Interview de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, avec BFM le 20 juin 2014, sur la présence de soldats algériens le 14 juillet sur les Champs-Elysées, la situation en Irak et en Syrie, les djihadistes européens, la construction européenne, les partis politiques et sur le tourisme en France.

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Texte intégral

JEAN-JACQUES BOURDIN
Laurent FABIUS est notre invité ce matin, bonjour.
LAURENT FABIUS
Bonjour.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci d'être avec nous, ministre des Affaires étrangères. Nous allons parler évidemment de l'Irak, sujet majeur, nous allons parler de tourisme puisque vous avez aussi en charge le tourisme…
LAURENT FABIUS
Oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous voulez relancer, amplifier la force, l'industrie touristique française. Mais Laurent FABIUS, juste un petit détour par cette polémique qui s'est installée sur la présence de soldats algériens le 14 juillet sur les Champs-Elysées. Y aura-t-il 3 soldats algériens sur les Champs Elysées le 14 juillet ?
LAURENT FABIUS
Dans mon information oui, mais d'ailleurs je ne vois pas du tout ce que ça aurait de choquant puisque c'est pour la commémoration de tous les sacrifices qui ont été faits. Et évidemment qu'il y avait des Algériens parmi ceux qui…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais à l'époque la France, c'était pour commémorer 14-18…
LAURENT FABIUS
Bien sûr.
JEAN-JACQUES BOURDIN
A l'époque, l'Algérie c'était la France.
LAURENT FABIUS
Oui, bien sûr, bien sûr mais si vous voulez là, c'est un grand rassemblement, je crois qu'il y a 80 pays…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, 80 pays oui.
LAURENT FABIUS
Et donc c'est normal que tous ceux qui ont souffert puissent être présents.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Avec leur drapeau ?
LAURENT FABIUS
Oui, sûrement. D'ailleurs nous avons de très bonnes relations avec l'Algérie, je m'y suis rendu récemment et vraiment… en particulier, je veux souligner que – c'est peut-être un lien avec ce dont on va parler – dans la lutte contre le terrorisme, les Algériens qui en ont beaucoup souffert sont extrêmement présents, extrêmement efficaces et très attentifs à la sécurité.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Laurent FABIUS l'Irak, parlons-en…
LAURENT FABIUS
Extrême gravité, extrême gravité.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Extrême gravité. Alors je vous pose une première question, est-ce que l'éclatement de l'Irak est inéluctable ?
LAURENT FABIUS
Non mais ce serait un danger considérable. Peut-être, il faut… vous allez mettre la carte de l'Irak en fond…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, vous la connaissez, je la connais.
LAURENT FABIUS
D'accord. Mais la gravité c'est quoi…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le Kurdistan au Nord, région autonome, la grande partie nord de l'Irak contrôlée par les sunnites, donc les jihadistes alliés aux sunnites et le Sud les chiites.
LAURENT FABIUS
Oui mais commençons par…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et le Premier ministre chiite, monsieur MALIKI.
LAURENT FABIUS
Voilà, commençons par le commencement. Pourquoi c'est d'une gravité extrême ? Parce que c'est la première fois, la première fois qu'un groupe terroriste qui a une cruauté épouvantable, plus cruel encore qu'Al-Qaïda, ce groupe qui s'appelle l'Eiil, c'est la première fois qu'un groupe terroriste menace de prendre le contrôle sur un Etat, sur l'intégralité d'un Etat, un grand Etat, l'Irak c'est un grand pays et un Etat très riche.
JEAN-JACQUES BOURDIN
En pétrole notamment.
