Déclarations de M. Alain Juppé, Premier ministre, en réponse à une question sur le chômage, l'exclusion et les déficits, au Sénat le 19 octobre 1995.

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Circonstance : Séance de questions au gouvernement au Sénat, le 19 octobre 1995

Texte intégral

M. le président. La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc. Aujourd'hui, chaque citoyen doit pouvoir s'instruire et travailler pour avoir une place dans la société. Monsieur le Premier ministre, c'est, hélas ! Tout le contraire qui se passe pour des millions de personnes, de plus en plus jeunes, lesquelles, par le chômage et l'exclusion, risquent de perdre leur dignité et le sens de la vie. Pourtant, la France est riche d un formidable potentiel scientifique et humain. Pourtant, la France est riche de ressources financières, mais qui continuent à être englouties dans la spéculation.
Monsieur le Premier ministre, vous gouvernez depuis cinq mois. M. le Président de la République avait déclaré l'emploi priorité numéro un. Qu'en est-il ?
Des milliers de jeunes sont interdits d'études. De grandes entreprises annoncent d'importantes suppressions d'emplois : La Poste, 5 000 ; la SNCF, 5 000 ; Michelin, 2 000 ; Renault, 1 700 ; Pechiney, 1 500 - sans parler de la SNECMA, d'Hispano, de Chausson, du Crédit lyonnais, de Thomson et de Rhône-Poulenc. Cette dernière entreprise mobilise, pour sa part, 14 milliards de francs pour une opération de bourse insensée en Grande-Bretagne.
La politique de l'argent pour l'argent est destructrice pour notre pays. Or, non seulement vous ne l'arrêtez pas, mais vous 1 amplifiez au nom de Maastricht, en imposant de nouveaux sacrifices comme le scandaleux forfait hospitalier.
Nous combattons résolument tous ces mauvais coups. Nombreux sont ceux qui font de même tous les syndicats ouvriers et de cadres et l'immense majorité des Français qui ont soutenu le puissant mouvement de grève du 10 octobre. Quelque 150 milliards de francs en 1995 et 160 milliards de francs dans le projet de budget pour 1996 sont distribués sans retenue aux entreprises. Qu'en font-elles ?
Monsieur le Premier ministre, il faut accélérer la création, partout en France, de commissions départementales pour l'emploi disposant d'informations économiques et financières, et dotées de réels pouvoirs leur permettant de contrôler et de sanctionner les patrons qui spéculent avec notre argent.
Elles doivent pouvoir stopper les licenciements et définir les besoins en matière d emploi, secteur par secteur, comme les élus communistes le font déjà avec leurs propositions concrètes, sur le terrain, au sein des commissions départementales pour l'emploi.
Je vous demande très précisément, monsieur le Premier ministre, de répondre à ces propositions et d'organiser au Sénat, après l'examen du projet de loi de finances, un débat télévisé sur l'emploi, sur le bilan des mesures prises par les commissions départementales pour l'emploi et, évidemment, sur les résultats. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Alain Juppé, Premier ministre. Madame le sénateur, oui, j'ai fait de la lutte contre le chômage et pour l'emploi l'objectif numéro un de la politique de mon Gouvernement. Sans tarder, avant la fin du mois de juin, en un délai record - un mois - nous avons pris des mesures d'urgence pour l'emploi, parmi lesquelles figure d'ailleurs l'une de vos suggestions d'aujourd'hui . Vous me proposez de mettre en place des commissions départementales pour l'emploi, c'est la première chose que j'ai
faite.
Mme Hélène Luc. Je vous propose d'accélérer leur mise en place !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Elles existent partout, madame le sénateur, et elles ont déjà fait beaucoup de bon travail.
M. Philippe François. C'est vrai !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Parmi ces mesures d'urgence, nous avons aussi mis en place, dès le l et juillet, le contrat initiative-emploi : 75 000 bénéficiaires au moment où je parle. Permettez-moi de préciser qu'il y en a 1 500 dans le département du Val-de-Marne.
Mme Hélène Luc. Je le sais !
M. Alain Juppé, Premier ministre. On me demande parfois ce qui a changé depuis cinq mois. Eh bien ! 75 000 chômeurs de longue durée, qui étaient donc sans emploi depuis un ou deux ans, ont aujourd'hui, grâce au contrat initiative-emploi, du travail et, pour les trois quarts d'entre eux, sous la forme d'un contrat de travail à durée indéterminée. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
La deuxième mesure d'urgence, c'est l'allégement des charges dans les petites et moyennes entreprises. Cela concerne 3,5 millions de salariés et représentera en 1996, lorsque le dispositif sera entièrement opérationnel, un allégement de 13 p. 100 en moyenne.
La troisième mesure d'urgence, c'est l'accès des jeunes à l'emploi. Je n'énumérerai pas en deux minutes et demie tout ce que nous avons fait. J'apporterai une simple précision : la prime à l'embauche des apprentis a été portée de 7 000 francs à 10 000 francs. L'apprentissage marche : 700 000 contrats aujourd'hui. Les entrées en apprentissage aux mois d'août et de septembre sont en augmentation de 15 p. 100 par rapport à 1994 et de 57 p. 100 par rapport à 1993. Dans notre pays, l'apprentissage est en train de démarrer comme il devait le faire. (Très bien ! et applaudissements sur les mêmes travées.)
Telles sont les mesures d'urgence. Le temps qui m'est imparti ne me permet pas de m'attarder sur les réformes de fond que nous avons déjà mises en place ou que nous préparons. Qu'il me soit simplement permis de citer les mesures à l'égard de l'artisanat, annoncées voilà quelques jours devant l'Union patronale artisanale, qui les a accueillies avec beaucoup d enthousiasme, ou le plan en faveur des petites et moyennes entreprises que nous préparons pour la fin du mois de novembre sous l'impulsion de M. Jean-Pierre Raffarin. Mais beaucoup d'autres choses encore sont prévues, tels l'aménagement du temps de travail et les emplois de proximité.
Cette politique a-t-elle commencé à donner des résultats ? A cet égard, je ne donnerai qu'un chiffre : depuis le début de l'année, il y a 160 000 demandeurs d'emplois inscrits à l'ANPE de moins qu'il n'y en avait à la fin de l'année dernière.
Bien entendu, il faut aller plus loin. Si je peux vous rejoindre sur certaines suggestions, madame, s'agissant notamment des comités pour l'emploi que j'ai créés, il est un point sur lequel nous divergeons totalement : ce n'est pas par un discours anti-patrons que nous résoudrons le problème du chômage ! C'est au contraire en mobilisant nos entreprises, en créant un véritable devoir national d'insertion pour qu'elles accueillent les jeunes dans leurs structures que nous gagnerons ! (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Le rendez-vous, je l'ai fixé : c'est à la fin de l'année 1996, j'en suis convaincu, que nous pourrons voir les premiers résultats de cette politique. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et indépendants et de l'Union centriste.)
Mme Marie-Claude Beaudeau. Le donnant-donnant n'existe pas !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Mais si!
Mme Hélène Luc. Vous n'avez pas répondu sur la question des licenciements, monsieur le Premier ministre !
Source http://www.senat.fr, le 18 juillet 2014