Interview de Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, à France Inter le 30 septembre 2014, sur le projet de loi sur la transition énergétique pour la croissance verte, le plafonnement du parc électronucléaire et le sort de la centrale de Fessenheim.

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Média : France Inter

Texte intégral

PATRICK COHEN
Vous défendrez demain devant les députés le projet de loi sur la transition énergétique qui vise à changer notre quotidien, à développer une croissance verte, qui a fait l'objet de 2 ans de travaux et qui est présenté, par l'Elysée, comme un enjeu majeur du quinquennat. Nous verrons avec vous dans un instant si ce plan est à la hauteur des ambitions affichées et s'il lève les ambiguïtés sur la question épineuse du nucléaire. D'abord je voudrais que vous nous disiez ce que vous pensez des économies annoncées sur les prestations pour les familles, réduction des primes de naissance, du congé parental, des aides à la garde d'enfant. Est-ce qu'il est raisonnable, selon vous, de s'attaquer ainsi à la politique familiale ?
SEGOLENE ROYAL
D'abord la France a l'une des plus grandes politiques familiales au monde. C'est un tout la politique familiale, ça va de l'existence des écoles maternelles, qui sont uniques en Europe, jusqu'aux aides aux étudiants, tout le long de la durée de vie des enfants, de la naissance jusqu'à l'âge étudiant, je rappelle que les bourses pour les étudiants viennent d'être augmentées. Moi je me réjouis d'ailleurs de la sensibilité à la remise en cause d'un certain nombre de mesures dans la politique familiale, ça prouve que les Français, l'opinion publique, est très attachée à la politique familiale.
PATRICK COHEN
Vous vous félicitez des...
SEGOLENE ROYAL
Des réactions.
PATRICK COHEN
Des réactions...
SEGOLENE ROYAL
Oui, parce que, vous savez...
PATRICK COHEN
Négatives et les critiques qu'on entend depuis hier ?
SEGOLENE ROYAL
Oui, nous sommes en démocratie, donc c'est bien qu'il y ait de la réactivité, et chaque fois que l'on touche à la politique familiale il y a une grande sensibilité dans l'opinion française et c'est une bonne chose, ça veut dire que les Français sont attachés à la famille, à la tradition de cette politique familiale, qui fait qu'aujourd'hui la France, malgré la crise économique, est le pays d'Europe, et même au-delà de l'Europe, est le pays qui... en tout cas le pays d'Europe, disons, qui met au monde le plus grand nombre d'enfants, donc c'est une vraie richesse.
PATRICK COHEN
Donc vous vous félicitez davantage des critiques entendues que des mesures annoncées par Marisol TOURAINE ?
SEGOLENE ROYAL
Non, ce n'est pas ce que j'ai dit, mais je prends un petit peu de recul par rapport aux choses pour vous dire que les Français sont très attachés à leur politique familiale, que la France consacre beaucoup à la politique familiale, plusieurs milliards, entre 60 et 137 milliards d'euros selon que l'on prend en considération la totalité des aides, c'est-à-dire à la fois de la naissance jusqu'au jeune adulte qui est en train de faire ses études...
PATRICK COHEN
Un peu trop ?
SEGOLENE ROYAL
Non, pas du tout, pas du tout, donc là il y a un effort... vous savez, ça ne fait plaisir à aucun gouvernement de faire des économies, donc il y a un effort qui est fait, maintenant il y a un débat parlementaire qui va s'ouvrir, et c'est dans le cadre de ce débat parlementaire que les décisions définitives seront prises.
PATRICK COHEN
Alors, la loi de transition énergétique, on y vient, avec comme principal chantier la rénovation énergétique des bâtiments. Les objectifs sont ambitieux, mais ils avaient déjà été fixés en 2012, 500.000 logements à rénover chaque année, on est loin du compte. Pour les particuliers les nouvelles mesures qui seront votées dans la loi en discussion à partir de demain, ça commence en fait, ça va commencer dès maintenant. Si je veux faire isoler ma maison, j'aurai droit à quoi ?
