEL SAPIN
On a vite fait de lancer des choses comme ça, voilà, au hasard. Non, moi je ne fais rien au hasard…
THOMAS SOTTO
Ce n'est pas sur la table ?
MICHEL SAPIN
Tout sera précisément annoncé, et je ne suis pas là pour lancer des pétards qui ensuite deviennent mouillés.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça veut dire « croyez en moi, croyez en nous ».
MICHEL SAPIN
Non, croyez juste simplement dans la précision de l'action, et pas simplement dans la volatilité des mots.
THOMAS SOTTO
Merci.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
A la prochaine.
THOMAS SOTTO
Merci beaucoup Michel SAPIN d'être venu ce matin sur EUROPE 1, bonne journée.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 14 avril 2014