Texte intégral
- Politique étrangère -
Monsieur le Directeur,
Monsieur le Doyen,
Mesdames et Messieurs les Professeurs et les Étudiants de l'école des affaires internationales,
Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,
Je vous remercie de m'avoir invité à ouvrir cette année universitaire de l'école des affaires internationales de Sciences-Po. C'est la troisième année de suite. Les deux années précédentes m'ont laissé un très bon souvenir, notamment pour la vivacité de vos questions. Je me suis dit qu'il y avait là des jeunes de tous les pays du monde qui aiment la France, qui ont un regard ouvert et qui vont peut-être contribuer à changer le monde. C'est pourquoi cela me fait plaisir d'être avec vous.
Vous l'avez dit, l'été 2014, sur le plan international, restera comme l'été de tous les dangers, de toutes les crises.
Gaza et Israël, l'Irak, la Syrie, l'Ukraine, la Libye, le Sahel, la RCA, et d'autres encore, ce sont des conflits meurtriers qui concernent d'autant plus la France qu'ils interviennent dans des parties du monde où la France est traditionnellement active. Ils s'ajoutent à d'autres crises ? crise sanitaire avec la fièvre Ebola, crise climatique avec les dérèglements liés aux gaz à effet de serre, crise économique avec l'atonie européenne - qui dessinent un monde instable et très menaçant.
(...)
Malgré la nature différente de ces différentes crises, on peut estimer que leur simultanéité, leur multiplication et l'incapacité collective à les résoudre ne sont pas le fait du hasard. Les causes de cette situation peuvent nous éclairer sur l'état du monde et sur les dynamiques géopolitiques à l'oeuvre. C'est pourquoi j'ai choisi dans une première partie de traiter de cela en distinguant trois causes d'ordre général qui expliquent le nombre de ces crises, leur simultanéité et leur rôle.
La première explication, c'est la «dépolarisation du monde». C'est une analyse que j'ai déjà développée ici-même. Nous sommes passés du monde bipolaire de l'après-guerre - quand les États-Unis et l'URSS s'affrontaient mais contrôlaient ensemble les crises - à un monde unipolaire après la chute du mur de Berlin - quand les États-Unis faisaient la loi -, pour connaître désormais un monde zéropolaire, aux repères idéologiques brouillés, dans lequel des puissances majeures existent - anciennes ou nouvelles -, mais sans qu'aucune d'elles, seule ou en alliance stable avec d'autres, ne maîtrise vraiment les crises. Faute de puissances réellement régulatrices, notre monde est devenu un monde de tous les dangers.
La solution pour remettre de l'ordre, de la stabilité et de la paix consiste à aller demain vers un «monde multipolaire organisé» et c'est la forte volonté politique de la France d'agir en ce sens. Mais plusieurs séries de conditions doivent être remplies, qui ne sont pas toutes faciles : les États-Unis doivent partager l'analyse de cette situation et en tirer les conséquences pratiques, l'Union européenne doit revendiquer et montrer une véritable capacité stratégique, les pays émergents, la Chine notamment, doivent assumer toutes les responsabilités de leur puissance nouvelle, la Russie, membre permanent du Conseil de sécurité, devra respecter ses principes fondamentaux de cette organisation et l'ONU doit jouer pleinement son rôle de gardien de la paix et de la stabilité, etc. On voit que nous en sommes loin. C'est parce que ce monde est un monde dépolarisé que les crises ne parviennent pas à être maîtrisée et qu'elles sont si nombreuses, si simultanées et qu'elles se nourrissent.
Une deuxième explication de ce monde multi crises, qui entraîne d'ailleurs dans les opinions publiques une inquiétude généralisée que l'on pourrait appeler la «paninquiétude», c'est ce que j'appellerai «l'éclatement de la puissance». D'un côté, de nouveaux États revendiquent ? souvent avec raison - une place accrue. D'autre part, les États ne détiennent plus le monopole de la force. Certains États n'en n'ont plus que le nom - je pense à la Libye, à la Centrafrique, résultat de décennies de mal-gouvernance qui les ont fragilisés. Face à cette vacance de l'autorité étatique, d'autres groupes, qui ne sont pas des États revendiquent ce rôle. C'est le cas de ceux qu'il faut appeler non «l'État islamique» - car ils ne sont pas un État et ne représentent en rien l'Islam -, mais les «égorgeurs de Daech», qui prétendent s'arroger des pouvoirs quasi-étatiques en matière de finances, de justice, d'armée, de pensée et d'abord et enfin de vie ou de mort. La société internationale se retrouve ainsi confuse, mélangée, avec des notables traditionnels, des nouveaux riches, des mafias, des milices, des groupes interlopes et des hors-la-loi. Cet éclatement de la puissance paralyse les mécanismes traditionnels de sécurité collective, particulièrement le Conseil de sécurité des Nations unies qui n'exerce pas assez son rôle de «juge de paix». Si l'on rapproche les deux phénomènes - la dépolarisation du monde et l'éclatement de la puissance -, je pourrais résumer la situation internationale actuelle ainsi : davantage de forces à contrôler et moins de forces pour les contrôler.
J'ajoute une troisième explication qui repose sur la «dispersion de la capacité destructrice». C'est vrai sur le plan nucléaire : de là l'importance de la négociation actuelle sur le nucléaire iranien. Plus généralement, pour des raisons notamment technologiques, des groupes et même des individus peuvent bien plus facilement qu'hier acquérir, amplifier et projeter leur propre capacité destructrice. Les attentats effroyables de New York le 11 septembre 2001 avaient coûté, estime-t-on, 1 million de dollars. Aujourd'hui, Daech dispose de plusieurs centaines de millions de dollars, voire des milliards, puisque dans le seul rapt de la banque de Mossoul il a prélevé 500 millions de dollars. Songez aussi aux dégâts que rendent désormais possibles la puissance de Boko Haram au Nigeria. Ces groupes sont de natures diverses : certains - je ne parle évidemment pas de Daech - peuvent porter des revendications légitimes, même si leurs moyens ne le sont en aucun cas. D'autres développent des thèses et des pratiques totalement inacceptables. Les États installés, divisés, éprouvent beaucoup de difficultés à pouvoir engager un dialogue avec les premiers et à combattre efficacement les seconds.
Ces trois phénomènes - dépolarisation du monde, éclatement de la puissance et dispersion des capacités destructrices - expliquent pour une large part les difficultés à mettre fin à ces crises. On assiste au pourrissement de ce que l'on appelle dans les traités de relations internationales «l'ordre westphalien». Je me méfie des comparaisons historiques : l'Histoire ne se répète jamais. Mais n'y a-t-il pas des leçons à tirer de ce qui s'est passé il y a un peu plus de quatre siècles ? L'Europe, à l'époque, connaissait le chaos parce que les peuples s'y entretuaient, non pas au nom des nations - concept largement inconnu - mais au nom des luttes interreligieuses et même intra religieuses - catholiques contre réformés -. Il n'existait pas alors d'institution capable de rétablir ordre et sécurité. C'est précisément au milieu du 17ème siècle qu'avec Hobbes et son «Leviathan», apparut une idée et une pratique nouvelles : les citoyens décidèrent de passer entre eux un contrat pour déléguer à une institution, l'État, le monopole de la violence ; c'est alors la création de la puissance publique et de l'ère moderne, source de prospérité ensuite.
