Texte intégral
Madame la Présidente,
Madame la Présidente de la Commission des affaires européennes,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Vous avez souhaité la tenue de ce débat sur les politiques européennes contre le réchauffement climatique et je vous en remercie. Celui-ci intervient au lendemain d'une élection européenne qui, en Europe et en France, a été marquée par la montée de l'euroscepticisme et des votes anti-européens ainsi que par une forte abstention, mais aussi par une demande de changement, y compris de la part des partis pro-européens.
Il nous faut donc satisfaire l'attente d'une Europe qui réponde mieux aux préoccupations des citoyens, qui se concentre sur l'essentiel, qui montre sa capacité à agir avec efficacité dans les domaines où il est indispensable de le faire ensemble, et qui défend une vision d'avenir pour le continent. Il nous faut montrer avec responsabilité, parce que nous croyons au projet européen, que l'Europe est l'échelon irremplaçable pour relever de grands défis que l'on ne saurait traiter à l'échelle d'un seul pays.
S'il est une question essentielle, vitale même pour l'avenir de la planète et de notre continent, une question qu'aucun pays ne peut résoudre seul et pour laquelle il ne saurait exister vingt-huit politiques différentes, c'est bien celle de la lutte contre le changement climatique. C'est pourquoi le Gouvernement a mis la question du climat et de la transition énergétique au cœur de ses priorités européennes, comme l'a rappelé le président de la République hier soir à Bruxelles.
L'urgence est là, en effet. L'Europe, qui est l'un des principaux consommateurs d'énergie au monde, ne peut plus continuer à produire et à consommer comme elle l'a fait au cours des dernières décennies. La concentration de gaz carbonique dans l'atmosphère a augmenté de 20 % depuis 1958, et de 40 % depuis 1750, début de l'ère industrielle. Cette trajectoire, largement alimentée par l'industrialisation européenne, américaine et aujourd'hui mondiale, n'est tout simplement pas soutenable. Malgré l'adoption du protocole de Kyoto ?- premier véritable accord international sur le sujet ?- et malgré les conférences des parties successives, la tendance au réchauffement climatique se poursuit.
Le dernier volet du cinquième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, paru le 13 avril dernier, nous l'a rappelé : les émissions mondiales de gaz à effet de serre atteignent des niveaux record et leur croissance n'a jamais été aussi rapide. Elles nous conduisent sur des trajectoires de réchauffement à l'horizon 2100 qui sont plus proches de quatre degrés que de deux. Or, il nous faut contenir la hausse des températures en deçà de ce seuil de deux degrés afin d'éviter des cycles de dérèglements irréversibles, mais également des impacts importants sur la santé publique. Si nous ne sommes pas en mesure de réagir collectivement, la planète deviendra bientôt invivable.
Cette urgence climatique appelle donc un sursaut à l'échelle internationale. C'est notre responsabilité ! Nous avons le devoir de mettre en œuvre un modèle de développement soutenable et durable, pour l'avenir et pour les générations futures. C'est pourquoi la France a décidé de s'engager : vous le savez, elle accueillera en 2015 la 21e conférence internationale sur le climat, que nous avons intitulée « Paris Climat 2015 ». C'est à cette occasion que les États devront s'engager sur un accord universel et ambitieux de réduction de leurs émissions.
Toutefois, avant la tenue de cette conférence, il est indispensable de nous mettre d'accord entre Européens sur nos propres objectifs de réduction des gaz à effet de serre d'ici à 2030. Notre unité de vues est un préalable nécessaire pour que l'Union européenne puisse peser de façon cohérente dans les négociations internationales et garantir l'obtention de cet accord mondial l'année prochaine.
C'est donc unis et solidaires que nous saurons répondre à ce défi majeur pour l'avenir de notre planète et de nos concitoyens. Vous le voyez, mesdames et messieurs les députés, notre ambition est grande et l'activité que nous déployons pour rapprocher les positions européennes est intense. S'engager rapidement vers un nouvel objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, comme le propose la Commission européenne et comme nous le souhaitons, nous permettra non seulement d'engager cette dynamique mondiale mais également, au sein de l'Union européenne et en France, d'offrir une vision de long terme aux acteurs économiques et aux investisseurs, notamment pour développer les filières industrielles dites «bas carbone».
Le climat et l'énergie font donc clairement partie de nos priorités, au même titre que le soutien à la croissance et à l'emploi, la première devant d'ailleurs contribuer à mettre en œuvre la deuxième. En effet, il s'agit non seulement de protéger la santé de nos concitoyens et notre environnement, mais aussi de saisir cette occasion pour sécuriser notre approvisionnement en énergie, créer des activités innovantes et donc des emplois durables en France et en Europe. Nous devons également éviter les coûts liés à l'inaction. Ces projets créateurs d'activités et d'emplois durables doivent donc être solidement ancrés dans nos territoires et améliorer les conditions de vie des citoyens français et européens.
