Texte intégral
- Nigeria -
(...)
Q - La France est engagée au Nigeria. Vous avez envoyé de l'aide...
R - Nous allons accueillir samedi prochain à la fois le président du Nigeria, les président d'États voisins et nous avons invité William Hague, John Kerry et Catherine Ashton. Toutes ces personnes seront réunies par le président français pour discuter de la situation au Nigeria. Il s'agit d'étudier ce que nous pouvons faire à la fois par rapport à l'enlèvement épouvantable de ces petites filles et, d'une manière plus générale, d'essayer d'augmenter la sécurité.
Q - Le Nigeria est d'accord pour un échange de prisonniers ?
R - Je ne vais pas me mettre à la place du président nigérian, pas plus que vous n'accepteriez, s'il y avait une situation très difficiles pour les Britanniques, qu'un autre responsable dise ce qu'il faut faire. Ce sont des situations très difficiles.
Q - Mais vous avez de l'expérience... Des journalistes français ont été libérés en Syrie.
R - C'est pour cela que je sais que c'est très difficile.
Q - Vous savez aussi que la France est souvent signalée comme un pays qui paye pour la libération...
R - Ce n'est pas vrai. L'État français ne paie pas, c'est clair, c'est net.
Sur la question du Nigeria et de ces pauvres jeunes filles, nous avons envoyé immédiatement un certain nombre d'experts pour aider, si c'est possible, à retrouver ces jeunes filles. Nous disposons de moyens divers pour aider le Nigeria. Tout ce que nous souhaitons évidemment, c'est qu'elles soient libérées. Mais nous ne pouvons pas et nous ne voulons pas dicter ce comportement aux autorités nigérianes. D'autant qu'en face il y a Boko Haram qui est une secte barbare.
Q - Mais il doit y avoir une forme de négociations ?
R - Oui, mais il ne faut utiliser des mots qui donnent un sentiment péjoratif. Prenons le cas général des otages, dont j'ai eu à traiter, notamment avec Boko Haram. Il faut une forme de discussion, ou bien alors vous essayez de les vaincre par la force. Mais il faut une forme de discussion. Elle ne signifie pas du tout nécessairement que vous allez donner de l'argent. Il y a d'autres éléments de discussion.
Simplement, il y a une règle, c'est qu'il faut être extrêmement discret. Au Nigeria, des gens étaient retenus comme otages et un journal a publié une information selon laquelle on avait repéré la cache où ils étaient retenus. Ceux qui les retenaient prisonniers les ont immédiatement tués. En plus l'information était fausse.
L'efficacité et la discrétion sont essentielles. Je pense que tous les Britanniques comprennent cela.
Q - Pensez-vous que le président Goodluck Jonathan est capable de gérer la situation ? Comme vous le savez, il y a beaucoup de gens au Nigeria qui n'en sont pas sûrs...
R - Il y a un grand homme politique français qui, quand on lui posait ce genre de questions, «est-ce que vous croyez...», répondait : «je le crois, parce que je l'espère».
La question que vous posez est : que doit faire le président du Nigeria ? Je me garderais bien, dans une situation aussi difficile, de donner des conseils. Simplement, je sais que c'est extraordinairement difficile et que si on veut être efficace, il faut bien sûr privilégier l'efficacité mais aussi rester extrêmement discret.
- Ukraine -
(...)
Q - Passons à l'Ukraine, parce que vous avez aussi blâmé la Russie pour la situation en Ukraine. Vous avez dit, il y a un mois : «la violence a éclaté dans l'est du pays». «L'origine - et cela doit être dit clairement - est la Russie».
R - Vous avez une crise gravissime en Ukraine, nous ne sommes pas loin de la guerre civile, il y a des affrontements considérables. Cela peut paraître complètement fou parce que c'est à quelques centaines de kilomètres de chez nous, mais c'est la situation. Notre objectif est donc de favoriser les élections prévues le 25 mai. Nous allons tout faire, en envoyant des observateurs, en facilitant les choses, pour que ces élections aient lieu.
Q - Nous y reviendrons, mais je vous ai demandé si vous blâmez la Russie pour ce qui s'est passé en Ukraine ?
R - Nous nous sommes exprimés à de nombreuses reprises lorsque la Russie a annexé la Crimée, ce qui est absolument contraire à toutes les règles du droit international. Vous ne pouvez pas accepter qu'un pays viole les frontières. Lorsque la Russie masse un certain nombre de troupes à proximité de la frontière Est de l'Ukraine, ce n'est évidemment pas un geste amical. En même temps, je le dis d'une façon très réaliste, nous n'allons pas faire la guerre à la Russie, nous n'allons pas déclencher une guerre mondiale, aucune personne raisonnable ne ferait cela.