Dans un contexte différent, je considère qu'un phénomène voisin se produit aujourd'hui. Au Moyen-Orient comme en Afrique et jusqu'en Indonésie, les luttes mortelles entre chiites et sunnites se développent, avec la proclamation de groupes qui ignorent les frontières et donnent le primat aux religions sur la notion d'État. Les menaces et dégâts sont si graves que, dans cette situation, certains vont même - on entend cela que je ne partage en aucun cas ! - jusqu'à regretter le temps des Saddam Hussein et autre Kadhafi, regret que nous ne partageons pas car on ne peut condamner les peuples à l'alternative - terrorisme ou dictature. Ce qui est sûr, c'est qu'il faut renforcer l'État, les États, tout en les modernisant, en les adaptant, en les confortant comme institution, comme lieu de stabilité, capables de rassembler des populations diverses pour un projet commun, capables aussi de négocier avec leurs voisins, de trouver des compromis, d'assurer la paix et, si possible, le progrès dans une société internationale maîtrisée. Les diplomaties ont été construites pour traiter d'État à État et pour gérer des conflits surtout interétatiques. Elles se retrouvent aujourd'hui face à des situations et à des acteurs qu'elles ont du mal à appréhender, puisque ce n'est pas l'ordre traditionnel des choses.
À ces causes générales s'ajoutent des situations régionales particulières. Pour m'en tenir au Moyen-Orient, le conflit israélo-palestinien, sans cesse recommencé, alimente un terreau permanent d'affrontements. Les oppositions religieuses contribuent aux conflits. Les printemps arabes, facteurs d'espérance à l'origine, ont placé plusieurs pays devant le choix impossible que j'évoquais - pour schématiser, dictature ou terrorisme -, là où la solution souhaitable serait un régime modéré, «à la tunisienne», inclusif, respectueux des droits humains et porteur de progrès. Ajoutons-y les contradictions et les hésitations de la communauté internationale et de plusieurs de ses dirigeants, certaines interventions militaires justifiées et d'autres non, en tous cas rarement suivies du long accompagnement politique indispensable, la marée misérable des déplacés et des réfugiés, la contagion des problèmes transfrontières, la pauvreté persistante des peuples contrastant avec l'insolente richesse de dirigeants... Tout cela ajoute des crises aux crises, face auxquelles le simplisme mortifère et connecté du nouveau terrorisme constitue une menace terrible non seulement pour les pays directement concernés, mais pour le monde entier, donc pour nous-mêmes.
Chers Amis,
La stabilité repose sur quelques principes - dont l'intangibilité des frontières -, sur des mécanismes de gouvernance - dont l'ONU et le Conseil de sécurité -, et sur des États qui y contribuent - militairement, financièrement... - sous le contrôle des organisations internationales légitimes. Ce modèle est aujourd'hui fragilisé : remise en cause des normes fondamentales - notamment le respect des frontières -, paralysie des institutions multilatérales face à certaines crises, manque d'engagement de certaines grandes puissances en faveur de la paix et de la stabilité. Constatons cependant que si le modèle actuel est contesté localement et ébranlé, il n'existe pas aujourd'hui de modèle évident de rechange.
Le monde multipolaire organisé que la France veut contribuer à construire passe en effet par la consolidation et l'adaptation de cet ordre international. Nous avons toutes les raisons à la fois de rester attachés à ses principes fondamentaux - stabilité des frontières, respect des droits de l'Homme - et de réformer le multilatéralisme pour l'adapter au nouveau monde en faisant évoluer nos modes d'action pour prendre en compte les nouvelles menaces et la multiplication des acteurs avec lesquels il faut dorénavant traiter.
Je tire de cela quelques grandes orientations pour notre action, que j'ai présentées la semaine dernière lors de la Conférence des ambassadeurs. Disant cela, je souligne que la France refuse absolument le piège de la résignation. Alors que le monde semble s'acheminer vers un ordre post-westphalien, il pourrait être tentant d'en conclure que les États sont condamnés à l'impuissance. Certes, ils sont défiés et ne peuvent tout régler seuls. Mais ils restent au centre du jeu et demeurent les principaux dépositaires de la légitimité. Or cette position serait menacée s'ils refusaient d'assumer leurs responsabilités. Cette voie, que j'appelle «la tentation neutraliste», est encouragée en France par celles et ceux - il y en a - qui, flattant un prétendu bon sens populaire, refusent tout engagement en insistant sur les inconvénients de l'action - qui existent toujours -, mais oublient que la plupart des crises emportent des conséquences mondiales. À ces «neutralistes», il faut opposer qu'il faut mettre en balance le coût de l'action et le coût de l'inaction et que l'inaction ou la procrastination envoient de très mauvais signaux à ceux, nombreux, qui guettent pour bafouer le droit, violer les frontières, défier l'ordre mondial ou, plus simplement, porter atteinte à nos intérêts. La diplomatie française récuse cette tentation neutraliste, mais elle récuse aussi la «tentation gesticulatoire» d'une diplomatie de l'affichage, qui parlerait beaucoup mais agirait peu et prendrait le risque de nous isoler alors qu'il est nécessaire dans ce monde nouveau de travailler bien davantage en réseau.
Ni neutraliste ni gesticulatoire, la politique extérieure de la France se veut active et réfléchie. Lorsqu'on est président de la République, Premier ministre ou chef de la diplomatie française, on a le devoir de servir un certain nombre de grands objectifs qui doivent s'accorder avec les intérêts propres de notre pays et avec notre vision du monde. À cette fin, elle doit être globale.
Globale dans sa conception : l'action extérieure de la France est une et c'est notamment pourquoi le président de la République et le Premier ministre ont décidé d'élargir les compétences du ministère des affaires étrangères, qui devient maintenant le ministère de l'action extérieure de l'État, puisqu'il englobe l'ensemble des champs du développement international, du commerce extérieur, et du tourisme.
Globale dans son champ géographique : pas seulement les continents traditionnellement privilégiés - Europe et Amérique du Nord, une partie de l'Afrique -, mais aussi l'Asie, l'Amérique du Sud et toutes les Afriques. Globale dans ses méthodes : elle utilise tous les canaux - diplomatie stratégique, économique, culturelle, éducative, développement, francophonie, sport... -, elle parle avec tous les acteurs, étatiques ou non, pourvu qu'ils souscrivent à un minimum de règles.
Globale enfin dans ses objectifs : assurer la paix et la sécurité, organiser et préserver la planète, relancer et réorienter l'Europe, contribuer au redressement et au rayonnement du pays. Quelques mots sur chacun d'entre eux.
Mesdames et Messieurs,
Premier objectif de notre diplomatie, l'objectif qui nous détermine lorsque nous avons à prendre une décision, c'est tout simplement la paix et la sécurité.
Mais la paix et la sécurité, ce n'est pas le pacifisme, d'où le choix par le président de la République de l'action, parfois de l'intervention, toujours de l'action, dès lors que celles-ci sont nécessaires et conformes au droit international, par exemple au Mali ou en Centrafrique. D'où la nécessité absolument impérieuse d'avoir un outil de défense qui soit efficace. D'où notre appui concret aux populations aujourd'hui pourchassées en Irak. D'où notre action diplomatique globale, aussi bien la préparation d'une prochaine Conférence internationale pour la sécurité en Irak et contre Daech qu'en Asie du Sud-Est avec notre effort constant pour apaiser les tensions, ou à l'Est de l'Europe pour encourager la désescalade entre Russes et Ukrainiens. D'où aussi notre action pour rechercher une paix durable entre Israël et les Palestiniens, qui passe par la solution des deux États à laquelle la France réaffirme son attachement, ce qui signifie qu'il faudra bien, à un moment, reconnaître l'État palestinien. À chaque fois qu'une question est posée au président de la République, au gouvernement, à moi-même, concernant un choix majeur de politique extérieure, notre réponse est dictée par cet objectif central : la sécurité et la paix.