LAURENT FABIUS
Ça n'est jamais arrivé. Imaginez ce que ça veut dire si un groupe terroriste prend le contrôle d'un Etat, avec le pétrole, avec les armes, avec les moyens financiers, ça veut que non seulement l'Irak va éclater, mais puisque son souhait c'est de réunir l'Irak et la Syrie avec les effets collatéraux sur les pays voisins, que ce soit la Turquie, que ce soit le Liban et les autres, ça veut dire que non seulement l'Irak est évidemment du coup à feu et à sang, mais l'ensemble de la région, par contrecoup l'Europe et vraisemblablement le monde. Et tout ça à partir d'un groupe terroriste dont les méthodes… je ne veux pas faire du sensationnel, mais vous avez peut-être vu les vidéos qu'ils diffusent, où…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Exécutions.
LAURENT FABIUS
Les gens de l'Eiil jouent au football avec les têtes des gens qu'ils viennent d'assassiner. Donc c'est ça, et c'est gens-là – s'ils prennent le contrôle de l'Irak – vous voyez ce que ça veut dire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors justement…
LAURENT FABIUS
C'est pour ça que je dis extrême gravité.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Extrême gravité, la situation en Irak est malheureusement difficile aujourd'hui, et notamment pour le Premier ministre MALIKI qui n'a jamais voulu s'allier avec les sunnites et les tribus sunnites, ce qui est peut-être une erreur…
LAURENT FABIUS
Non, ce n'est pas seulement qu'il n'a jamais voulu s'allier, c'est qu'il les a de manière très inopportune poursuivis…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Voilà, poursuivis, exactement.
LAURENT FABIUS
Et du coup, ça explique que les sunnites qu'on appellera « modérés » accueillent si on peut dire les terroristes de l'Eiil en disant : c'est un contre-point par rapport au Premier ministre. Donc nous, la France, nous disons… il y a beaucoup de choses à faire, mais il faut en particulier qu'il y ait un gouvernement d'union nationale. Si on veut résister…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous demandez un gouvernement d'union nationale en Irak !
LAURENT FABIUS
Absolument, absolument. Si on veut résister…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Demander à monsieur MALIKI un gouvernement d'union nationale.
LAURENT FABIUS
Absolument. Et si on veut… avec ou sans monsieur MALIKI, mais il faut qu'il y ait un gouvernement d'Irak qui soit d'union nationale. Si vous voulez résister à des groupes terroristes, il faut qu'il y ait l'unité nationale.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Unité nationale en Irak, mais est-ce que… il y a une alliance objective aujourd'hui entre les Etats-Unis et l'Iran, on sait que l'Iran défend les chiites du Sud de l'Irak, alliance objective Laurent FABIUS !
LAURENT FABIUS
L'alliance est assez paradoxale…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Assez paradoxale…
LAURENT FABIUS
Pas d'alliance objective, mais c'est vrai que l'Iran soutient le gouvernement de monsieur MALIKI, puisque l'Iran est chiite, monsieur MALIKI est chiite contre l'Eiil. Et les Américains, de ce point de vue-là ils ont raison, sont également contre l'Eiil. Et donc il y a une espèce de convergence, mais ça ne veut pas dire que les uns et les autres vont s'allier, c'est un autre problème.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, c'est un autre problème. Est-ce que les Américains doivent intervenir, est-ce que les Occidentaux doivent intervenir ?
LAURENT FABIUS
Alors les Américains, le président OBAMA s'est exprimé hier…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il a dit non !
LAURENT FABIUS
Enfin il n'a pas…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pas tout à fait justement.
LAURENT FABIUS
Il a dit : j'envoie 300 « conseillers » qui ne vont pas se battre, dit-il, mais qui vont conseiller les forces du gouvernement irakien. Et il a ajouté : si c'est nécessaire, il pourrait y avoir la surveillance de drones et même d'autres choses. Le gouvernement irakien le lui avait demandé. En ce qui nous concerne, parce que la question c'est…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, est-ce que nous pourrions nous associer à des frappes aériennes américaines ?
LAURENT FABIUS
Alors nous, nous avons un principe c'est que nous, nous pouvons intervenir… nous ne pourrions intervenir que s'il y a une demande à la fois du gouvernement et une approbation des Nations Unies, ça c'est une règle pour nous, donc ce n'est pas du tout le cas aujourd'hui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
La demande du gouvernement, elle est faite aux Américains.
