Texte intégral
Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, mesdames, messieurs les députés, je suis ici devant vous pour vous présenter le projet de loi habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d'habitation et de la voirie pour les personnes handicapées. Les termes sont techniques, alors qu'il s'agit en réalité de savoir dans quelle société nous voulons vivre.
Depuis la loi de 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, il a été admis que c'est l'environnement qui crée le handicap et qu'il est donc nécessaire d'adapter cet environnement à toutes les formes de handicap pour aboutir à l'accessibilité universelle.
Avant de dresser l'état des lieux actuel de l'accessibilité en France, je voudrais faire un bref rappel historique, qui peut permettre de mieux identifier les raisons ayant abouti à la situation actuelle.
Comment les pouvoirs publics et la société française se sont-ils comportés vis-à-vis des situations de handicap au cours de l'histoire ?
Il a fallu attendre la fin du XVIIe siècle et surtout le XVIIIe siècle pour voir apparaître une prise de conscience avec, d'une part, la reconnaissance des mutilés de guerre par Louis XIV, et, d'autre part, au XVIIIe siècle, les premières méthodes éducatives pour les enfants considérés à l'époque comme infirmes.
Lors de la Révolution française, il a été écrit que l'assistance est, non pas une charité, mais une obligation nationale. Malheureusement, cette affirmation n'a pas été suivie d'effet.
C'est à la fin du XIXe siècle, sous la Troisième République, que l'écart par rapport à la norme est défini, sans que soit encore prononcé le mot de handicap.
La loi de 1905 celle qui concerne le sujet d'aujourd'hui affirme que l'assistance aux vieillards, aux infirmes et aux incurables est le devoir de l'État.
Entre les deux guerres, sous l'impulsion d'associations, apparaît la notion de compensation du désavantage, pouvant permettre une intégration sociale des personnes ayant un handicap.
À partir de 1945, la sécurité sociale établit le principe de réadaptation et de rééducation professionnelle. Surtout, le secteur associatif se développe très fortement.
Avec la loi de 1975, les devoirs de la société envers les personnes handicapées sont reconnus ; il s'agit de maintenir celles-ci dans un cadre ordinaire de travail et de vie et de permettre leur accès aux institutions ouvertes à l'ensemble de la population.
En 1991, une nouvelle loi comporte des mesures pour favoriser la vie sociale des personnes handicapées, dont l'accessibilité des locaux d'habitation, des lieux de travail et des installations recevant du public.
Enfin, la loi du 3 février 2005 crée le droit à une compensation des conséquences du handicap, impose que les établissements publics et privés recevant du public soient accessibles à tous avant le 1er janvier 2015 et que les transports collectifs le soient eux aussi avant le 13 février 2015.
Si je prends le temps de vous rappeler ces éléments historiques, c'est parce que nous devons tous avoir conscience que le progrès social auquel chaque citoyen a droit a toujours été beaucoup plus tardif pour les personnes handicapées que pour le reste de la population.
L'exemple du droit de vote est flagrant. À l'école, il y a de cela une trentaine d'années, on apprenait que le suffrage universel, en France, datait de 1848. En réalité, les femmes ont dû attendre 1945 pour voter. Les personnes ayant un handicap mental et placées sous tutelle, quant à elles, ont dû attendre 2009. Comme vous pouvez le constater, l'accessibilité universelle, c'est vaste et c'est long ; c'est même trop long.
Où en est-on aujourd'hui de l'application de la loi de 2005, à quelques mois de l'échéance du 1er janvier 2015 ?
Les rapports se sont succédé, pour aboutir tous au même constat : la généralisation de l'accessibilité du cadre bâti, des transports et de la voirie ne pourra pas être effective en 2015.
En octobre 2012, la sénatrice Claire-Lise Campion a été chargée par le Premier ministre d'évaluer l'accessibilité en France et de rechercher les solutions concrètes permettant à notre pays de mettre en uvre les objectifs de la loi de 2005.
Je souhaite vous livrer quelques données extraites du rapport de votre collègue parlementaire, intitulé Réussir 2015.
