Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, parue dans "La lettre de la Nation magazine" du 11 avril 1997, sur le cinquantenaire de l'appel du Général de Gaulle au rassemblement du peuple français (RPF), à Strasbourg le 7 avril 1997.

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Circonstance : Cérémonie à Strasbourg le 7 avril 1997 à l'occasion du cinquantième anniversaire du gaullisme

Média : La Lettre de la Nation Magazine

Texte intégral

« Mes chers compagnons,
(...) J'ai voulu que nous marquions avec solennité ce 7 avril 1997, parce que la vertu première de notre mouvement, celle à laquelle nous tenons de toutes nos fibres, c'est l'esprit de compagnonnage, c'est-à-dire la fidélité aux hommes en même temps qu'aux idées. Ensemble, par-delà les âges, les professions, les origines, nous ne formons qu'une seule famille, et nous assurons, à travers le temps, la pérennité de la mission que s'était fixée le général de Gaulle et qui avait été si bien définie par Jacques Chirac, il y a vingt ans, lors de la création du RPR : « Que se constitue le vaste rassemblement populaire que la France a toujours su tirer des profondeurs lorsque le destin paraît hésiter. »
Oui, nous le voyons tous ici, le gaullisme est plus que jamais vivant. Notre présence aujourd'hui et notre enthousiasme en témoignent. Et je n'oublie pas ceux de nos compagnons que l'âge ou la maladie tiennent éloignés de notre réunion. Ils sont avec nous par le coeur et je leur exprime en notre nom à tous toute notre affection.
Nous ne célébrons pas aujourd'hui le cinquantenaire du RPF par une sorte de pieux devoir. Si nous sommes réunis ici, c'est parce que tout, dans la période que nous traversons, nous invite à nous ressourcer pour retrouver le sens profond de notre engagement politique. Si nous nous tournons aujourd'hui vers la haute figure de Charles de Gaulle, c'est parce qu'en 1997 comme en 1947, la France, d'une certaine manière, se trouve à la croisée des chemins.
* Faire gagner la France
Oui, la France, comme tous les grands pays occidentaux, doit à nouveau remettre en cause ses habitudes, engager des transformations qui n'épargnent aucun aspect de la vie quotidienne des Français, trouver toute la place qui lui revient en Europe et dans le monde. Comme le général de Gaulle le disait, ici même, il y a cinquante ans, « notre peuple éprouve parfois une sorte de doute amer et s'interroge avec quelque angoisse sur ce que sera l'avenir ». Et de Gaulle d'ajouter : « A ce doute, à cette angoisse, une grande nation comme la nôtre ne doit céder à aucun prix. » Y a-t-il exhortation plus actuelle pour la France de 1997 ?
Le gaullisme, aujourd'hui comme hier, nous engage à prendre conscience de ce qui nous unit et à nous rassembler dans un même élan pour faire gagner la France. Et pour cela, il nous appelle d'abord à renouer avec les idéaux de la République pour faire triompher une conception morale de la politique. Il nous invite aussi à nous dégager des analyses à courte vue pour imposer une vision qui permette à la France d'assurer son destin dans la modernité. Le gaullisme comme morale, le gaullisme comme vision : 1947-1997, mêmes combats.
Le commencement de tout pour nous et le fondement du gaullisme, c'est l'amour de la patrie. Soyons fiers, nous gaullistes, de faire du patriotisme notre drapeau. C'est grâce à lui que notre nation a su se relever aux heures les plus sombres de son histoire (...) Ne laissons pas les trois couleurs et les emblèmes de notre histoire accaparés par les nostalgiques de ceux qui, en 1940, - et pour reprendre les mots mêmes du Général -« n'offraient à la France que la caricature du fascisme et la capitulation ».
Oui, nous gaullistes, nous aimons la France avec passion parce qu'elle est pour nous non point une idée ou une réalité statistique, mais un être de chair et de sang. C'est pourquoi nous voulons garantir sa cohésion et sa pérennité. C'est pourquoi nous la servons de toute notre âme sans perdre pour autant le sens des réalités (…)
Servir la nation, c'est d'abord avoir le courage d'entreprendre et de mener à bien les grandes réformes qu'exige l'intérêt général et qui ont été longtemps différées par calcul politicien, par pusillanimité ou par crainte de heurter des corporatismes : réforme de la protection sociale de garantie à tous, telle, dans ses principes, que nous l'a léguée le général de Gaulle ; réforme de notre système d'éducation (...), réforme de notre défense (...). réforme de l'État (...)
