Interview de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, avec France Info le 21 mai 2014, sur les élections européennes et la construction européenne.

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Média : France Info

Texte intégral

FABIENNE SYNTHES
Votre invité ce matin, Jean LEYMARIE, est ministre des Affaires étrangères.
JEAN LEYMARIE
Bonjour Laurent FABIUS.
LAURENT FABIUS
Bonjour, heureux d'être avec vous. L'affaire Leonarda revient donc à la Une ce matin, selon le magazine VALEURS ACTUELLES, la jeune kosovare prépare son retour en France, le journal publie une note du service de sécurité de l'ambassade de France au Kosovo. Le ministère de l'Intérieur a confirmé à FRANCE INFO l'existence de cette note. Que dit l'ambassade de France, Monsieur le Ministre ?
LAURENT FABIUS
Ecoutez, s'il y a eu une tentative de fraude, parce que c'est ça, si je comprends bien, eh bien la réponse a été non, et donc cette dame et sa famille, qui n'ont pas leur place en France, n'auront pas leur place en France, point à la ligne.
JEAN LEYMARIE
Si la famille DIBRANI peut prendre la nationalité serbe ou la nationalité croate et si donc elle a le droit de circuler librement dans l'espace européen...
LAURENT FABIUS
Non non, mais, attention...
JEAN LEYMARIE
Est-ce qu'elle peut revenir en France ? Est-ce qu'elle en a le droit ?
LAURENT FABIUS
On ne peut pas faire de fraude à la nationalité, c'est pas possible, donc à partir du moment où il y a une tentative de fraude, je ne sais pas si c'est exact ou pas exact, la réponse sera non, on peut prendre le problème, donc c'est un faux évènement, c'est un non évènement.
JEAN LEYMARIE
Et donc la famille DIBRANI ne reviendra pas en France.
LAURENT FABIUS
Non.
JEAN LEYMARIE
Les élections européennes approchent, c'est peut-être lié d'ailleurs à ce dont on vient de parler...
LAURENT FABIUS
Enfin, c'est l'inverse !
JEAN LEYMARIE
Le contexte des élections européennes est là, le Parti socialiste se prépare à une défaite, pourquoi est-ce que vous n'arrivez pas à convaincre les Français ?
LAURENT FABIUS
Ecoutez, dans cette élection européenne, je pense qu'il faut avoir les idées claires. D'abord, il est souhaitable que les gens aillent voter, hein. Il y aura deux élections, en fait, dimanche. Vous avez les élections en Europe, en Union européenne, qui vont avoir lieu, et on a la chance de pouvoir voter, et puis en Ukraine, le problème, c'est aussi le 25 mai, c'est aussi dimanche, les gens voudraient voter mais ce n'est pas sûr que ce soit possible. Donc l'Europe c'est la paix, l'Europe c'est la démocratie, il faut voter. Bon. Maintenant, dans cette campagne, je crois qu'il faut simplifier les choses. Vous avez trois grandes tendances qui sont en compétition et il faut choisir entre ces trois grandes tendances. Vous avez ceux que j'appelle les démolisseurs, c'est clair, c'est net, c'est en particulier l'Extrême droite, qui veulent démolir l'Europe, ils le disent, ils veulent mettre à bas l'Europe, mettre à bas l'euro, mettre à bas tout ce que l'on a construit, ce serait un recul pour l'Europe et un recul pour la France, dramatique, donc les démolisseur, si on veut démolir l'Europe, il faut voter pour ces gens-là, mais ce n'est pas mon cas. Vous avez, deuxièmement, ceux que j'appellerai les répétiteurs, c'est-à-dire ceux qui veulent prolonger ce qui a été fait. Depuis une dizaine d'année, c'est la droite qui est majoritaire, majoritaire au Parlement, majoritaire à la Commission, ils veulent continuer, s'ils continuent ils feront la même chose, c'est-à-dire un manque de croissance, un manque d'emploi, un manque d'ambition. Il y a des gens qui sont tout à fait estimables parmi ceux-là, mais moi je suis ni pour la démolition ni pour la répétition. Et puis il y a la troisième tendance, qui est la réorientation de l'Europe, ça a commencé bien insuffisamment, mais il faut réorienter l'Europe parce qu'il faut plus de croissance, parce qu'il faut une politique énergétique, parce qu'il faut une politique de défense, et ça ce sont ceux qui portent le poing et la rose. Donc non aux démolisseurs, non aux répétiteurs, et je pense qu'il faut expliquer aux gens, quelque soit les insuffisances, qu'il faut aller vers ceux qui veulent réorienter.