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Le deuxième objectif, c'est l'organisation de la planète et sa préservation. Sur l'organisation de la planète, c'est une question absolument fondamentale. Nous sommes dans la semaine qui précède l'Assemblée générale des Nations unies. Nous avons une certaine conception des Nations unies qui, pour nous, est absolument fondamentale. Nous demandons un certain nombre de modifications. Nous faisons des propositions, y compris assez ambitieuses là-aussi, jugées parfois idéalistes. Compte tenu de la paralysie du Conseil de sécurité, nous avons proposé que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité acceptent lorsqu'il y a crimes de masse, de suspendre volontairement l'utilisation de leur droit de veto, ce qui permettrait, dans le cas du drame syrien - 190.000 morts - qu'il n'y ait pas une paralysie de cette instance, qu'il y ait un juge de paix qui devrait pouvoir faciliter la solution définitive. Et puis, bien évidemment, nous avons une vision sur la représentativité des différents pays, sur la modification du Conseil de sécurité, sur la place des pays en développement. Non seulement nous nous intéressons pratiquement - nous sommes un des acteurs puisque nous un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité -, mais au-delà de l'organisation de la planète, nous sommes un acteur qui se veut extrêmement volontariste sur la préservation de la planète.
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Enfin, autre objectif de la diplomatie française, le rayonnement et le redressement économique du pays. Chaque fois que nous prenons des décisions nous essayons d'aller dans ce sens. Ayant à l'esprit ce que j'ai dit sur la diplomatie globale et avec les modifications de périmètre qui sont intervenus pour le ministère des affaires étrangères. Je considère maintenant que si l'on veut rayonner davantage nous devons appuyer sur toutes les touches du périmètre. Bien sûr la dimension stratégique, la dimension économique, les dimensions culturelle, linguistique, scientifique, la dimension de développement. La France a la chance d'avoir un réseau diplomatique qui est le troisième du monde, elle est la cinquième puissance économique au monde, c'est une puissance militaire et de rayonnement culturel, elle une langue qui pourra être parlée, dans plusieurs années, par des centaines de millions de personnes. C'est sur tous ces éléments là qu'il faut jouer pour résoudre les troisième et la quatrième difficultés.
En conclusion, je dirais que si nous pouvons nous fixer ces objectifs globaux, qui ne traduisent pas une certaine arrogance - même si souvent on le reproche à la France - nous sommes de fait une puissance globale. C'est lié à l'histoire, à la géographie, à nos principes, à notre langue, à l'effort de tous ceux qui ont bâti la nation française et son image dans le monde. Ma conviction, c'est que notre position internationale, qui est très forte, pourrait s'étioler s'il n'y avait pas de redressement économique de notre pays, tant il est vrai dans le monde actuel, je le constate, l'influence politique ne peut pas être durablement déconnectée du pouvoir économique. Cela ne veut pas dure que tout doit être subordonné à l'économie. D'où la recherche de cohérence qui veut mettre en résonance la diplomatie politique et stratégique avec la diplomatie économique et l'ensemble des composants de notre action extérieure (culture, éducation, développement, expertise...).
Je ne sais pas ce que vous choisirez de faire plus tard, mais sachez que la diplomatie est un des champs les plus passionnants. Non seulement cela requiert une intelligence de tous les instants, mais aussi une vision longue. Les femmes et les hommes qui se sont engagés dans cette sphère pensent aux autres, sont compétents, ne ménagent pas leur énergie et leur temps, qui aiment à la fois leur pays et le monde. C'est une des raisons que je pense, et je suis là pour la troisième fois, il est extrêmement important et positif que dans cette grande école vous ayez choisi de donner une place éminente à la diplomatie et que beaucoup de vos étudiants viennent de l'étranger. Je pense que c'est le visage de la France qui défend son histoire, ses intérêts et sa culture mais ne sépare jamais la défense de ses intérêts de celle des intérêts du monde. (...).
- Russie - Ukraine -
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La paix et la sécurité, c'est aussi le sens de notre action dans la crise russo-ukrainienne. C'est une situation extrêmement complexe, où se mêlent des héritages de l'histoire, des frustrations diverses, des aspirations divergentes, des nationalismes. La Russie conduit ce que certains appellent un conflit «non linéaire», associant en permanence tension et détente tout en menant sur le terrain des actions de déstabilisation, de manière souvent indirecte. Quelle est la stratégie de la France ? Il faut au-delà de l'analyse précise de la situation se fixer un cap et, par rapport à ce cap, il faut tenir compte des évolutions avec réalisme sans perdre de vue le cap. Nous avons dès le début, avec le président de la République, dit que notre attitude devait être de fermeté et de dialogue.
La Russie de M. Poutine a annexé la Crimée. On ne peut pas accepter qu'un pays, sous prétexte qu'il est puissant, annexe contre sa volonté une partie, une région d'un autre pays. Imaginez ce que cela signifie en Europe, en Asie, dans tous les continents. Ce n'est pas acceptable, de la même façon qu'il n'est pas acceptable que, directement ou par personnes interposées, on fasse la guerre ou que l'on nourrisse un conflit sur une partie d'un État voisin. Il faut donc réagir, même s'il y a des inconvénients, et il y en a : ce sont les sanctions, car j'imagine que personne de raisonnable ne prétend que la guerre doit être déclarée à la Russie.
En même temps, si on veut arriver à la désescalade, il faut essayer de garder le fil du dialogue. Notre stratégie consiste à promouvoir la désescalade qui passe par le dialogue - «format de Normandie» -, où l'action de la diplomatie française a été de faire se rencontrer ceux qui jusqu'à présent ne parlaient pas ensemble, et nous continuons avec le président Poutine, avec le président Porochenko, Mme Merkel et le président français, et nos correspondants ministres des affaires étrangères. Donc, fermeté et dialogue pour arriver à une désescalade, pour arriver à une certaine vision qui n'est pas utopique mais qui a un objectif où l'Ukraine, de par sa situation géographique, pourrait avoir des relations correctes à la fois avec la Russie et avec l'Union européenne. L'objectif est très difficile à atteindre à cause des passions, de la politique, des nationalismes, des intérêts... C'est à cela que nous travaillons.
Nous sommes dans l'Histoire en train de se faire. Nous avons, entre les pays d'Europe, décidé un certain nombre de sanctions. Nous avons eu, la semaine dernière, une réunion de l'OTAN, où nous avons parlé de cette question avec les États-Unis. En ce moment-même, les sanctions et leurs conditions de publication et d'application sont discutées. En fonction de ce qui se fait sur le terrain, un cessez-le-feu a été signé, un protocole d'accord en 12 points ; est-il ou pas respecté ? S'il est respecté, les sanctions pourront ne pas être appliquées. S'il n'est pas respecté, même si cela a des inconvénients, les sanctions devront être poursuivies. À long terme en tout cas, nous souhaitons que la Russie reste un partenaire majeur pour la France et l'Europe et qu'elle assume ses responsabilités dans l'ordre international, mais nous ne pouvons pas laisser mettre en cause la sécurité de l'Europe. En l'espèce, c'est bien de cela qu'il s'agit. (...).
- Irak - Syrie -
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Dans ce monde, les crises se multiplient et se nourrissent les unes les autres. La guerre américano-britannique d'Irak et l'intervention en Afghanistan ont contribué à disperser Al-Qaïda à travers la planète. Ses métastases au Sahel ont renforcé des mouvements plus anciens et en ont généré de nouveaux. L'anarchie en Libye a nourri le terrorisme en Afrique, cependant que la Syrie est devenue un champ de bataille entre dictature et djihadistes, les uns et les autres contribuant à la montée de ce que je vais appeler à partir d'aujourd'hui, «les égorgeurs de Daech».
Je le disais il y a quelques dizaines de minutes devant les députés, en parlant d'«État islamique», c'est un étrange hommage qui serait rendu à nos adversaires que de reprendre le nom qu'ils se sont donné. Ce n'est pas un État, ils le voudraient, mais c'est un groupe terroriste. Et «islamiste», en français, est perçu comme une notion ambigüe, ambivalente : islam, islamique, islamiste, musulman, alors que ce groupe d'égorgeurs, bien évidemment égorgent aussi et d'abord des musulmans. Il est important de bien nommer les choses. Dans nos pays, il faut les appeler par le nom qu'ils méritent : ce sont des égorgeurs.