Il n'y a, Mesdames et Messieurs les Députés, aucun doute sur le fait que l'Union européenne est bien l'échelon pertinent pour répondre aux grands défis qui se présentent à nous dans ce domaine. L'Europe a été fondée grâce à la mise en commun du charbon et de l'acier, ce qui a rendu la guerre matériellement impossible et posé les prémices de ce qui est devenu l'Union européenne. La construction d'une nouvelle union énergétique contribuera à relancer le projet européen au XXIe siècle ; nous en sommes profondément convaincus. Ce projet, il est à notre portée.
Je voudrais d'abord souligner les progrès réalisés par l'Union européenne au cours de ces dernières années. Notre politique volontariste a commencé à porter ses fruits. Les efforts consentis au niveau européen nous placent collectivement sur une trajectoire collective plus durable et respectueuse de notre environnement.
La principale étape en a été le paquet « énergie-climat » de 2008, qui a permis de fixer de grandes orientations à l'horizon 2020. Il s'agit, je le rappelle, des fameux «20-20-20» : diminuer de 20 % nos émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, porter à 20 % la part des énergies renouvelables dans notre consommation finale et, enfin, réaliser 20 % d'économies d'énergie.
Grâce à ce cadre, l'Europe progresse rapidement vers un modèle plus sobre en carbone : les émissions européennes de gaz à effet de serre liées à l'énergie, à l'agriculture, aux procédés industriels et à l'usage de solvants et d'autres produits ont baissé de plus de 18 % au cours de la période allant de 1990 à 2011. Nous avons également progressé vers notre objectif d'augmentation de la part des énergies renouvelables dans notre «mix énergétique». Les Européens consomment déjà plus de 14 % d'énergie issue de ces sources. Si les énergies renouvelables peuvent à court terme produire des difficultés liées à l'intermittence ou encore à l'impact sur les prix, il nous revient d'imaginer des dispositifs innovants pour continuer à les accompagner de façon optimale.
Ce développement permettra d'accroître notre indépendance énergétique en nous appuyant sur des ressources indigènes, comme l'éolien, le solaire ou les énergies marines.
Enfin, nous cherchons à faire davantage d'économies d'énergie. L'Europe consomme déjà moins d'énergie qu'auparavant : entre 2006 et 2008, la consommation des vingt-huit a diminué de 8 %. Par ailleurs, l'efficacité énergétique a fait l'objet d'une directive révisée, adoptée en octobre 2012. Elle sera soumise bientôt à une revue, dont nous espérons voir les premiers résultats pendant l'été. Cette directive se traduit par plusieurs mesures nationales, à l'initiative des États membres. En France, par exemple, nous disposons des certificats d'économie d'énergie, qui permettent de promouvoir largement l'efficacité énergétique.
Globalement, nous pouvons nous appuyer sur ce bilan européen en matière d'énergie et de climat. Il s'agit d'en tirer toutes les conclusions pour l'avenir.
D'une part, l'Europe a tiré les bénéfices de sa volonté d'être à l'avant-garde des initiatives et de l'innovation. On peut se souvenir des réticences suscitées par l'adoption des premières directives interdisant l'essence plombée pour les automobiles : tout cela paraît bien loin et chacun est convaincu aujourd'hui que c'était un choix pertinent, non seulement en termes d'environnement et de santé publique, mais aussi en termes industriels.
D'autre part, nous devons regarder avec lucidité ce qui n'a pas fonctionné, pour ne pas reproduire les mêmes erreurs. Le marché du carbone, par exemple, ne produit pas les résultats que nous en attendions. Il a pâti d'une crise économique de grande envergure, qui n'avait pu être anticipée. C'est pourquoi nous devons rapidement le réformer. La Commission européenne a fait des propositions en ce sens et nous y travaillons.
Enfin, j'en ai parlé, l'énergie que nous ne consommons pas constitue une source majeure de réduction d'émissions. Les projets visant à faire des économies d'énergie, comme la rénovation thermique des bâtiments, constituent des opportunités que nous devons continuer à exploiter.
Il ne s'agit donc pas de nous complaire dans l'autosatisfaction, mais d'être toujours plus exigeants pour plus d'efficacité, en nous appuyant sur ce que nous sommes déjà parvenus à réaliser en matière de politique énergétique, pour convaincre que nous pouvons continuer dans cette voie et, en étant ambitieux, obtenir des résultats. C'est ce qu'attendent nos concitoyens de l'Europe : qu'elle soit plus concrète, plus réactive, et qu'elle apporte des réponses aux grands défis qui sont devant nous.
