Texte intégral
Monsieur le Maire du 18e arrondissement de Paris
Madame la délégué à l'Outremer de la Mairie de Paris
Mesdames, Messieurs les élus
Monsieur le président du Comité ultramarin à la mémoire d'Armand Barbès
Mesdames, Messieurs
« Barbès ». Il est des destins qui méritent d'être connus au-delà de la célébrité de leur patronyme. Armand Barbès est de ceux-là. Car, si ce nom est familier pour les Parisiens, et pour tous ceux qui dans leur commune ont une rue ou une place Barbès, rares sont ceux qui ont à l'esprit la mesure du rôle qu'il joua dans les temps troublés de notre Histoire.
Les hommes illustres de son temps, dont le génie intime avait appris à fouiller l'âme de ce républicain enfiévré et à déceler ce qui habitait le cœur enragé de cet éternel opposant à la monarchie de Juillet n'eurent pas de mots assez hauts pour le qualifier.
Proudhon l'appelait : « le Bayard de la Démocratie ». Marx : « le fléau de l'establishment ». Lamartine : « le soldat de l'impossible ». Charles Hugo : « l'aventurier du devoir ». Lucien de la Hodde : « le lion sombre et audacieux. »
Entre Restauration, Monarchie de juillet et Second empire, Barbès fut l'un des hérauts magnifiques d'une République idéale qu'avec d'autres il essaya de construire, de façonner et, en réalité, de fomenter, en adepte des sociétés secrètes et des insurrections.
Armand Barbès vit le jour à Point à Pitre, en 1809, d'une mère créole et d'un père médecin, originaire du Languedoc. Sa famille revenue à Carcassonne, Barbès, qui n'a pas vingt cinq ans, s'installe à Paris pour s'instruire mais aussi, comme il l'écrit à Etienne Arago, « pour mettre au service de la cause démocratique (sa) fortune, (son) sang, (sa) vie. » Entrainé par l'ardeur de ses convictions républicaines, celui dont George Sand dira à la fin de sa vie qu'il fut « le plus éloquent et le plus pur enseignement à la vertu qu'il ait été donné à ce siècle », se jette dans la politique et s'affilie à la Société des droits de l'homme, qui est alors le principal refuge de l'opposition républicaine. Il devient rapidement un des meneurs du mouvement et sera emprisonné en 1834. A la suite de l'attentat de Fieschi, la répression se déchaîne contre les républicains et 164 d'entre eux sont arrêtés. Bien que sa passion politique ne lui ait pas permis d'aller au bout de ses études de droit et qu'il n'ait pas le titre d'avocat, Barbès est au nombre de leurs défenseurs. Il sera poursuivi à son tour, puis relaxé.
C'est alors que Barbès devient ce « conspirateur hors-pair ». Avec Blanqui, il fonde l'Organisation des familles et est incarcéré avec son complice en 1836 pour délit d'association. Amnistié l'année suivante, il reprend la lutte avec cette détermination d'enragé qui fut la sienne tout au long de sa vie. Avec Blanqui, il mène l'insurrection du 12 mai 1839, au cours de laquelle les Républicains des Saisons tentent de renverser Louis Philippe et pour laquelle il sera condamné à mort. Des manifestations populaires, ainsi que les interventions de Victor Hugo et Lamartine auprès de Louis-Philippe permirent de commuer cette peine en détention perpétuelle.
Barbès fut libéré par la révolution de 1848. Ses années de prison lui valurent une grande popularité auprès de tous les républicains. Il ne se départit pas de son engagement et fut élu député de l'Aude. Sa participation à la journée du 15 mai, au cours de laquelle les membres des clubs tentèrent d'imposer leur loi au gouvernement provisoire eut pour conséquence une nouvelle arrestation, une nouvelle condamnation à la réclusion perpétuelle. En 1854, Napoléon III lui octroie sa grâce, mais Barbès ne voulant rien recevoir de celui dont il condamnait la dérive autoritaire refusa sa libération. C'est finalement, contre son grès, de force, qu'il fut tiré de ses geôles.
