Entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, avec France Info le 25 septembre 2014, sur la lutte contre le terrorisme.

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Circonstance : Déplacement à New York pour la semaine ministérielle de l’assemblée générale des Nations unies, du 21 au 26 septembre 2014

Média : France Info

Texte intégral

- Otage/Algérie - Assassinat d'Hervé Gourdel -
Q - Bonjour ou plutôt bonsoir puisque vous êtes vous-même à New York. Vous participez à l'assemblée générale des Nations unies, merci d'être l'invité ce matin de France Info. «Hervé Gourdel est mort parce qu'il était Français» a déclaré le président François Hollande. Laurent Fabius, il y a d'abord votre réaction devant l'horreur de cet assassinat.
R - C'est une infamie. Évidemment nous avons suivi cela directement. Au moment où vous m'interrogez, je suis encore à New York. Nous avons appris sa décapitation ce matin et toute la journée a été marquée par ce drame. C'est une infamie parce que pour ceux qui ont fait cela et qui sont rattachés au groupe Daesh, la vie n'a absolument aucune valeur. Ils veulent nous terroriser et donc la réaction qu'il faut avoir est exactement l'inverse. Il faut à la fois condamner avec une extrême fermeté ce qui s'est passé - et qui est épouvantable - garder son calme et faire tout pour les retrouver et les châtier.
Je me suis entretenu avec mon homologue algérien et le président de la République a eu le Premier ministre algérien au téléphone. Vous savez que les forces algériennes sont très nombreuses à être mobilisées avec plus de quinze cents hommes dans un massif montagneux qui est évidemment très difficile à pénétrer, mais il faut les trouver et les châtier.
Q - Pour retrouver les auteurs de cet assassinat. Nous sommes face à des barbares qui n'ont plus de limite et qui font de la surenchère. La France est une cible, faut-il craindre des attentats sur notre sol dans les mois et les semaines qui viennent ?
R - Il va y avoir ce matin un conseil de défense.
Q - Autour du président François Hollande.
R - Malheureusement, je ne pourrais pas y assister mais nous avons regardé cette situation, hier soir, avec le président de la République. Bien évidemment, tout va être passé en revue : ce que nous voulons faire en Irak, et qui va être poursuivi, en Syrie bien sûr et puis, sur le plan intérieur, des mesures prises par le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve.
Sur le plan extérieur, des instructions très précises de vigilance ont été prises ainsi que des mesures renforcées dont, pour des raisons évidentes, je ne vous donnerai pas le détail. Mais j'appelle tous ceux qui se rendent à l'étranger à suivre nos conseils aux voyageurs sur le site du ministère des Affaires étrangères.
Q - Et un appel à la prudence dans un certain nombre de pays.
R - A la vigilance, bien sûr.
(...)
Q - Ultime question, Laurent Fabius. Est-ce que la France a des raisons aujourd'hui d'avoir peur ?
R - Il ne faut pas se mettre dans une mécanique de peur parce que c'est ce que souhaitent évidemment les terroristes qui exercent un chantage sanglant auquel il ne faut pas céder. La France ne cèdera pas. En revanche, il faut prendre toutes les mesures de précaution et de vigilance nécessaires, et c'est l'attitude que nous avons.
- Lutte contre le terrorisme - Irak - Syrie -
(...)
Q - Laurent Fabius, le Conseil de sécurité présidé par Barack Obama a adopté une résolution contraignante qui oblige les États à empêcher leurs citoyens de s'enrôler dans les organisations extrémistes. Il y a eu en France cet épisode de ces trois djihadistes passés au travers des mailles du filet, et qui inquiète naturellement les Français. Est-ce à dire que nous allons devoir renforcer notre dispositif - vous l'évoquiez à l'instant - notamment notre coopération avec la Turquie et qui est quand même le pays de transit de la plupart des djihadistes ?
R - Oui, bien sûr. Effectivement, cet après-midi, il y a eu cette réunion exceptionnelle du Conseil de sécurité présidé par le président Obama car ce mois-ci ce sont les Américains qui président le Conseil de sécurité. Elle a été consacrée aux mesures à prendre pour empêcher ce qu'on appelle les «foreign fighters», ces combattants qui vont combattre à l'étranger. C'est assez rare d'abord par son caractère solennel, ensuite par le fait que la résolution a été adoptée à l'unanimité sous chapitre VII comme nous disons, c'est-à-dire avec des mesures contraignantes.
La résolution prévoit que chaque pays doit prendre des mesures très précises pour empêcher ces ressortissants d'aller participer à ces tentatives et ces actions effrayantes à l'étranger, et puis prendre des mesures aussi concernant Internet. En ce qui concerne la France, nous les prenons puisque vous avez suivi le débat qui a eu lieu à l'Assemblée l'autre jour et qui a été voté à l'unanimité.
(...)