Il y a donc des relations entre toutes ces crises. Il s'est trouvé aussi qu'un certain nombre d'actions ou d'inactions ont contribué à ces crises. Je considère que la renonciation aux frappes contre Bachar Al-Assad fin août 2013, après les attaques chimiques qu'il avait pourtant perpétrées, n'a pas été sans effet à la fois sur la situation générale du pays, sur la situation de cette région et sur le comportement ultérieur du président russe en Crimée ou dans l'Est ukrainien.
(...)
C'est le sens des choix que nous faisons en ce qui concerne le groupe terroriste Daech, l'Irak et la Syrie. Une mobilisation internationale est nécessaire pour répondre à ce danger transnational qui peut atteindre jusque notre sol. Plusieurs centaines de Français djihadistes sont présents en Irak et en Syrie. En Irak, le gouvernement et les minorités ont appelé à l'aide : nous y répondons par des livraisons de matériels militaires et par de l'aide humanitaire. Par l'accueil en France aussi d'un certain nombre de réfugiés.
Sur le plan politique, nous soutenons la constitution d'un gouvernement inclusif. Nous participerons si nécessaire à une action militaire. En Syrie, la situation est à la fois la même et différente. Dans la mesure où Daech est transnationale, il faut à la fois lutter contre ces égorgeurs, être présents en Irak, mais aussi s'intéresser à la Syrie. Du point de vue juridique, comme du point de vue gouvernemental, la situation est évidemment différente. C'est pourquoi nous continuerons à aider l'opposition modérée syrienne qui combat à la fois Daech et le régime Al-Assad. Certains médias ont titré : «la France veut agir en Irak, pas en Syrie». Non ! Nous devons agir dans les deux cas, mais pas selon les mêmes modalités. Dans les deux cas, la solution durable est politique. Daech se nourrit du vide d'État et des décisions qui aliènent les populations. Pour favoriser la solution dans ce pays, il faut arriver à un gouvernement inclusif et nous allons réunir lundi à Paris une conférence autour des principaux États impliqués.
Cette approche ne peut être la même en Syrie : rappelez-vous les séries de véto au Conseil de sécurité des Nations unies, par deux puissances qui, très vraisemblablement, n'ont pas l'intention dans l'immédiat de changer. Mais nous continuerons d'agir, là aussi, dans le sens d'une solution politique.
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Q - Vous avez parlé au tout début de votre conférence de cette alliance à monter pour faire face à ce gang d'égorgeurs, comme vous les avez appelés en Irak et en Syrie. Ce soir même, M. Obama s'exprime sur la question. Demain, le président de la République va à Bagdad. Lundi, il y a la conférence internationale à Paris et là, il y a toute une série de questions qui traversent nos esprits : Qui ? Quoi ? Comment ? Pendant combien de temps, etc... ? Qui va s'allier à cette alliance ? Qu'est-ce que cette alliance va pouvoir faire sur le terrain ? Est-ce qu'il va y avoir des soldats ? La France ne l'exclut pas, l'Amérique semble l'exclure. Combien de temps cela risque de prendre ? Comment concilier les deux situations relativement différentes, de l'Irak où le Premier ministre récemment désigné, nous appelle au secours, et en Syrie où vous ne pouvez pas travailler pour le compte du régime en place, aujourd'hui ? Il y a beaucoup de questions. Pouvez-vous nous informer davantage sur ce sujet. Je sais que la conférence se tiendra à la mi-journée et que le consensus viendra à la fin de la journée préciser les choses, mais quelle sera la proposition de la France, qui présidera cette conférence ?
R - Merci beaucoup. Je vais donner quelques éléments, je ne vais pas nécessairement tout révéler et puis il y a des réponses qu'il n'est, peut-être pas, nécessaire de donner.
D'abord sur Daech, il faut bien comprendre que leurs objectifs sont d'une autre nature et d'une autre ampleur que ses prédécesseurs. Les preuves se situent dans les raisons pour lesquelles les dirigeants se sont séparés d'Al-Qaïda, «ils les trouvaient trop mous». Et ils utilisent ces méthodes qui sont le viol, la crucifixion, l'assassinat comme un instrument de propagande. Ce qui fait que maintenant, le nombre de jeunes et de moins jeunes qui veulent partir là-bas est en augmentation, au détriment, si on peut dire, de la filière traditionnelle. Ils vont vers ce groupe, qui - c'est aussi une différence avec d'autres groupes terroristes - se proclame califat. Ce califat devant s'étendre, dans un premier temps, à l'Irak, à la Syrie, à la Jordanie puis au Liban, Israël et la Palestine. Daech considère que toutes celles et tous ceux, non seulement qui ne pensent pas comme lui et n'acceptent pas de lui être soumis, doivent subir ses violences. Ces choses sont d'une simplicité, d'une autorité, d'une cruauté totales.
Par rapport à cela, il n'y a qu'une réaction possible, c'est de combattre et de les neutraliser, pour employer un mot que certains emploient. Alors, comment ?
D'abord, il y a l'aspect politique. Ne jamais oublier que, on ne gagne pas le combat uniquement avec des outils militaires même si parfois ils sont nécessaires. L'une des raisons pour lesquelles ce groupe Daech a si rapidement mis en échec l'armée irakienne, qui était pourtant puissante et était bien armée, c'est que ce groupe a reçu des appuis de différentes origines. Pour dire les choses encore plus précisément, le précédent gouvernement irakien gouvernait d'une telle façon que les sunnites, pour parler d'une façon un peu trop générique, avaient le sentiment, et pas simplement le sentiment d'être mis à l'écart, d'être pourchassés. Aussi lorsqu'ils ont vu arriver ce groupe Daech, évidemment des liens se sont créés entre Daech et un certain nombre de tribus sunnites.
Ce n'est pas de l'extérieur que l'on va pouvoir mener un combat contre Daech, même si l'extérieur peut être aussi utile. Il faut d'abord que la population et les Irakiens se mobilisent et ils ne l'ont pas fait. Cela nécessite que le gouvernement et sa composition soient changés. Il y a eu un changement de Premier ministre, M. Maliki a été remplacé par M. Al-Abadi. Le président a été également changé ainsi que celui de l'Assemblée. Et on s'oriente vers un gouvernement plus inclusif. Je ne vais pas me lancer dans des analyses nuancées mais je dirais simplement qu'entre le président, le ministre de l'intérieur et le ministre de la défense, il y a encore des choses à régler.
Vendredi [le 12 septembre], nous allons, avec le président de la République, sur place et nous verrons les responsables. L'un des premiers aspects - et c'est l'une des choses que nous ferons lundi lors de la conférence internationale en France -, c'est comment soutenir ce gouvernement inclusif et le pousser dans un certain nombre de réformes qui sont nécessaires.
Le deuxième point, c'est la reconstruction et l'aspect militaire. L'Irak est un pays potentiellement très riche et sa reconstruction sera extrêmement difficile après des années de destruction. Certaines régions sont dans une situation difficile comme dans le nord-est où il y a eu des attaques du groupe Daech vers Erbil et d'autres villes. Il y a tout à reconstruire et il y a une action humanitaire pressante à mener vis-à-vis non seulement, comme le dit avec raison le Pape, des communautés chrétiennes, mais aussi, et c'est très important, envers toutes les minorités : chrétienne, yazidi, musulmane et d'autres encore. Et la France a donné l'exemple, puisque nous avons stimulé un pont européen qui a été établi en apportant des vivres et nous avons accueilli un certain nombre d'Irakiens. Donc le deuxième volet, ce n'est pas seulement le volet politique, c'est le volet de reconstruction.
