Déclaration de Mme Fleur Pellerin, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, à la promotion du tourisme et aux Français de l’étranger, sur le Traité commercial transatlantique, à l'Assemblée nationale le 22 mai 2014.

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Circonstance : Discussion d'une proposition de résolution européenne sur le Traité commercial transatlantique, à l'Assemblée nationale le 22 mai 204

Texte intégral

Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs les Députés, dans quelques jours, les Européens éliront leurs représentants au Parlement européen. Dans 28 pays, 500 millions d'Européens sont appelés à participer à la même élection démocratique. C'est un rendez-vous majeur pour tous les Européens et un moment clé pour l'Europe.
Jamais les forces anti-Europe, populistes, eurosceptiques, nationalistes, n'ont été aussi sûres de leurs forces, jamais la tentation de certains de casser l'Europe n'a été à ce point affirmée.
Pourquoi ces forces sont-elles devenues aussi présentes dans le débat européen ? D'abord, parce que ceux à qui il revenait de bâtir le projet européen, de l'expliquer, de le défendre, n'ont pas, par le passé, suffisamment assumé leur rôle.
Le président de la République, le gouvernement de Manuel Valls, la majorité parlementaire assument, pour leur part, leur engagement européen.
Ensuite, parce que certaines orientations économiques et politiques de l'Union européenne se sont éloignées de l'aspiration profonde des peuples, et notamment de l'idée qu'ils se font du progrès social. Il faut le dire, faute de quoi on oublie l'enjeu du scrutin du 25 mai.
Oui, l'Europe mérite une nouvelle orientation politique, économique, démocratique. Depuis deux ans, la France, par la voix du président de la République, a commencé à montrer la voie et à rendre possible ce nouveau chemin en installant la croissance et l'emploi au coeur du débat économique européen. Ce débat sur le partenariat transatlantique vient donc à point nommé.
(...)
L'intention de la majorité et du gouvernement est non pas de repousser ce texte mais d'en débattre, en présentant une vision responsable et exigeante de ces négociations.
(...)
La précision, l'équilibre sont des notions clés lorsqu'on entre dans une négociation commerciale aussi ambitieuse que l'est le Partenariat transatlantique. La précision, l'équilibre sont importants lorsqu'on sait la très forte attente de transparence des peuples européens.
Je veux le dire d'emblée ici : la transparence n'est pas une option, encore moins une contrainte ; elle est l'une des conditions de la réussite des négociations et du futur traité. J'y reviendrai.
Oui, ce texte est précis et équilibré. Il est surtout extrêmement responsable. Plutôt que de demander l'arrêt pur et simple de négociations commerciales dans lesquelles l'Union européenne engage une partie de son crédit et de son avenir économique, la proposition de résolution qui nous est soumise aujourd'hui appelle, comme la résolution déjà adoptée en juin 2013 sur l'initiative du groupe socialiste, à poursuivre ces négociations, en soulignant à la fois les bénéfices potentiels et les risques. Cette vision responsable et exigeante est à l'honneur du groupe socialiste.
Quand on est responsable et exigeant, on ne confond pas la négociation et le traité qui en est la conclusion, sauf à ne pas accepter que l'Union européenne puisse négocier au nom des États membres. Je le dis sans ambages : s'il s'agit de refuser le principe même de négociations, alors c'est une bonne partie de l'ambition européenne, de l'affirmation de l'Union européenne comme puissance politique dans le monde de demain qu'on refuse ou qu'on nie. Donnons donc sa chance à la négociation, mais soyons vigilants sur son résultat.
J'ajoute que nous sommes au début de négociations longues. Personne n'exige de nous que nous disions oui ou non d'entrée de jeu sur le contenu d'un accord en cours d'élaboration. La France a des exigences, des lignes rouges et des attentes ambitieuses qu'elle a très clairement notifiées à la Commission et dont le gouvernement se fera le garant tout au long des négociations.