Mais nous devons aller plus loin et voir ce défi, non comme une contrainte, mais comme une véritable opportunité pour améliorer le quotidien de nos concitoyens et notre avenir en termes de croissance et d'emploi. Car remédier au réchauffement climatique implique la mise en oeuvre de nombreux chantiers qui touchent directement les conditions de vie des Français et des Européens : c'est le cas de l'amélioration du cadre de vie et de la baisse des factures énergétiques qui profiteront à tous et qui seront les conséquences directes de la rénovation thermique des bâtiments et du développement des sources énergétiques moins dépendantes des hydrocarbures. C'est aussi le cas de l'ouverture de nouvelles opportunités pour nos chercheurs et nos laboratoires, par le développement de nos savoirs et de nos technologies écologiques, domaines dans lesquelles l'Europe est en pointe et doit le rester. Cela contribuera au maintien de millions d'emplois durables sur le territoire européen et à la création de nouveaux emplois, grâce à l'essor de cette industrie d'avenir et à l'exportation de nos savoir-faire dans ce domaine. Car tous les autres continents sont aussi à la recherche de réponses, s'agissant de la construction de villes durables, de nouveaux modes de transport ou de nouveaux modes industriels moins consommateurs de carbone.
Dans tous ces domaines, nous devons avancer avec beaucoup d'audace. Il nous faut donc accompagner la transformation de ces économies. Je pense à notre capacité à bâtir une véritable communauté de l'énergie, qui donnera un accès sûr à une énergie pour tous, compétitive et durable. C'est un enjeu pour tous les pays de l'Union européenne, mais aussi pour certains de nos voisins, comme l'Ukraine et la Moldavie.
Les discussions se poursuivent dans ce contexte pour que les États membres s'accordent sur des priorités en matière de politique énergétique : développement d'infrastructures énergétiques supplémentaires pour l'interconnexion entre les différents pays, renforcement de la solidarité énergétique entre les États, y compris par des réflexions sur le poids dans les négociations énergétiques des acheteurs européens, déploiement accru de ressources indigènes, diversification des sources et des voies d'approvisionnement. Toutes ces dimensions sont indissociables de nos ambitions climatiques puisqu'elles contribueront à rendre nos économies plus sobres en carbone et moins dépendantes en hydrocarbures.
Cette dimension avance rapidement : pas plus tard qu'aujourd'hui, la Commission a adopté une étude sur la sécurité énergétique et un plan d'action à partir duquel les États membres vont travailler. Développer des opportunités et des solidarités va donc de pair ; c'est dans l'intérêt de nos économies, de nos industries et surtout dans celui de nos concitoyens ! Pour y parvenir, nous devons nous saisir des échéances et des opportunités majeures qui sont devant nous.
Tout d'abord, je tiens à vous assurer du plein engagement du Gouvernement pour promouvoir l'unité européenne dans la recherche d'un accord à vingt-huit sur le cadre énergie climat 2030, c'est-à-dire sur nos engagements collectifs en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique entre 2020 et 2030.
La Commission a présenté des propositions reconnues par l'ensemble des États membres comme une base de négociation. Elles visent à réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre et à porter la part des renouvelables à 27 % de notre consommation finale. Le Gouvernement français soutient ces objectifs. Le sujet a été à l'ordre du jour du dernier Conseil européen. Les États membres se sont mis d'accord pour prendre une décision finale le plus rapidement possible, et au plus tard en octobre 2014.
L'adoption rapide d'une décision européenne est d'autant plus importante que, le 23 septembre prochain, le secrétaire général de Nations-Unies, Ban Ki-moon, accueillera les chefs d'État et de gouvernement du monde entier pour faire un premier point sur les engagements climatiques internationaux de l'ensemble des États en vue de la COP 21. Dans cette perspective, le Conseil européen de juin sera un moment crucial pour faire avancer nos positions. Il ne doit pas seulement être une étape procédurale, mais l'occasion d'un vrai débat de fond au plan politique, sur la base des éléments demandés à la Commission et au Conseil en mars.
Cela implique de bien évaluer les conséquences d'une telle décision ?- réduire de 40 % les émissions de gaz à effets de serre et porter à 27 % la part des renouvelables -? pour chaque État membre ; de discuter du partage de l'effort ; de prendre des mesures pour éviter les « fuites de carbone », autrement dit les délocalisations des entreprises soumises aux contraintes environnementales européennes ; cela implique également d'assurer la compétitivité de nos industries énergivores ou électro-intensives, et enfin de revoir, à partir de juillet, la directive efficacité énergétique.
