Interview de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé à France-Inter le 17 avril 2014, sur le pouvoir d'achat, les baisses des dépenses publiques et la croissance économique.

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Média : France Inter

Texte intégral


PATRICK COHEN
La ministre des Affaires sociales et de la Santé est votre invitée Alexandra BENSAÏD.
ALEXANDRA BENSAÏD
Marisol TOURAINE, bonjour.
MARISOL TOURAINE
Bonjour.
ALEXANDRA BENSAÏD
Les Français étaient prévenus, après les hausses d'impôts ce serait la baisse des dépenses, et cette fois-ci ce ne sont plus les milieux les plus aisés qui sont les premiers visés, les mesures que vous avez annoncées hier vont toucher tout le monde et vont être particulièrement douloureuses pour les milieux populaires. En quoi ces économies, Marisol TOURAINE, sont-elles justes ?
MARISOL TOURAINE
Ces économies sont d'abord nécessaires et le président de la République les a annoncées il y a maintenant plusieurs mois, donc il n'y a ni ambiguïté, ni, comment dire, nouvelle manière de louvoyer, les choses ont été dites, elles ont été faites, elles ont été annoncées clairement et précisément hier. Il y a dans le plan d'économies qu'a présenté Manuel VALLS une exigence, répondre aux enjeux de la période. Nous sommes à un moment où nous ne pouvons plus reculer, si nous voulons que notre pays renoue avec la croissance, renoue avec la confiance, renoue avec la création d'emplois, nous devons absolument aller de l'avant et pour cela faire des économies. Les économies elles sont, pour une très large partie, structurelles. Je veux insister sur ce point parce que j'entends, ici ou là, dire que, au fond…
ALEXANDRA BENSAÏD
Il va falloir nous expliquer.
MARISOL TOURAINE
Il y aurait une politique du rabot et non pas une politique structurelle. Collectivités locales, réorganisation de la carte territoriale, avec la réduction du nombre de régions, la suppression, à terme, des conseils généraux, la réorganisation des intercommunalités, c'est une réforme de structures comme il n'y en n'a pas eue depuis des années. Politique de santé, et là je suis directement concernée, je veux insister sur le fait qu'il n'y aura ni déremboursement, ni nouvelle franchise, pas de charge supplémentaire pour nos concitoyens, qu'ils soient des catégories modestes ou des classes moyennes. Réorganisation du système de santé.
ALEXANDRA BENSAÏD
Marisol TOURAINE, il y a quand même un coup de rabot sur les prestations sociales.
MARISOL TOURAINE
Il y a un gel.
ALEXANDRA BENSAÏD
Tout le monde est touché.
MARISOL TOURAINE
Attendez, il y a un gel, je ne dis pas qu'il n'y a pas des mesures qui sont difficiles, qui vont constituer un effort pour l'ensemble de nos concitoyens, je le dis, nous sommes à un moment difficile, et face à cette difficulté il y a un effort collectif qui est demandé, mais cet effort collectif il s'accompagne, il s'adosse, en quelque sorte, à des réformes de structures, qu'ils s'agissent, encore une fois, des collectivités locales, de la politique de santé ou de la réorganisation des structures de l'Etat. L'effort qui est demandé, je veux insister sur ce point, il ne consiste pas à baisser les prestations, ça ce serait l'austérité, c'est ce qu'ont connu certains pays.
ALEXANDRA BENSAÏD
Marisol TOURAINE, le nombre d'agents, le nombre d'opérateurs, d'agents des agences de l'Etat, METEO FRANCE, etc., va baisser, ça c'est quand même de l'austérité. Vous renoncez même à revaloriser le RSA, une revalorisation exceptionnelle qui avait été annoncée dans…
MARISOL TOURAINE
Non, non…
ALEXANDRA BENSAÏD
Exceptionnelle, qui avait été annoncée dans le Plan pauvreté il y a 1 an, c'est bien de l'austérité, pourquoi ne pas le dire ?
MARISOL TOURAINE
Non, l'austérité c'est la baisse des salaires, c'est la baisse des ressources et des rémunérations. Nous allons geler…
ALEXANDRA BENSAÏD
Les fonctionnaires.
MARISOL TOURAINE
Non, mais, il faut regarder quand même les choses avec précision. Il y a effectivement un gel du point d'indice, là il n'y aura pas de gel de la progression des carrières et des rémunérations…
ALEXANDRA BENSAÏD
De façon individuelle.
MARISOL TOURAINE
Ce qui s'est fait, dans un certain nombre de pays, dans lesquels il y a eu de l'austérité. Et donc, on ne peut pas d'un côté considérer que seules des réorganisations de structures sont nécessaires, et de l'autre, lorsque l'on réorganise les agences de l'Etat, lorsque l'on réorganise les structures de l'Etat, dire que cela ne peut pas se faire. Je ne nie pas l'effort, moi je ne le nie pas…
ALEXANDRA BENSAÏD
Vous avez entendu Thomas LEGRAND, vous sortez donc de cette ambiguïté, parce que finalement, la colère ce matin, des syndicats, la colère de la gauche, la colère au sein de votre majorité, c'est parce qu'ils n'avaient pas compris, et peut-être que vous ne l'aviez pas dit en réalité.
MARISOL TOURAINE