Je veux ici lever un malentendu, largement entretenu par ceux qu'une présentation souvent simpliste des négociations en cours arrange bien. L'accord sera mixte, puisque les matières dont il traite relèvent non seulement de la compétence de l'Union, mais aussi des compétences nationales des États.
Le Partenariat commercial transatlantique supposera donc l'approbation à l'unanimité des États membres du Conseil, et l'accord des parlements nationaux. Le Parlement français aura donc le dernier mot, c'est à lui qu'il reviendra de ratifier ou non l'accord négocié.
Là encore, soyons très clairs : si le mandat confié par la France à la Commission européenne devait ne pas se retrouver dans le traité négocié finalement, la France ne ratifierait pas le traité.
Cet accord présente, comme toute négociation commerciale, des défis, des difficultés ; il se heurte à des sensibilités de part et d'autre. Mais il constitue aussi une formidable opportunité pour nos entreprises qui exportent ou exporteront vers le marché américain. Rappelons que 22 000 entreprises françaises exportent aujourd'hui vers les États-Unis, dont 80 % sont des petites et moyennes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire.
J'entre à présent dans le détail des avantages et des risques potentiels de cet accord, car comme dans toute négociation, en particulier les négociations commerciales, celui-ci présente pour la France des intérêts offensifs et défensifs.
Les enjeux attachés à cette négociation sont extrêmement significatifs pour notre pays, notre économie, notre commerce extérieur, nos entreprises. Je souhaite revenir sur certains de ces enjeux en particulier.
Je commencerai par rappeler les avantages ou intérêts offensifs.
Cet accord entre les deux premières puissances commerciales mondiales sera le plus grand accord commercial jamais négocié par l'Union européenne. Il en est de même pour les États-Unis.
Comment ne pas voir les formidables opportunités en termes de croissance, d'emploi, de débouchés pour nos entreprises, notamment nos PME ? Qui ne voit pas l'intérêt objectif pour l'Union européenne et la France d'être plus et mieux présentes sur un marché de 315 millions de consommateurs au pouvoir d'achat élevé ? Qui ne voit pas l'importance de ne pas laisser les États-Unis pivoter uniquement vers l'Asie, dans le cadre des méga-accords de libre-échange régionaux actuellement en négociation dans la zone Asie-Pacifique ? Qui pourrait refuser d'entrer dans des négociations qui peuvent nous permettre de réduire significativement, voire supprimer, les tarifs douaniers qui renchérissent le prix de vente de nos produits et ainsi de préserver notre compétitivité face aux autres fournisseurs des États-Unis qui ont déjà conclu un accord ou sont sur le point de le faire ?
L'enjeu majeur de cette négociation pour nous est de démanteler les barrières non tarifaires américaines qui limitent l'accès au marché de nos produits. C'est un enjeu capital. Dans cette négociation, la France et l'Union européenne entrent non pas en position de faiblesse ou de victimes, mais comme des partenaires de négociation. Nous traitons d'égal à égal avec le partenaire américain, et c'est à l'aune des bénéfices escomptés qu'il faut s'engager dans cette négociation ! Je veux vous en rappeler quelques-uns.
Il s'agit tout d'abord de l'ouverture de nouveaux marchés. Certains segments du marché américain sont juridiquement fermés ou d'un accès compliqué du fait de la réglementation. L'objectif du Partenariat commercial transatlantique est d'ouvrir ces marchés en supprimant les obstacles juridiques, normatifs, réglementaires ou en les simplifiant.
Je donnerai quelques exemples très concrets. Le transport maritime et aérien est aujourd'hui interdit aux opérateurs étrangers à l'intérieur des États-Unis ; autrement dit, Air France ne peut pas y opérer une ligne intérieure. Les exportateurs européens de pommes ou de poires doivent déposer un dossier soumis à une évaluation de risque, une procédure extrêmement longue et coûteuse qui dure parfois plus de dix ans. Les assureurs européens doivent quant à eux être agréés dans chaque État fédéré américain. Les restrictions dans le secteur de l'énergie interdisent les exportations vers l'Union européenne. Les exportations de viande de boeuf, enfin, sont toujours soumises à un embargo.