Il y a donc deux bornes, si je puis dire, entre lesquelles la diplomatie doit se déployer. D'un côté, il faut réagir, notamment par rapport à la Russie, et, de l'autre, il n'est pas question d'aller faire la guerre.
Qu'avons-nous donc à notre disposition ? La négociation, la discussion, y compris avec les Russes, et aussi les sanctions.
C'est la raison pour laquelle nous avons déjà pris deux degrés de sanctions.
Mais faisons bien attention à cela, notre objectif n'est pas que l'Ukraine soit toute entière avec l'Union européenne ou que l'Ukraine soit toute entière avec la Russie. L'Ukraine doit, dans l'idéal, avoir de bonnes relations aussi bien avec la Russie qu'avec l'Union européenne. Nous essayons d'y travailler.
Q - Les Russes et beaucoup dans l'est du pays disent que c'est parce que vous soutenez un gouvernement de Kiev qui n'est pas constitutionnel. Le ministère russe des affaires étrangères, a employé des termes tels que «antisémites, radicaux, néo-fascistes...»
R - Ce serait une longue discussion, cela fait partie du vocabulaire «set phrases.» Quelle est la réalité ? Il y avait un président en Ukraine, M. Ianoukovitch. La population s'est révoltée contre lui et il est parti.
Q - Mais qu'y a-t-il à sa place ?
R - Le gouvernement qui a pris la place est un gouvernement dirigé par M. Iatseniouk, un démocrate qui a été installé par une Assemblée que l'on nomme la Rada.
Ensuite, il y a eu des soulèvements dans la partie Est du pays, des affrontements, des fautes commises. Notre rôle n'est pas de nous substituer à l'Ukraine mais de faire en sorte que l'on amorce une désescalade. Pour cela, il faut essayer de préparer l'élection présidentielle et, en même temps, ce qui est en train de se dérouler aujourd'hui-même, c'est-à-dire un dialogue national.
- Russie -
(...)
Q - Vous avez dit combien la Russie est responsable de certaines des difficultés en Syrie et en Ukraine. Pourtant, la France a accepté de vendre deux navires de guerre.
R - La situation que vous décrivez est très difficile. Il y a en même temps des éléments de fait. Vous dites : les Français ont passé un contrat, c'est tout à fait exact, il y a maintenant trois ans, qui a été payé aux trois quarts.
Q - Est-ce que ce fut une erreur ?
R - Non. C'était il y a trois ans. Un contrat qui a été passé n'est absolument pas interdit par le droit. De la même manière qu'il y a beaucoup de Russes qui ont des investissements en Grande-Bretagne, ce n'est pas interdit. De la même manière que beaucoup de pays d'Europe achètent leur gaz à la Russie, pour le moment ce n'est pas interdit.
Q - Oui, mais un navire de guerre...
R - La réalité est celle-là : pour le moment, nous avons pris deux degrés de sanctions et, bien évidemment, c'est une décision unanime. Nous allons voir ce qui se passe. Si les Russes bloquaient, par exemple, les élections du mois de mai et du mois de juin, nous passerions vraisemblablement, tous, nous tous, au troisième degré de sanctions. À ce moment-là, le problème qui serait posé à tous les pays, c'est : par exemple, à la Grande-Bretagne - je prends un exemple au hasard - : faut-il refuser tous les investissements russes en Grande-Bretagne ; par exemple, à tel ou tel pays, il faut que vous arrêtiez d'acheter votre gaz...
Q - Il s'agit d'un navire de guerre. Allez-vous annuler la vente ?
R - Juridiquement aujourd'hui, il n'y a pas la possibilité. Mais nous allons décider cela, nous l'avons dit, au mois d'octobre.
Q - La France est dans une situation très difficile puisque vous êtes sur le point de vendre deux Mistral et, légalement, vous n'avez aucune possibilité d'annuler la livraison.
R - Bien sûr, ce n'est pas une position facile. Mais ce n'est pas une position plus difficile que lorsque vous accueillez des investissements massifs de la part de gens qui se révéleraient être des criminels.
En tout cas, en ce qui nous concerne, nous respectons le droit : le droit d'aujourd'hui et le droit de demain. Et nous demandons à tout le monde de faire la même chose.
Mais, pour le moment, nous n'en sommes pas là.
Q - Mikhaïl Khodorkovski, qui était emprisonné durant 10 ans en Russie, a été libéré il y a quelques mois. Selon lui, les sentiments nationalistes suscités en Russie pourraient conduire à des problèmes, notamment dans les anciennes Républiques soviétiques comme l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie ; il parle même des Balkans.
R - Je voudrais faire deux remarques.
