Conférence de presse de M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, sur la situation économique et les finances publiques, Paris le 10 septembre 2014.

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Après avoir subi la crise financière et bancaire de 2008, après avoir surmonté la crise de l'euro en 2011-2012, la France et la zone euro sont confrontées depuis quelques mois à une situation exceptionnelle marquée par une croissance très faible cumulée avec un ralentissement de l'inflation que personne n'avait anticipé.
Cette conjonction est inédite dans l'histoire économique de l'Europe. Elle pèse sur nos grands équilibres budgétaires et sociaux, et nous avons la responsabilité de la prendre en compte. J'ai dit cet été qu'il vaut mieux assumer ce qui est, et je m'y tiens : c'est un discours de vérité que je veux adresser aujourd'hui. Un discours de vérité sur la situation nouvelle que nous affrontons, un discours de vérité sur l'état de nos finances publiques et un discours de vérité sur les décisions que le Gouvernement entend mettre en oeuvre pour y faire face.
Vérité sur la croissance européenne tout d'abord.
La panne de croissance de la zone euro au deuxième trimestre a surpris. Le recul de l'activité en Allemagne et en Italie a déjoué toutes les prévisions. Tous les observateurs avaient prévu une accélération de la croissance en cours d'année grâce à des taux d'intérêt très bas et des conditions budgétaires moins dures que par le passé. Ce n'est pas ce qui s'est produit.
L'effort de réduction des déficits mené ces dernières années à travers toute l'Europe a continué de peser sur l'activité. De nouveaux facteurs d'incertitude, notamment géopolitiques, sont apparus. Enfin, l'inflation a beaucoup plus baissé que prévu : 0,3% aujourd'hui pour la zone euro, à pleine plus en France, ce qui a constitué une véritable surprise.
La situation s'est donc dégradée, il faut le dire, et regarder en face la réalité d'une économie française qui tourne encore au ralenti et qui n'atteindra pas le 1 % de croissance que tous les observateurs – FMI, Commission européenne, OCDE - nous annonçaient il y a encore six mois.
Dois-je vous rappeler ce que disait le Haut Conseil des Finances Publiques au mois d'avril dernier : « le Haut Conseil considère que la prévision de croissance du gouvernement de 1% est réaliste et que le scénario n'est affecté d'aucun risque baissier ».
Compte tenu des chiffres publiés mi-août, et qui constatent une croissance zéro au 2ème trimestre de cette année, la prévision de croissance 2014 est donc révisée à 0,4%, et celle de 2015 à 1%, contre 1,7% prévu au printemps. Il s'agit là d'un scénario prudent – et j'assume totalement cette prudence - mais il est cohérent avec le scénario de reprise progressive de l'activité qui est celui de l'ensemble de nos partenaires européens.
Au vu des chiffres dont nous disposons, la prévision d'inflation pour la France est également révisée à +0,5% en 2014 et +0,9% en 2015. Là encore nous assumons la prudence et le réalisme, car les décisions récentes de la BCE sont sans précédent – c'est vrai- mais le retour à une inflation plus normale ne pourra être que progressif, et la BCE elle-même ne voit l'inflation revenir vers sa cible de 2% qu'à l'horizon 2017.
Certains y verront une bonne nouvelle pour les consommateurs. Et il est vrai que cette faible inflation a un impact sur le pouvoir d'achat des ménages puisque, pour la première fois depuis trois ans, le pouvoir d'achat progresse à nouveau. Mais ces effets positifs ne doivent pas faire oublier une réalité beaucoup moins favorable, à savoir que le ralentissement des prix est d'abord la conséquence d'une reprise économique trop faible et qu'il a un impact direct sur les finances publiques du pays.
Car, moins de croissance et moins d'inflation, c'est en effet moins de recettes, mais c'est aussi moins d'économies réalisées. Certaines économies prévues ne rapportent pas autant qu'elles l'auraient dû.
C'est d'ailleurs exactement ce qui vient d'arriver cette année aux partenaires sociaux avec le gel des retraites complémentaires. Avec une inflation aussi basse qu'aujourd'hui, les économies prévues ne seront pas au rendez-vous.
Le même scénario est actuellement en train de se réaliser avec le gel des pensions au-dessus de 1200 euros par mois : le manque à gagner total pour les comptes publics s'élève à 2 milliards d'euros en 2015.
Ajoutées les unes aux autres, la conséquence de toutes ces évolutions, c'est que la France n'atteindra pas cette année son objectif de déficits publics, malgré la maîtrise complète des dépenses de l'Etat – j'insiste sur ce dernier point.
Pour 2014, dans ce contexte nouveau, le déficit des administrations publiques (Etat, Sécurité sociale et collectivités locales) devrait donc se situer à 4,4 % du PIB. Il sera donc légèrement plus élevé cette année que l'année dernière.
Certes, une partie de cette dégradation est liée au changement de normes comptables au niveau européen, qui aboutit à ce que le CICE soit comptabilisé pour 0,2 point de PIB de plus que dans le système précédent. Les spécialistes trouveront ainsi une explication statistique à ce niveau élevé de déficits, plus élevé que celui de 2013.
