Déclaration de Mme Paulette Guinchard-Kunstler, secrétaire d'Etat aux personnes âgées, sur l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et le regard de la société sur le vieillissement, Saint-Brieuc le 11 septembre 2001.

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Circonstance : Déplacement à Saint-Brieuc le 11 septembre 2001

Texte intégral


Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
En France comme dans presque tous les pays, développés et en développement, le nombre des personnes de plus de 60 ans augmente systématiquement, et l'espérance de vie sans incapacité progresse.
Le souhait de vivre plus longtemps et surtout de vivre en meilleure santé, en meilleure forme physique et mentale, ce souhait que les hommes poursuivent depuis toujours, se réalise aujourd'hui assez largement.
Pourtant, au lieu de s'en réjouir, trop de nos concitoyens appréhendent ce fait social de façon relativement négative.
Ainsi, certains prophétisent une fracture démographique, une " guerre des âges " entre une population de vieux toujours plus nombreuse mais dont la valeur sociale serait réduite et une fraction d'actifs toujours plus étroite qui auraient le sentiment de supporter sur leurs épaules une charge économique et sociale écrasante.
D'autre part, parce que le vieillissement s'accompagne parfois du développement de handicaps, parce que les personnes âgées perdent pour certaines d'entre elles leur autonomie, parce que le développement de la maladie d'Alzheimer fait naître de nombreuses craintes, la situation de ceux qui aident, accompagnent leurs parents ou leurs proches paraît difficile et nourrit beaucoup d'angoisse.
Pour lever ces réserves, pour combattre certains préjugés, le gouvernement met en oeuvre une véritable politique du vieillissement.
Notre objectif est clair : offrir au plus grand nombre les moyens de bien vieillir, c'est à dire de pouvoir vivre pleinement sa vie selon son rythme propre.
1) C'est dans cette perspective que le Gouvernement a fait de la loi sur l'Allocation personnalisée d'autonomie (APA) et des mesures importantes qui l'accompagnent une priorité pour redonner espoir aux personnes âgées dépendantes et à leur famille.
L'enjeu de l'allocation personnalisée d'autonomie, c'est d'abord les centaines de milliers de personnes âgées qui, en raison de leurs handicaps, sollicitent l'aide d'autrui pour effectuer les gestes les plus essentiels de la vie.
Mais c'est aussi leur conjoint, leurs proches, leur famille, qui se sentent souvent tellement coupables de ne pas savoir ou de ne pas pouvoir répondre convenablement aux besoins manifestés.
Il s'agit aussi de tous les professionnels, à domicile ou en établissement qui regrettent de ne pas avoir les moyens d'être à la hauteur des situations auxquelles ils sont confrontés, parce qu'ils ne sont pas assez nombreux ou parce qu'ils manquent de formation et de qualification.
Pour tous, le moment que nous sommes en train de vivre est très important car autour de cette situation, nous le savons tous, une très grande souffrance s'est développée. La mise en place coordonnée de l'allocation personnalisée à l'autonomie, de la réforme de la tarification et du plan pluriannuel de financement des soins, par l'assurance maladie, constitue un engagement sans précédent pour relever les défis de prise en charge des personnes âgées en perte d'autonomie.
Je ne développerais pas l'ensemble du dispositif prévu par la loi du 20 juillet créant l'APA, mais souhaite cependant insister sur quelques avancées très concrètes par rapport à la P.S.D
- Premièrement, l'extension au GIR IV, ce qui correspond, dans les Cotes d'Armor, à une estimation de 3 117 bénéficiaires potentiels supplémentaires
- Deuxièmement, la suppression du recours sur succession ou donation. Je comprends qu'il y ait pu y avoir débat sur ce point, mais la sagesse en l'occurrence consistait à assurer à la nouvelle prestation les conditions d'une mise en oeuvre effective. La sagesse consistait à partir de l'attitude des personnes âgées par rapport aux générations plus jeunes, de leur volonté de transmettre leur histoire, leur expérience, mais aussi leur patrimoine.
On continuera par ailleurs d'intégrer dans le calcul des ressources une estimation forfaitaire des revenus de capitaux non exploités, mais dans laquelle ne figurera pas la résidence principale lorsqu'elle est habitée par le bénéficiaire, son conjoint, ses enfants ou petits enfants
- Troisièmement, l'ouverture du plan d'aide, qui ne sera plus exclusivement ou quasi exclusivement réservé aux interventions à domicile. C'est un enjeu important pour des problématiques que vous connaissez dans ce département, telles que l'accueil temporaire ; l'aide aux trajets ou à la mobilité des personnes âgées, notamment en milieu rural ; les aides techniques à l'autonomie ou l'adaptation de l'habitat
- Enfin, la réforme tarifaire des établissements accueillant des personnes âgées dépendantes. Tous seront dotés d'un budget soins, ce qui correspond à un progrès essentiel par rapport au régime actuel des sections de cure médicale ; tous devront signer une convention stipulant les modalités et les étapes d'une amélioration de la qualité de la prise en charge et de la vie en établissement. De ces engagements accrus de l'assurance de l'assurance maladie - plus 6 milliards sur 5 ans - il résultera dans la majeure partie des cas une diminution des prix de journée hébergement ou une amélioration a due concurrence des conditions accueil.