En France, 86 % des communes ont installé leur commission communale d'accessibilité, mais seulement 13 % d'entre elles ont adopté leur plan de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics. Il existe près de 300 000 établissements communaux recevant du public ; un diagnostic d'accessibilité a été réalisé pour 56 % d'entre eux. Le nombre total d'établissements recevant du public ERP , qu'ils soient publics ou privés, est estimé entre 1 million et 2 millions. Parmi ces établissements, 330 000 ont déjà fait l'objet de travaux d'ensemble ou partiels.
Dans les transports publics urbains, entre 65 % et 90 % des autobus sont équipés, selon le type de handicap. Les données ne sont pas disponibles pour les transports interurbains. Dans les transports publics ferroviaires, sur les 3 000 gares existantes, seules 172 sont dites de référence et sont sous l'entière responsabilité de la SNCF. Parmi elles, 50 sont entièrement accessibles et 122 le seront en 2015.
Ces quelques éléments révèlent deux choses. D'une part, les données sont très parcellaires et incomplètes. Nous ne disposons, en France, d'aucun système exhaustif permettant de connaître l'état exact de l'accessibilité. D'autre part, étant donné le retard accumulé, il est totalement utopique d'imaginer que tous les établissements recevant du public, tous les systèmes de transport public et toutes les voiries seront en conformité avec la loi de 2005 d'ici à quelques mois.
Ce retard, je le sais, suscite de l'impatience. Cette impatience est bien légitime et le Gouvernement la comprend. Oui, c'est vrai, il y a urgence pour toutes les personnes pour lesquelles la vie quotidienne peut devenir un vrai parcours du combattant du fait d'aménagements insuffisants.
Face à ce constat, le Comité interministériel du handicap du 25 septembre 2013 a décidé d'engager des travaux de concertation, afin de faire évoluer le cadre juridique de manière consensuelle, l'objectif étant d'être pragmatique. Marie-Arlette Carlotti, qui m'a précédée dans cette fonction, y a mis toute son énergie et toute sa détermination, avec la sénatrice Claire-Lise Campion, laquelle a présidé les réunions de concertation.
Les premières ont porté sur la mise en uvre des agendas d'accessibilité programmée, plus communément appelés Ad'AP, qui permettront aux acteurs publics et privés de s'engager sur un calendrier précis et chiffré de travaux d'accessibilité, rendant ainsi concrète et réelle l'accessibilité pour tous établie par la loi de 2005. C'est l'objet principal du projet de loi d'habilitation qui vous est soumis.
En parallèle, d'autres réunions de concertation ont eu lieu sur les normes d'accessibilité du cadre bâti, de la voirie et des transports publics. L'objectif était d'adapter ces normes à l'évolution des techniques, de les simplifier pour les rendre plus efficaces en tenant compte des contraintes et de les compléter pour mieux prendre en compte l'ensemble des formes de handicap. En effet, l'accessibilité concerne non seulement le handicap moteur, mais aussi le handicap mental, visuel, auditif et psychique.
Au total, 140 heures de concertation ont eu lieu avec l'ensemble des parties prenantes : les associations de personnes handicapées, les associations d'élus, les collectivités locales, les fédérations professionnelles des secteurs économiques concernés, ainsi que les professionnels de l'accessibilité.
L'objet du projet de loi est de permettre, par voie d'ordonnances, la mise en uvre des décisions prises par le Gouvernement à partir des préconisations issues de la concertation, du moins pour celles qui nécessitent des mesures de niveau législatif.
L'article 1er du projet de loi rassemble les mesures qui doivent être prises pour donner la possibilité de prolonger au-delà de 2015 le délai permettant d'effectuer les travaux de mise en accessibilité des établissements recevant du public et des installations ouvertes au public. Il s'agit de mettre en place un nouvel outil, l'agenda d'accessibilité programmée, et d'un dispositif de suivi et de sanctions, puisque la loi de 2005 n'avait pas prévu la situation dans laquelle nous nous retrouvons aujourd'hui.
L'agenda d'accessibilité programmée, document de programmation financière des travaux d'accessibilité, permettra à ceux qui ne sont pas en conformité avec la loi de 2005 de s'engager sur un calendrier précis. Il s'agit, pour le Gouvernement, de créer une dynamique en faveur de l'accessibilité et de garantir son prolongement au-delà du 1er janvier 2015.
L'ordonnance définira le contenu de l'agenda d'accessibilité programmée, les procédures applicables à son dépôt et à sa validation par l'autorité administrative et les modalités de suspension ou de prolongation éventuelles.