SEGOLENE ROYAL
Si vous voulez faire isoler votre maison, vous aurez droit donc à la baisse d'impôt jusqu'à 30 % du montant du coût des travaux, jusqu'à 8000 euros par personne, et 16.000 euros pour un couple, c'est-à-dire que si vous faites 8000 euros de travaux vous aurez une baisse d'impôt, donc 3X8, 24, de 2400 euros, et si vous faites 16.000 euros d'impôt, vous aurez une baisse d'impôt de 4800 euros, et cela pour toutes les factures à compter du 1er septembre dernier. Donc j'appelle tous ceux qui veulent s'engager dans les travaux d'économies d'énergie, que ce soit l'isolation des combles, le doublement des fenêtres, l'isolation des façades, l'installation de chaudières à condensation, qui consomment beaucoup moins que les chaudières traditionnelles, l'installation de bornes électriques pour les recharges de voitures électriques, et pour les copropriétés l'installation de compteurs individuels, qui sont d'ailleurs obligatoires dans la loi, mais qui n'existent pas dans beaucoup de logements. Pourquoi ? Parce que dès que vous avez un compteur individuel, c'est vrai pour l'eau comme c'est vrai pour le chauffage, on se rend compte qu'immédiatement la consommation diminue, parce que les gens voient directement ce qu'ils consomment. Donc il faut s'engager dans ces économies d'énergie, d'abord pour baisser la facture énergétique de chacun, ensuite pour baisser la facture énergétique de la France, 70 milliards d'importation, vous le savez, d'énergie, de matières...
PATRICK COHEN
Mais pas pour baisser les déficits, ça va coûter cher. Vous ne l'avez pas chiffré.
SEGOLENE ROYAL
Qu'est-ce qui va coûter cher ?
PATRICK COHEN
Eh bien ça, ces crédits d'impôt accordés aux particuliers.
SEGOLENE ROYAL
Mais ça ne va pas coûter cher, ça va rapporter. Pourquoi ça va rapporter ? Parce qu'aujourd'hui les artisans du bâtiment ont besoin de travail, ça va créer des emplois dans la filière du bâtiment, chez les artisans, dans les PME, aussi dans les grands groupes, puisque parallèlement...
PATRICK COHEN
100.000 emplois, vous y croyez Ségolène ROYAL ?
SEGOLENE ROYAL
Oui, j'y crois, bien sûr, bien sûr, et d'ailleurs je vous que ça bouge déjà sur le terrain parce que les gens qui commencent à être au courant de cet avantage fiscal, les collectivités locales qui vont pouvoir lancer massivement des travaux d'isolation dans les bâtiments publics, grâce aux prêts de la CAISSE DES DEPOTS qui seront remboursables sur 20 à 40 ans, c'est-à-dire une fois que le retour sur investissement, en termes d'économies d'énergie, sera acquis. Ça va permettre quoi ? Ça va permettre de baisser aussi la facture énergétique des mairies, des départements, des régions, donc aussi de ne pas prélever d'impôt pour pouvoir baisser ces factures énergétiques, et en même temps de créer des emplois dans une filière qui aujourd'hui souffre, la filière du bâtiment et des travaux publics souffre. et donc, lancer massivement ces travaux d'économies d'énergie c'est vertueux à triple niveau, ça crée des emplois et des activités, ça économise l'énergie et ça donne du bien-être, parce qu'une maison bien isolée est aussi une maison plus confortable, un logement bien isolé est un logement plus confortable, et en même temps qui s'abîme moins, parce qu'on s'est rendu compte aussi que - et c'est également dans la loi - aujourd'hui les nouvelles constructions devront être obligatoirement à énergie positive, c'est-à-dire qu'elles produisent au moins autant d'énergie qu'elles n'en consomment, et on s'est rendu compte que les bâtiments, aujourd'hui, qui étaient construits de cette façon-là, s'abîment beaucoup moins, donc aussi font des économies en termes d'entretien et de réparation.
PATRICK COHEN
On y reviendra tout à l'heure sans doute avec les questions des auditeurs d'INTER. Le nucléaire, la loi prévoit de plafonner la capacité du parc électronucléaire français à son niveau actuel, c'est-à-dire 63 gigawatts, donc pour mettre en service Flamanville, ce qui est prévu en 2016, il faudra fermer deux autres réacteurs du parc français, pourquoi ne pas dire clairement lesquels et quand ?