LAURENT FABIUS
Oui mais pas à nous. Et d'autre part, il n'y a pas eu d'approbation du Conseil de sécurité. Mais ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas agir, donc agir c'est d'une part condamner, agir c'est demander qu'il y ait ce gouvernement national, d'union nationale, agir aussi puisque nous avons des liens avec tous les Etats de la région, nous disons par exemple aux Saoudiens qui sont eux-mêmes sunnites : essayez de faire votre possible pour que les sunnites modérés ne fassent pas bloc avec l'EIIl. Nous disons aux Kurdes… j'ai eu récemment au téléphone le président kurde qui est à côté et qui, lui, dispose de 200.000 Peshmergas…
JEAN-JACQUES BOURDIN
… Ce n'est pas un pays, c'est une région autonome.
LAURENT FABIUS
C'est le président…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, oui.
LAURENT FABIUS
Dire : écoutez ! Essayez de travailler pour l'unité de l'Irak, et nous le disons aux uns et aux autres, voilà. Et puis en plus, nous avons des précautions à prendre parce que ça risque de développer la présence des djihadistes européens, notamment français là-bas. Et donc, nous avons décidé de renforcer encore davantage la lutte, y compris la prévention, contre la venue de djihadistes.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors comment renforcer ?
LAURENT FABIUS
Il faut prendre l'ensemble de la filière, là-dessus Bernard CAZENEUVE qui est le ministre de l'Intérieur nous a présenté un plan, il va y avoir dans très peu de temps un nouveau texte à l'Assemblée nationale. Ça veut dire qu'il faut surveiller l'ensemble de la filière…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qu'est-ce qu'il y aura dans ce texte par exemple ?
LAURENT FABIUS
Ce texte dira par exemple que jusqu'à présent ce qui est possible, c'est d'interpeller… on prend l'exemple de Français, des Français qui sont allés en Syrie jusqu'à présent, et qui ont en bandes organisées commis des actes terroristes. Vous voyez du coup les limites que ça pose, il faut qu'ils soient en groupe et il faut qu'il soit avéré qu'ils ont commis des actes terroristes. Donc là, il va ya voir une disposition qui va permettre de les bloquer avant même ceci, c'est-à-dire pour les empêcher de partir.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Avant qu'ils ne partent !
LAURENT FABIUS
Bien sûr.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est-à-dire qu'on pourrait arrêter, interpeller, interroger…
LAURENT FABIUS
Quand il y a quelqu'un… il est évident qu'il part pour cette raison, il faut pouvoir le bloquer.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il faut pouvoir le bloquer.
LAURENT FABIUS
C'est le bon sens, c'est le bon sens.
JEAN-JACQUES BOURDIN
L'interpeller, l'interroger.
LAURENT FABIUS
C'est le bon sens. D'autre part, il faut bien sûr que… ça, on a mis toute une série de dispositions un jour, que les familles puissent nous saisir, parce qu'il y a des familles qui sont très inquiètes. Il faut aussi que nous puissions intervenir auprès des hébergeurs d'internet, parce que beaucoup de choses se font maintenant sur internet. Et puis il faut aussi…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez pouvoir intervenir auprès des hébergeurs…
LAURENT FABIUS
Nous sommes intervenus mais évidemment, c'est leur décision, et donc il y a des discussions sévères parce que… moi je ne suis pas spécialiste de ça, mais il y a beaucoup de choses qu'on peut faire ou ne pas faire…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Leur imposer même.
LAURENT FABIUS
Sur internet. Et puis dernier élément, il faut suivre tout cela en liaison bien sûr avec l'ensemble de nos voisins. Donc c'est un plan d'ensemble de lutte contre si vous voulez la pression djihadiste qui est extrêmement dangereuse.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce qu'il y aura une réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies sur l'Irak ?