À mon sens, la condition nécessaire à la réussite de ce dispositif est sa simplicité : le document à remplir doit être court ; le libellé des questions doit être simple. En fait, le dossier ne doit pas être un problème pour les personnes qui auront à le remplir. Je le précise, car il ne faut pas perdre de vue l'objectif : l'accessibilité effective.
Sera également mis en place par l'ordonnance un suivi de l'avancement des travaux prévus, avec la transmission de bilans. Ce suivi pourra conduire à des sanctions en cas de non-respect des engagements pris par le signataire de l'agenda. Ce dispositif de contrôle constituera la contrepartie de la souplesse nouvelle donnée au calendrier. Il ne faut pas oublier qu'une des raisons de la non-application de la loi de 2005 est l'absence de dispositif de contrôle pendant dix ans. Je vous proposerai tout à l'heure un amendement dans ce sens, pour systématiser l'évaluation à mi-parcours des agendas de plus de trois ans.
L'article 2 tend à habiliter le Gouvernement à modifier les exigences d'accessibilité pour les services de transport public de voyageurs et les gares, et à créer un agenda pour les transports, le schéma directeur d'accessibilité « Agenda d'accessibilité programmée ».
L'article 3 tend à habiliter le Gouvernement à prendre par voie d'ordonnances les dispositions relatives à l'outre-mer ainsi que diverses mesures relevant du domaine de la loi. Ainsi, il prévoit d'exempter les communes de moins de 500 habitants de l'obligation d'élaborer le plan de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics. Le seuil de 500 habitants a été inséré par un amendement de vos collègues du Sénat.
Pour les communes dépassant ce seuil, mais comptant moins de 1 000 habitants, l'article 3 prévoit une simplification du plan de mise en accessibilité.
Par ailleurs, l'article 3 tend à autoriser plus largement les chiens guides d'aveugle et les chiens d'assistance des personnes handicapées dans les transports et les lieux publics. Je vous proposerai tout à l'heure un amendement qui permet d'exprimer plus clairement encore l'intention du Gouvernement sur ce sujet.
Enfin, cet article sollicite votre habilitation pour créer un fonds consacré à l'accompagnement de l'accessibilité universelle. Les ressources de ce fonds proviendront des sanctions financières prononcées du fait du non-respect des agendas d'accessibilité programmée et des schémas directeurs d'accessibilité. Ce fonds sera rattaché à la Caisse nationale pour la solidarité et l'autonomie.
Le choix de recourir à une ordonnance a pu surprendre, tant le sujet nous concerne tous, et en premier lieu la représentation nationale.
M. Marc Le Fur. Tout le monde est choqué.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Je connais les réticences de certains d'entre vous à ce propos et je les comprends. Je voudrais vous dire à ce sujet deux choses : tout d'abord, il ne s'agit pas de changer la loi, puisque nous gardons celle de 2005. Il s'agit seulement de se donner les moyens de l'appliquer plus efficacement. Ensuite, il faut reconnaître qu'il y a urgence à agir pour mettre en place les agendas d'accessibilité programmée, si nous voulons obtenir dès 2015 de réelles avancées concrètes dans l'accessibilité pour tous.
Au-delà de ce projet de loi d'habilitation, je suis venue vous parler aujourd'hui de l'ensemble de la réforme de l'accessibilité. J'entends çà et là des inquiétudes bien légitimes. On me dit : « Les collectivités locales ont de moins en moins d'argent ; les entreprises sont dans la difficulté à cause de la crise, elles ne pourront jamais investir dans des travaux d'accessibilité, ou alors elles déposeront le bilan » Cette réalité est prévue dans la loi, elle l'était déjà en partie dans la loi de 2005 : les acteurs publics comme privés pourront demander une dérogation ou un allongement de l'agenda, si les travaux de mise en accessibilité mettent en danger leur équilibre économique.
De plus, je signerai le 26 juin, avec le ministre des finances et des comptes publics Michel Sapin, une convention avec la Caisse des dépôts et consignations et BPI France, afin de faciliter dès 2014 l'accompagnement financier des collectivités locales et des entreprises dans leurs travaux d'accessibilité.