Ma première remarque va dans le sens que vous venez d'indiquer. Quand vous regardez la carte, vous vous apercevez que la meilleure protection pour la paix, c'est d'être dans l'Union européenne, et je dis cela à la cantonade. Les pays comme la Pologne, les Pays baltes, ce sont des pays - je prends l'exemple des pays baltes - qui ont beaucoup de minorités russophones, vous le savez. Or, ils sont protégés, notamment parce qu'ils sont dans l'Union européenne. J'entends dire ici ou là : «Ah, l'Union européenne !», mais l'Union européenne c'est la garantie de la paix.
Q - Quand avons-nous connu une situation aussi dangereuse ?
R - Depuis probablement la guerre froide. Je pense que vous avez raison, c'est une très dangereuse situation.
(...).
- Syrie -
Q - Avez-vous des indications selon lesquelles M. Assad est en train d'utiliser des armes chimiques ?
R - Nous avons recueilli, depuis quelques semaines, des indications - «hints» - de l'utilisation de chlore. Nous sommes en train de les faire examiner. Je crois d'ailleurs que nos amis anglais et nos amis américains font aussi des examens. Ce n'est pas facile parce que le chlore est une matière volatile. Le chlore est un produit interdit à des fins militaires. De ce que nous avons repéré, 14 fois, au moins, le régime de M. Bachar Al-Assad a utilisé, dans les derniers mois, des barils de poudre avec du chlore, à partir d'hélicoptère, pour tuer des gens. Nous aurons bientôt les résultats.
Q - Pouvez-vous dire qu'il est en train d'utiliser du chlore ?
R - Voilà pourquoi j'ai utilisé le mot «hints» : pour l'instant, nous avons recueilli des éléments mais, pour que cela devienne une preuve, il faut le proposer à des laboratoires qui font un examen très précis. Je suis parfaitement honnête, je ne sais pas si ce laboratoire va pouvoir établir la certitude, justement parce que le chlore est un produit assez volatile, mais nous sommes certains des indications que nous avons recueillies.
Je vous rappelle que la France avait dit, la première, qu'il y avait utilisation massive d'armes chimiques, au moment où des centaines de personnes avaient été tuées autour de Damas. Le gouvernement syrien avait dit qu'il n'y avait rien mais on avait vérifié qu'il y avait en effet utilisation d'armes chimiques.
Q - Vous étiez prêts à intervenir militairement à Damas au moment où des informations crédibles de l'utilisation des armes chimiques existaient. Si l'intervention que vous prépariez avait eu lieu, le président Assad utiliserait-il encore des armes chimiques ?
R - On ne refait pas l'Histoire. Il est très difficile de savoir ce qui se serait passé si la frappe avait eu lieu.
Q - Regrettez-vous que cette intervention n'ait pas eu lieu ?
R - Les faits sont les faits mais, si vous me demandez mon sentiment, s'il avait pu y avoir à l'époque une réponse très ferme, d'une part, Bachar Al-Assad se serait comporté autrement et peut-être que l'attitude russe, en général, eût été différente. Mais l'Histoire est maintenant derrière nous.
La situation est tragique. Il y a plus de 150.000 morts, plusieurs millions de personnes déplacées et les morts se succèdent tous les jours même si la presse en parle moins Il y a tant de catastrophes dans le monde.
C'est la raison pour laquelle nous nous sommes réunis aujourd'hui. Que peut-on faire ? Il y a deux camps et nous soutenons le troisième. Je m'explique : Il y a Bachar Al-Assad qui est un dictateur et qui se présente aux élections. C'est une farce tragique et absurde que d'organiser des élections alors qu'il y a des dizaines et des dizaines de milliers de morts et que l'opposition ne peut même pas se présenter. Comme c'est un dictateur, nous ne pouvons en aucun cas le soutenir, ce n'est même pas imaginable.
De l'autre côté, il y a des groupes terroristes, Al Qaïda et d'autres. Ces deux camps se soutiennent mutuellement et nous, les Français, les Américains, les Anglais et d'autres, nous soutenons l'opposition modérée, c'est-à-dire des gens très courageux qui se battent à la fois contre Bachar Al-Assad et contre les groupes terroristes et qui veulent une Syrie démocratique et libre.
Q - A l'occasion de cette rencontre avec dix autres ministres des affaires étrangères, qu'avez-vous convenu de faire ?
R - Premièrement, nous avons décidé de dénoncer l'élection de Bachar Al-Assad en expliquant qu'elle n'avait aucune légitimité.
Deuxièmement, nous avons décidé, sur proposition de la France, de porter devant la Cour pénale internationale les faits qui se sont produits en Syrie. La semaine prochaine, ce sera au conseil de sécurité des Nations unies de dire si oui ou non il accepte que cela aille devant cette Cour pénale internationale.
Q - La Russie va opposer son veto.
