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Q - Avant les élections européennes, vous appeliez à «dédramatiser» le TTIP estimant qu'il fallait «rectifier la perception» par un effort de pédagogie : Ce vendredi vous allez donc expliquer aux ONG que leurs craintes ne sont pas fondées ?
R - Ce que je propose c'est d'abord une vision équilibrée des choses. Ce qui m'importe c'est que l'on n'ait pas une vision biaisée. Pour autant, je ne suis pas en train de dire que tout est idyllique et que les Français ont tout à gagner et les Américains tout à perdre. C'est une négociation où par définition chacun essaie de pousser ses pions, et nous poussons évidemment les nôtres. La France est en dialogue permanent avec la Commission pour peser sur tous les sujets de la négociation.
Q - En matière d'alimentation, qui cristallise les craintes, il n'y a donc pas d'inquiétude à avoir ?
R - Je vais échanger vendredi avec une quarantaine de membres d'associations pour expliquer ce que nous Français, entreprises et citoyens, nous aurions potentiellement à gagner et quelles sont les lignes rouges, c'est-à-dire les points sur lesquels nous ne transigerons pas, comme l'exception culturelle. Typiquement quand on entend dire que demain avec ce traité on aura du poulet chloré ou des OGM, c'est faux car les États membres se sont mis d'accord et les Commissaires européens l'ont clairement dit: il n'est pas question de transiger sur nos normes sanitaires et phytosanitaires; cela ne sera pas remis en question. Et on jugera à la fin le projet de traité à l'aune de ces exigences-là!
Q - Quelles sont les autres lignes rouges fixées par l'UE ? Correspondent-elles à celles de la France ?
R - Ces lignes rouges sont celles demandées entre autres par la France et partagées par d'autres pays dans le cadre du mandat que nous avons adopté à l'unanimité et confié à la Commission européenne. Il s'agit par exemple de certains produits agricoles, comme la viande bovine, le maïs doux, qui ne pourraient faire face à la concurrence si on libéralisait complètement les échanges. Nous avons donc décidé de protéger ces secteurs sensibles afin de ne pas remettre en cause des équilibres économiques cruciaux.
Q - Et la Commission ne peut pas nous forcer la main ?
R - Non, la France n'a pas donné un chèque en blanc à la Commission. La procédure prévoit qu'à la fin des négociations, lorsque le traité sera rédigé, il devra être signé par l'ensemble des chefs d'État et de gouvernement des 28 États membres, puis adopté par le Parlement européen, et ensuite ratifié par l'ensemble des parlements nationaux. Si l'on trouve que le compte n'y est pas, ce qui est une possibilité, le Parlement ne le votera pas, le gouvernement ne le signera pas. Nous aurons le dernier mot.
Q - Au final selon vous l'économie française a donc plus à gagner qu'à perdre à la signature de ce traité ?
R - C'est très difficile de se fixer sur un chiffre tant que l'on n'a pas fini de négocier, d'autant qu'on négocie sur plusieurs choses: quelques tarifs douaniers qui restent élevés comme pour le fromage (33 %) ou le textile (30 %) Ils sont facilement chiffrables mais ne sont pas très nombreux. Le principal enjeu des négociations est autour des normes et des standards: aujourd'hui pour exporter certains produits aux États-Unis il faut que les producteurs français se conforment à des standards qui impliquent des procédures d'agrément ou des adaptations des processus industriels très longs et coûteux. C'est un handicap de compétitivité et ça vaut pour beaucoup de secteurs. Donc soit on essaie d'élever les standards américains pour les harmoniser avec les nôtres, soit on tente de faire en sorte que les standards européens soient reconnus aux États-Unis. Pour les entreprises, surtout les petites, cela peut être un vrai encouragement à exporter.
Q - Vous plaidez aussi pour plus de transparence : à quelles informations les citoyens français doivent-ils avoir accès ?
R - Si les gens sont inquiets aujourd'hui c'est aussi parce qu'ils ont l'impression qu'il y a une ambiance de dissimulation. Il faut que les citoyens soient informés. Je souhaite la publication du mandat de négociation confié à la Commission par les États membres. Toutefois une dizaine de pays s'y oppose encore. Nous demandons donc à la Commission de faire à tout le moins un compte rendu de chaque cycle de négociation, qui pourrait être diffusé auprès du grand public, des médias, des associations. J'ai écrit une lettre au commissaire à ce sujet, j'attends sa réponse. Mon homologue en Allemagne est tout à fait d'accord sur cette méthode et je pense que les autres pays nous rejoindront.
Q - À quelle échéance un accord peut-il être conclu ?
R - Ce sont des négociations très complexes. Il y a par ailleurs une forte actualité politique avec le renouvellement de la Commission européenne, les élections de mi-mandat aux États-Unis. Il n'y aura donc vraisemblablement pas d'avancées décisives d'ici la fin de l'année, ni même au premier semestre 2015.source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 juin 2014