J'engagerai également d'ici à l'été une vaste campagne de communication, pour expliquer le nouveau dispositif et sensibiliser à l'accessibilité universelle. J'irai moi-même sur le terrain pour expliquer la réforme, et je serai aidée par 1 000 jeunes en service civique.
Par ailleurs, la réforme comporte un réajustement, voire une simplification des normes, qui va permettre à des milliers d'établissements de réaliser des travaux alors que, jusqu'à présent, ils les avaient jugés irréalisables. Ce réajustement, fruit de la discussion entre l'ensemble des acteurs concernés, traduit un équilibre entre les attentes et les contraintes des uns et des autres. L'ensemble des propositions issues de la concertation présidée par Claire-Lise Campion ont été retenues par le Gouvernement.
Ainsi, la réglementation sera simplifiée pour la rendre plus efficace. Par exemple, les solutions techniques alternatives aux normes réglementaires seront autorisées dès lors que la démonstration sera faite que les solutions équivalentes proposées offrent le même niveau de service. Cette accessibilité pragmatique permettra aux collectivités locales, comme aux acteurs privés, de définir plus facilement leur stratégie d'accessibilité.
Autre exemple : dans les commerces, en dernier ressort, l'installation d'une rampe amovible sera autorisée. Hôtels et restaurants verront aussi leurs normes plus adaptées à leur activité.
En parallèle, l'ensemble des formes de handicap seront mieux prises en compte. La formation des personnels chargés de l'accueil et de la sécurité à l'accueil de clients et usagers handicapés, quel que soit le type de handicap, sera généralisée : je vous proposerai tout à l'heure un amendement à ce sujet. Un registre d'accessibilité devra être tenu par tous les établissements recevant du public pour préciser les modalités d'accès aux prestations des personnes handicapées, tous handicaps confondus. Dans un souci d'efficacité et de simplicité, ce registre sera fusionné avec celui existant déjà sur la sécurité.
D'autres mesures de simplification et d'amélioration des normes sont prévues. Elles seront très rapidement traduites par des textes réglementaires pour être mises en uvre dès cette année, en même temps que les agendas d'accessibilité programmée.
Pour conclure, je veux revenir à mes propos introductifs : les progrès d'une société se mesurent, entre autres, à sa capacité à se rendre accessible à tous sans distinction. Notre mission collective consiste donc à supprimer ou à réduire autant que possible les situations de handicap que peuvent rencontrer quotidiennement plusieurs millions de nos concitoyens. C'est l'autonomie, la participation et la citoyenneté qui sont en jeu. C'est l'accès à l'école, à la formation, à l'emploi, aux soins, à la consommation, aux services publics, à la culture, au logement, à la vie démocratique, qui en dépend. La question qui se pose aujourd'hui, c'est bien celle-ci : dans quelle société voulons-nous vivre ?
Si ce que nous souhaitons est une société plus juste et plus solidaire, alors nous devons agir, pour permettre enfin l'application généralisée de la loi de 2005. Regarder vers le passé est utile pour comprendre les difficultés actuelles et éviter de reproduire les mêmes erreurs. Mais il ne sert à rien de passer du temps à regretter ce qui n'a pas été fait ou à énumérer ce qui aurait pu être fait.
Mesdames, messieurs les députés, ce que je vous propose aujourd'hui, c'est de regarder vers l'avenir : considérer l'accessibilité non plus comme une charge supplémentaire, mais bel et bien comme un investissement d'avenir. En France, on estime à douze millions le nombre de personnes dont on peut améliorer le quotidien par l'accessibilité universelle. Dans le monde, des centaines de millions de personnes voyagent et choisissent leur destination en fonction de l'accessibilité des lieux publics et touristiques, des hôtels, des restaurants et des commerces. Il est temps que la France, pour développer son attractivité, ajoute à ses nombreux atouts l'accessibilité pour tous.
Pour aboutir à ce résultat, il nous faut enclencher une véritable réforme de société ; c'est l'objectif que nous poursuivons aujourd'hui. L'accessibilité, c'est aussi, avant tout, une question d'égalité de tous les citoyens, c'est donc une exigence républicaine. Le Gouvernement y est attaché et je sais que vous l'êtes aussi sur l'ensemble de ces bancs. C'est pourquoi, mesdames, messieurs les députés, ce soir, je compte sur vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
source http://www.assemblee-nationale.fr, le 12 juin 2014