Encore faut-il accélérer dès maintenant la rythme de montée en charge de cette réforme : les établissements ont intérêt a se positionner au plus tôt s'ils ont des projets d'amélioration substantiels ; les services des départements n'ont pas à attendre l'entrée en vigueur de l'APA au 1er janvier 2002. Puisqu'ils auront de toute façon à fixer l'APA en établissement, convention tripartite ou pas, les départements ont intérêt à investir dès maintenant sur la démarche conventionnelle plutôt que d'avoir à mener en 2002 un double travail de fixation des allocations et de négociation du conventionnement.
Sur un plan plus large, plus politique, je voudrais aussi dire ici que la loi su 20 juillet 2001 réalise une synthèse originale entre la reconnaissance d'un risque social et la gestion décentralisée. Si l'impératif de restauration de la dignité de la personne âgée exige de reconnaître un nouveau droit social fondé sur l'universalité, l'égalité et la solidarité, la nécessité d'une aide personnalisée impose le pragmatisme et la proximité.
C'est pourquoi, le Gouvernement a souhaité confirmer la compétence des départements dans la mise en uvre de l'APA, en y associant les caisses de retraite. L'objectif est de généraliser les partenariats qui existent déjà dans nombre de départements et de mobiliser les moyens existants et les différents savoir-faire. Il est par ailleurs sain, dans la perspective d'une réelle solvabilisation de confier à la même autorité la responsabilité des aides versées aux personnes et celle de la tarification des établissements.
Je sais que, dans les Cotes d'Armor, les responsables du département, au premier rang desquels Monsieur le Président Claudy LEBRETON, ont à coeur de relever le double défi de l'APA. Double défi, puisqu'il s'agit de mettre en oeuvre une politique de soutien des personnes âgées qui soit personnalisée sans être inégalitaire, et puisqu'il s'agit aussi d'illustrer concrètement la pertinence du niveau départemental comme niveau de décentralisation des politiques sociales, sa capacité à entraîner ou à accompagner des dynamiques de terrain.
Dans les cotes d'Armor, je sais aussi que l'on saura mettre l'accent sur les interactions entre APA et développement local.
En effet, la conjonction de la solidarité nationale et départementale renforcera le développement local, notamment en milieu rural ou semi-rural. L'expansion des services, la modernisation des établissements, les créations d'emplois directs ou indirects, le maintien des vieux dans leurs lieux de vie, leur pays ou leur quartier, contribuent aux objectifs du Gouvernement en matière d'aménagement du territoire et de développement humain durable.
Directement, on peut escompter au moins 40.000 emplois supplémentaires dans les 3 ans, à domicile et en établissements. Mais aussi et surtout, la forte relance du maintien à domicile que permettra l'APA est un atout pour lutter contre la dévitalisation des zones rurales, le départ des petits commerces et des petits artisans, le retrait des services publics. Les outils de la coordination gérontologique doivent s'inscrire sur les territoires, dans une perspective prenant en compte l'aménagement du territoire ; les responsables du développement local doivent intégrer que le maintien à domicile des personnes âgées, comme du reste plus largement les politiques territorialisées d'action sociale ou de santé, peuvent contribuer fortement à la cohésion sociale, au maintien des activités et à l'essor de l'emploi dans les "pays".
Notre volonté de développer une coordination gérontologique proche du terrain et d'abord attentive aux besoins des personnes trouvera une traduction pratique par la mise en place de Centres Locaux d'Information et de Coordination gérontologique (CLIC). Après une phase d'expérimentation conduite à partir de 25 sites pilotes désignés en 2000, l'année 2001 inaugure la phase opérationnelle de développement des CLIC, avec la création de 140 nouveaux centres. Pour atteindre la mise en place de 1000 centres de ce type sur 5 ans.
Je me réjouis tout particulièrement que puisse être signée ici tout l'heure une convention cadre sur les CLIC en Cote d'Armor, qui fait écho aux préoccupations du législateur lorsqu'il mentionne dans la loi la définition des "territoires de coordination de l'action gérontologique de proximité", "des modalités d'information du public et de coordination des prestations s'appuyant notamment sur des centres locaux d'information et de coordination". C'est ce type de bonnes pratiques qu'il faudra pouvoir valoriser au plan national.