Dans l'ensemble de ces perspectives, nous sommes, bien entendu, en constant dialogue avec nos partenaires européens. Pour combattre le réchauffement climatique, notre communauté de vues, en particulier avec les Allemands, les Polonais ou les Britanniques, est indispensable. Nous sommes engagés dans un partenariat fort et dynamique avec l'Allemagne. Je pense notamment à l'Office franco-allemand pour les énergies renouvelables ou au rapprochement de l'ADEME avec son équivalent allemand, la DENA - la Deutsche Energie-Agentur. Une dynamique productive a été enclenchée lors du conseil des ministres franco-allemand du 19 février dernier. Les deux gouvernements ont notamment créé un groupe de haut niveau, qui sera chargé d'élaborer une feuille de route concernant l'ensemble des enjeux liés à la transition énergétique.
Nos échanges sont également très fructueux avec la Pologne, comme en témoigne l'accord intervenu entre le Président de la République et le Premier ministre Donald Tusk sur les questions de sécurité énergétique, qui, ne nous y trompons pas, ont un lien direct avec notre combat commun contre le réchauffement climatique. J'y insiste, nous pensons qu'il ne faut pas séparer la question du climat de celle de l'énergie dans la préparation des positions européennes.
Mais les enjeux de ce débat reposent également sur ce qui se passe au-delà des frontières de l'Union. Je ne peux conclure sur ce sujet sans évoquer la situation ukrainienne, qui nous rappelle l'urgence de ce débat et d'une prise de décisions. Les menaces russes de rétorsion gazière sur ce pays nous mettent face à la nécessité d'agir au niveau européen pour sécuriser notre énergie, être plus autonomes et réduire notre consommation d'hydrocarbures. Tout comme nous, la Commission y travaille, et nous espérons que l'accord qui sera conclu entre la Russie et l'Ukraine assurera, dans l'immédiat, la fourniture de gaz à l'Ukraine. Mais il est nécessaire, sur le plan structurel, de mieux assurer notre autonomie afin d'éviter de voir se perpétuer une situation dans laquelle plusieurs États membres sont dépendants à 100 % des approvisionnements d'un seul pays, la Russie, et d'autres à plus de 70 %. Par ailleurs, des discussions trilatérales entre la Commission, l'Ukraine et la Russie, qui se sont tenues lundi, permettent d'entrevoir une issue - que nous espérons positive - dans les prochains jours.
Cette gestion de crise nous rappelle que nous devons aider l'Ukraine à sortir de la crise énergétique, tout en faisant progresser la lutte contre le changement climatique, en développant une vision à plus long terme de notre sécurité énergétique.
Il n'y a pas à choisir entre climat et sécurité énergétique. L'un et l'autre se complètent : la sécurité d'approvisionnement énergétique de l'Union européenne et le cadre énergie climat 2030 forment, à notre sens, un seul et même paquet. La protection de notre environnement et le développement d'une croissance durable sont aussi une garantie de notre indépendance et de notre avenir.
Mesdames et Messieurs les Députés, vous l'aurez compris, la lutte contre le réchauffement climatique est une priorité du gouvernement dans l'agenda européen. Elle est aussi un point d'entrée pour une politique énergétique qui se fixe comme priorité le développement des industries d'avenir, la croissance verte et, bien sûr, la création de centaines de milliers d'emplois durables sur le territoire national et européen. Vous-mêmes aurez à y contribuer lors du prochain débat sur le projet de loi sur la transition énergétique. Ce grand chantier national aura de multiples résonances avec nos priorités européennes. Bâtir l'Europe de l'énergie, c'est relever l'un des plus grands défis de notre époque, celui du changement climatique, mais c'est aussi bâtir une Europe plus sûre, plus protectrice, plus solidaire et tournée vers l'avenir.
Q - (Sur les mesures mises en place, en France et en Europe, pour faire face aux aléas climatiques)
R - Monsieur le Député, je vous remercie de votre intervention et de cette question très importante à laquelle il faut en effet que l'Union européenne soit en mesure de répondre.
Celle-ci a, comme vous le savez, mis en place une série de dispositions de secours qui ont été activées récemment à l'occasion des inondations qui ont touché plusieurs pays dans les Balkans, en particulier un pays membre, la Croatie, mais aussi, plus fortement encore, la Bosnie-Herzégovine et la Serbie, pays bénéficiant de la politique européenne de voisinage.
En recevant son homologue serbe la semaine dernière, le président de la République a ainsi pu confirmer que la France apportait et apporterait évidemment toute sa contribution à la mobilisation européenne en nature - beaucoup d'États membres ont déployé sur place des pompiers, des forces de sécurité civile - et au travers du Fonds de solidarité, de l'aide humanitaire, et des fonds versés au titre de l'aide de préadhésion. La capacité à venir en aide dans des situations d'urgence en mobilisant des dispositifs européens existe donc aujourd'hui.
