Interview de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, avec France 24 et RFI le 25 avril 2014, sur les relations franco-allemandes et sur la situation en Ukraine.

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Média : France 24 - Radio France Internationale

Texte intégral

- Allemagne -
(...)
Q - Dans les rapports franco-allemands, avec l'ancien gouvernement allemand la chancelière Angela Merkel, avec ses alliés les libéraux, semblait donner des leçons d'orthodoxie budgétaire à la France. Cela était ainsi ressenti de ce côté-ci du Rhin. Est-ce que l'atmosphère a changé avec l'arrivée du parti social-démocrate au gouvernement ?
Beaucoup ont jugé les rapports entre les deux principales économies de la zone Euro un peu déséquilibrés. Est-ce qu'aujourd'hui vous avez le sentiment qu'il faut les rééquilibrer et comment le faire : en faisant de l'austérité ou en s'affranchissant de la règle des 3 % de déficit budgétaire ?
R - Une chose me parait claire : c'est l'intérêt de l'Allemagne que la France se porte bien, c'est l'intérêt de la France que l'Allemagne se porte bien et c'est l'intérêt de l'Union européenne que ces deux pays se portent bien.
Cela veut dire être à la fois sérieux sur le plan budgétaire et dans le même temps donner un moteur suffisant à la croissance. Nos populations demandent la même chose : davantage d'emploi et, si possible, de pouvoir d'achat. C'est un équilibre difficile à trouver, d'autant plus qu'en France cette règle des 3% n'a pas été toujours observée. Il faut aussi relancer la croissance pour arriver à plus d'emplois.
Dans les trois pays que nous avons visités, on nous a dit que l'on attend un sursaut économique de l'Europe. Car si l'Europe fonctionne mieux sur le plan économique, vous allez être les premiers bénéficiaires et nous aussi. Ainsi nous devons travailler ensemble et quand l'amitié s'y ajoute c'est plus facile.
Q - On attend cette relation franco-allemande sur le plan militaire. On a vu qu'en Afrique la France s'est engagée seule au Mali et en République centrafricaine ...
R - Au début, au Mali, nous étions seuls avec les Africains. Mais je rends hommage à nos amis allemands qui, avec d'autres, sont venus pour former l'armée malienne. L'Allemagne a des règles parlementaires qui sont différentes des règles françaises et, de plus, les Français étaient à proximité car nous avons des troupes basées en permanence dans cette zone.
Nos amis allemands sont venus, dans les limites qui leur étaient possibles, à nos côtés au Mali. De la même façon en République centrafricaine il a fallu éviter une guerre civile et les choses ne sont pas terminées, et nous pouvons compter sur nos amis allemands. Cela est très important, par solidarité avec l'Afrique, mais aussi pour nous-mêmes car ces théâtres d'opérations ne sont pas loin de l'Europe.
- Ukraine -
Q - Vous venez d'effectuer d'un déplacement conjoint en Moldavie, Géorgie et Tunisie. Pourquoi cette démarche commune et inédite ?
R - Je suis tout à fait d'accord avec ce que vient de dire Frank-Walter Steinmeier. C'était très intéressant pour nous, parce que cela nous a permis de diversifier notre regard. Et je pense que c'était intéressant pour les pays qui nous ont reçus. Accueillir, dans le même temps, les chefs de la diplomatie allemande et française, c'est accueillir l'Europe. C'est le rôle que nos deux pays ont en Europe et même si nous sommes 28 pays, il est vrai que l'Allemagne et la France ont un poids spécifique dans l'Union européenne.
L'UE doit avoir un politique de voisinage à la fois à l'Est et au Sud. Le fait que nous nous soyons rendus ensemble dans ces trois pays est à la fois très important pour nous mais aussi pour ces pays, qui nous l'ont dit.
Nous étions, il y a quelques heures, en Tunisie qui est l'un des rares pays qui connaît une transition démocratique réussie. Tous nos interlocuteurs, président, gouvernement, société civile, étaient contents de voir que l'Europe, par notre présence conjointe, les appuyait.
Q - Pendant cette tournée commune, vous avez été interrogés sur la situation en Ukraine, où la tension monte. Kiev craint que Moscou ait envie de déclencher une troisième guerre mondiale. Ce sont des mots très forts prononcés les responsables ukrainiens. De son côté, John Kerry pense que les Russes n'ont pas appliqué des décisions prises à Genève. Quelle est la position de l'Europe sur ce sujet ?
R - La position qui est la nôtre, c'est la fermeté et le dialogue. Fermeté car ce qu'a fait la Russie en annexant la Crimée est inacceptable. Un pays n'a pas le droit, sur le plan international, d'annexer un autre. Il faut aussi être ferme car les évènements qui se déroulent dans la partie Est de l'Ukraine sont graves, avec des incidents de part et d'autre. C'est la raison pour laquelle l'Europe a décidé d'appliquer des sanctions.
Mais, dans le même temps, nous - Allemands et Français - voulons la négociation, la désescalade. Nous avons lancé un appel commun à la désescalade, ce qui nécessite un dialogue avec les Ukrainiens et avec les Russes. C'est ce que nous avons fait en permanence pendant notre voyage et ce que nous allons continuer à faire. Ainsi, il faut de la fermeté, car il y a des choses qui sont ne sont pas acceptables, et le dialogue car il faut arriver à la négociation politique.
Q - En ce qui concerne la phase 3 des sanctions, les Européens ont-ils envie de passer au niveau supérieur. On sent qu'il y a des réticences et que certains pays veulent rester dans ce dialogue mais visiblement cela ne marche pas. N'est-il pas temps de passer à des sanctions économiques plus fermes ?
R - Des sanctions ont déjà été prises, qui concernent à la fois les relations militaires avec la Russie, des interdictions de visas pour une série de personnes et le contrôle de leurs avoirs financiers en Europe. Il est tout à fait envisageable d'aller plus loin dans cette direction.
Nous avons lancé un appel à la Russie et nous allons voir si cet appel est entendu. On ne peut pas écarter des sanctions supplémentaires mais il faut que cela soit efficace. L'objectif ce n'est pas des sanctions pour des sanctions mais de faire en sorte que nous parvenions à une désescalade. Voilà le chemin que nous empruntons en commun.
(...)
L'élection présidentielle est indispensable, y compris dans la logique russe. Les Russes nous disent que le gouvernement ukrainien n'est pas légitime, et nous, nous pensons différemment. Mais s'il est illégitime il faut qu'il y ait une élection pour avoir une présidence légitime. De plus, dans une crise profonde comme celle que traverse l'Ukraine, la façon démocratique d'en sortir c'est de demander au peuple de se prononcer. Ces élections sont souhaitables et indispensables. Et, parallèlement, le gouvernement ukrainien a accepté de commencer à discuter des modifications de la Constitution, ce qui est une demande des Ukrainiens, des Russes et des Européens.
Il faut que ces élections aient lieu, et il serait totalement anti-démocratique de s'opposer par un biais ou un autre à ces élections.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 mai 2014