La loi APA instaure également un fonds de modernisation de l'aide à domicile destiné à soutenir les actions de formation, le développement de la qualité des services et le renforcement de la professionnalisation de l'aide à domicile.
La création du fonds de modernisation de l'aide à domicile répond clairement au souci de soutenir des actions de formation, des projets innovants, et toute mesure susceptible de favoriser la professionnalisation des services d'aide à domicile. C'est un aspect très important de la loi et très attendu par les professionnels de ce secteur car avec cet outil budgétaire, l'Etat se donne véritablement les moyens de promouvoir une politique structurelle dans l'aide à domicile.
Je souhaite par exemple que ce fonds puisse appuyer, avec les départements qui le voudront, l'expérimentation de conventions globales entre prestataires de services, départements, principaux acteurs ou financeurs de l'aide à domicile. Ces conventions auront pour objet d'améliorer la qualité et de diversifier les services rendus aux personnes âgées, de mieux coordonner et structurer l'offre de services, de donner aux prestataires plus de sécurité de gestion, de les inciter ou les aider à une meilleure gestion des ressources humaines. Nous avons de lourds retards à rattraper en matière de professionalisation.
Je tiens à évoquer cette question devant vous pour souligner la difficulté des missions qui sont confiées aux professionnels de l'aide à domicile et la nécessité de les aider pour qu'à leur tour, ils puissent soutenir ceux qui ont besoin d'eux. Depuis des années, j'entends ces femmes et ces hommes qui accompagnent les personnes âgées en perte d'autonomie ; je suis intimement persuadée que c'est un des métiers les plus difficiles, parce qu'il nous confronte à la fin de la vie, à la vieillesse, au deuil quelque fois.
La mise en place coordonnée de l'allocation personnalisée à l'autonomie, de la réforme de la tarification et du plan pluriannuel de financement des soins par l'assurance maladie constitue un effort sans précédent pour affronter les défis de la prise en charge des personnes âgées en perte d' autonomie. Tous ces moyens supplémentaires se traduiront non seulement par la création de près de 20 000 emplois (soit une augmentation de plus de 10 % des effectifs) mais aussi par des actions de formation et de qualification des personnels soignants, au titre de la médicalisation et de la démarche qualité.
Quelques mots, pour terminer cette première partie sur la présentation de l'APA, sur l'accompagnement de cette réforme ambitieuse en matière de politique de formation.
J'ai sur ce champ là trois objectifs importants, qui conditionnent une mise en oeuvre rapide et efficace des orientations novatrices du Gouvernement :
- Premier objectif, la professionnalisation des formations de l'aide à domicile, et la recherche d'un plus large décloisonnement entre aide à domicile et établissement. Quel que soit le champ d'exercice, domicile ou établissement, on reste dans le registre des métiers de l'accompagnement. Une mobilité accrue entre ces deux types d'exercice permettra de lutter contre l'usure professionnelle, d'élargir les débouchés, et d'améliorer en définitive la qualité de l'accompagnement.
- Deuxième objectif, le développement de la validation des acquis, là aussi dans les divers champs d'exercice. Je souhaite que les professionnels comprennent bien qu'une démarche de large ouverture en matière de validation des expériences sociales ou professionnelles va de pair avec l'impératif de professionnalisation. La professionnalisation n'est pas l'accumulation d'exigences scolaires techniques ou académiques, mais l'organisation d'une bonne articulation entre une pratique, des aptitudes et des savoirs.
- Troisième objectif, dans les deux champs là aussi, faciliter les recrutements, et développer la formation des personnels en place non diplômés. Il ne faudrait pas en effet que les réformes en cours se heurtent à des blocages en termes de qualification ou de recrutements. Je rends visite aujourd'hui et demain à des centres de formation très ancrés sur le terrain, et qui ont su mettre en oeuvre des initiatives intéressantes allant dans le sens de ces objectifs.
Avant la fin de l'année, vous verrez la concrétisation de ces objectifs dans la réforme du CAFAD, la définition des interventions du Fonds de modernisation de l'aide à domicile en appui à des démarches contractuelles de type engagement de développement de la formation, dans des initiatives de communication sur les métiers ou de déblocage de pratiques administratives freinant la qualification des faisant fonction non diplômés. La formation est un outil essentiel pour la reconnaissance du travail des professionnelles comme pour la qualité de la prise en charge des personnes.