Vous avez néanmoins raison de dire que, dans le cadre de la discussion actuelle sur le paquet énergie climat, il serait bon que la Commission saisisse le Conseil et le Parlement européen de propositions cadres pour que chacun des États membres soit à même de mettre en place des dispositifs de secours aux citoyens, aux entreprises, aux territoires qui peuvent être affectés par le changement climatique.
La meilleure réponse, évidemment, c'est la prévention par la mise en œuvre, à l'échelle tant européenne qu'internationale, des dispositions de réduction des émissions de gaz à effet de serre, afin d'empêcher que la température n'augmente de plus de deux degrés ; c'est le cœur de notre débat.
Q - (sur le cycle de discussion et de négociation entre les États membres sur le paquet énergie-climat)
R - Monsieur le Président, je vous remercie de cette question très importante. Nous sommes en effet, comme je l'ai rappelé tout à l'heure, au début d'un cycle de discussion et de négociation entre les États membres, dont nous souhaitons qu'il permette d'avancer très rapidement.
Je tiens tout d'abord à saluer le rapport que Jean-Jacques Guillet et vous-même avez présenté : les réflexions et analyses qu'il contient sont d'une grande qualité et aident à déterminer précisément les clés qui conditionnent la réussite de cet engagement européen, de ce paquet énergie climat.
Si nous voulons être en mesure de donner les indications nécessaires à chaque État membre, aux acteurs économiques, aux collectivités locales pour être prêts à s'engager réellement dans cette réduction massive des émissions de gaz à effet de serre - 40 % - et dans cette montée en puissance des énergies renouvelables, si nous voulons que l'Europe continue à être un continent leader dans ce domaine et qu'elle donne l'impulsion nécessaire à la réussite de la grande conférence Paris Climat 2015, il faut que, dès le Conseil européen de juin prochain, les États membres se prononcent sur les propositions de la Commission.
Nous comptons bien sur l'engagement fort du nouveau Parlement européen et de la nouvelle Commission européenne ; les auditions des candidats commissaires désignés qui auront lieu pendant l'été et à l'automne seront, de ce point de vue, importantes. Nous passons actuellement notre temps à convaincre nos homologues qu'il faut avancer à la fois sur la question énergétique - sécurité de nos approvisionnements, investissements dans les réseaux et les technologies - et sur la question climatique pour être à la hauteur du défi du changement climatique.
Vous pouvez donc compter sur notre pleine mobilisation et sur le fait que nous nous appuierons sur le nouveau Parlement européen et la nouvelle commission pour faire avancer un accord ambition entre les vingt-huit États membres.
Q - (Sur le bilan du paquet énergie climat en 2008 et sur la conférence Paris Climat 2015)
R - Monsieur le Député, je vous remercie de cette question, qui comporte deux volets : vous souhaitez savoir, d'une part, où nous en sommes de la réalisation des objectifs qui avaient été fixés dans le paquet énergie climat en 2008, et, d'autre part, comment nous allons faire en sorte que la conférence Paris Climat 2015 soit un succès.
Je commencerai par répondre au sujet de la réalisation des objectifs, qui sont au nombre de trois. La réduction des émissions de CO2, qui devait être de 20 % à l'horizon de 2020 par rapport au niveau de 1990, est déjà de 18,3 % en Europe et de 13 % en France. Notre pays avait cependant des émissions moins élevées au départ, car la part de l'énergie nucléaire dans notre mix énergétique fait que nous émettons moins de CO2. Nous devons cependant tenir cet objectif, ce qui nécessite d'être au rendez-vous s'agissant des deux autres.
Le deuxième objectif est d'atteindre 20 % d'énergies renouvelables. L'Europe est aujourd'hui à plus de 14 %, la France à 14,3 %. Nous sommes donc en passe d'atteindre cet objectif, qui contribuera à réaliser le premier.
S'agissant des économies d'énergie, la Commission a prévu une revue du dispositif le mois prochain. Nous disposerons donc très vite des chiffres précis, mais on peut déjà affirmer que le plan de rénovation des logements pour réduire la consommation d'énergie, et donc la facture d'énergie des ménages, est en bonne voie. Des dispositifs ont été annoncés par le Président de la République et sont mis en œuvre par le Gouvernement ; nous devrons et nous pourrons donc tenir ces objectifs.