LAURENT FABIUS
Il y en a déjà eu 2…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y en a déjà eu 2, mais une prochaine ?
LAURENT FABIUS
Oui, ce serait très souhaitable, mais les condamnations…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous la demandez…
LAURENT FABIUS
Mais les condamnations, elles sont une chose mais après, la question ne se poserait que si l'Irak demande qu'il y ait une réunion pour qu'il y ait intervention.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que vous souhaitez une intervention militaire internationale ?
LAURENT FABIUS
Je pense qu'aujourd'hui, elle ne peut être efficace que si elle est relayée par un Irak uni, sinon… vous savez les interventions, lorsque c'est les uns contre les autres et qu'il n'y a pas d'union nationale, c'est très, très périlleux. Il y a un autre aspect dont je veux parler, c'est que ça a des relations avec la Syrie, car même si ça peut paraître surprenant et ça demande 30 secondes de démonstration, l'EIIl est l'allié objectif de monsieur Bachar el-ASSAD, pourquoi ? L'EIIl ça a commencé en Syrie et au départ, Bachar el-ASSAD a facilité la présence de l'EIIl. Pour lui, c'était au fond tout bon, il disait : il y a en face de moi un groupe terroriste et si vous ne voulez pas du groupe terroriste, il faut me soutenir, alors qu'en fait c'est l'opposition modérée qui devrait être l'alternative. Et donc c'est… l'un et l'autre se soutiennent mutuellement. Simplement avec le développement de l'EIIl en Irak, l'EIIl a mis la main sur des armes dangereuses, très sophistiquées et sur 500 millions de dollars, ils ont pris dans la Banque centrale à Mossoul. Et donc ça leur donne des moyens supplémentaires et ils risquent de développer leur présence en Syrie. Donc il faut que l'ensemble des partenaires démocratiques soutiennent davantage l'opposition modérée, parce que l'Eiil va exercer des ravages supplémentaires, non seulement en Irak mais en Syrie.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais dites-moi, vous pointez du doigt les fautes commises par les administrations américaines successives : envahissement de l'Irak en 2003 et faiblesse de Barack OBAMA sur la Syrie.
LAURENT FABIUS
Non, je n'ai pas prononcé ces termes…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, vous ne les avez pas prononcés mais vous le pensez !
LAURENT FABIUS
Non, je ne veux pas faire de polémique. Sur 2003, vous vous rappelez la position qu'avait prise la France, que ce soit d'ailleurs monsieur CHIRAC à l'époque ou nous-mêmes dans l'opposition, nous avions dit « non, il n'y a pas d'armes de destruction massive », c'est derrière nous. Mais là, je veux si vous voulez venir un petit peu à la défense des Etats-Unis. Lorsqu'ils sont intervenus, là c'était complètement à tort, mais lorsque les Etats-Unis interviennent, on leur dit… on leur reproche d'intervenir. Lorsqu'ils n'interviennent pas, on leur reproche aussi de ne pas intervenir. Ce que je veux dire et j'essaie d'en tirer la leçon, c'est qu'en fait on est dans un monde que moi j'appelle « zéro polaire », je m'explique en deux mots. Pendant des années et des années, après la 2èmz guerre mondiale, il y a eu 2 puissances qui finalement ont réglé la donne, les Etats-Unis et l'URSS. Ensuite il y a une période, au moment de la chute du mur de Berlin, où il n'y a eu plus qu'une puissance qui était les Etats-Unis. Donc on est passés de l'ère bipolaire à l'ère unipolaire, et aujourd'hui on est dans le zéro polaire, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de patron. Et du coup quand il y a des crises, que ce soit en Syrie, que ce soit en Libye, que ce soit en Irak, on n'est pas capables malheureusement aujourd'hui d'imposer une solution. Et donc il faut… c'est le sens des interventions de la France, nous, nous sommes pour la paix et la sécurité, nous essayons au Conseil de sécurité avec nos partenaires de faire en sorte politiquement…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que qu'en Syrie
LAURENT FABIUS
Politiquement qu'on aille vers des solutions.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce qu'en Syrie, ce sera ma dernière question sur ce sujet, est-ce qu'en Syrie on utilise encore – les uns et les autres – des armes chimiques ?