* Patriotisme
La nation française que son peuple construit jour après jour ne se confond pas avec l'Etat qui lui donne seulement son ossature. Elle est d'abord et depuis des siècles adhésion à des valeurs, qui ne procèdent pas de l'abstraction mais de la volonté d'un peuple d'hommes et de femmes qui, souvent, tout au long de son histoire, a su verser son sang pour les défendre. C'est pour toutes ces raisons que notre patriotisme - et je suis attaché à ce mot - nous inspire une morale politique, c'est-à-dire le sens du bien et du mal collectif, la conscience de nos droits mais, tout ensemble, celle de nos obligations et de nos devoirs.
Mes chers compagnons, la première exigence morale du gaullisme, telle que le général de Gaulle le proclamait ici même, c'est d'appeler les Français à se retrouver, au-delà des clivages de toute nature, pour faire face à leurs responsabilités communes. C'est de montrer qu'aujourd'hui comme hier, dans l'espérance comme dans l'épreuve, la réussite de toute entreprise collective se fonde sur l'unité nationale. L'idée-force qui doit donc nous animer, c'est la recherche obstinée de l'intérêt général, la défense des intérêts de la collectivité contre les conservatismes derrière lesquels s'abritent trop souvent des intérêts particuliers.
Au coeur de cette ambition, il y a une certaine idée de l'homme, l'idée humaniste qui est à l'origine des grands idéaux de la République : la liberté, l'égalité et la fraternité. C'est la volonté d'affirmer la capacité de chacun à prendre en main son destin, à le forger, à l'assumer. C'est la volonté d'engagement citoyen qui incite à ne pas enfermer l'homme dans la pensée technicienne, les yeux rivés sur des indices ou obscurcis par des oeillères idéologiques et partisanes. C'est aussi la volonté de donner à chacun toute sa chance et, quand il le faut, une nouvelle chance. Nous ne pouvons en effet nous satisfaire d'une organisation de la société où des millions d'hommes et de femmes sont laissés sur le bord de la route, tandis que la prospérité globale du pays continue de s'accroître. Notre devoir de gaulliste n'est-il pas de restituer à chacun son autonomie et sa dignité ? (…)
Bien évidemment, l'Etat doit se régénérer afin de jouer le rôle de régulateur qui permettra à l'engagement citoyen de s'épanouir (...) Le rôle de l'Etat ne demeure-t-il pas, comme le disait le général de Gaulle ici même, de donner au pays la direction à suivre « avec impartialité, autorité, continuité » ? L'Etat moderne doit se porter garant de la cohésion sociale et du plein exercice de leur citoyenneté par toutes les Françaises et tous les Français. Il doit accroître l'espace de liberté qui permettra aux entreprises de multiplier les initiatives, d'ouvrir par des expériences économiques et sociales de nouvelles pistes (…)
Il doit permettre aussi à nos compatriotes de poursuivre la conquête de leurs droits. jamais achevée depuis plus de deux siècles y va de la confiance qui doit exister entre l'Etat et le citoyen. Je pense à la place ridiculement faible qui est celle des femmes dans la vie politique française (...)
Je pense à cette grande cause nationale qu'est devenue la protection de l'enfance et de ses droits depuis que le mur du silence a commencé de tomber (...) Je pense à la famille, qui ne cesse d'évoluer mais dont l'importance comme lieu d'amour et de partage est de nouveau mieux perçue par les jeunes générations (... ) A toutes ces grandes ambitions. le gouvernement s'est attelé sous l'impulsion du président de la République. Et, comme vous le savez, les obstacles ne manquent pas comme ils n'ont pas manqué au général de Gaulle en 1958.