JEAN LEYMARIE
Mais pourquoi, alors, Laurent FABIUS, et je vais reprendre votre mot de répétiteur, pourquoi êtes-vous perçu aujourd'hui comme ceux qui veulent continuer comme avant, comme ceux qui ne font pas changer fondamentalement le cours de l'Europe ?
LAURENT FABIUS
Parce que je pense qu'il y a beaucoup de confusions...
JEAN LEYMARIE
Ça ne marche pas.
LAURENT FABIUS
... dans l'information. Par exemple, je ne sais pas si vous avez fait ce test, mais si vous demandez à la plupart de nos concitoyens, est-ce qu'il y a une majorité aujourd'hui en Europe et qui est majoritaire, ils sont incapable de vous répondre, parce que nous ne l'avons pas, nous tous, assez bien expliqué. Il se trouve que la droite est majoritairement...
JEAN LEYMARIE
Peut-être ont-ils l'impression que gauche et droite, mènent la même politique aujourd'hui en Europe....
LAURENT FABIUS
C'est la même chose, ils ont...
JEAN LEYMARIE
... notamment au Parlement.
LAURENT FABIUS
... peut être cette expression, cette impression, pardon, mais au Parlement il y a une majorité, dans la commission il y a eu une majorité, elle ne s'en défend pas d'ailleurs et donc il faut une réorientation. Il y a un autre aspect qui est important, pour répondre à votre question, je crois qu'il y a une confusion entre l'idée européenne et la gestion européenne. Je m'explique. Bon, l'idée européenne, le fait que l'Europe existe, que la France doive en faire partie, je pense que tout le monde est pour. Mais comme la gestion européenne est mauvaise, parce qu'il a des insuffisances graves, alors les gens remettent en cause l'idée européenne elle-même. Et nous, il faut, il nous reste trois ou quatre jour pour le faire, ce soir nous sommes en meeting à Rouen, demain je serai à Toulouse, ce matin je suis à votre micro, le Premier ministre fait des meetings, beaucoup de responsables et tout ça. Il faut saisir les derniers moments de la campagne pour expliquer les choses, d'une manière, sans agressivité, mais en disant aux gens que c'est très très important.
JEAN LEYMARIE
Pourquoi est-ce que ça marcherait, cette fois, Monsieur le Ministre ? Ça fait des années de scrutins en scrutins et d'élections européennes en élections européennes, qu'ont redit la même chose à quelques jours du vote, il faut voter, l'Europe va changer, elle doit changer, et, est-ce qu'elle change, finalement ?
LAURENT FABIUS
Pas assez, c'est la raison pour laquelle il faut la réorienter. Il y a eu des choses qui ont été faites dans le bon sens, qui sont dues en particulier à ce qui été fait par le président de la République. Par exemple, l'union bancaire, les gens...
JEAN LEYMARIE
Qui finalement n'est pas revenu sur le traité budgétaire, comme il s'y était engagé à faire en 2012, par exemple.