LAURENT FABIUS
Pas les uns et les autres mais la Syrie oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
La Syrie oui, du chlore notamment.
LAURENT FABIUS
Il vient d'être publié un rapport de l'OIAC que vous avez probablement lu…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, que j'ai vu oui.
LAURENT FABIUS
Qui dit que comme nous l'avions pressenti d'ailleurs, y compris jusqu'au mois de mai de cette année, il y a eu utilisation d'armes chimiques. Le problème c'est que c'est du chlore et que le chlore se dilue assez rapidement. Donc nous avons les premiers porté l'alerte, mais nous sommes convaincus que le régime de Bachar a continué à utiliser des armes chimiques.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien ! On va parler de tourisme… auparavant, il y a une réunion demain à l'Elysée de 7 chefs de gouvernement européens, pour quoi faire ?
LAURENT FABIUS
Parce qu'il va y avoir la semaine prochaine un sommet européen de tout le monde, et donc pour préparer ce sommet européen qui va prendre des décisions, à la fois sur les orientations futures de l'Europe et sur les personnes qui vont diriger l'Europe, ces 7 pays ont souhaité se concerter, voilà. C'est l'objet de la réunion de demain matin.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et quel avis va donner la France demain ?
LAURENT FABIUS
Nous allons discuter sur le fond, nous avons des propositions à faire pour réorienter l'Europe…
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est-à-dire réorienter ?
LAURENT FABIUS
Réorienter ça veut dire mettre davantage l'accent sur la croissance, ça veut dire mettre davantage l'accent sur la transition énergétique parce que c'est un élément fondamental, simplifier la manière de procéder, voilà. Et nous avons une réunion, nous sommes je crois 7 et notamment les Italiens et d'autres partenaires.
JEAN-JACQUES BOURDIN
D'autres partenaires. Futur commissaire européen français est choisi ?
LAURENT FABIUS
Ça, ça relève du président de la République.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce qu'il est choisi ?
LAURENT FABIUS
Joker, joker.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Laurent FABIUS… mais comment, il est choisi, je ne vais pas vous demander le nom parce que peut-être que la personne choisie n'est pas prévenue, mais est-ce qu'il est choisi ?
LAURENT FABIUS
En tout cas, nous y avons beaucoup travaillé, voilà la réponse.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pierre MOSCOVICI ?
LAURENT FABIUS
Nous y avons beaucoup travaillé.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pierre MOSCOVICI ?
LAURENT FABIUS
Voilà, au moment où le choix sera rendu public, vous en serez destinataire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon, bon ! Mais enfin il est choisi…
LAURENT FABIUS
Oui, nous préparons notre travail en général.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, en général…
LAURENT FABIUS
C'est normal.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il est choisi. Nous verrons comment vous arrivez à réorienter l'Europe, parce que dites-moi…
LAURENT FABIUS
C'est très nécessaire à cause des problèmes d'emploi.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, parce que la gauche peut mourir, vous êtes d'accord avec Manuel VALLS lorsqu'il dit cela ?
LAURENT FABIUS
C'est une formule très forte et elle a été utilisée pour être forte. Non ! Les idées de la gauche, dans la mesure où ce sont des idées de progrès social, de justice, resteront toujours là. Mais les partis politiques, je crois que c'est ça que Manuel VALLS avait à l'esprit, les partis politiques ils sont quand même très sérieusement mis en cause aujourd'hui, que ce soit d'ailleurs à gauche ou à droite. Et donc il faut s'interroger sur la façon de fonctionner, et puis essayer si vous voulez de… surtout de traiter l'essentiel des problèmes, parce que je crois que c'est ça qui choque les gens. Souvent les Français – mais pas seulement les Français, c'est vrai dans d'autres pays – ont le sentiment que les partis politiques se regardent le nombril, alors que les partis politiques surtout quand ils sont au pouvoir, mais même quand ils sont dans l'opposition, doivent traiter les vrais problèmes. On vient de parler de politique internationale, de politique économique, de problèmes sociaux, de problèmes de pouvoir d'achat, si on donne le sentiment que c'est la guérilla interne, alors là les gens s'en détournent, c'est ça.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais c'est la guérilla interne au sein même du Parti socialiste Laurent FABIUS.