Même si je comprends votre question - puisque nous sommes déjà les premiers dans le monde, pourquoi s'engager maintenant à une réduction de 40 % d'ici à 2030 ? -, nous pensons que c'est réalisable et surtout que c'est nécessaire : ce n'est plus une option mais une véritable obligation, au regard notamment du récent rapport du GIEC, mentionné par plusieurs des orateurs. C'est en poursuivant sur la voie de la réalisation des premiers objectifs, ceux de 2020, que nous voulons atteindre en 2030 l'objectif de 40 % de réduction et de 27 % d'énergies renouvelables. En effet, quand on engage ce processus, l'innovation elle-même fait un bond en avant. Pensez par exemple aux moteurs automobiles : les moteurs consommant deux litres aux cent kilomètres sont à notre portée grâce aux véhicules hybrides et au développement de l'électrique. Il faut donc tenir ces objectifs et faire en sorte que nos industries, nos modes d'habitat soient pionniers dans tous ces domaines.
Q - (Sur une taxe carbone au niveau européen)
R - Monsieur le Député, je vous remercie pour cette question. Je pense en effet que, à côté de la nécessité évoquée par plusieurs orateurs de réformer le système ETS - Emission Trading Scheme, ou système d'échange de quotas d'émissions ?- pour qu'il fonctionne mieux, nous pouvons de façon complémentaire réfléchir à une taxe carbone au niveau européen ; une proposition en ce sens a d'ailleurs été présentée au Conseil européen en 2011. Vous l'avez souligné, l'une des difficultés est que cette matière requiert un accord à l'unanimité des Vingt-huit ; or, comme cela a été le cas pour d'autres sujets liés à la fiscalité, il est difficile, a priori, de compter sur l'accord de l'ensemble des États membres. Néanmoins nous devons continuer à faire des efforts pour rassembler le maximum de pays de l'Union européenne autour de ce projet et, s'il le faut, être prêts à utiliser le mécanisme de la coopération renforcée. En matière de fiscalité, il vient enfin de déboucher sur un accord concernant la taxe sur les transactions financières, qui sera mise en oeuvre d'ici au 1er janvier 2016 et qui apportera d'ailleurs des financements tant pour des politiques européennes que pour des politiques de solidarité internationale.
C'est également par le mécanisme de la coopération renforcée que nous sommes en train d'œuvrer à la création du parquet européen : il apparaît en effet qu'un certain nombre d'États membres ne souhaitent pas y prendre part mais qu'une majorité, largement au-delà du seuil nécessaire pour une coopération renforcée, souhaitent que nous puissions mettre en place ce parquet financier européen. Je pense donc que, en matière de taxe carbone au sein de l'Union européenne, en complément de mécanismes tels que celui que vous avez rappelé sur la contribution énergie-climat, ou d'autres mis en œuvre dans les pays nordiques, nous pouvons effectivement aller dans la voie de l'utilisation de cette coopération renforcée.
Q - (Sur la cohésion européenne dans le domaine énergétique)
R - Monsieur le Député, comme vous l'avez souligné, la rencontre du 24 avril entre le président de la République François Hollande et le Premier ministre polonais, Donald Tusk, a permis de donner une impulsion décisive à laquelle nous avons immédiatement associé, dans le format «Weimar», l'Allemagne, avec laquelle nous travaillons en outre sur les propositions permettant de donner naissance à une Union énergétique, ou Communauté européenne de l'énergie. J'insiste sur ce premier point, que vous avez vous-même soulevé, car ce sujet doit être totalement lié et imbriqué aux exigences de lutte contre le réchauffement climatique. Il ne faut pas opposer la nécessité de répondre aux deux enjeux d'un même pas : nous devons, d'une part, lutter contre les émissions de gaz à effet de serre, diminuer l'empreinte carbone, la dépendance aux hydrocarbures, faire monter en puissance de nouvelles ressources et sources d'énergie et, d'autre part, assurer la cohésion européenne dans la politique énergétique.
Cette Union énergétique portera tout à la fois sur les infrastructures, en particulier sur la connexion entre les différents pays dans tous les domaines - électricité, gaz ; il y a donc des investissements très importants à réaliser - ; sur la solidarité, notamment dans les approvisionnements, par exemple grâce à un mécanisme d'achats groupés ou à la mobilisation des réserves en cas d'urgence ; sur la dimension externe, qui est liée, avec la diversification des approvisionnements et la capacité de négociation en commun ; sur l'exploitation des sources indigènes, en privilégiant pour notre part les énergies non polluantes et renouvelables. Il n'existe pas, certes, de règle interdisant à tel ou tel État membre d'utiliser des gaz de schiste ou de faire de la prospection pour en trouver, mais l'avenir, si l'on veut combiner l'indépendance énergétique et les enjeux du changement climatique, consiste plutôt à développer la géothermie, le solaire, la biomasse, l'éolien, les énergies marines et, par conséquent, à développer les technologies, les capacités industrielles, les alliances permettant à tous les pays d'utiliser ces ressources plutôt que de continuer à utiliser le charbon ou d'explorer des gaz de schiste.