Un autre avantage à attendre de ce partenariat est la réduction des droits de douane. Même si les droits de douane appliqués aux échanges de biens entre les États-Unis et l'Union européenne sont bas - ils sont fixés en moyenne à 2,2 % à l'entrée aux États-Unis et à 3,3 % à l'entrée dans l'Union européenne -, il existe dans certains secteurs des pics tarifaires dont la révision devrait stimuler les échanges. En outre, les États-Unis ont déjà démantelé ces tarifs douaniers avec de nombreux autres partenaires à ce jour et s'apprêtent à la faire d'ici à un an ou moins avec douze autres pays dans le cadre de l'accord de partenariat transpacifique.
Je donnerai à nouveau plusieurs exemples concrets. Dans le secteur du textile, les droits de douane appliqués par les États-Unis s'échelonnent entre 8 % pour les fibres et 30 % pour les vêtements, alors que la moyenne est de 12 % à l'entrée dans l'Union européenne. Ces droits atteignent également 37,5 % pour les chaussures à l'entrée sur le marché américain ou encore 139 % sur les fromages.
Un autre sujet majeur sur lequel nous pouvons avancer est celui de l'accès aux marchés publics américains, en particulier à l'échelle subfédérale. Des clauses de contenu local mais de portée nationale, des dispositifs subfédéraux restreignent l'accès des fournisseurs européens aux marchés publics américains, dont l'ouverture est estimée à 47 % en pratique. En comparaison, l'ouverture des marchés publics de l'Union européenne à l'égard des États-Unis avoisine les 100 %. Les marchés publics intéressants pour les sociétés européennes concernent par exemple tous les contrats d'approvisionnement des collectivités publiques américaines, tels que les achats d'uniformes pour les écoliers ou les infrastructures de transport public.
Enfin, nous entendons renforcer les normes et les standards du commerce international. Cet enjeu est double. Premièrement, la reconnaissance mutuelle d'une partie des normes européennes sur le marché américain devrait permettre de supprimer des coûts inutiles pour les exportateurs et la création d'un référentiel pourra servir aussi à l'échelle mondiale ; ce serait le cas par exemple pour les véhicules électriques pour les réseaux électriques intelligents. Deuxièmement, la création d'un précédent pourra servir de base aux futurs accords commerciaux européens et américains avec d'autres pays tiers, ce qui s'avérera particulièrement intéressant en matière de normes sociales et environnementales.
Pour autant, il ne s'agit pas d'être naïf lorsqu'on aborde une négociation de cette ampleur ; il est naturellement indispensable d'en fixer les limites. Je souhaite les rappeler ici.
La première de ces limites est la préservation de notre modèle agricole. Les produits sensibles européens sont essentiellement des produits agricoles vulnérables à la concurrence du fait de notre différentiel de compétitivité. La France a ainsi demandé à la Commission européenne, conjointement avec la Pologne, de ne pas libéraliser un certain nombre de produits agricoles sensibles - ils représentent 4 % des lignes tarifaires agricoles, soit 0,6 % des importations -, dont la viande de boeuf, de porc et de volaille, le maïs doux, les produits amylacés, le bioéthanol, le rhum et les ovo-produits.
Nous avons également retenu le respect des préférences collectives. Pour prendre en compte les choix des citoyens, la France et l'Union européenne ont adopté de longue date une attitude prudente fondée sur le principe de précaution. Celui-ci a ainsi conduit par exemple à exclure la décontamination chimique des viandes - les poulets chlorés -, l'utilisation de promoteurs de croissance en élevage - les poulets aux hormones - ou le clonage à but alimentaire. La Commission a assuré qu'elle défendrait nos positions et nous y veillerons.