Le troisième volet, celui qui mobilise évidemment le plus d'attention, c'est le volet de la sécurité, où il faut qu'il y ait une certaine reconstruction de l'armée irakienne. Par rapport à des gens qui sont puissamment armés et qui jouent de leur image de terreur, il faut aussi qu'il y ait un appui de la part d'une coalition internationale. Et nous en avons parlé dans les jours précédents, avec les uns et les autres : mon collègue, John Kerry qui est là-bas en ce moment, le président Obama va s'exprimer. La coalition internationale doit être la plus large possible, comporter évidemment d'abord des pays arabes parce que ce ne sont pas les chrétiens contre les musulmans, ce n'est pas du tout ça. C'est un certain nombre de pays qui n'acceptent pas que des égorgeurs soient là. Aussi, il va y avoir des actions sécuritaires, menés par certains gouvernements, dont le français, et puis il va y avoir certainement des actions aériennes. J'ai vu qu'il y avait une hésitation interprétée sur les Françaises et les Français. Il y a quelque chose que l'on peut faire et le président de la République décidera en temps voulu. Ce n'est pas un mystère que, tout en gardant l'indépendance de notre mission, nous serons dans cette coalition. Voilà pour le volet qui concerne l'Irak.
Pour la Syrie, Daech est à cheval sur l'Irak et la Syrie car il ne reconnaît pas la frontière puisque le califat n'a pas de frontière. On ne peut pas prétendre l'éradiquer si on n'agit pas à la fois en Irak et en Syrie. Si on veut l'affaiblir en Irak, il faut l'affaiblir en Syrie. Si on veut l'affaiblir en Syrie, il faut l'affaiblir en Irak. Simplement, le problème d'un point de vue juridique et d'un point de vue politique pratique ne se pose pas de la même façon, puisqu'en Irak, nous sommes appelés par le gouvernement irakien et donc il n'y a pas de question de droit international.
En Syrie, même si nous considérons que M. Bachar Al-Assad est un dictateur - qui est appelé un criminel contre l'humanité par le secrétaire général des Nations unies - il est pour une part à l'origine du développement de l'union terroriste car une partie des chefs sont sortis des prisons syriennes ont été libérés par M. Bachar Al-Assad. Nous voulons faire en sorte que Daech soit neutralisé, mais sans pour autant relégitimer M. Bachar Al-Assad. C'est une attitude qui doit être un peu différente, mais sans entrer dans les détails, l'objectif réel, c'est quand une lutte est engagée contre un groupe terroriste aussi dangereux, elle doit être menée partout.
(...)
Q - Je reviens sur la question de l'État islamique. Pensez-vous qu'aujourd'hui la France et ses partenaires ont suffisamment tiré les leçons de l'Afghanistan, de l'Irak et de la Libye pour mener victorieusement une guerre de contre-insurrection contre cet État que vous appelez les égorgeurs de Daech. Ou allons-nous nous cantonner à envoyer des soldats à se sacrifier et mourir, en vain, pour leur pays et pour se retirer des années plus tard sans avoir rien accompli, car mal faire vaut mieux que ne rien faire ?
R - Il y a eu des opérations, justifiées ou non, qui ont été menées et d'autres qui n'ont pas été gagnantes et il faut en tirer les leçons de ce qui a fonctionné et de ce qui n'a pas fonctionné.
Dans notre cas, il serait irresponsable de ne pas réagir. Il y a un aspect politique qui est très important, parfois on l'oublie. Il y a aussi le fait que c'est aux populations locales de mener l'action mais nous devons les appuyer car sinon ce ne serait qu'une greffe de l'extérieur qui ne serait pas efficace. Il faut aussi utiliser les moyens pertinents.
Dans le cas précis de la lutte contre Daech, nous sommes obligés de nous défendre car nous sommes des cibles. On pourrait dire, et vous l'entendrez dans certains milieux, que cette affaire est lointaine et couteuse et nous avons déjà beaucoup de problèmes à régler. C'est vrai que c'est loin et coûteux, y compris en vies humaines, mais nous sommes directement concernés. Qui peut croire que plusieurs centaines de terroristes français qui sont allées se battre là-bas s'ils reviennent vont tous devenir professeur à la Sorbonne ? Nous devons prendre cette situation très au sérieux. (...).
- Israël - Territoires palestiniens -
(...)
Q - Comment la France, patrie des droits de l'Homme, arrive aujourd'hui à cautionner la colonisation en cours en Palestine ? Et, si vous ne la cautionnez pas, quelle est, selon vous, la solution, s'il y en a une ?
R - Nous ne reconnaissons pas du tout la colonisation. La France, et d'ailleurs l'Europe, a pris des positions qui consistent, à partir des résolutions des Nations unies, à condamner la colonisation. Ce qui n'a pas empêché le gouvernement israélien d'étendre la colonisation et de rendre, du coup, de plus en plus compliquée la solution, que nous pensons être, à ce stade, la seule, qui est la solution des deux États.
Mais, ayant dit cela et ce n'est pas très original, je voudrais vous dire quelque chose de plus qui peut-être l'est davantage. Quand vous réfléchissez à ce conflit, - que l'opinion publique avait un petit peu oublié en raison des autres pays en difficulté au Proche et Moyen-Orient -, on s'est aperçu, avec le drame récent, d'abord que la solution n'était pas apportée. Et que, lorsqu'il y avait un conflit, cela devenait un conflit absolument fondamental et qui non seulement déchirait la région mais déchirait toute une série de populations à travers le monde.
Quand on regarde ce conflit, il est d'une nature un peu différente d'autres conflits. Pourquoi ? Lorsque vous pensez à tel ou tel conflit qui existe, souvent la question principale posée est : quels sont les paramètres de solution ? Et il est vrai que les paramètres de solution sont assez compliqués et controversés. J'ai à l'esprit toute une série de conflits à travers la planète - des conflits plus ou moins vifs - où la question est : quelle va être la solution ? Et la discussion porte sur la nature de la solution.
En ce qui concerne la Palestine et Israël, les choses, à mon avis, sont un peu d'une autre nature. C'est que les paramètres de la solution - je vais peut-être vous heurter en vous disant cela - on les connaît. Quand vous mettez côte à côte ou en addition le plan proposé par les Arabes - singulièrement les Saoudiens mais qui a été accepté -, le plan proposé par les Américains, le plan proposé par les Européens, je ne dis pas que cela règle tout dans les détails mais les grands éléments sont quand même extraordinairement convergents.
Mais, simplement, ce qui se passe c'est que depuis 25-30 ans, on arrive à un certain moment à faire entrer les parties en négociation, elles avancent et, au moment où on devrait conclure, on n'y arrive pas. On n'y arrive pas parce que mon analyse c'est que, pour des raisons notamment politiques, les deux parties, du côté du gouvernement israélien et du côté des Palestiniens, avec en plus la division entre le Fatah et le Hamas, sont constituées d'une telle manière qu'il leur ait extraordinairement difficile de conclure. Parce que conclure, pensent-ils, ce serait renoncer à ce qu'ils sont eux-mêmes.
La conclusion que j'en tire, c'est qu'il faut bien sûr arriver à les remettre autour d'une table de négociations. Mais qu'il faudra, à un moment ou à un autre, que la communauté internationale, c'est-à-dire les pays arabes, l'Europe, les Américains et le conseil de sécurité des Nations unies, une fois que les parties seront au bord de l'accord, leur dise : «Mesdames et Messieurs, vous êtes au bord mais maintenant c'est comme ça». Sinon, je crains que les choses se déroulent à nouveau comme elles se sont déroulées depuis 30 ans, avec - c'est là l'intérêt de la question qui a été posée - une solution des deux États qui va devenir de plus en plus difficile car il y a un moment où (on va se poser la question) : les deux États, mais où est le deuxième ?
Donc, sur la condamnation de la colonisation, il n'y a pas de débat, du moins pour les Français.
Mais, en revanche, il faut que nous poussions les deux parties à reprendre les négociations et il faut que nous prévoyions les moments, le terme est impropre, je ne vais pas dire «d'imposer la solution» parce que ce n'est pas comme cela que cela se passe, mais que, tirant les leçons de l'expérience depuis maintenant 30 ans, 35 ans, 40 ans, nous nous préparions, Européens, Américains, Arabes, conseil de sécurité, à dire, à la fin : «Mesdames et Messieurs, vous avez discuté ; eh bien, maintenant, c'est cela la solution.».