Si Armand Barbès, dont les racines intellectuelles puisaient loin dans les idées révolutionnaires de 1789, reste encore trop peu connu, ses origines guadeloupéennes le sont encore moins. Or c'est bien la Guadeloupe, où sont nées d'autres grandes figures de l'Histoire de France, du chevalier de Saint-Georges à Saint-John Perse, du général Dugommier au commandant Mortenol, qui fut aussi le berceau d'Armand Barbès. Barbès entretint au soir de sa vie de revenir vivre sur sa terre natale. Lui qui n'avait oublié d'où il venait, n'est pas oublié aujourd'hui par les Guadeloupéens.
L'hommage qui lui est rendu aujourd'hui est une chance offerte au plus grand nombre de connaître la vie, les combats et les faits d'armes de ce grand républicain qui, jusqu'à l'intransigeance et jusqu'à la mort, resta fidèle à sa République idéale et à la pureté de ses valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité.
Que la détermination de cette grande figure du parti républicain nous soit un exemple dans les temps difficiles qui sont les nôtres et qui exigent de nous une implication, une droiture et un dévouement à toute épreuve. A Armand Barbès, confrontons-nous. Dans sa vie et dans son action, prenons source d'inspiration et force d'exemple. La vie d'Armand Barbès nous apprend que la lutte pour nos idéaux n'est jamais derrière nous. Les valeurs de notre République font notre fierté, mais elles doivent d'abord faire notre exigence. Liberté, égalité, fraternité : la devise républicaine ne doit pas se payer de mot, mais se réaliser dans notre action quotidienne. Ceux qui gouvernent doivent eux-mêmes être gouvernés par une exigence de détermination, d'éthique et de responsabilité.
Je voudrai enfin terminer par la lecture d'une lettre. Une lettre datée du 15 juillet 1862.
Depuis La Haye, où il s'est retiré, Barbès désormais loin du bruit et de la fureur de la France, écrit à Victor Hugo qui, dans le septième tome de ses Misérables, vingt trois ans plus tôt, alors que Barbès était dans les geôles, avait pris la plume pour le défendre et pour que ses idéaux ne soient pas à l'origine de son exécution. Barbès y demande pardon à Victor Hugo de ne jamais lui avoir exprimé sa dette, de ne jamais lui avoir exprimé la gratitude qui était la sienne. Je voudrai terminer en vous lisant, non la lettre de Barbès à Victor Hugo, mais la réponse de Victor Hugo à Armand Barbès.
Cette lettre, la voici :
À ARMAND BARBÈS Hauteville-House, 15 juillet 1862.
Mon frère d'exil, Quand un homme a, comme vous, été le combattant et le martyr du progrès ; quand il a, pour la sainte cause démocratique et humaine, sacrifié sa fortune, sa jeunesse, son droit au bonheur, sa liberté ; quand il a, pour servir l'idéal, accepté toutes les formes de la lutte et toutes les formes de l'épreuve, la calomnie, la persécution, la défection, les longues années de la prison, les longues années de l'exil ; quand il s'est laissé conduire par son dévouement jusque sous le couperet de l'échafaud, quand un homme a fait cela, tous lui doivent, et lui ne doit rien à qui que ce soit. Qui a tout donné au genre humain est quitte envers l'individu. Il ne vous est possible d'être ingrat envers personne. Si je n'avais pas fait, il y a vingt-trois ans, ce dont vous voulez bien me remercier, c'est moi, je le vois distinctement aujourd'hui, qui aurais été ingrat envers vous. Tout ce que vous avez fait pour le peuple, je le ressens comme un service personnel. J'ai, à l'époque que vous me rappelez, rempli un devoir, un devoir étroit. Si j'ai été alors assez heureux pour vous payer un peu de la dette universelle, cette minute n'est rien devant votre vie entière, et tous, nous n'en restons pas moins vos débiteurs. Ma récompense, en admettant que je méritasse une récompense, a été l'action elle-même. J'accepte néanmoins avec attendrissement les nobles paroles que vous m'envoyez, et je suis profondément touché de votre reconnaissance magnanime. Je vous réponds dans l'émotion de votre lettre. C'est une belle chose que ce rayon qui vient de votre solitude à la mienne. À bientôt, sur cette terre ou ailleurs. Je salue votre grande âme. VICTOR HUGO
source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 8 octobre 2014