Voilà la mobilisation qui est aujourd'hui la nôtre ; voilà l'un des enjeux de la discussion du paquet énergie-climat : d'un côté, c'est l'objet de notre discussion, s'engager dans un premier temps sur la feuille de route proposée par la Commission - une baisse de 40 % des émissions de gaz à effet de serre, 27 % d'énergies renouvelables - et, de l'autre côté, engager les grands choix d'investissements, d'infrastructures et d'industries qui nous permettront de bâtir l'Europe énergétique.
Q - (Sur le calendrier de la COP 21)
R - Monsieur le Député, vous soulevez la question très importante de la capacité de l'Union européenne à prendre des décisions dans un calendrier lui permettant de donner l'impulsion tant aux États membres qu'à la communauté internationale en vue de la COP 21. La Commission a présenté ses propositions le 22 janvier et le Conseil européen a débattu en mars de ces propositions, même s'il n'avait pas à prendre de décisions. Dans ses conclusions, il a toutefois fixé comme échéance de prendre une décision au plus tard au moment du Conseil européen d'octobre. C'est pourquoi vous avez raison de souligner qu'il est absolument indispensable que les États membres se prononcent dès maintenant sur le fond des propositions, d'où notre insistance pour que, dès le Conseil européen de juin qui sera consacré à d'autres sujets - la désignation du candidat à la présidence de la Commission européenne, ainsi que certaines autres grandes questions de l'actualité internationale -, se tienne déjà une discussion de fond, que nous préparons activement, dans nos contacts avec nos partenaires, afin que chacun se prononce sur le partage de l'effort et sur la façon dont on peut s'engager précisément sur les objectifs de 40 % de réduction et de 27 % d'énergies renouvelables.
C'est absolument indispensable si nous voulons mettre en route cette nouvelle dynamique au sein de l'Union et être prêts pour la COP 21. Notre objectif pour cette conférence est que la communauté internationale, contrairement à ce qui s'est passé lors de la conférence de Copenhague, puisse prendre des engagements et passer un accord sous la forme d'un traité, comme ce fut le cas au terme de la conférence de Kyoto. Ainsi nous pourrons enrayer la hausse des températures et le réchauffement climatique qui provoque les cataclysmes et l'ensemble des risques qu'ont rappelés les orateurs précédents.
Quant à la loi de transition énergétique, elle sera présentée en Conseil des ministres avant l'été, de telle sorte que le Parlement en sera très rapidement saisi.
Q - (Sur la transition énergétique)
R - Monsieur le Député, vous soulignez la particularité que pose la montée en puissance des énergies renouvelables : le problème de l'intermittence. Certaines de ces sources d'énergie, en particulier l'éolien et le solaire, peuvent ne pas être toujours disponibles. Cela impose de prévoir des énergies de substitution et des capacités de production pendant ces intermittences. Un certain nombre d'États membres ont tendance à utiliser dans ce cas le charbon, ce qui est effectivement préoccupant, et nous notons une diminution de l'équipement en centrales à gaz, qui sont moins polluantes et qui offrent le complément le plus adapté pour assurer la continuité de la fourniture d'électricité sans pour autant augmenter les émissions de gaz à effet de serre.
Nous pensons que ce problème doit être traité, mais il n'en demeure pas moins que le recours aux énergies renouvelables est absolument indispensable si nous voulons répondre aux enjeux climatiques et transformer notre politique énergétique, parce que la question de l'épuisement des ressources fossiles et d'une chute de productivité se posera à terme, et parce qu'il faudra régler le problème du réchauffement climatique.
Il vaut mieux nous donner aujourd'hui la capacité de développer les technologies, les filières industrielles et organiser le réseau électrique par ce mix énergétique s'appuyant sur les énergies renouvelables et les autres sources d'énergie que de renoncer à la montée en puissance des énergies renouvelables. Nous comptons donc bien qu'une fois que l'objectif aura été fixé au niveau communautaire, chacun des États membres s'engage lui-même sur la montée en puissance des énergies renouvelables. Le point de départ de cette discussion est la proposition de la Commission européenne qui invite les États membres à discuter du partage de l'effort. Si un objectif de 27 % est fixé pour toute l'Union, je pense que le point de départ de la discussion doit être que chaque État soit en mesure de fournir 27 % d'énergie renouvelable.