R - Nous verrons mais ce n'est pas parce qu'il y a un risque de veto que nous allons assurer l'impunité de M. Bachar Al-Assad.
Troisièmement et sans entrer dans les détails publiquement, nous avons décidé d'augmenter notre soutien matériel à l'opposition modérée qui en a besoin. Le président de l'opposition modérée, M. Al-Jarba, était là avec le Premier ministre. Nous avons vu, à la fois avec les pays du Golfe et les pays occidentaux, comment nous pouvons davantage les aider. C'est donc un soutien très fort que nous renouvelons.
Q - Allez-vous fournir des armes ?
R - Il y a déjà des armes qui sont fournies. En ce qui concerne l'Europe, nous ne fournissons pas de matériel létal parce que, pour le moment, l'Europe a dit : pas de matériel létal. Mais d'autres pays, que je ne spécifierai pas ici, aident l'opposition modérée.
Q - Nous savons que l'Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie fournissent des armes.
R - Mais de l'autre côté, il y a l'Iran, la Russie, le Hezbollah qui, tous les jours, fournissent des armes et des combattants, en tout cas pour le Hezbollah.
Q - Vous savez que l'opposition, Ahmad Jarba, a demandé davantage d'aide. Il demande plus précisément des armes anti-aériennes, notamment aux États-Unis.
R - Il l'a demandé à toute une série de pays. La seule question qui se pose, dans notre esprit, est la suivante : sommes-nous certains que si des armes qui peuvent détruire des avions sont fournies, elles ne se retourneront pas contre nous ? Nous devons être sûrs de leur utilisation. C'est l'une des questions dont nous avons discuté.
Q - Êtes-vous satisfait de la réponse ?
R - Nous avons avancé.
Q - Allez-vous fournir ces armes anti-aériennes que l'opposition demande ?
R - Pour le moment, il n'y a pas de matériel létal mais je vous dis que nous avons avancé et je ne vous en dirai pas plus.
Q - Que voulez-vous dire ? Vous parlez d'avancées mais il est difficile de définir de quelle avancée il s'agit si rien ne change dans la nature de ce que vous fournissez ?
R - Je pense que tout le monde a compris, y compris vous.
Q - Ce n'est pas clair pour moi.
R - Je pense que vous m'avez compris. Il y a des choses qui doivent demeurer secrètes.
Q - Lakhdar Brahimi, l'envoyé spécial des Nations unies, a démissionné en raison de l'absence de progrès dans les pourparlers de paix. Et le Secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a déclaré que la communauté internationale était en partie responsable parce qu'elle était «désespérément divisée».
R - Oui, M. Ban Ki-Moon a raison, mais on ne peut pas renvoyer tout le monde dos à dos. Vous avez vu que, plusieurs fois, le conseil de sécurité des Nations unies a été saisi, notamment par la France et que, plusieurs fois, il y a eu des vetos, en particulier des Russes.
Q - Vous blâmez donc la Russie pour la façon dont les choses ont échappé à tout contrôle en Syrie ?
R - Si la Russie avait accepté les résolutions du conseil de sécurité, nous n'en serions pas là...
Q - Votre réponse est «oui» ?
R - Bien sûr. ...Si la Russie ne déversait pas des armes, avec l'Iran et le Hezbollah, les choses seraient très certainement différentes et nous l'avons dit à de nombreuses reprises.
(...)
Q - Vous dites que vous devez être fermes et unis dans vos positions. Sommes-nous dans cette situation maintenant, parce que les États-Unis, le Royaume-Uni et la France n'était pas fermes et unis l'an dernier quand il y avait cette possibilité d'une attaque contre la Syrie. Pensez-vous que cela a enhardi la Russie ?
R - On ne peut pas refaire l'histoire, cela ne sert à rien et puis personne ne peut imaginer quelles auraient été les conséquences.
Je dirais les choses ainsi : dans le monde où nous sommes, qui est un monde dangereux, il faut être juste et, en même temps, il faut être ferme.
Puisque vous parlez de la France, lorsque, en Syrie, nous avons pris des positions, nous avons été fermes ; lorsque, en Iran - là, en ce moment, on reprend les négociations avec l'Iran -, on nous a proposé un premier accord, qui l'a trouvé insatisfaisant ? C'est la France et, finalement, les Iraniens ont accepté de revenir sur un certain nombre de choses. En Afrique, lorsqu'il s'agit d'aller se battre contre les terroristes au Mali, lorsqu'il s'agit d'empêcher un génocide en Centrafrique, qui est ferme ? C'est la France.
Nous n'avons aucune leçon à donner à personne et nous refusons tout ce qui s'apparenterait à de l'arrogance, mais la France essaie d'être à la fois juste et ferme. (...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 mai 2014
(...)