Le gaullisme comme exigence morale doit également être le ferment d'une profonde transformation de notre vie politique, sous peine de voir les électeurs retirer leur estime à ceux qui les représentent et se laisser séduire par des professionnels de la démagogie, de la haine et du scandale. Mes chers compagnons, soyons irréprochables. Soyons dignes des suffrages que nous sollicitons et de la confiance qui nous est accordée (...) A nous de renforcer la démocratie à tous les échelons et de participer aux grands débats dont dépend le destin du pays, en y imposant intégrité, fidélité aux principes de la République, foi dans la personne humaine, humanisme et patriotisme.
Mais le destin de la France est aussi inséparable, pour nous gaullistes, d'une vision du monde. La France, du fait même de l'attrait qu'exercent son organisation républicaine et sa conception universelle des droits de l'homme, pourrait-elle sans faillir renoncer à faire entendre sa voix et à jouer un rôle important dans le concert des nations ?
Cette ambition nationale,ne craignons pas de l'affirmer, passe aujourd'hui par l'Europe. C'est la conviction que le général de Gaulle, avec sa clairvoyance exceptionnelle, exprimait déjà ici, à Strasbourg, il y a cinquante ans au lendemain du plus grand affrontement qui ait ensanglanté l'Europe (…)
Certains de nos compatriotes craignent de voir la France perdre sa souveraineté et même son identité au sein de l'Union européenne. Comme gaulliste, j'ai trop confiance dans les ressources de notre nation pour succomber à cette angoisse. Dans le monde d'aujourd'hui, nous devons comprendre que notre engagement dans un grand dessein européen est la condition même de notre indépendance. C'est vrai de la monnaie, car c'est en créant, en premier lieu avec l'Allemagne, un euro fort et capable d'équilibrer la puissance du dollar comme du yen, que nous nous donnerons les moyens de la prospérité et de la croissance (...) C'est vrai aussi de la défense, où en modernisant notre armée et en conservant l'indépendance de notre force de dissuasion nucléaire, nous avons l'ambition de transformer en profondeur l'Alliance atlantique pour que les Européens y exercent une part déterminante de responsabilités. C'est vrai de la culture, car notre langue, notre civilisation, dont la force d'attraction demeure considérable, constitueront d'autant plus une référence pour l'Europe et le monde que nous saurons, sans frilosité. Nous confronter à d'autres modèles.
Bien sûr nous devons accepter de modifier certains de nos comportements ou de nos habitudes. Mais l'Europe ne peut se construire sans la volonté des peuples, et les Français y auront toujours leur mot à dire à chaque étape de sa construction (…)
L'essence du gaullisme, ce qui constitue notre force, ce doit être notre capacité à déchiffrer et à anticiper le monde qui se construit, le monde de demain, pour contribuer à le façonner. Le gaullisme, c'est à la fois la fidélité aux traditions françaises et l'ouverture au progrès et à la modernité, bref, le respect de l'Histoire faite et l'audace de l'Histoire à faire.
Il y a cinquante ans, ici même, le général de Gaulle en appelait, non plus à la nation en armes, mais à la nation en marche, celle des bâtisseurs, des travailleurs, des commerçants, des entrepreneurs, des savants et des artistes, à cette nation qui jamais ne se résigne et jamais ne cède à la fatalité. C'est à cette nation, c'est au peuple français qu'il nous faut aujourd'hui, nous autres gaullistes, en appeler encore si nous voulons réussir les réformes indispensables, donner un nouvel élan à l'esprit d'entreprise et d'innovation, développer l'esprit de participation et renforcer la solidarité.
* RassemblerQui mieux que Jacques Chirac, fondateur de notre Rassemblement, incarne la fidélité à l'ambition du gaullisme ? Dans le combat que nous menons à ses côtés pour la France, il peut compter sur notre loyauté, sur notre confiance et sur notre affection. Avec lui, soyons des passionnés de la France dans ce qu'elle a de meilleur (...) Nous pouvons et nous devons être des rassembleurs. Nous pouvons et nous devons inspirer à nos concitoyens la fierté de la France en leur proposant une certaine idée de la politique fondée sur la responsabilité et l'intégrité, une certaine idée de la nation construite sur l'engagement des citoyens, une certaine idée de la France, celle que nous a léguée le général de Gaulle, pétrie de fidélité et d'audace. A nous, à vous, à notre Rassemblement pour la République, Chers compagnons, en 1997, comme il y a cinquante ans, d'offrir à tous les Français, les idéaux du gaullisme en partage. »