(...)
Q - Une question sur les événements récents à Gaza. Je voudrais vous demander comment vous pourriez expliquer pourquoi accorder le droit à Israël d'utiliser, et je cite le président Hollande, toutes mesures pour assurer sa sécurité est-il comptable avec la politique française d'équilibre portée par le Quai d'Orsay. Et aussi sur le fait de ne pas se prononcer sur l'ouverture d'une enquête sur les possibles crimes de guerre commis à Gaza ?
R - Sur Gaza et Israël la position du gouvernement français est connue. Nous souhaitons et nous demandons certaines garanties pour la sécurité d'Israël mais, en même temps, cela ne légitime pas toute une série de critiques et nous nous sommes exprimés en ce sens.
(...).
- Liban -
Q - (Sur le Liban)
R - Un accord a été passé - je peux y faire allusion parce qu'il a été rendu public - entre l'Arabie saoudite, le Liban et la France, considérant que l'armée libanaise est un élément central de l'unité du Liban et qu'il lui manquait un certain nombre de matériels. Un accord triangulaire a donc été passé fin décembre de l'année dernière - début janvier de cette année, pour qu'il y ait une fourniture d'équipements à l'armée libanaise, le financement étant assuré par l'Arabie saoudite.
Du côté de la France, il n'y a pas de difficultés. Au contraire, pour les raisons que vous avez dites, il y a nécessité de le faire.
Les choses ont un petit peu traîné parce qu'il y a entre autres une identification des équipements qui doit être opérée. La semaine dernière, le prince héritier, qui est aussi ministre de la défense de l'Arabie saoudite, était à Paris et nous avons discuté de toute une série de questions, notamment de celle-là. En ce qui concerne l'Arabie saoudite et la France, dans cet accord, il n'y a pas de difficultés. Simplement, il faut aussi que nos amis libanais à la fois sélectionnent les matériels, que chacun en soit d'accord et que les livraisons soient effectuées.
Nous travaillons pour que ce soit fait le plus tôt possible pour les raisons en particulier que vous avez dites. D'abord parce que l'armée libanaise est un élément d'unité et que ce pays très important, que nous aimons, doit pouvoir disposer de forces unies et suffisamment puissantes. Ensuite parce que ce pays est soumis à des pressions considérables de la part de la Syrie. Songez qu'il y a 25 % de la population libanaise qui est d'origine syrienne, avec tous les problèmes de tous ordres que cela pose y compris, bien sûr, économiques. Et puis, vous avez raison de dire que Daech, bien sûr s'il s'est concentré sur l'Irak et la Syrie, ne se prive pas d'un certain nombre d'incursions et de possibilités d'actions aussi bien au Liban qu'en, le cas échéant, en Jordanie ou ailleurs.
La position de la France est donc d'honorer le plus vite possible ce contrat.
(...).
- Égypte -
(...)
Q - Sur l'Égypte. Compte tenu des massacres de manifestants largement pacifiques de juillet et août 2013 et de la poursuite de la répression contre toute forme d'opposition dans le pays, considérez-vous, pour reprendre votre expression utilisée tout à l'heure en faisant référence à la Tunisie, que l'Égypte est un régime modéré, respectueux des droits de l'Homme, digne de coopération sécuritaire avec la France ?
R - J'ai eu l'occasion de me rendre en Égypte il y a peu de temps pour essayer de favoriser les négociations entre Israël et les Palestiniens, j'y ai rencontré le président Sissi et mon homologue Sameh Choukri. On connaît l'histoire : c'est une élection qui a mis au pouvoir les Frères musulmans puis un gouvernement qui a abouti à des résultats qui, en particulier sur le plan économique, n'ont pas été seulement récusés mais complètement balayés par la population. S'en est suivi un certain nombre de pratiques et d'exactions qui ont été dénoncées en leur temps.
Ce que nous essayons de faire, c'est demander - c'est notre rôle - que, le plus vite possible, on revienne à des pratiques démocratiques, une feuille de route a été fixée et nous demandons qu'elle soit respectée et, en même temps, nous avons, il ne faut pas le cacher, des relations diverses - sur le plan économique, sur le plan culturel - avec l'Égypte.
On pourra dire : «c'est une contradiction, parce que vous dites que vous êtes le pays des droits de l'Homme et vous avez des relations avec des pays qui n'ont pas la même pratique des droits de l'Homme que vous.». Il est vrai que nous n'avons pas des relations uniquement avec les pays qui respectent les droits de l'Homme, comme les Britanniques ou les Allemands. D'une part, il y a des pays qui ont des pratiques tellement extrêmes - je pense à la Corée du Nord mais c'est presque caricatural - que, là, nous n'avons aucune relation. D'autre part, avec les pays avec lesquels nous avons des relations, nous essayons, à chaque fois, de faire progresser les choses dans une direction positive. Cela ne veut pas dire que nous y arrivons à chaque fois, mais nous pensons que si nous «rompions en visière», comme on disait au XVIIe siècle, avec tous ceux qui ne respectent pas les droits de l'Homme, au fond, nous aurions du mal à faire évoluer les choses.
C'est un point très délicat, car il ne faut pas non plus donner le sentiment de cautionner ce qui se passe lorsque nous ne l'acceptons pas, mais en même temps nous continuons à dialoguer. (...).
- Chine -
(...)
Q - Je viens de Chine, je travaille à l'Association du peuple chinois pour l'amitié franco-chinoise. C'est la troisième fois cette année que je vous vois en Chine (Shanghai, Pékin...). Nous fêtons l'anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre nos deux pays et comment voyez-vous le futur de celles-ci ?
R - C'est vrai que c'est le 50e anniversaire de l'établissement de relations diplomatiques entre nos deux pays par le Général de Gaulle et le président Mao Zedong. Il y a beaucoup de manifestations pour marquer cet évènement mais, indépendamment de cet anniversaire, les relations entre la Chine et la France sont très bonnes et je suis très optimiste quant à leur développement dans tous les domaines.
Domaine économique, bien sûr, car nous avons un revirement a opéré avec un déficit commercial important de 27 milliards d'euros vis-à-vis de nos amis chinois. Dans les domaines éducatif et culturel, nous devons favoriser la hausse des échanges d'étudiants et de scientifiques notamment avec de nombreux échanges entre nos grandes écoles. Dans le secteur stratégique, et tous les mois je suis en relation avec mon homologue chinois, nous concertons sur les grandes affaires du monde pas seulement sur les relations bilatérales, je vais par exemple l'appeler pour lui parler de la conférence sur l'Irak organisée à Paris le lundi 15 septembre.
Pour terminer une anecdote : lorsque nous avons discuté du nucléaire iranien il y a eu des échanges sévères avec les Iraniens. Nous leur avons dit qu'ils pouvaient avoir le nucléaire civil mais pas la bombe atomique. Il y eut un pré-accord qui se dessinait mais qui, sérieusement, ne pouvait pas être accepté. Le représentant iranien s'est levé pour partir et le ministre chinois lui a alors dit que la position de la France était la bonne et qu'il devait se rassoir. C'est ce qu'il a fait.
(...).
- Union européenne -
(...)
Notre troisième objectif, c'est la relance et la réorientation de l'Europe. La France a fait le choix européen et n'a pas du tout l'intention de s'en départir. Mais il faut qu'à cette Europe que nous voulons contribuer à bâtir, la France apporte tout ce qu'elle doit apporter, y compris en termes de sérieux et discipline - je fais allusion à des débats qui existent aujourd'hui. Il faut en revanche que l'Europe permette à elle-même et à la France d'avoir une croissance, des emplois, qui soient satisfaisants, sinon les populations, pas seulement la population française, finiront pas rejeter l'Europe. Cela signifie, par rapport au débat actuel, qu'il y a toute une série de décisions qui ne dépendent pas de Bruxelles et qu'il faut que la France prenne, si elle veut rétablir sa compétitivité, gravement altérée au cours de ces dernières années.