Q - La France est engagée au Nigeria. Vous avez envoyé de l'aide...
R - Nous allons accueillir samedi prochain à la fois le président du Nigeria, les président d'États voisins et nous avons invité William Hague, John Kerry et Catherine Ashton. Toutes ces personnes seront réunies par le président français pour discuter de la situation au Nigeria. Il s'agit d'étudier ce que nous pouvons faire à la fois par rapport à l'enlèvement épouvantable de ces petites filles et, d'une manière plus générale, d'essayer d'augmenter la sécurité.
Q - Le Nigeria est d'accord pour un échange de prisonniers ?
R - Je ne vais pas me mettre à la place du président nigérian, pas plus que vous n'accepteriez, s'il y avait une situation très difficiles pour les Britanniques, qu'un autre responsable dise ce qu'il faut faire. Ce sont des situations très difficiles.
Q - Mais vous avez de l'expérience... Des journalistes français ont été libérés en Syrie.
R - C'est pour cela que je sais que c'est très difficile.
Q - Vous savez aussi que la France est souvent signalée comme un pays qui paye pour la libération...
R - Ce n'est pas vrai. L'État français ne paie pas, c'est clair, c'est net.
Sur la question du Nigeria et de ces pauvres jeunes filles, nous avons envoyé immédiatement un certain nombre d'experts pour aider, si c'est possible, à retrouver ces jeunes filles. Nous disposons de moyens divers pour aider le Nigeria. Tout ce que nous souhaitons évidemment, c'est qu'elles soient libérées. Mais nous ne pouvons pas et nous ne voulons pas dicter ce comportement aux autorités nigérianes. D'autant qu'en face il y a Boko Haram qui est une secte barbare.
Q - Mais il doit y avoir une forme de négociations ?
R - Oui, mais il ne faut utiliser des mots qui donnent un sentiment péjoratif. Prenons le cas général des otages, dont j'ai eu à traiter, notamment avec Boko Haram. Il faut une forme de discussion, ou bien alors vous essayez de les vaincre par la force. Mais il faut une forme de discussion. Elle ne signifie pas du tout nécessairement que vous allez donner de l'argent. Il y a d'autres éléments de discussion.
Simplement, il y a une règle, c'est qu'il faut être extrêmement discret. Au Nigeria, des gens étaient retenus comme otages et un journal a publié une information selon laquelle on avait repéré la cache où ils étaient retenus. Ceux qui les retenaient prisonniers les ont immédiatement tués. En plus l'information était fausse.
L'efficacité et la discrétion sont essentielles. Je pense que tous les Britanniques comprennent cela.
Q - Pensez-vous que le président Goodluck Jonathan est capable de gérer la situation ? Comme vous le savez, il y a beaucoup de gens au Nigeria qui n'en sont pas sûrs...
R - Il y a un grand homme politique français qui, quand on lui posait ce genre de questions, «est-ce que vous croyez...», répondait : «je le crois, parce que je l'espère».
La question que vous posez est : que doit faire le président du Nigeria ? Je me garderais bien, dans une situation aussi difficile, de donner des conseils. Simplement, je sais que c'est extraordinairement difficile et que si on veut être efficace, il faut bien sûr privilégier l'efficacité mais aussi rester extrêmement discret.
- Ukraine -
(...)
Q - Passons à l'Ukraine, parce que vous avez aussi blâmé la Russie pour la situation en Ukraine. Vous avez dit, il y a un mois : «la violence a éclaté dans l'est du pays». «L'origine - et cela doit être dit clairement - est la Russie».
R - Vous avez une crise gravissime en Ukraine, nous ne sommes pas loin de la guerre civile, il y a des affrontements considérables. Cela peut paraître complètement fou parce que c'est à quelques centaines de kilomètres de chez nous, mais c'est la situation. Notre objectif est donc de favoriser les élections prévues le 25 mai. Nous allons tout faire, en envoyant des observateurs, en facilitant les choses, pour que ces élections aient lieu.
Q - Nous y reviendrons, mais je vous ai demandé si vous blâmez la Russie pour ce qui s'est passé en Ukraine ?
R - Nous nous sommes exprimés à de nombreuses reprises lorsque la Russie a annexé la Crimée, ce qui est absolument contraire à toutes les règles du droit international. Vous ne pouvez pas accepter qu'un pays viole les frontières. Lorsque la Russie masse un certain nombre de troupes à proximité de la frontière Est de l'Ukraine, ce n'est évidemment pas un geste amical. En même temps, je le dis d'une façon très réaliste, nous n'allons pas faire la guerre à la Russie, nous n'allons pas déclencher une guerre mondiale, aucune personne raisonnable ne ferait cela.