LAURENT FABIUS
Je n'utiliserai pas ce terme mais c'est vrai que…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pas loin, il y a des critiques très fortes même à l'encontre du président de la République, des critiques personnelles.
LAURENT FABIUS
Oui, les critiques personnelles, je pense vraiment qu'elles sont déplacées parce que porter sur le plan des personnes, ça n'a pas de sens. Qu'il y ait... ça, ça a existé depuis très longtemps, une diversité de points de vue, ça peut se comprendre. Mais enfin quand on vient à l'essentiel, il faut que tout le monde se rassemble.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le 49.3 pour le collectif budgétaire, si besoin faut-il l'utiliser ?
LAURENT FABIUS
Ecoutez ! Je pense que quand on appartient à la majorité, et les socialistes appartiennent à la majorité quelle que soit leur nuance, l'acte fondamental d'appartenance à la majorité c'est de voter le budget, ça a toujours été comme ça. Donc je ne vois pas comment il pourrait en être autrement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc on n'utilisera pas le 49.3 ?
LAURENT FABIUS
Tous ceux qui sont dans la majorité doivent voter le budget, c'est la règle, pas simplement cette année mais ça a toujours été comme ça.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le tourisme, 83 millions de touristes en 2012 en France, vous voulez atteindre 100 millions. C'est la première industrie française…
LAURENT FABIUS
Eh oui !
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il faut le rappeler parce qu'on l'oublie un peu facilement, on l'a un peu négligé peut-être ces derniers temps. Alors vous faites beaucoup de propositions, une trentaine de propositions, notamment – je vais en prendre quelques-unes – l'ouverture des grands magasins à Paris le dimanche, GALERIES LAFAYETTE, PRINTEMPS, vous maintenez cette…
LAURENT FABIUS
Alors d'abord deux mots sur la situation. Le tourisme, comme vous le disiez, c'est une industrie absolument majeure, c'est 2 millions d'emplois et c'est notre premier excédent de balance des services, et parfois on ne s'en rend pas compte. Et le tourisme va beaucoup augmenter puisqu'aujourd'hui, il y a 1 milliard de touristes dans le monde, il y en avait 25 millions en 1950, et dans 15 ans il y en aura 2 milliards, donc 1 milliard de touristes en plus. Si nous prenons une partie de ces touristes, il y a des touristes français mais beaucoup de touristes étrangers, à ce moment-là beaucoup de nos problèmes vont être réglés et l'emploi va augmenter. Donc nous avons fait… enfin je l'ai fait avec mes collègues, toute une série de propositions, puisque je m'occupe maintenant du tourisme aussi. Alors il y a cette proposition parmi beaucoup d'autres…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais vous la maintenez cette proposition ?
LAURENT FABIUS
Oui, qui est quoi exactement, parce qu'il faut bien savoir ce dont on parle. Pour là, il s'agit de Paris, et la décision doit être prise par le maire de Paris, puisque c'est à elle que ça revient juridiquement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, jusqu'à maintenant, la mairie était contre !