Avant d'être chef de la diplomatie, mes dernières fonctions gouvernementales, j'étais ministre de l'économie. Je mesure en revenant aux responsabilités à quel point la France, nos entreprises ont perdu en compétitivité. Cela se voit dans les chiffres et dans la réalité. Dans un monde ouvert, il faut que nous regagnions cette compétitivité. Il y a donc des décisions qui doivent être prises au niveau français. L'amélioration de notre attractivité nationale, la politique française du logement, de la formation ou de l'apprentissage, l'assouplissement de certaines règles, la réforme de notre État et de nos collectivités locales, la nécessité publique de dépenser moins et d'investir plus, pour ne citer que ces domaines, ne dépendent pas de Bruxelles. Ce serait une erreur d'analyse de dire que c'est parce qu'il y a Bruxelles qu'il faut faire cela. Le choix n'est pas facile, bien sûr, il faut expliquer ce que fait le gouvernement actuel.
En revanche, dans une Europe économiquement atone avec une demande déprimée et 25 % des jeunes au chômage, relèvent spécialement de l'Union notamment le soutien aux investissements pour la croissance, une gestion active de la politique de change, l'adoption d'une nouvelle stratégie énergétique - cela rejoint d'ailleurs le problème de l'Ukraine - ou d'une nouvelle politique de la concurrence. Cela signifie que lorsque la France prend des positions, il faut avoir à l'esprit que c'est cela la ligne : arriver à relancer et à réorienter l'Europe.
L'Europe va avoir dans les prochaines années plusieurs grands défis à relever. Le défi de la croissance : si on reste dans cette situation, avec 25 % de jeunes au chômage, l'idée européenne risque de ne pas y résister. Il faut trouver les voies et moyens pour que l'Europe apporte sa contribution à la croissance. Il y a et il va y avoir le défi de l'énergie et du climat. On comprend bien qu'il ne faut pas simplement une action française, mais une action européenne. Pour cela, il est nécessaire notamment que le Conseil européen de la fin octobre détermine une position européenne. Si l'Europe entend peser par rapport aux autres pays du monde, il faut qu'elle-même ait une position claire ; elle ne l'a pas encore.
En matière énergétique, par rapport aux trois objectifs d'une politique énergétique qui sont d'avoir une énergie bon marché, une énergie sûre, une production d'énergie qui ne compromette pas l'équilibre planétaire, aucun de ces objectifs n'est actuellement atteint. Il faut donc que l'Europe évolue pour arriver vers ces objectifs.
Nous avons le défi du voisinage : j'ai évoqué la crise russo-ukrainienne, je pense aussi à la Libye. Enfin, nous avons un quatrième défi, on est d'ailleurs rattrapé par ce défi avec la question écossaise qui apparaît non pas de façon inattendue mais plus forte que ce qu'on avait pensé, par rapport au Royaume-Uni. En ce qui concerne les Britanniques, la position de la France est tout à fait claire. Nous souhaitons bien sûr que le Royaume-Uni puisse rester en Europe, mais nous n'allons pas accepter le démantèlement de l'Union européenne. Les Britanniques, qui sont spécialistes des clubs, doivent le comprendre : si on adhère à un club de rugby, ce n'est pas pour exiger ensuite qu'on y applique les règles du football. Il faut que tout le monde joue avec les mêmes possibilités et les mêmes contraintes.
(...)
Q - Au sujet de l'indépendance de l'Ecosse et de la Catalogne, quelle est la position de la France ?
R - En ce qui concerne l'Ecosse et la Catalogne, ce sont deux sujets différents.
Pour ce qui est de l'Ecosse, il y a un référendum, qui va avoir lieu dans quelques jours, qui a été autorisé par le Royaume-Uni ; cela n'a pas été fait sans l'aval du Royaume-Uni.
Alors qu'en Catalogne, le gouvernement espagnol s'y oppose et met en avant la Constitution espagnole pour dire que ce référendum ne peut pas être appliqué.
Nous allons voir quels sont les résultats en Ecosse. Je ne vais pas - et ce serait ridicule de ma part de le faire - m'ingérer dans les affaires intérieures, mais nous allons voir les résultats. Evidemment, ensuite il y aura des conséquences positives ou négatives à en tirer, d'abord de la part du Royaume-Uni selon l'issue et ensuite, le cas échéant, sur l'Europe. Mais vous comprenez bien qu'étant ministre des affaires étrangères, je dois faire preuve quand même d'un peu de diplomatie.
Sur la Catalogne, nos amis espagnols regardent ce référendum écossais, quelles que soient leurs positions bien sûr, avec soit beaucoup d'inquiétude soit beaucoup d'intérêt. La position de la France, lorsque j'ai été interrogé, y compris lorsque j'étais en Espagne, est de dire qu'il ne pouvait pas y avoir de référendum reconnu s'il était contraire à la Constitution d'un État, ce qui est jugé tel par le gouvernement espagnol, mais qui n'est pas la situation, encore une fois, au Royaume-Uni.
Simplement, quand on s'occupe de diplomatie il faut aussi considérer le réel. Il est vrai que s'il y avait telle ou telle évolution en Ecosse, cela amènerait à une réflexion, non pas, pour nous, sur le plan juridique mais sur un plan pratique.
(...).
- Financement des mouvements extrémistes -
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Q - Quel est votre point de vue concernant, les Occidentaux, notamment les États-Unis et la France et les pétromonarchies wahhabites de la péninsule arabique qui financent les salafistes et les Frères musulmans et leur bras armé à travers le monde ?
R - La question du financement est évidemment une question tout à fait décisive, parce que ces groupes, quels qu'ils soient, ne peuvent se développer que s'ils disposent de financements.
Les sources de financement sont multiples et, en gros, sont liées à tous les trafics : d'armes, de drogue, d'êtres humains. Mais tout indique qu'il y a des financements qui peuvent venir ou qui sont venus de pays ou d'individus voisins. Avec, sans doute, des idées diverses pour certains par idéologie et pour d'autres avec le sentiment complètement erroné qu'ils allaient se protéger eux-mêmes.
Il ne peut y avoir un combat que s'il est victorieux, que si les dispositions sont prises pour assécher ces canaux du financement. Récemment, les Nations unies ont pris des dispositions - et nous allons le refaire autant que de besoin - pour qu'il y ait des sanctions extrêmement fermes contre les financeurs. Lorsque les Nations unies plus quelques pays - je pense aux États-Unis et à quelques grandes pays - se donnent les moyens, ils peuvent être tout à fait efficaces. Mais tout cela ne peut être efficace que si ces pays-là s'engagent vraiment et qu'un contrôle est effectif.
Je ne vais pas faire une liste, mais je pense qu'il y a quelque chose qui est en train de changer. C'est que ces pays ou ces individus, qui croyaient probablement se protéger avec ces financements, s'aperçoivent qu'eux-mêmes sont au bout du fusil. Chacun comprendra, en regardant une carte de géographie, de qui il s'agit.
Donc, bien évidemment, les discussions que nous avons portent sur la totalité des sujets, y compris bien sûr sur ces questions de financement, avec des contrôles car ce ne sont pas des domaines où l'on peut faire une confiance aveugle aux intéressés.
(...).