Il y a donc deux bornes, si je puis dire, entre lesquelles la diplomatie doit se déployer. D'un côté, il faut réagir, notamment par rapport à la Russie, et, de l'autre, il n'est pas question d'aller faire la guerre.
Qu'avons-nous donc à notre disposition ? La négociation, la discussion, y compris avec les Russes, et aussi les sanctions.
C'est la raison pour laquelle nous avons déjà pris deux degrés de sanctions.
Mais faisons bien attention à cela, notre objectif n'est pas que l'Ukraine soit toute entière avec l'Union européenne ou que l'Ukraine soit toute entière avec la Russie. L'Ukraine doit, dans l'idéal, avoir de bonnes relations aussi bien avec la Russie qu'avec l'Union européenne. Nous essayons d'y travailler.
Q - Les Russes et beaucoup dans l'est du pays disent que c'est parce que vous soutenez un gouvernement de Kiev qui n'est pas constitutionnel. Le ministère russe des affaires étrangères, a employé des termes tels que «antisémites, radicaux, néo-fascistes...»
R - Ce serait une longue discussion, cela fait partie du vocabulaire «set phrases.» Quelle est la réalité ? Il y avait un président en Ukraine, M. Ianoukovitch. La population s'est révoltée contre lui et il est parti.
Q - Mais qu'y a-t-il à sa place ?
R - Le gouvernement qui a pris la place est un gouvernement dirigé par M. Iatseniouk, un démocrate qui a été installé par une Assemblée que l'on nomme la Rada.
Ensuite, il y a eu des soulèvements dans la partie Est du pays, des affrontements, des fautes commises. Notre rôle n'est pas de nous substituer à l'Ukraine mais de faire en sorte que l'on amorce une désescalade. Pour cela, il faut essayer de préparer l'élection présidentielle et, en même temps, ce qui est en train de se dérouler aujourd'hui-même, c'est-à-dire un dialogue national.
- Russie -
(...)
Q - Vous avez dit combien la Russie est responsable de certaines des difficultés en Syrie et en Ukraine. Pourtant, la France a accepté de vendre deux navires de guerre.
R - La situation que vous décrivez est très difficile. Il y a en même temps des éléments de fait. Vous dites : les Français ont passé un contrat, c'est tout à fait exact, il y a maintenant trois ans, qui a été payé aux trois quarts.
Q - Est-ce que ce fut une erreur ?
R - Non. C'était il y a trois ans. Un contrat qui a été passé n'est absolument pas interdit par le droit. De la même manière qu'il y a beaucoup de Russes qui ont des investissements en Grande-Bretagne, ce n'est pas interdit. De la même manière que beaucoup de pays d'Europe achètent leur gaz à la Russie, pour le moment ce n'est pas interdit.
Q - Oui, mais un navire de guerre...
R - La réalité est celle-là : pour le moment, nous avons pris deux degrés de sanctions et, bien évidemment, c'est une décision unanime. Nous allons voir ce qui se passe. Si les Russes bloquaient, par exemple, les élections du mois de mai et du mois de juin, nous passerions vraisemblablement, tous, nous tous, au troisième degré de sanctions. À ce moment-là, le problème qui serait posé à tous les pays, c'est : par exemple, à la Grande-Bretagne - je prends un exemple au hasard - : faut-il refuser tous les investissements russes en Grande-Bretagne ; par exemple, à tel ou tel pays, il faut que vous arrêtiez d'acheter votre gaz...
Q - Il s'agit d'un navire de guerre. Allez-vous annuler la vente ?
R - Juridiquement aujourd'hui, il n'y a pas la possibilité. Mais nous allons décider cela, nous l'avons dit, au mois d'octobre.
Q - La France est dans une situation très difficile puisque vous êtes sur le point de vendre deux Mistral et, légalement, vous n'avez aucune possibilité d'annuler la livraison.
R - Bien sûr, ce n'est pas une position facile. Mais ce n'est pas une position plus difficile que lorsque vous accueillez des investissements massifs de la part de gens qui se révéleraient être des criminels.
En tout cas, en ce qui nous concerne, nous respectons le droit : le droit d'aujourd'hui et le droit de demain. Et nous demandons à tout le monde de faire la même chose.
Mais, pour le moment, nous n'en sommes pas là.
Q - Mikhaïl Khodorkovski, qui était emprisonné durant 10 ans en Russie, a été libéré il y a quelques mois. Selon lui, les sentiments nationalistes suscités en Russie pourraient conduire à des problèmes, notamment dans les anciennes Républiques soviétiques comme l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie ; il parle même des Balkans.
R - Je voudrais faire deux remarques.