Il y a plusieurs mois avaient été annoncées des efforts importants à hauteur de 50 milliards, ces efforts ils sont aujourd'hui déclinés et réalisés, et donc il n'y, ni ambiguïté, ni flou, et je veux insister sur le fait que ce travail que nous portons, et dont nous disons qu'il constitue effectivement une épreuve pour notre pays, il consiste à nous faire sortir d'une période au cours de laquelle on a fait croire aux Français, pendant des années, des décennies, que l'on pouvait continuer à dépenser sans compter, sans se préoccuper de la manière de le faire. Et je veux dire que nous rompons aussi avec une politique de la droite qui a consisté à faire porter les efforts exclusivement par les Français, sans engager aucune réforme de structure, et en matière…
ALEXANDRA BENSAÏD
La droite, comme la gauche, ont creusé les déficits, Marisol TOURAINE, depuis 30 ans.
MARISOL TOURAINE
Eh bien écoutez, moi depuis 2 ans, je suis désolée de vous faire remarquer qu'en matière de politique de santé il n'y a pas eu la remise en cause d'un seul droit, il n'y a pas eu la remise en cause d'un seul remboursement, pas une franchise supplémentaire, et dans le même temps, eh bien le déficit de la Sécurité Sociale il a pratiquement déjà été divisé par deux. Ce qui veut dire, ce qui veut dire que des efforts ont déjà été engagés. On ne peut pas dire aux Français, ou laisser croire aux Français, qu'ils vont aujourd'hui s'engager dans… ou qu'ils sont au pied d'une montagne absolument colossale, une partie du chemin a déjà été accomplie.
ALEXANDRA BENSAÏD
Sur le déficit, les 3 % Marisol TOURAINE, est-ce que ça va suffire ? Vous avez entendu Bruce DE GALZAIN, sur ces 50 milliards seuls 10 milliards seraient affectés aux déficits.
MARISOL TOURAINE
Moi, ce que je souhaite…
ALEXANDRA BENSAÏD
On veut financer beaucoup de choses, y compris le Pacte de responsabilité.
MARISOL TOURAINE
Ce que je souhaite c'est qu'on en finisse, ou que l'on cesse, avec cette fétichisation des 3 % de Bruxelles, nous ne faisons pas notre politique pour Bruxelles, nous ne faisons pas notre politique pour répondre à des critères extérieurs, et donc cette fétichisation, dans un sens ou dans l'autre…
ALEXANDRA BENSAÏD
Ça veut dire qu'on peut s'en exempter ?
MARISOL TOURAINE
Ça veut dire simplement que nous menons une politique, qu'il y ait Bruxelles ou qu'il n'y ait pas Bruxelles, nous ne pouvons pas admettre que les déficits, en France, se creusent, nous ne pouvons pas admettre que les jeunes générations, aujourd'hui, s'engagent dans la vie avec une dette à payer pour les inconséquences des générations qui les ont précédés. Et donc…
ALEXANDRA BENSAÏD
Néanmoins c'est bien pour ces 3 % que ces 50 milliards sont annoncés.
MARISOL TOURAINE
C'est pour la force de l'économie française. Nous devons faire en sorte, Bruxelles ou pas Bruxelles, de réduire le déficit, de donner des perspectives à la France, de relancer la création d'emplois, parce que je ne vois pas ce que nous avons à gagner à être dans un pays où, au fond, notre économie s'étiole, où l'emploi aux jeunes n'est pas une perspective crédible.
ALEXANDRA BENSAÏD
Marisol TOURAINE, n'est-ce pas le risque que vous courrez, donner un coup sur la tête des Français, baisser la consommation, entretenir la déflation, en quoi ce gel des prestations va alimenter la croissance ?
MARISOL TOURAINE
Je voudrais ajouter qu'à côté des mesures, comment dire, d'efforts que nous demandons, nous avons aussi engagé des politiques, qui vont se poursuivre, de soutien au pouvoir d'achat des catégories modestes, pas simplement les plus pauvres, dont les prestations sont maintenues et seront revalorisées aux dates prévues. Je veux rappeler qu'a été annoncée une augmentation du pouvoir d'achat par la baisse des cotisations salariales de l'ordre de 500 euros pour les personnes qui gagnent jusqu'à 1,3 SMIC. Je veux rappeler que les aides pour souscrire à une complémentaire santé, pour les personnes qui gagnent moins de 1000 euros, en moyenne, ont été augmentées de 10 %.
ALEXANDRA BENSAÏD
Vous pensez que ça suffira à contrebalancer ?
MARISOL TOURAINE
Ça représente 50 euros de plus, donc on ne peut pas considérer que lorsque l'on a 7 ou 800 euros par mois, 50 euros de plus pour acheter une complémentaire santé c'est neutre. On ne peut pas considérer…
ALEXANDRA BENSAÏD
Donc vous pensez que ces annonces seront neutres pour la croissance ?
MARISOL TOURAINE
Que 500 euros de plus par an pour des salaires de l'ordre du SMIC ce soit négligeable. Encore une fois, des efforts sont demandés, moi je ne les nie pas, il ne faut pas faire comme si…
ALEXANDRA BENSAÏD
Douloureux.
MARISOL TOURAINE
Les efforts c'est toujours douloureux, et moi je dis, je mets des mots sur les choses, des efforts sont douloureux, mais ces efforts ils sont aujourd'hui nécessaires pour que nous puissions, au fond, partir et aller de l'avant, aller vers l'avenir et arrêter de regarder dans le rétroviseur.
ALEXANDRA BENSAÏD
Dernière question à la ministre de la Santé. Une réaction. Jacques SERVIER, le fondateur des laboratoires SERVIER, est décédé, impliqué dans le scandale du Médiator.
MARISOL TOURAINE
Le nom de Jacques SERVIER restera associé à ce scandale. Il a créé un grand groupe industriel, mais ce qui restera de lui c'est ce scandale sanitaire gigantesque du Médiator, et je veux évidemment, aujourd'hui, dire que ce scandale a marqué notre pays, et on ne peut pas ne pas avoir aussi une pensée pour les victimes.
ALEXANDRA BENSAÏD
Marisol TOURAINE, merci d'avoir été sur FRANCE INTER.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 17 avril 2014