LAURENT FABIUS
Non non mais, prenons l'union bancaire. Les gens ont l'impression que l'union bancaire c'est le nom d'un banque. Pas du tout. L'union bancaire c'est quelque chose qui a été acquis il y a quelques mois. Désormais, si une banque fait faillite, hein, et il y a eu beaucoup de difficultés dans ce secteur, ce ne seront plus les contribuables qui vont payer. Bravissimo ! Si ne banque fait faillite, votre patrimoine, vos placements, seront maintenus et protégés, c'est très bien. Même chose sur la taxe sur les transactions financières qui va maintenant être instaurée. Donc il y a des choses qui ont été faites, mais c'est très insuffisant, c'est la raison pour laquelle il faut réorienter, et donc je suis ni pour les démolisseurs, ni pour les répétiteurs, je suis pour les, je ne sais pas si le mot existe, réorienteurs.
JEAN LEYMARIE
Toute la journée sur FRANCE INFO on s'intéresse à la question du travail en Europe, en particulier, et à la question de la concurrence entre salariés européens. Nous avons tous à l'esprit le débat sur le plombier polonais, le débat aussi sur les travailleurs détachés, pourquoi est-ce que l'Europe ne protège pas mieux, aujourd'hui, l'emploi et les salariés ?
LAURENT FABIUS
Alors, bon exemple...
JEAN LEYMARIE
Ça c'est concret.
LAURENT FABIUS
Il y avait une directive sur les travailleurs détachés, qui était dangereuse. Qu'est-ce que disait cette directive ? Elle disait que si un travailleur d'un autre pays vient travailler en France, je schématise, mais on n'a pas à payer les charges sociales, et du coup, évidemment, c'était moins cher, beaucoup moins lourd et ça favorisait d'autres salariés, par rapport aux salariés français. Les socialistes, en particulier, ont mené un combat fort, ils sont arrivés à persuader un certain nombre d'autres pays et donc la directive sur les travailleurs détachés a été modifiée, pour que les conditions de concurrence soient égalisées.
JEAN LEYMARIE
Les contrôles sont renforcés, mais la directive existe toujours.
LAURENT FABIUS
Mais les contrôles sont renforcés, et il y a possibilité de mettre en cause les excès. C'est un pas qui a été fait dans la bonne direction, même s'il faut continuer.
JEAN LEYMARIE
Mais c'est une bonne directive, par exemple, tout cela, pour vous, il faut la maintenir ?
LAURENT FABIUS
Non mais à partir du moment où il y a une libre circulation des hommes et des femmes, et donc c'est ça l'Europe aussi, il faut permettre une harmonisation des conditions de concurrence, ça on peut le comprendre, mais nous, nous souhaiterions que par exemple la fiscalité, un certain nombre de régimes sociaux, soient petit à petit harmonisés, on ne l'a pas fait assez.
JEAN LEYMARIE
En 2005, Laurent FABIUS, vous faisiez campagne contre le traité constitutionnel...
LAURENT FABIUS
Exact.
JEAN LEYMARIE
Vous n'étiez pas du tout d'accord avec un homme qui s'appelle François HOLLANDE, qui entre temps est devenu, président de la République...
LAURENT FABIUS
Exact.
JEAN LEYMARIE
Vous étiez beaucoup plus proche de Jean-Luc MELENCHON, qui aujourd'hui est actif dans cette campagne...
LAURENT FABIUS
Enfin, je ne sais pas qui était proche de qui, c'était plutôt lui qui était proche de moi, je crois.
JEAN LEYMARIE
Qu'a fait l'Europe depuis 2005 et que reste-t-il du Laurent FABIUS de 2005 aujourd'hui ?
LAURENT FABIUST
out ! Quelle était la position, le sens de la position que j'avais prise, qui d'ailleurs avait été majoritaire en France, vous le rappelez, et en particulier la gauche, je disais, mil je suis très fondamentalement pour l'Europe, mais je n'étais pas satisfait de l'Europe telle qu'elle existait, telle que proposait le traité, et c'est ce que j'ai dit à l'époque et c'est ce que je crois toujours.
JEAN LEYMARIE
Merci Laurent FABIUS.
LAURENT FABIUS
Merci beaucoup à vous.
FABIENNE SYNTHES
Merci beaucoup, merci Jean LEYMARIE, on vous retrouve demain.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 27 mai 2014