Mais l'essentiel de la hausse est évidemment dû à la dégradation du contexte économique. C'est une réalité, et nous devons la prendre en compte pour 2015 comme pour les années suivantes, parce qu'au-delà de la vérité, nous avons une obligation, qui est l'efficacité.
Or l'efficacité, ce n'est pas de chercher à atteindre à toute force et coûte que coûte l'objectif de déficit initial, quelles qu'en soient les conséquences sur notre tissu économique. L'efficacité, ce n'est pas de prendre des mesures qui reviendraient à aggraver encore la panne de croissance que nous connaissons et à ralentir encore un peu plus l'inflation. Cela nous n'en voulons pas.
Ma responsabilité, ce n'est pas de plonger le pays dans l'austérité, mais ce n'est pas non plus de renoncer à nos objectifs d'assainissement de nos finances publiques.
Le sérieux budgétaire, c'est la condition de la reprise durable de l'activité, pour permettre à l'Etat, aux entreprises mais aussi aux ménages de continuer de se financer à des taux d'intérêts attractifs et favorables.
Le cap qui est le nôtre, c'est celui de la réduction de nos déficits à un rythme compatible avec le retour de la croissance. C'est l'objectif que nous nous sommes fixé et nous devons nous y tenir l'année prochaine et au-delà. Comment ?
Il y avait en réalité plusieurs options devant nous. La première aurait été d'augmenter les impôts. Certes, cela nous donnerait des marges supplémentaires pour continuer d'augmenter les dépenses. Ma réponse est non ! Nous avons pris des engagements vis-à-vis des ménages et nous les tiendrons, sans exception.
Le Conseil constitutionnel a, par exemple, censuré une mesure de baisse des cotisations salariales – il n'y a pas lieu de revenir sur cette décision, que je regrette. Je vous confirme aujourd'hui que conformément à ce que nous avons dit en août et qui a depuis été réitéré par le Président de la République et le premier ministre, le projet de loi de finances prévoira des baisses d'impôts de même ampleur pour les ménages et entamera la fusion du RSA-Activité et de la Prime pour l'Emploi (PPE), qui devra être effective au 1er janvier 2016.
L'impôt sur le revenu sera ainsi baissé pour les classes moyennes. Plus largement, je tiens à souligner qu'en 2015, pour la première fois depuis quatre ans, aucune mesure générale avec des effets parfois retardés, comme la suppression de la demi-part des veuves votée en 2008, ne viendra augmenter l'impôt sur le revenu des Français. Cette période est désormais révolue.
Notre objectif, c'est la stabilité fiscale. Pour donner de la visibilité, de la prévisibilité, pour permettre d'investir, d'entreprendre et de planifier des projets dans un cadre fiable et sécurisé. Cela vaut pour les entreprises, auprès de qui je me suis engagé à mettre en oeuvre le principe de non-rétroactivité fiscale, mais aussi pour les ménages.
La deuxième option aurait été de reporter une partie des mesures du Pacte de responsabilité et de solidarité. Là encore, ma réponse est non ! Le Pacte décidé et voté par le Parlement sera mis en oeuvre dans son intégralité et selon le calendrier prévu. Au total, avec le CICE, le Gouvernement et le Parlement se sont engagés sur une baisse de quarante milliards d'euros de prélèvements en quatre ans. Nous nous y tiendrons.
Je ne reviendrai pas ici sur la perte de compétitivité de nos entreprises et notre décrochage de 2002 à 2012 : nos entreprises ont perdu des parts de marché, nos déficits commerciaux se sont creusés. Autant de facteurs de dépendance pour la France vis-à-vis de l'extérieur !
Aujourd'hui, cette spirale a été enrayée. La France a cessé de perdre des places dans les classements de compétitivité et les marges des entreprises, pour la première fois depuis 2008, ont recommencé à augmenter.
Avec le CICE, les mesures du Pacte permettront de redonner aux entreprises françaises l'équivalent exact des marges qu'elles ont perdues entre 2008 et 2013, des marges qui sont indispensables pour investir, innover et embaucher et sans lesquelles c'est la croissance, et parfois même la survie de nombreuses entreprises qui est en cause.
Car soutenir les entreprises, c'est d'abord soutenir la production dans notre pays, au bénéfice de tous. Les Français le savent : sans production et sans richesses produites, le pays s'appauvrit et le chômage augmente. Oui, la première contribution au pouvoir d'achat, c'est l'emploi.
Je refuse tout autant de laisser notre déficit augmenter en 2015 et de compromettre notre stratégie de réduction progressive des déficits. Là encore, ma réponse est non à l'idée de laisser filer nos déficits publics !
La maîtrise des dépenses est une nécessité et nous irons jusqu'au bout de l'objectif de 50 milliards d'économies prévues jusqu'en 2017, à commencer par les 21 milliards d'économies prévues pour la seule année 2015.
Les deux milliards d'économies qui ne seront pas réalisés à cause de la faiblesse de l'inflation seront donc compensés. Nous n'augmenterons pas le montant d'économies réalisées – j'ai déjà dit que je ne le souhaitais pas – car ce serait, en 2015 comme en 2014, préjudiciable à la croissance et risquerait de nous plonger dans l'austérité. Mais nous maintenons le montant prévu.