LAURENT FABIUS
Je ne sais pas mais pour des zones qu'on appelle « d'affluence exceptionnelle », et je pense en particulier au boulevard Haussmann, l'idée est de dire après concertation et sur décision du maire : ce serait normal d'ouvrir le dimanche, pourquoi ? Parce que ces grands magasins le dimanche, ils peuvent faire beaucoup de chiffre d'affaires avec les touristes précisément. Et le touriste, si le dimanche c'est fermé dans ces zones-là, il ne va pas revenir le jeudi puisqu'il sera parti. J'ai eu une discussion en particulier avec le patron des GALERIES LAFAYETTE et ça m'a quand même frappé, il me dit : écoutez monsieur FABIUS, si on m'autorise à ouvrir, premièrement je recrute immédiatement 600 personnes ; deuxièmement ne travailleront le dimanche que les volontaires ; troisièmement nous les paierons double. Ça mérite quand même qu'on discute…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Dans ces conditions, ça paraît…
LAURENT FABIUS
Ça mérite qu'on discute… non mais il faut discuter…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça paraît acceptable.
LAURENT FABIUS
Il faut discuter bien sûr, et uniquement dans ces zones-là, il n'est pas question d'autre chose.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et les Champs Elysées aussi ?
LAURENT FABIUS
Les Champs Elysées sont déjà ouverts le dimanche.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Tous les Champs Elysées !
LAURENT FABIUS
Ils sont ouverts le dimanche.
JEAN-JACQUES BOURDIN
D'accord, d'accord. Alors ouvrir les commerces dans les aéroports, dans les gares aussi…
LAURENT FABIUS
Oui et mieux accueillir les gens dans les aéroports, et faire une liaison entre Charles de Gaulle et Paris ; et ouvrir à partir du 1er janvier une voie pour les autobus et les taxis, faire une liaison ferroviaire. Et pour les taxis, alors encore une fois après concertation, faire un forfait taxi pour que les gens sachent à peu près combien ça doit coûter. Ça, c'est un aspect, il y a l'aspect formation, il faut que les gens parlent davantage les langues, il y a l'aspect internet puisque maintenant quand les gens préparent leurs vacances, ils tapent sur internet, donc il faut qu'on soit bien meilleurs sur internet, il y a l'aspect développer le tourisme pour les Français de conditions modestes, enfin il y a énormément de choses à faire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, énormément. Vous avez défini 5 pôles d'excellence : la gastronomie et l'oenotourisme, l'oenotourisme c'est…
LAURENT FABIUS
Le vin.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le tourisme du vin ; sport et montagne ; écotourisme ; savoir-faire, ça c'est tout le savoir-faire français dans le luxe notamment…
LAURENT FABIUS
Les artisanats d'art, le luxe, etc.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et le tourisme urbain, voilà, ce sont les grands axes, les visas de court séjour plus faciles à obtenir, enfin bon ! Il y a beaucoup… la sécurité aussi à améliorer pour les touristes !
LAURENT FABIUS
Oui, absolument essentiel.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est essentiel.
LAURENT FABIUS
Et puis la notion d'accueil, la notion d'accueil, que nos compatriotes comprennent, partagent l'idée qu'un touriste – qu'il soit un touriste français ou étranger – c'est quelqu'un qu'on doit bien accueillir. Et même, je vais vous faire sourire, quand on dit « celui-là c'est un touriste, il se comporte en touriste », vous voyez c'est une phrase un peu péjorative en France. Non, c'est bien, c'est quelque chose de très fort qui peut permettre de développer beaucoup d'emplois et d'emplois qualifiés.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le travail après 21 h 00 aussi.
LAURENT FABIUS
Ça c'est encore un autre sujet, mais il y a des choses qui seront traitées par la loi, là je me suis uniquement contenté des zones d'affluence exceptionnelle.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y aura une loi autour de tout cela ?
LAURENT FABIUS
Alors il y a eu un rapport que vous avez lu qui est un rapport de monsieur BAILLY, qui est très intéressant, il est prévu qu'il y ait une discussion avec une loi, je crois dans la deuxième partie de l'année.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Avant la fin de l'année !
LAURENT FABIUS
Oui, c'est prévu.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci Laurent FABIUS.
LAURENT FABIUS
Merci à vous.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 23 juin 2014