Ma première remarque va dans le sens que vous venez d'indiquer. Quand vous regardez la carte, vous vous apercevez que la meilleure protection pour la paix, c'est d'être dans l'Union européenne, et je dis cela à la cantonade. Les pays comme la Pologne, les Pays baltes, ce sont des pays - je prends l'exemple des pays baltes - qui ont beaucoup de minorités russophones, vous le savez. Or, ils sont protégés, notamment parce qu'ils sont dans l'Union européenne. J'entends dire ici ou là : «Ah, l'Union européenne !», mais l'Union européenne c'est la garantie de la paix.
Q - Quand avons-nous connu une situation aussi dangereuse ?
R - Depuis probablement la guerre froide. Je pense que vous avez raison, c'est une très dangereuse situation.
(...).
- Syrie -
Q - Avez-vous des indications selon lesquelles M. Assad est en train d'utiliser des armes chimiques ?
R - Nous avons recueilli, depuis quelques semaines, des indications - «hints» - de l'utilisation de chlore. Nous sommes en train de les faire examiner. Je crois d'ailleurs que nos amis anglais et nos amis américains font aussi des examens. Ce n'est pas facile parce que le chlore est une matière volatile. Le chlore est un produit interdit à des fins militaires. De ce que nous avons repéré, 14 fois, au moins, le régime de M. Bachar Al-Assad a utilisé, dans les derniers mois, des barils de poudre avec du chlore, à partir d'hélicoptère, pour tuer des gens. Nous aurons bientôt les résultats.
Q - Pouvez-vous dire qu'il est en train d'utiliser du chlore ?
R - Voilà pourquoi j'ai utilisé le mot «hints» : pour l'instant, nous avons recueilli des éléments mais, pour que cela devienne une preuve, il faut le proposer à des laboratoires qui font un examen très précis. Je suis parfaitement honnête, je ne sais pas si ce laboratoire va pouvoir établir la certitude, justement parce que le chlore est un produit assez volatile, mais nous sommes certains des indications que nous avons recueillies.
Je vous rappelle que la France avait dit, la première, qu'il y avait utilisation massive d'armes chimiques, au moment où des centaines de personnes avaient été tuées autour de Damas. Le gouvernement syrien avait dit qu'il n'y avait rien mais on avait vérifié qu'il y avait en effet utilisation d'armes chimiques.
Q - Vous étiez prêts à intervenir militairement à Damas au moment où des informations crédibles de l'utilisation des armes chimiques existaient. Si l'intervention que vous prépariez avait eu lieu, le président Assad utiliserait-il encore des armes chimiques ?
R - On ne refait pas l'Histoire. Il est très difficile de savoir ce qui se serait passé si la frappe avait eu lieu.
Q - Regrettez-vous que cette intervention n'ait pas eu lieu ?
R - Les faits sont les faits mais, si vous me demandez mon sentiment, s'il avait pu y avoir à l'époque une réponse très ferme, d'une part, Bachar Al-Assad se serait comporté autrement et peut-être que l'attitude russe, en général, eût été différente. Mais l'Histoire est maintenant derrière nous.
La situation est tragique. Il y a plus de 150.000 morts, plusieurs millions de personnes déplacées et les morts se succèdent tous les jours même si la presse en parle moins Il y a tant de catastrophes dans le monde.
C'est la raison pour laquelle nous nous sommes réunis aujourd'hui. Que peut-on faire ? Il y a deux camps et nous soutenons le troisième. Je m'explique : Il y a Bachar Al-Assad qui est un dictateur et qui se présente aux élections. C'est une farce tragique et absurde que d'organiser des élections alors qu'il y a des dizaines et des dizaines de milliers de morts et que l'opposition ne peut même pas se présenter. Comme c'est un dictateur, nous ne pouvons en aucun cas le soutenir, ce n'est même pas imaginable.
De l'autre côté, il y a des groupes terroristes, Al Qaïda et d'autres. Ces deux camps se soutiennent mutuellement et nous, les Français, les Américains, les Anglais et d'autres, nous soutenons l'opposition modérée, c'est-à-dire des gens très courageux qui se battent à la fois contre Bachar Al-Assad et contre les groupes terroristes et qui veulent une Syrie démocratique et libre.
Q - A l'occasion de cette rencontre avec dix autres ministres des affaires étrangères, qu'avez-vous convenu de faire ?
R - Premièrement, nous avons décidé de dénoncer l'élection de Bachar Al-Assad en expliquant qu'elle n'avait aucune légitimité.
Deuxièmement, nous avons décidé, sur proposition de la France, de porter devant la Cour pénale internationale les faits qui se sont produits en Syrie. La semaine prochaine, ce sera au conseil de sécurité des Nations unies de dire si oui ou non il accepte que cela aille devant cette Cour pénale internationale.
Q - La Russie va opposer son veto.