Au total, les dépenses de l'Etat et de ses opérateurs diminueront de plus de 1 milliard d'euros, quand naturellement elles auraient progressé de 6 milliards. La baisse des dotations aux collectivités locales sera confirmée à hauteur de 3,7 milliards. S'agissant de la sécurité sociale, plusieurs milliards d'économies ont déjà été votées ou négociées. S'y ajouteront le ralentissement des dépenses de santé. Les autres mesures complémentaires seront détaillées dans les textes financiers présentés dans les prochaines semaines.
Nous avons pris des engagements en matière d'économies de dépenses, et nous les tiendrons. Nous engagerons par ailleurs la revue des missions de l'Etat, accompagnée d'une revue des dépenses, afin de permettre à la puissance publique de se moderniser et de mieux répondre aux besoins de nos concitoyens.
La maîtrise de la dépense publique constitue un des piliers de notre politique économique, au même titre que les baisses de charges ou les réformes structurelles qui, elles aussi, iront à leur terme.
Des réformes structurelles, ambitieuses mais négociées et qui permettront de simplifier la marche des entreprises, de faciliter l'embauche, tout en améliorant la qualité du dialogue social dans l'entreprise. C'est la réforme du marché de l'emploi, du travail et de la formation engagée en 2012 que poursuit François Rebsamen avec les partenaires sociaux.
Nous diminuerons le nombre des collectivités locales tout en clarifiant leurs compétences, c'est la réforme territoriale. Cela permettra, à terme, des gains d'efficacité – avec notamment un meilleur fonctionnement des intercommunalités, ce qui devrait permettre à la dépense locale d'évoluer au rythme de l'inflation, alors qu'elle a progressé de manière beaucoup plus dynamique ces dernières années.
Enfin nous redonnerons du pouvoir d'achat aux Français grâce au projet de loi de croissance que présentera prochainement le ministre de l'économie, Emmanuel Macron.
Sur tous ces sujets, le cap est fixé et nous n'en dévierons pas. Nous faisons des choix. Nous avons une stratégie. Elle est fondée sur des engagements. Ces engagements seront honorés, et cela malgré les circonstances difficiles que nous traversons. C'est la constance qui crée la confiance, et la décision de la France, c'est de mettre en oeuvre intégralement les grands axes de sa stratégie économique :
- 40 milliards de baisses de prélèvements sur les entreprises d'ici 2017, dont 12 en 2015,
- 50 milliards d'économies de dépenses d'ici 2017 dont 21 en 2015,
- Et enfin la poursuite des réformes rapides et de grande ampleur au service de la croissance et du dynamisme économique du pays.
La conséquence de cette stratégie, c'est qu'avec une croissance et une inflation faibles, la baisse des déficits que nous prévoyons pour 2015 sera limitée, avec un déficit prévu de 4,3% du PIB en 2015 et un passage sous le seuil des 3% en 2017.
L'enjeu, je le redis, c'est de trouver, au niveau européen, le bon rythme de réduction des déficits qui permette de préserver la croissance et qui passe par une maîtrise des dépenses.
Mais la position de la France doit être claire : dans le débat européen qui s'est ouvert, nous ne demandons pas la modification des règles européennes, nous ne demandons pas leur suspension, ni aucune exception pour la France non plus que pour les autres pays.
Nous demandons la prise en compte collective d'une réalité économique qui nous concerne tous, une croissance trop faible et une inflation trop basse, dans le respect des traités : le respect des principes et des règles qu'ils posent mais aussi des flexibilités qu'ils offrent –comme l'ont indiqué les Chefs d'Etat et de gouvernement lors du Conseil européen tenu il y a deux semaines.
Ces sujets feront l'objet de discussions de l'ensemble des partenaires européens dans les prochaines semaines, dans une perspective qui doit d'ailleurs être plus large que la simple perspective budgétaire, avec comme ligne directrice notre objectif commun : retrouver une croissance durable, avec plus d'emploi et moins de déficit et de dette.
Ceci appelle une stratégie économique cohérente au niveau européen – avec une politique monétaire en soutien, des politiques budgétaires adaptées, des réformes structurelles mais aussi un plan de soutien aux investissements, encore en dessous de leur niveau de 2008 et facteurs de croissance à venir.
Comme l'a dit à plusieurs reprises le Président de la BCE, Mario Draghi, cette situation de fragilité économique, à un moment où le chômage est élevé et où la zone euro n'a pas encore retrouvé son niveau de richesse d'avant crise, pose la question de la réponse de politique économique adaptée. Et pas seulement pour la politique monétaire.
Son soutien est nécessaire, il a conduit à une baisse de l'euro depuis le printemps de près de 10 centimes par rapport au dollar.
Les Etats doivent aussi s'interroger sur la politique budgétaire adaptée et les réformes à mener. Ce débat est européen, pas français ; il est même mondial – il sera d'ailleurs à l'ordre du jour des discussions du G20 et des assemblées annuelles du FMI, auxquelles je participerai dans les semaines à venir.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 10 septembre 2014