Enfin, certains sujets sont purement et simplement exclus de la négociation à la demande de la France et font l'objet pour le gouvernement d'une vigilance spécifique. Leur inclusion dans le futur traité impliquerait de facto le refus de la France de ratifier le traité. Je rappellerai à présent les lignes dures défendues par le gouvernement dans la négociation.
La première ligne dure est l'exclusion des services audiovisuels. Garantie par le mandat de négociation - c'est écrit noir sur blanc -, cette exclusion doit évidemment être préservée, dans le respect du principe de neutralité technologique.
Deuxièmement, nous défendrons la réciprocité dans l'ouverture des marchés publics : l'ouverture doit être la même aux États-Unis pour les entreprises européennes que dans l'Union européenne pour les entreprises américaines. Il y a actuellement un déséquilibre réel qu'il faut compenser.
Le troisième point est la protection des données personnelles, un sujet qui, je le rappelle, n'est pas négocié dans le cadre de l'accord. Aucune règle de l'accord, notamment dans son volet relatif au commerce électronique, ne doit affecter le niveau de protection des données personnelles dans l'Union européenne.
La santé et la protection des consommateurs constituent la quatrième ligne dure du gouvernement. Le niveau de protection de la santé, de l'environnement et des consommateurs doit être pleinement respecté, notamment lorsqu'il est plus élevé en Europe qu'aux États-Unis ; il n'est donc pas question de niveler par le bas. À cette fin, la législation européenne ou française ne doit pas être modifiée dans des domaines comme la décontamination chimique des viandes, les OGM, l'utilisation de promoteurs de croissance en élevage ou de clonage à but alimentaire.
Le cinquième point est la reconnaissance des indications géographiques. L'utilisation abusive des appellations génériques ou semi-génériques comme le «champagne» de Californie doit être proscrite par une protection des indications géographiques. L'enjeu, qui est de nature offensive, sera également d'obtenir un haut niveau de protection pour toutes nos indications géographiques, en particulier en matière de vins et spiritueux et de produits agroalimentaires.
J'en viens enfin à un sujet particulièrement important, qui constitue un élément essentiel de la résolution qui nous est soumise aujourd'hui : le mécanisme de résolution des différends entre investisseurs et États.
La préservation du droit à réguler des États dans le cadre du débat engagé sur le dispositif d'arbitrage dans le chapitre «protection des investissements» est une priorité absolue, parfaitement identifiée et prise en compte.
À l'issue de la consultation publique ouverte par la Commission européenne et qui s'achèvera le 6 juillet - je rappelle que cette consultation s'est ouverte à la demande de la France et suspend les négociations sur ce point -, le débat sur ce sujet ne sera pas clos. Celui-ci devra être expertisé sur la base du rapport que la Commission fera à l'automne aux États membres et au Parlement européen. Les négociations sur ce volet, qui sont interrompues depuis le mois de mars dernier, ne devront reprendre, le cas échéant, qu'après cette analyse et en intégrant pleinement les conclusions qui en seront tirées.
Cette consultation n'est pas pour la France une simple formalité : c'est un outil indispensable d'aide à la décision. J'entre donc dans ce débat avec la volonté d'éclairer la représentation nationale aussi précisément que possible à l'occasion de l'examen des amendements.
Permettez-moi d'ajouter un dernier mot en conclusion. Ce traité n'est pas un accord comme les autres. Tandis que nous célébrons cette année le centenaire de la Première guerre mondiale, il est utile de rappeler le tout premier des quatorze points du président Woodrow Wilson dans son discours du 8 janvier 1918 : «Des traités de paix ouverts, auxquels on a librement abouti, après lesquels il n'y aura plus aucune espèce d'alliances internationales privées, mais une diplomatie franche et transparente». Libre consentement des peuples, intérêt mutuel, franchise et transparence : tels sont les principes qui doivent nous guider aujourd'hui pour aborder ces négociations.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 mai 2014