Texte intégral
Madame le Maire,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Je remercie les organisateurs de m'avoir invité à conclure vos travaux. Je voulais répondre à cette invitation car «convergences» joue un rôle important pour rassembler des femmes et des hommes de tous horizons autour de la volonté, vous l'avez indiqué Monsieur Severino, de construire un monde plus juste et plus durable.
Le principe même de «convergences» - faire dialoguer et converger des approches et des questions apparemment distinctes - entre en résonance avec l'approche, que j'essaie de mener, de la diplomatie française, qui est une diplomatie globale. Nous essayons de ne jamais séparer la promotion des principes que nous portons - la recherche de la paix, la démocratie, les droits de l'Homme, la solidarité, le développement durable et l'affirmation de notre pays. Si la France pèse dans les affaires internationales, c'est qu'elle essaye de conjuguer la défense de ses intérêts et une vision universaliste. C'est la raison pour laquelle nous nous engageons pour une meilleure organisation de la planète à travers l'amélioration de la gouvernance mondiale. C'est pourquoi également nous sommes un acteur majeur du développement. C'est aussi pourquoi, et c'est le point sur lequel j'insisterais, compte tenu de l'actualité et du rôle que va jouer la France, nous nous engageons fortement sur le climat, en accueillant et en présidant l'an prochain, en décembre 2015, l'échéance majeure de la COP21, et nous aurons à cette occasion beaucoup d'opportunités de travailler avec la ville de Paris.
Co-construire le monde de 2030 ? Je partirai de quelques réflexions sur les grands enjeux des prochaines années en termes de développement.
Le XIXème siècle a été le siècle de la «grande divergence» : grande divergence entre les pays qui sont entrés les premiers dans l'ère industrielle et les autres ; grande divergence entre les niveaux de vie et de développement de régions du monde dont les économies étaient jusque-là assez comparables. Cette fracture du monde a duré pendant la majeure partie du XXème siècle parce que le cercle des pays à hauts revenus s'est à peine élargi. Beaucoup avaient fini par considérer cette divergence comme inéluctable.
Depuis la fin du XXème siècle, le mouvement s'est inversé. Depuis une trentaine d'années, dans un nombre croissant de pays, les revenus par tête augmentent. Aujourd'hui, un peu moins de 2 milliards de personnes dans le monde disposent de 10 à 100 dollars par jour mais en 2030, selon l'OCDE, ces personnes seront devenues 4,8 milliards. La Chine aura selon toute probabilité rejoint la catégorie des pays à hauts revenus. D'autres pays, comme l'Indonésie, seront en passe de la rejoindre. En Inde, mais aussi en Afrique, la grande pauvreté aura, je l'espère, heureusement reculé. Ce passage de la «grande divergence» à une certaine «grande convergence» est un fait majeur.
Un des principaux enjeux du XXIème siècle c'est d'une part l'action contre l'exclusion des plus pauvres - ils restent nombreux et la pauvreté demeurera insupportable - et d'autre part de faire en sorte que cette convergence soit une réussite - c'est-à-dire que la réduction du fossé qui s'est creusé pendant deux siècles entre le monde développé et le reste se fasse d'une manière qui soit viable pour tous - sur les plans politique, économique et écologique.
Nous sommes, au Nord comme au Sud de la planète, désormais tous confrontés à des défis voisins : en particulier celui de trouver des modes de développement soutenables, compatibles avec des ressources naturelles plus rares et la préservation de la planète. Celui de la lutte, terriblement actuel, contre les épidémies qui ne connaissent pas les frontières, comme l'a tristement illustré la pandémie du sida et aujourd'hui Ebola. Celui de la lutte contre le terrorisme qui déstabilise les sociétés du Nord comme du Sud.
Cette grande convergence introduit des bouleversements dans l'ensemble de la planète. Elle place la question de la coexistence harmonieuse de nos modèles de développement au cœur du débat. L'amélioration de la situation des quatre milliards d'habitants de ces pays émergents est une très bonne nouvelle. Ils aspirent légitimement à élever notre niveau de vie : comment peuvent-ils tirer la croissance mondiale sans épuiser les ressources naturelles de la planète ? Comment, dans le même temps, aider le milliard d'individus qui vivent encore dans la misère, en Afrique et ailleurs, à en sortir alors qu'ils sont plus que jamais soumis aux aléas climatiques et aux variations subites du cours des denrées alimentaires ? Comment défendre et promouvoir le modèle social du milliard de personnes qui vivent dans les pays développés et dont les économies sont aujourd'hui en difficulté ? Voilà, me semble-t-il, des questions auxquelles doivent répondre non seulement vos réflexions sur les dimensions économiques, environnementales et sociales du développement, mais également les politiques de coopération au développement.