Q - Laurent Fabius, l'organisation Daech, qu'on appelle de façon un petit peu hasardeuse «l'État Islamique», mais qui n'a rien d'un État, est une nébuleuse. Est-ce que les frappes aériennes menées par les États-Unis et la France vont suffire ? Est-ce qu'il ne va pas falloir venir un jour à l'engagement au sol pour aller déloger cet ennemi ?
R - D'abord la question du vocabulaire peut paraître secondaire, mais elle n'est pas secondaire à mon avis.
Q - Non, elle ne l'est pas.
R - Cette organisation voudrait qu'on l'appelle, en France, l'État Islamique mais ce n'est pas un État et, d'autre part, le mot «islamique» introduit une confusion puisqu'on confond islam, islamique et musulman. Et cette organisation n'est absolument pas représentative de ce que sont les musulmans. D'ailleurs, je dois dire que les autorités de la communauté musulmane en France ont réagi extrêmement fermement, et je les approuve, contre l'assassinat effrayant d'Hervé Gourdel. Nous ne voulons pas créditer cette organisation du nom dont elle voudrait s'affubler elle-même. C'est la raison pour laquelle nous avons retenu le nom de Daech qui est un nom arabe, qui est un nom qui est perçu d'une manière péjorative - je tiens à le préciser - par les Arabes.
Q - L'engagement au sol en Irak est-il inévitable ou non ?
R - Nous avons décidé, à la demande des autorités irakiennes, d'assurer un soutien aérien en Irak ; la lettre nous a été adressée. Il y a déjà eu des opérations et il y en aura d'autres. Dans le même temps nous avons livré un certain nombre d'armes aux Kurdes et en même temps, bien sûr, nous apportons notre aide humanitaire.
Je suis clair et net, il n'y aura pas de troupes au sol, et il faut bien comprendre que pour que la victoire sur Daech soit assurée en Irak, il faut que les Irakiens eux-mêmes s'impliquent. C'est une des grandes leçons des conflits précédents. On ne peut mener une bataille, on ne peut remporter une victoire que si les populations s'impliquent. C'est désormais possible puisqu'il y a un gouvernement inclusif, alors qu'auparavant le gouvernement était sectaire.
(...).
En ce que concerne la Syrie, c'est une situation différente parce que nous n'avons pas qu'un seul ennemi, Daech, mais nous avons deux adversaires. C'est-à-dire à la fois M. Bachar Al-Assad et le groupe Daech.
Q - ...dont j'imagine que vous réclamez toujours le départ.
R - Bien sûr. Il faut répéter sans cesse, parce que les gens ne le savent pas ou l'ont oublié, que Bachar Al-Assad est très largement à l'origine du développement de ce mouvement terroriste. Et, qu'aujourd'hui tout laisse à penser que les puits de pétrole qui sont contrôlés par le groupe Daech servent à alimenter M. Bachar Al-Assad.
Il faut bien sûr que le travail soit fait et nous allons nous concentrer pour renforcer l'opposition modérée. Il faut être très précis parce qu'il ne s'agirait pas, et c'est un danger, qu'en frappant Daech ce soit M. Bachar Al-Assad qui en profite.
Il faut donc à la fois que les frappes soient assurées, les Américains le font. Il faut qu'en même temps, on dénonce l'action de M. Bachar Al-Assad qui n'a pas changé et reste un dictateur.
Nous, nous allons nous concentrer, comme nous l'avons fait depuis le début, à aider au renforcement de l'opposition modérée. (...).
- Turquie -
(...)
S'agissant de la Turquie, effectivement depuis New York j'ai suivi ce qui s'est passé avec ce pays. Finalement, on peut dire que les trois personnes recherchées ont été interpellées mais dans des conditions qui ne sont absolument pas satisfaisantes, c'est le moins que l'on puisse dire. Je m'en suis entretenu avec mon homologue turc. Le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve se rendra d'ici peu de jours en Turquie, parce qu'il y a eu plusieurs loupés dans cette affaire. En tout cas, il faut serrer le dispositif car beaucoup de ces djihadistes passent par la Turquie pour aller en Syrie ou en Irak. Il faut donc que la coordination soit impeccable et évidemment, elle ne l'a pas été.
Q - Est-ce que la Turquie ne joue pas un rôle un peu ambigu ? Au fond, c'est une puissance militaire frontalière, elle est membre de l'OTAN. On a l'impression qu'elle retient un peu sa main. Est-ce qu'il y a le problème des Kurdes ? Est-ce qu'elle va s'impliquer plus en avant dans le combat contre l'organisation Daesh ?
R - Je veux prendre au pied de la lettre ce qu'a dit le président Erdogan, qui était là à New York, qui est intervenu cet après-midi au Conseil de sécurité et qui a condamné de la façon la plus nette les terroristes de Daesh.
Il est vrai qu'au cours de ces derniers jours, les Turcs ont été prudents. Ils expliquent que, comme ils avaient une cinquantaine d'otages prisonniers à Mossoul, cela les contraignait à être prudents. En tout cas, si j'en crois les déclarations du président Erdogan, leur résolution est entière. (...).
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 septembre 2014