- Dérèglement climatique -
L'année prochaine Sciences-Po va contribuer, vous l'avez dit, activement à la préparation de la COP 21. C'est un enjeu majeur parce que la possibilité même de vivre sur terre qui est en cause. Là encore, les mots sont importants, on parle de réchauffement climatique mais ce n'est pas exact, quand on se plonge dans la littérature scientifique - vous avez noté qu'il y a de moins en moins de climato-scepticisme, notamment en France, même s'il est parfois remplacé un climato-fatalisme -, on s'aperçoit que ce prétendu réchauffement ne sera pas partout un réchauffement. Dans certains cas, ce sera un réchauffement, dans d'autres cas, ce sera un refroidissement. Ce sera surtout une extrémisation des phénomènes. Je préfère donc de beaucoup que l'on parle de «dérèglement climatique».
Tous les phénomènes que nous connaissons aujourd'hui vont non seulement modifiés mais bouleversés dans des proportions qui n'épargneront absolument aucune région du monde et aucune activité. Si une action n'est pas menée vite, les conséquences à long terme seront extrêmes et insupportables. L'objectif, c'est deux degrés maximum, mais si on ne fait pas ce qu'il faut, il faut s'attendre à cinq à six degrés. Cela signifie en termes de capacité de vie, de migrations, de possibilités d'avoir de l'eau, de lutte contre les phénomènes extrêmes, en termes tout simplement de possibilité de vie, un chaos total.
Les scientifiques montrent que l'extrémisation des phénomènes existe dès maintenant. Il faut agir dès maintenant. Ce qui pose non seulement la question de ce dérèglement climatique, mais la question du développement. Il n'y a pas d'un côté la question du dérèglement climatique et de l'autre celle du développement. Si le dérèglement climatique n'est pas maîtrisé, il n'y aura pas de développement. De la même façon, si le développement dans toutes ses facettes, y compris financières, n'est pas maîtrisé, on n'arrivera pas à maîtriser le dérèglement climatique car les pays en développement ne l'accepteront pas.
C'est donc à Paris l'an prochain, en décembre, au Bourget, que tous les pays du monde vont se réunir sous la présidence française pour essayer de trouver une solution à cette très grave question. Nous y travaillons. Il y aura dans quinze jours aux Nations unies un premier sommet organisé par M. Ban Ki-Moon, le secrétaire général des Nations unies, autour de ce thème. Il y aura à la fin de l'année - on appelle cela des COP - une conférence préparatoire au Pérou, où nos amis péruviens vont essayer d'avancer. L'année prochaine en décembre au Bourget, pendant deux semaines, 50.000 personnes, 25.000 délégués vont essayer, ensemble, par consensus, de trouver des solutions. La France prendra bien sûr une position en tant que capacité de proposition. Mais nous serons en même temps président et le rôle de la présidence est évidemment différent. Dans notre esprit, si nous voulons arriver à un résultat positif - ce qui est absolument indispensable - cet accord vers lequel nous souhaitons aller aurait quatre priorités.
Un premier élément qui est de nature normative. C'est que les spécialistes appellent un accord universel différencié ; la situation d'une petite île n'est pas que la situation de la Chine, qui n'est pas la même que la situation de la France. Il faut quand même qu'il y ait des normes. Ce sera un premier aspect très difficile.
Deuxième aspect, deuxième pilier, nous allons essayer que le maximum de pays possible prennent des engagements nationaux. Ils n'ont pas la même valeur normative que les premiers mais ils feront quand même - nous l'espérons - l'objet d'un suivi. Il n'est pas possible d'arriver à cela s'il n'y a pas un volet financier. Il y a des pays pauvres, y compris des grands pays qui nous disent : «Vous, vous êtes développés. Nous comprenons bien que si nous adoptons le même rythme de développement que vous, c'est une catastrophe, mais encore faut-il que financièrement nous puissions nous en sortir». Il y a donc un volet financier qu'il va falloir mettre au point.
Et puis, il y a un quatrième pilier, nous allons demander aux grandes villes, aux régions, aux grandes entreprises et aux grandes économies, aux institutions financières, de prévoir un calendrier pour limiter l'émission des gaz à effet de serre.
Ces quatre éléments pourraient composer une sorte d'«Alliance de Paris pour le Climat» qui marquera, si nous y parvenons, l'entrée de notre planète dans un nouveau modèle de développement, porteur de transition écologique et d'une croissance nouvelle. C'est un point très important, il ne faut pas que nous présentions cela uniquement comme des contraintes, il faut que nous montrions que ce changement est indispensable, sinon, vous êtes jeunes et vous subirez la moitié de votre vie, de façon dramatique ces éléments que nous commençons à vivre. Il faut montrer aussi qu'au-delà des contraintes il y a des éléments positifs : c'est cette notion de croissance verte, de croissance nouvelle, de nouveaux emplois, des nouvelles technologies...
- Tourisme -
(...)
Q - Je suis franco-japonais et je souhaiterais, un jour, pouvoir servir la diplomatie française. À l'occasion de la Conférence des ambassadeurs vous avez évoqué l'importance du tourisme pour la France. Et vous vous êtes demandé quel terme moins péjoratif que «touriste» nous pourrions donner à tous les étrangers qui viennent en France. Je voudrais vous demander si vous aviez trouvé et vous proposer le terme «d'invité».
R - J'ai abordé le thème du tourisme parce que j'ai demandé aux ambassadeurs de faire le maximum d'efforts pour que nous ayons beaucoup de touristes étrangers en France et qu'ils soient bien accueillis. Je faisais aussi la remarque que la France se flatte d'être la première destination touristique au monde. C'est vrai en volume en raison, notamment, de sa position géographique, mais cela ne l'est pas en termes de recettes où nous sommes les troisièmes derrière les États-Unis et l'Espagne. Les Espagnols sont beaucoup plus efficaces que nous, ils ont près de 20 % de touristes en moins que la France mais enregistrent 20 à 25 % de recettes en plus car, notamment, ils gardent les touristes davantage. Nous avons des progrès à faire.
Mon incise était la suivante, je disais aux ambassadeurs, - et ne croyez pas que je suis un fétichiste du vocabulaire mais les mots ont toujours un sens -, quand vous dites en France «celui-là c'est un touriste» c'est une expression péjorative. Il ne faut pas changer de terme mais il faut que l'on arrive en France à être suffisamment accueillant et à changer de mentalité, tout est dans l'intonation. Il ne faut pas jouer double jeu et je pense que les touristes sont nos hôtes et il faut les accueillir comme tel. Tout commence à l'aéroport : il faut qu'il y ait des inscriptions de bienvenue en différentes langues (chinois, arabe, espagnol, japonais...). On ne peut pas demander à tous ceux qui viennent en France de parler le français de Vaugelas.
Il faut que l'on comprenne que le tourisme est une chance extraordinaire pour la France. Quand on demande au citoyen dans le monde de citer deux ou trois pays où vous voudriez aller, la France est présente automatiquement dans ce trio. Il en de même pour la Ville avec Paris. Mais il faut mériter cet avis et il faut que l'on se mette en situation favorable avec l'accueil, les transports, les hôtels, la culture, la formation, la pratique de langues étrangères... Nous montrerons ainsi que nous sommes heureux d'avoir des touristes français et étrangers chez nous et qu'il n'y pas que Paris - ville magnifique au demeurant - en France et qu'il y a aussi d'autres régions.
Et le tourisme c'est aussi une question d'emplois. Ce secteur présente deux millions d'emplois non délocalisables. En 1950, il y avait 25 millions de gens qui voyageaient dans le monde, aujourd'hui il y en a plus d'un milliard et dans quinze ans il y en aura plus de deux milliards. Si la France - la première destination dans le monde - capte une partie de ce nombre ce serait un enrichissement extraordinaire pour la culture et le rayonnement de notre pays et sur un plan économique cela résoudra, pour une partie, notre déficit commercial et notre déficit d'emplois. Pendant longtemps le tourisme n'était pas considéré dans la sphère économique, maintenant il l'est et au tout premier rang.
Je retiens votre suggestion et il y a plusieurs termes qui sont utilisables mais je ne récuse pas celui de touriste dès lors que l'accent est mis sur l'aspect positif. (...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 septembre 2014