Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur l'action de la France en faveur de l'abolition de la peine de mort, à Paris le 8 juillet 2014.

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Circonstance : Ouverture du « Labcitoyen » sur l’abolition de la peine de mort, à Paris le 8 juillet 2014

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,
Je suis heureux d'être avec vous, jeunes gens venus de plus de soixante pays différents, en ouverture de cet atelier consacré à la peine de mort. Je salue votre mobilisation et l'intérêt que vous portez à cette question.
J'ai fait de l'abolition universelle de la peine de mort une grande cause de la diplomatie française et j'ai lancé, il y a maintenant un an et demi, une campagne mondiale en faveur de son abolition.
Il ne s'agit pas pour la France de donner des leçons. Vous savez d'ailleurs qu'elle n'a pas été pionnière dans ce domaine. C'est justement pour cela que notre expérience est instructive. En 1981, nous avons mis fin à la peine de mort au terme d'un long combat commencé dès le 18ème siècle.
Si l'abolition apparaît désormais comme une évidence en France, le chemin pour y parvenir a donc été difficile. En 1981 même, l'opinion publique n'y était pas majoritairement favorable. Il a donc fallu faire preuve de courage pour prendre cette mesure. Mais ce courage a été payant : l'opinion a rejoint le législateur.
En 1981, la France était le 35ème pays à abolir définitivement à la peine capitale et l'un des derniers pays européens à le faire. Aujourd'hui, sur les 193 pays des Nations unies, deux tiers n'appliquent plus la peine capitale. C'est une avancée incontestable qui témoigne d'une véritable dynamique à l'oeuvre. Mais c'est un combat qui n'est pas terminé.
La peine de mort est une sinistre réalité, comme le rappelle trop souvent l'actualité. Dans certains pays, les condamnations à mort atteignent même une échelle jamais connue jusqu'ici. Elles peuvent être prononcées pour de «prétendus» crimes de conscience ou concerner des enfants.
Combat nécessaire, également, face au risque de retours en arrière. Cela a été le cas de plusieurs pays récemment. Des moratoires, observés parfois depuis plusieurs décennies, ont été suspendus notamment en Indonésie, au Koweït, au Nigeria, en Afghanistan et plus récemment aux Maldives.
Il est indispensable de maintenir la mobilisation internationale en faveur de l'abolition. Au sein des Nations unies, nous usons de toute notre influence pour renforcer le mouvement mondial en faveur des moratoires sur les exécutions, première étape vers une abolition en droit. Nous avons soutenu l'adoption des résolutions de l'Assemblée Générale de l'ONU appelant à l'instauration d'un moratoire universel. En 2012 puis 2013, j'ai organisé à New York des réunions ministérielles mobilisant des partenaires de tous les continents.
À Genève aussi la France est active. Le Conseil des droits de l'Homme a adopté le 26 juin dernier, à notre initiative, une résolution historique sur la peine de mort. Pour la première fois, un texte adopté par les Nations unies déplore les violations des droits de l'Homme découlant de l'application de la peine de mort.
Le combat de la France dans ce domaine rejoint celui que mènent de nombreux militants abolitionnistes à travers le monde. Souvent incompris, parfois malmenés, ils accomplissent un travail remarquable. Ils se voient souvent opposer l'argument du refus de l'opinion, présenté comme rédhibitoire. Je le répète, parce que c'est ce que montre l'exemple de la France : il ne faut pas hésiter en matière de droits de l'Homme à précéder l'opinion pour faire évoluer les mentalités.
L'abolition de la peine de mort n'est pas une question de culture. Ce n'est pas une opinion importée depuis l'Occident, certains diraient imposée. C'est une question de principe. Le refus contre la peine de mort prend ses racines dans l'universalité des droits de la personne humaine. Car la peine de mort est d'abord et avant tout une violation des droits de l'Homme.
Je ne reviendrai pas longuement sur les arguments que vous connaissez.
1/ La peine de mort, irréversible, n'est pas compatible avec une justice humaine qui porte en elle la possibilité de l'erreur judiciaire et qui doit pouvoir se corriger. Pour reprendre la formule lapidaire mais juste d'un magistrat français «parce qu'aucune justice ne peut être absolument infaillible, la peine de mort est moralement inacceptable».
2/ Il n'a jamais été établi une quelconque corrélation entre l'existence de la peine de mort dans une législation nationale et le niveau de la criminalité. Il n'existe aucun argument solide en faveur d'une «utilité» dissuasive de la peine de mort. Le père l'abolition en France, Robert Badinter, disait à ce sujet «la question de la peine de mort est simple pour qui veut l'analyser avec lucidité. Elle ne se pose pas en termes de dissuasion, ni même de technique répressive, mais en termes de choix politique ou de choix moral».
La France a fait ce choix de l'abolition. Et aujourd'hui, elle agit pour faire avancer la cause de l'abolition universelle de la peine de mort. J'ai demandé à l'ensemble du réseau diplomatique français de porter le message de l'abolition.
Pour mobiliser la jeunesse, que vous représentez ici et qui est notre espoir, j'ai lancé l'an dernier, en partenariat avec le ministère de l'éducation nationale, un concours ouvert à l'ensemble des lycées de France sur le thème de «l'abolition de la peine de mort».
Après plusieurs phases de sélections menées par un jury présidé par Robert Badinter, la lauréate de ce concours a pu participer au 5e congrès mondial contre la peine de mort organisé à Madrid en relation avec l'association Ensemble contre la peine de mort, qui est représentée ici aujourd'hui. Compte tenu du succès rencontré par ce concours, nous allons renouveler l'expérience.
Dans le même esprit, le projet Labcitoyen constitue une précieuse plateforme de dialogue sur les droits de l'Homme avec les jeunes générations. C'est pourquoi j'ai souhaité que cette session du Labcitoyen porte sur l'abolition de la peine de mort. Il s'agit de faire progresser encore la mobilisation, qui passe notamment par le récit d'expériences vécues. Elles permettent de saisir concrètement l'horreur de la peine de mort. Victor Hugo a écrit sur ce sujet : «On peut avoir une certaine indifférence sur la peine de mort, ne point se prononcer, dire oui et non, tant qu'on n'a pas vu de ses yeux une guillotine. »
Abolir la peine de mort, j'en suis personnellement convaincu, c'est faire progresser la justice et l'Humanité toute entière. C'est ce message que portent la France et la diplomatie française.
C'est ce combat qui est aussi le vôtre, vous qui êtes les porteurs d'avenir dans chacun de vos pays et bien au-delà. Merci.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 juillet 2014