SEGOLENE ROYAL
D'abord qu'est-ce que ça veut dire ce plafonnement et le fait que Flamanville ouvrant, deux autres doivent fermer, ça veut dire que des réacteurs qui ont besoin d'investissements très coûteux, très coûteux, pour être remis aux normes de sécurité et de modernité, ces investissements qui pèsent ensuite sur le prix de l'électricité, doivent être fermés parce que ça coûtera moins cher, par exemple, d'investir dans le domaine des énergies renouvelables, qui est une des priorités aussi, maintenant, du nouveau modèle énergétique français - c'est quoi les énergies renouvelables ? C'est les énergies qui n'ont pas besoin d'importation d'uranium comme a besoin l'énergie nucléaire par exemple, ni d'infrastructures extrêmement lourdes comme le nucléaire, qui est un acquis, le nucléaire c'est un acquis et c'est un atout, je le répète, je ne suis pas pour la sortie du nucléaire. Je considère en effet que c'est grâce à l'énergie nucléaire que l'on peut, grâce à cette sécurité, engager maintenant la transition énergétique, c'est-à-dire monter en puissance sur les énergies renouvelable...
PATRICK COHEN
Alors, comment allez-vous gérer ce plafonnement du parc électronucléaire français actuel ?
SEGOLENE ROYAL
Eh bien, d'abord le fait que ce soit inscrit dans la loi, cela voudra dire qu'il y aura deux réacteurs qui vont fermer, comme vous le savez c'est Fessenheim qui avait été annoncé comme centrale...
PATRICK COHEN
Oui.
SEGOLENE ROYAL
Je l'avais déjà dit d'ailleurs en 2007, la fermeture de Fessenheim. Pourquoi Fessenheim ? Parce que c'est la centrale la plus ancienne. Mais pour être très claire et pour répondre très directement à votre question, il se trouve que sur Fessenheim, depuis, il y a eu des investissements, il y a eu 500 millions d'euros d'investissements sur Fessenheim, et donc je regarderai, avec beaucoup de pragmatisme, une fois que la loi sera votée et que Flamanville sera ouvert, donc en 2016, quelles sont les propositions de l'entreprise, parce que je suis dans un dialogue avec l'entreprise, quelles sont les propositions de l'entreprise par rapport au choix le plus judicieux, c'est-à-dire quels sont les deux réacteurs qui coûtent le plus cher en termes d'investissements pour être mis aux normes, et à ce moment-là une décision sera prise, en fonction de la proposition de l'entreprise, que j'écouterai avec beaucoup d'attention.
PATRICK COHEN
Il y a un rapport parlementaire signé par deux députés UMP et PS, révélé ce matin par « Les Dernières Nouvelles d'Alsace », qui préconise de reporter la fermeture de Fessenheim, ils évaluent cette fermeture à en tout, avec le coût social, le manque à gagner, les indemnités à payer à EDF, à 5 milliards d'euros.
SEGOLENE ROYAL
Ce n'est pas exact, et en tout cas je ne céderai à aucun chantage de ce type.
PATRICK COHEN
La fermeture de Fessenheim ne coûterait pas 5 milliards d'euros ?
SEGOLENE ROYAL
Non, la fermeture de Fessenheim ne coûterait pas 5 milliards d'euros, et ça sera une décision prise dans l'intérêt général du pays, et rien ne me fera céder, ce type de chantage, avec des calculs farfelus qui sont lancés dans la nature pour essayer d'influencer des décisions...
PATRICK COHEN
Ce travail parlementaire il est farfelu ?
SEGOLENE ROYAL
Moi je ne cède pas aux lobbies. Je ne cède pas aux lobbies. Donc, je ne céderai pas aux lobbies, et je regarderai avec intelligence et pragmatisme, et dans un dialogue avec l'entreprise dont l'Etat est actionnaire, c'est-à-dire dont les Français sont actionnaires à 85 %, et donc dont ils sont en droit d'avoir une transparence sur les décisions, et en même temps il y a une stratégie industrielle de l'entreprise, et la décision sera prise sur la base des deux réacteurs qui sont les plus coûteux et qui nécessitent le plus d'investissements pour protéger justement la question du prix de l'électricité et la question de la stratégie industrielle. Et par ailleurs...
PATRICK COHEN
Ségolène ROYAL, il y a un bon moyen de ne pas céder, de ne pas subir le poids des lobbies, c'est de permettre au gouvernement de fermer une centrale nucléaire. Pourquoi la loi ne permet-elle pas au gouvernement de décider directement de la fermeture d'une centrale nucléaire ?