R - Nous verrons mais ce n'est pas parce qu'il y a un risque de veto que nous allons assurer l'impunité de M. Bachar Al-Assad.
Troisièmement et sans entrer dans les détails publiquement, nous avons décidé d'augmenter notre soutien matériel à l'opposition modérée qui en a besoin. Le président de l'opposition modérée, M. Al-Jarba, était là avec le Premier ministre. Nous avons vu, à la fois avec les pays du Golfe et les pays occidentaux, comment nous pouvons davantage les aider. C'est donc un soutien très fort que nous renouvelons.
Q - Allez-vous fournir des armes ?
R - Il y a déjà des armes qui sont fournies. En ce qui concerne l'Europe, nous ne fournissons pas de matériel létal parce que, pour le moment, l'Europe a dit : pas de matériel létal. Mais d'autres pays, que je ne spécifierai pas ici, aident l'opposition modérée.
Q - Nous savons que l'Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie fournissent des armes.
R - Mais de l'autre côté, il y a l'Iran, la Russie, le Hezbollah qui, tous les jours, fournissent des armes et des combattants, en tout cas pour le Hezbollah.
Q - Vous savez que l'opposition, Ahmad Jarba, a demandé davantage d'aide. Il demande plus précisément des armes anti-aériennes, notamment aux États-Unis.
R - Il l'a demandé à toute une série de pays. La seule question qui se pose, dans notre esprit, est la suivante : sommes-nous certains que si des armes qui peuvent détruire des avions sont fournies, elles ne se retourneront pas contre nous ? Nous devons être sûrs de leur utilisation. C'est l'une des questions dont nous avons discuté.
Q - Êtes-vous satisfait de la réponse ?
R - Nous avons avancé.
Q - Allez-vous fournir ces armes anti-aériennes que l'opposition demande ?
R - Pour le moment, il n'y a pas de matériel létal mais je vous dis que nous avons avancé et je ne vous en dirai pas plus.
Q - Que voulez-vous dire ? Vous parlez d'avancées mais il est difficile de définir de quelle avancée il s'agit si rien ne change dans la nature de ce que vous fournissez ?
R - Je pense que tout le monde a compris, y compris vous.
Q - Ce n'est pas clair pour moi.
R - Je pense que vous m'avez compris. Il y a des choses qui doivent demeurer secrètes.
Q - Lakhdar Brahimi, l'envoyé spécial des Nations unies, a démissionné en raison de l'absence de progrès dans les pourparlers de paix. Et le Secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a déclaré que la communauté internationale était en partie responsable parce qu'elle était «désespérément divisée».
R - Oui, M. Ban Ki-Moon a raison, mais on ne peut pas renvoyer tout le monde dos à dos. Vous avez vu que, plusieurs fois, le conseil de sécurité des Nations unies a été saisi, notamment par la France et que, plusieurs fois, il y a eu des vetos, en particulier des Russes.
Q - Vous blâmez donc la Russie pour la façon dont les choses ont échappé à tout contrôle en Syrie ?
R - Si la Russie avait accepté les résolutions du conseil de sécurité, nous n'en serions pas là...
Q - Votre réponse est «oui» ?
R - Bien sûr. ...Si la Russie ne déversait pas des armes, avec l'Iran et le Hezbollah, les choses seraient très certainement différentes et nous l'avons dit à de nombreuses reprises.
(...)
Q - Vous dites que vous devez être fermes et unis dans vos positions. Sommes-nous dans cette situation maintenant, parce que les États-Unis, le Royaume-Uni et la France n'était pas fermes et unis l'an dernier quand il y avait cette possibilité d'une attaque contre la Syrie. Pensez-vous que cela a enhardi la Russie ?
R - On ne peut pas refaire l'histoire, cela ne sert à rien et puis personne ne peut imaginer quelles auraient été les conséquences.
Je dirais les choses ainsi : dans le monde où nous sommes, qui est un monde dangereux, il faut être juste et, en même temps, il faut être ferme.
Puisque vous parlez de la France, lorsque, en Syrie, nous avons pris des positions, nous avons été fermes ; lorsque, en Iran - là, en ce moment, on reprend les négociations avec l'Iran -, on nous a proposé un premier accord, qui l'a trouvé insatisfaisant ? C'est la France et, finalement, les Iraniens ont accepté de revenir sur un certain nombre de choses. En Afrique, lorsqu'il s'agit d'aller se battre contre les terroristes au Mali, lorsqu'il s'agit d'empêcher un génocide en Centrafrique, qui est ferme ? C'est la France.
Nous n'avons aucune leçon à donner à personne et nous refusons tout ce qui s'apparenterait à de l'arrogance, mais la France essaie d'être à la fois juste et ferme. (...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 mai 2014