Ce mouvement de convergence relative est favorisé par le mouvement des hommes et des biens, mais aussi par la circulation et le partage des idées. Je voudrais à cet égard saluer l'inventivité d'acteurs et de personnalités rassemblés au sein de ce forum. Je salue notamment Amitabh Behar, directeur exécutif de la National Foundation for India qui invente des solutions innovantes pour le développement de régions défavorisées. Je salue aussi le travail de l'Agence française de développement, dont Jean-Michel Severino, fondateur du forum Convergences fut le directeur général.
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On ne sortira pas de la «grande divergence» en répliquant à l'identique le modèle de croissance qui l'a causée. Lorsque les deux tiers de la population mondiale se précipitent à la poursuite de modèles de développement qui ont permis l'essor des pays développés mais qui ne fonctionnent pas sur le long terme, le risque est grand que ce mouvement se brise et étouffe la prospérité. Comment répondre à cet appétit de croissance, à cette aspiration au confort moderne sans décevoir ?
L'une des dimensions clés de ce modèle a été l'utilisation massive d'énergies fossiles, avec son lot de pollution, de dégâts sur la santé et sur l'environnement et d'inégalités. Pour réussir la «grande convergence», il faudra dépasser le modèle fondé sur l'usage quasi exclusif d'énergies hautement carbonées. Réussir «l'après carbone» constitue la condition nécessaire d'un monde équitable.
2030 représente à cet égard une date clef. Si la trajectoire n'est pas sérieusement infléchie à ce moment là - ce qui suppose des décisions maintenant - il sera extrêmement difficile d'éviter l'écueil.
Réussir «l'après carbone», cela veut dire ne pas dépasser 2°C d'augmentation de la température moyenne par rapport à l'ère préindustrielle. Cela veut dire, en 2050, des émissions de CO2 par habitant et par an convergeant autour de 1,6 tonnes en moyenne. Bien sûr il y aura, en fonction des situations de chacun, des pays au-dessus et d'autres, en-dessous. Mais ce chiffre donne une indication de ce qui permettra en 2050 d'être sur la bonne trajectoire, que chacun peut comparer avec ses émissions actuelles. Plus le mode de développement permettra d'être proche de ce chiffre, mieux chaque pays sera placé pour sortir gagnant de cette vaste transformation. Et c'est l'intérêt de chacun d'être le mieux placé.
Comment y parvenir ? Je ne vais pas brandir devant vous des rapports scientifiques sur le dérèglement climatique. Je n'aime pas cette expression de réchauffement climatique. D'abord scientifiquement elle est inexacte car, dans certains cas, le dérèglement se traduira par des réchauffements et, dans d'autres cas, par des refroidissements et surtout par une «extrémisation» des phénomènes. C'est d'un véritable dérèglement dont il s'agit. Quand on voit les rapports scientifiques, ils sont très convaincants. Je note qu'en Europe et dans d'autres pays il y a de moins en moins un climato-scepticisme mais il ne faut pas qu'il laisse la place à un climato-fatalisme en disant que les échéances sont lointaines et donc, ne nous intéressent pas. Beaucoup d'acteurs ont parfaitement compris qu'une économie plus sobre en carbone sera inévitable. Le problème est de créer les conditions politiques d'acceptation d'un tel changement de modèle de croissance. Pour cela, il faut créer la confiance entre des pays qui se sont industrialisés à des moments différents et dans des conditions différentes, qui en tirent parfois une certaine difficulté à se comprendre. Il faut éviter que chacun s'enferme dans une vision dictée par son histoire, son niveau de développement, ses contraintes.
Avec «Paris 2015», la France en tant que présidence va avoir une énorme responsabilité. Nous devons arriver à créer un consensus entre 190 pays autour de certaines règles d'action. Dans notre esprit, les travaux de fin 2015, - qui sont préparés dès la semaine prochaine avec le sommet à l'ONU, où nous serons avec Mme Hidalgo, et à la fin de l'année avec la COP20 présidée par nos amis péruviens -, devront nous permettre de convaincre les uns et les autres.
Il faut rester prudent, mais des évolutions positives se produisent. L'Europe travaille à des objectifs ambitieux pour 2030 mais, attention, l'Europe n'a pas encore pris de décisions et il est impératif, si elle veut peser auprès des autres, que lors du sommet du mois d'octobre nous prenions des décisions en tant qu'Européens. Aux États-Unis, il y a des éléments encourageants, les émissions ont enfin commencé à baisser, mais cette tendance peut et doit être amplifiée. Le président Obama et mon collègue, John Kerry, y travaillent, non sans une forte résistance de certains groupes de pression. La Chine bouge à cause : de l'engagement de ses dirigeants ; d'un niveau de pollution atmosphérique jugé insupportable pour la population ; et d'une réflexion interne sur la durabilité de son modèle de croissance. Certains parlent même d'un pic des émissions chinoises d'ici 2030. En Inde, où j'étais récemment, nous espérons que le nouveau Premier ministre indien, Norendra Modi, dont la sensibilité environnementale est connue, sera capable de surmonter les résistances et d'initier ce travail difficile de réorientation de l'économie. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'obstacles mais nous avons une évolution des mentalités avec, notamment, des très grands pays qui sont décidés à avancer.