SEGOLENE ROYAL
Parce que ça ne relève pas de la loi. Chacun a ses responsabilités. La loi, elle peut, elle définit la stratégie énergétique du pays. La stratégie énergétique du pays aujourd'hui, quelle est la décision qui est prise, c'est de plafonner la capacité nucléaire et de montée en puissance sur les énergies renouvelables et de faire des économies d'énergie, comme on en a parlé tout à l'heure, et ensuite il y a d'un côté la stratégie industrielle de l'entreprise, qui doit être respectée en tant que telle, et la stratégie énergétique du pays, qui est à définir par le gouvernement, et par le Parlement, en toute transparence. Et donc, en croisant ces deux compétences-là, il s'agit de prendre les meilleures décisions, et je vous ai donné quelle était la meilleure décision, j'attendrai la proposition de l'entreprise, si l'entreprise a une proposition plus judicieuse...
PATRICK COHEN
L'entreprise, c'est EDF.
SEGOLENE ROYAL
C'est EDF. Si EDF a une proposition, la gouvernance d'EDF a une proposition plus judicieuse que celle de fermer Fessenheim, je regarderai cette proposition, puisque c'est comme ça que l'on gère intelligemment les choses, en dehors de toute idéologie. Et bien évidemment, ma préférence va vers la fermeture de réacteurs sur un site, où il y a plus de deux réacteurs, parce que ça évite la fermeture complète d'un site industriel.
PATRICK COHEN
Hier matin, à votre place, Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET qui est un de vos prédécesseurs au ministère de l'Ecologie, saluait des avancées dans votre projet de loi sur la transition énergétique, mais elle vous reprochait un manque de dialogue, un manque de concertation. Pourquoi avoir supprimé la Conférence environnementale, telle qu'elle s'est tenue dans les deux premières années du quinquennat ?
SEGOLENE ROYAL
Mais c'est inexact. Il y a eu beaucoup de concertations. Depuis 5 mois, je n'arrête pas de concerter...
PATRICK COHEN
Il n'y aura plus, à cette rentrée, la Conférence environnementale, telle qu'on l'a connue les deux premières années.
SEGOLENE ROYAL
Mais, telle qu'on l'a connue, non, on n'est pas dans la répétition, on est dans la créativité et l'imagination.
PATRICK COHEN
Eh bien la créativité, c'est qu'il n'y aura plus qu'une table ronde, et puis deux autres manifestations.
SEGOLENE ROYAL
Pas du tout, pas du tout. Je ne vois pas comment... c'est un peu politicien. Pas du tout. D'abord, le texte de loi est passé devant le Conseil national de la transition écologique, donc il a été voté, ensuite il est passé devant le Conseil économique et social, ensuite il est passé devant le Conseil d'Etat, qui y a consacré 10 heures, ensuite, il vient...
PATRICK COHEN
Non non, mais je vous parle de la Conférence environnementale, telle qu'on l'a connue, les...
SEGOLENE ROYAL
Il faudrait que madame KOSCIUSKO-MORIZET... ce serait très bien qu'elle soit là en Commission spéciale.
PATRICK COHEN
Non non, mais je ne vous parle pas de NKM, je vous parle de...
SEGOLENE ROYAL
Non, mais, la Conférence environnementale n'est pas supprimée, elle aura lieu à partir de début novembre. Pourquoi ? Parce que maintenant il y a le vote de la loi, c'est une tâche et une oeuvre considérable, le vote de la loi, et début novembre il y aura la Conférence environnementale en trois thèmes, donc cette Conférence environnementale prend de l'ampleur, puisqu'elle portera sur trois thèmes : la préparation de la Conférence climat de l'année prochaine, avec l'engagement de tous les acteurs, notamment de toutes les ONG et des scientifiques dans la Conférence climat et d'ailleurs la veille du 5 novembre, puisque ça sera la date de la Conférence environnementale, je recevrai le nouveau rapport du GIEC, la deuxième étape sera sur la ville durable, elle aura lieu à Marne-la-Vallée, et la troisième étape de cette conférence environnementale aura lieu à l'Institut Pasteur, sur un thème auquel j'attache beaucoup d'importance, sur les relations entre la santé et l'environnement. Donc, voyez, les conférences environnementales montent en puissance, elles rassemblent encore davantage de compétentes, elles s'appuient sur la recherche et sur l'innovation, et elles vont aussi accompagner la mise en mouvement concrète, de la transition énergétique et notamment, je lance les appels à projets sur les 200 territoires à énergie positive, et je vois que les choses bougent sur le terrain, je m'en suis rendu compte aussi à New York, puisqu'on voit maintenant les entreprises s'engager dans la transition énergétique, c'est-à-dire commencer à comprendre que les ressorts de la croissance à revenir, sont dans la croissance verte.Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 octobre 2014