2) Au delà de l'APA, au delà de ces mesures prioritaires qui relevaient de l'urgence, nous voulons réconcilier les Français avec l'idée même du vieillissement et pour cela, il nous faut changer le regard de la société sur le vieillissement.
Il faut en finir avec l'idée que vieillir, c'est déchoir. Tous les âges de la vie ont leur mérite, leur attrait, leur valeur propre. La vieillesse doit être un âge heureux si nous cessons de la déprécier. Pour ce faire, j'entends déployer mes efforts autour de plusieurs axes :
améliorer la participation citoyenne des personnes âgées dans la société civile et de façon générale éviter toutes les formes de ségrégation par l'âge : c'est par exemple le sens de notre action pour faire que le passage à l'euro soit vécu de façon apaisée par le plus grand nombre de personnes âgées. Je veux d'ailleurs saluer ici le travail qui est fait par des milliers de retraités bénévoles dans la France entière pour préparer les personnes âgées au passage à l'euro, pour qu'elles soient à l'heure au rendez-vous du 1er janvier 2002. Et je vérifie dans chaque département que les retraités et les personnes âgées sont très mobilisés sur cette question.
favoriser les liens entre les générations en valorisant la richesse personnelle que constituent l'histoire et les souvenirs de chaque personne âgée et notamment par une meilleure écoute, une meilleure attention, un plus grand souci d'autrui. Je voudrais d'ailleurs souligner ici l'importance des grands-parents dans la structuration des liens familiaux et dans l'affirmation de l'autorité parentale.
augmenter notre connaissance du vieillissement Nous le savons bien : la crainte se nourrit de l'ignorance. C'est vrai aussi des craintes que suscite le vieillissement. Pour éclairer une politique audacieuse autour du vieillissement et de tous ses enjeux , il faut un instrument capable d'augmenter nos connaissances et de mieux les diffuser. C'est tout l'intérêt du projet de l' Institut du vieillissement, lieu de développement des savoirs autour du processus du vieillissement et de promotion de la recherche, outil de débat favorisant une approche pluridisciplinaire du vieillissement, espace de proposition et de discussion autour des politiques publiques. Le gouvernement est déterminé à le créer dans une perspective de forte articulation avec les professionnels et les décideurs, les initiatives locales ou régionales d'observation sociale.
Promouvoir le mouvement de disponibilité aux autres qui se dessine parmi les personnes âgées. Puisque le vieillissement offre des possibilités de longévité plus grande, de plus en plus de retraités, encore très actifs intellectuellement et physiquement ressentent le besoin d'aider ceux qui en ont besoin, notamment par l'intermédiaire d'associations de bénévoles. Cette tendance sociale importante est appelée à se développer ; il faut l'encourager en soutenant les initiatives originales, innovantes et notamment celles que de nombreuses associations mènent à travers toute la France.
Il faut aussi encourager et soutenir la solidarité des actifs à l'égard des personnes âgées. Là encore, loin des clichés qu'induisent les expressions de " conflit de générations " ou de " guerre des âges ", les solidarités dont font preuve de nombreuses familles à l'égard de leurs parents en perte d'autonomie semblent très encourageantes. Nous ne devons pas pour autant méconnaître les situations de maltraitances que subissent certaines personnes âgées dans notre pays. C'est pour cela que j'ai installé très récemment un groupe d'experts chargé de réfléchir à des mesures efficaces pour trouver des solutions à ces situations toujours complexes et toujours dramatiques. Il faut notamment renforcer ce que l'on appelle l'aide aux aidants, car c'est souvent parce que la famille, les proches, les amis n'arrivent plus à faire face que les situations peuvent se détériorer très vite.
Conclusion
La médecine, la protection sociale, les progrès de toutes sortes nous offrent aujourd'hui la chance de vivre plus longtemps.
Nous nous dirigeons vers une société qui connaîtra une augmentation constante du nombre des personnes âgées.
Face à ce défi, le gouvernement a choisi de faire progresser la société tout entière pour qu'elle soit plus généreuse, plus solidaire, plus fraternelle. Et surtout qu'elle considère que la richesse en souvenir et en expérience accumulée que représentent les personnes âgées est un atout pour l'avenir.
Une société qui ne se rend pas compte que la vie doit être aidée et respectée jusqu'au bout est une société qui ne se respecte pas.
L'une des grandes fiertés de ce gouvernement ( et je l'avoue, une de mes grandes fiertés aux côtés d'Elisabeth Guigou et de Lionel Jospin) aura été, à travers le vote et la mise en oeuvre de l'APA, de redonner espoir et dignité à ceux qui savent que vieillir est tout simplement le destin de chacun d'entre nous.
A nous désormais d'en faire une chance.

(Source http://www.social.gouv.fr, le 30 octobre 2001)