Q - (Sur les enjeux des dérèglements climatiques)
R - Monsieur le Député, l'Organisation des Nations unies a évalué à environ 200 millions le nombre de réfugiés climatiques en 2050 si rien ne change et si l'on continue à laisser la température augmenter, les inondations, les tempêtes et les désastres se développer. Évidemment, ces désastres ont des conséquences bien plus dramatiques dans les pays tels que le Soudan et les régions pauvres que vous avez citées que dans nos propres pays, même si nous avons nous-mêmes vécu l'expérience de ces drames. Des millions de personnes sont donc concernées, et cela devient une priorité majeure pour le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies. Si l'on laisse les choses suivre leur cours, il y aura davantage de réfugiés climatiques que de réfugiés politiques ou de personnes fuyant les guerres civiles ou les dictatures.
C'est donc un enjeu absolument majeur, et pour la première fois, cette question a été débattue lors du sommet UE-Afrique du 2 avril dernier. C'était la première fois que ce point figurait à l'ordre du jour des discussions avec nos amis africains, même si l'on sait que ces sommets sont toujours marqués par les priorités de la coopération, du développement, des enjeux de sécurité et de lutte contre le terrorisme. Il y a une prise de conscience partagée à l'échelle internationale de cet enjeu des réfugiés climatiques.
Cet enjeu est l'une des raisons pour lesquelles il nous faut un accord mondial et pour lesquelles on ne peut pas se contenter de constater que les choses sont compliquées et difficiles. On le voit dans la discussion : il faut que l'Europe elle-même soit totalement motivée, déterminée, et démontre que puisqu'elle a été pionnière, elle est capable de prendre les engagements qui permettent de maintenir le réchauffement à moins de deux degrés afin de pouvoir engager la discussion en position de force avec les grands pays émergents. La Chine, le Brésil et l'Inde ont eu tendance à se placer en retrait lors des dernières conférences en déclarant que leur priorité était le développement. Mais il ne pourra pas y avoir de développement si l'on ne répond pas à ces dangers du changement climatique.
Évidemment, il faut aussi que les États-Unis s'engagent. Le débat a évolué ces dernières années, en tout cas le président Obama a reconnu qu'il s'agissait d'une priorité, mais il faut également que le Congrès aille dans cette direction. Les États-Unis, qui sont le principal émetteur de gaz à effet de serre, doivent aussi prendre part à un accord.
Cela passera par le fait d'abonder le fonds vert. C'est un engagement qui a été pris pour financer la transition dans les pays les plus pauvres, et c'est aussi un des enjeux de la COP 21. Un engagement commun, international, des grands pays industrialisés comme des pays émergents sur la réduction des gaz à effet de serre et la transition énergétique, ainsi que l'abondement du fonds vert, voilà les deux grands sujets qui seront à l'ordre du jour de la COP 21.
Q - (Sur les objectifs de réductions des gaz à effet de serre)
R - Monsieur le Député, vous avez raison : il y a un modèle européen. Dans votre intervention précédente, vous avez souligné à quel point il était important de ne pas casser l'outil de régulation majeur qu'est l'Europe pour faire face à un défi comme celui-ci. Elle est tout aussi indispensable dans d'autres contextes mais il s'agit là d'une urgence absolue : nous devons pouvoir continuer de prendre ensemble des décisions afin que notre modèle de croissance, nos modes de transports et d'utilisations de l'énergie soient conformes à l'intérêt de la planète et donc à celui de nos concitoyens.
Pour cela, des objectifs de long terme ont été fixés. L'Europe s'est fixé l'objectif très ambitieux de réduire de plus de 80 % les émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2050. Mais, comme vous l'avez dit vous-même, il faut pour l'atteindre se fixer des objectifs intermédiaires et se donner les moyens de les tenir.
C'est pourquoi nous attachons une telle importance à ce que l'Union européenne se prononce le plus rapidement sur l'étape 2030 et dépensons une énergie diplomatique considérable en ce sens. Nous sommes sur la voie de réaliser les objectifs fixés pour 2020 ; c'est donc bien la preuve que c'était possible, contrairement à ce que pouvaient prétendre un certain nombre d'oiseaux de mauvais augure.
Oui, l'Europe est parvenue, malgré la crise, à poursuivre son développement et sa croissance, tout en diminuant ses émissions de gaz à effet de serre, en réalisant des économies d'énergie grâce à l'amélioration de l'efficacité énergétique, et en faisant monter en puissance les énergies renouvelables. Il faut donc désormais être en mesure de nous fixer des objectifs que nous pourrons tenir en 2030, et qui seront forcément contraignants.
En France, non seulement nous nous battons pour que les propositions de la Commission européenne soient adoptées, mais nous sommes prêts à aller plus loin. Il faut cependant que l'ensemble des partenaires consentent à partager l'effort et acceptent de se fixer ces objectifs : réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre et porter à 27 % la part des énergies renouvelables. Si nous faisons cela, nous atteindrons en 2050 les objectifs ambitieux que vous avez rappelés.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 juin 2014