Les travaux que vous menez au sein de ce Forum ont contribué à cette prise de conscience et à ces avancées prometteuses. Je vous en félicite. De ces travaux et de ceux déjà menés par nous en vue de la COP21, je retiens trois messages :
- Le premier concerne ce que l'on appelle «la convergence des agendas» : l'agenda du développement et l'agenda du développement durable. Cela signifie que la préservation du climat, de l'environnement, des ressources naturelles, doit devenir une dimension intégrante des politiques de développement. L'adoption prévue en septembre 2015 d'Objectifs du développement durable, intégrant un objectif climatique, en est le symbole. Cela veut dire, aussi, que les négociations sur le climat doivent intégrer plus efficacement la considération du développement et, en même temps que l'objectif des 2°C, qu'il faut garder à l'esprit, doit être compatible avec l'objectif d'un développement universel équitable. Ces deux objectifs sont liés. Si nous dépassons la limite des 2°C il n'y aura pas de prospérité dans la durée. Si nous nous contentons de brandir l'exigence environnementale sans proposer des solutions réalistes pour faire converger équitablement la qualité de vie des habitants des différentes régions du monde vers des niveaux satisfaisants, nous n'arriverons pas à nous entendre pour rester sous la limite des 2°C.
- Autre message : réussir «l'après carbone», ce n'est pas seulement substituer des énergies non-carbonées aux énergies carbonées. Il s'agit de définir de nouveaux modèles de croissance, ce qui passe par les nouvelles technologies, de nouvelles formes d'articulations public-privé, de nouveaux paradigmes de consommation durable. Cette dernière question est une partie fondamentale de l'équation. Et puisque j'ai le plaisir de clôturer ce forum en présence de M. Behar, on peut dire que c'est un thème sur lequel l'Inde possède une réflexion avancée précieuse en vue de la conférence de 2015.
- D'où mon troisième message : il n'y a pas d'acteur, de pays, de région du monde qui n'ait pas quelque chose à apporter. C'est dans cet esprit que nous accueillerons la Conférence 2015 à Paris, et que je travaille à la préparer.
En effet, afin de parvenir lors de la COP21 à un accord à la hauteur de l'enjeu, nous sommes à l'écoute de tous nos partenaires et tout notre réseau diplomatique est mobilisé. Ce n'est pas à un seul pays de définir le chemin pour les autres, mais à mettre nos énergies ensemble pour co-construire le monde de demain.
Notre objectif n'est pas seulement un accord universel juridiquement contraignant et différencié. Devront s'y ajouter une série d'engagements nationaux et un paquet financier - si l'on ne discute pas finances les pays en développement n'y seront pas favorables - comprenant notamment la dotation du «Fonds Vert pour le Climat», et un «agenda des solutions». Cet agenda, c'est un ensemble de mesures concrètes, - provenant également des acteurs non-étatiques -, porteuses de fort potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et aux bénéfices avérés en termes de développement, d'emploi, ou encore de compétitivité.
Les grandes villes, les grandes régions du monde, les acteurs et branches économiques devront contribuer à cet agenda des solutions. L'idéal serait que ces quatre volets puissent, Madame le Maire, composer l'an prochain une véritable «Alliance de Paris pour le Climat» qui marquerait, si nous y parvenons, l'entrée de notre planète dans un nouveau modèle de développement, porteur de transition écologique et de croissance verte. Il ne faut pas présenter cela comme des contraintes, il y en a, mais aussi comme un élément très fort de croissance et de créations d'emplois dont tous les pays ont besoin.
D'ici à décembre 2015, plusieurs étapes importantes auront lieu. Le sommet organisé par le Secrétaire général des Nations unies à New York, dans quelques jours, le 23 septembre, sera une étape importante. Il devra se prolonger à Lima pour la COP20 et nous aurons à entretenir la dynamique jusqu'à la COP21 à Paris.
Mesdames et Messieurs,
Voici notre ambition. Elle est très exigeante et elle va dans le sens qui était évoqué par vous. Nous y mettrons notre énergie. Nous aurons besoin de tous. Et d'abord de vous, vous qui êtes à la pointe de l'engagement et de l'action. Je vous remercie du remarquable travail que vous avez déjà engagé et je compte sur votre aide dans vos pays et dans vos organisations. Merci.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 septembre 2014