Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur l'action de la France pour l'abolition de la peine de mort dans le monde, à Paris le 10 octobre 2014.

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Circonstance : Clôture de la «Journée contre la peine de mort», à Paris le 10 octobre 2014

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Cher Robert,
Vous avez passé la journée à travailler d'une façon assez différente de d'habitude. J'espère, en vous accueillant ici, que vous garderez de cette journée un souvenir positif.
Ce que nous avons voulu faire, et je remercie toutes les personnalités qui sont ici présentes, c'est vous associer, en tant que jeunes, au combat pour l'abolition universelle de la peine de mort. Je remercie l'association «Ensemble contre la peine de mort» qui est vraiment extrêmement active, le Conseil national des Barreaux, l'organisation internationale de la Francophonie, Robert Badinter que vous connaissez ou dont vous avez entendu parler puisque c'est l'homme qui symbolise ce combat.
Je suis ministre des Affaires étrangères et la diplomatie française a choisi depuis maintenant au moins deux ans l'abolition universelle de la peine de mort comme une grande cause. Il ne s'agit pas de donner des leçons, les Français sont en général assez bons pour cela, mais il s'agit d'autre chose.
D'ailleurs, nous n'avons pas à donner de leçons, car Robert Badinter vous l'expliquera sans doute mieux tout à l'heure, lorsque cette loi a été votée en 1981, il y avait déjà de nombreux pays qui avaient aboli la peine de mort. Vous, je parle des plus jeunes, vous n'étiez pas nés. Jusque dans les années 80, la peine de mort existait. Il y avait un combat en France, des gens militaient pour cela depuis longtemps. Des personnes étaient guillotinées alors que dans beaucoup d'autres pays d'Europe, la peine de mort avait été supprimée.
Puis la France s'est finalement décidée, sous le septennat de François Mitterrand. L'opinion de l'époque, il faut toujours s'en souvenir, était contre. Lorsque l'on faisait des sondages d'opinion, on demandait aux gens s'ils étaient pour ou contre la peine de mort, une majorité de personnes se disaient pour. On entendait à l'époque des arguments tels que : cela permettra d'empêcher les criminels de commettre leurs crimes, etc. C'était des arguments complètement faux mais des arguments qui avaient une audience dans la majorité de l'opinion.
Néanmoins, à l'époque, François Mitterrand, Robert Badinter qui était garde des Sceaux, moi-même, j'étais tout jeune ministre, je m'occupais du budget à l'époque, il a été décidé que nous allions abroger la peine de mort. C'était la bonne décision à prendre. Peu à peu, ce qui est très important, c'est que l'opinion publique en France s'est retournée. Elle était contre l'abolition, l'abolition a eu lieu et désormais, la majorité de l'opinion publique est pour l'abolition de la peine de mort.
De toutes les manières et pour des raisons juridiques, il ne serait plus possible de modifier cet état de fait.
Lorsque l'on parle de l'abolition universelle, par définition, cela concerne tous les pays.
À partir de notre expérience, nous voudrions, sans donner de leçon, que les autres pays fassent le même chemin que celui que nous avons parcouru.
Il y a eu des avancées, j'ai là les chiffres : dans le monde, à l'ONU il y a 193 pays et il y a dix ans, il avait un tiers seulement de ces 193 pays qui n'appliquaient pas la peine capitale.
Aujourd'hui, deux tiers de ces pays n'appliquent plus la peine capitale. C'est donc que les choses ont progressé.
Mais il y a aussi des retours en arrière. Je ne veux pas faire un palmarès négatif mais certains pays avaient fait ce que l'on appelle un moratoire, c'est-à-dire qu'ils n'avaient pas aboli juridiquement la peine de mort, mais ils avaient dit «on ne change pas le droit mais on n'exécutera pas les gens qui ont été condamnés», c'est ce que l'on appelle un moratoire. Eh bien, parmi ceux qui avaient décidé un moratoire, malheureusement un certain nombre de pays ont décidé de ne plus respecter ce moratoire ; ils ont donc procédé à des exécutions. C'est le cas en Indonésie, c'est le cas au Koweït, c'est le cas au Nigeria, c'est le cas en Afghanistan et c'est le cas, plus récemment, dans les îles Maldives. Donc, il y a eu, globalement, des avancées mais il y a eu aussi des reculs.
Quand on parle de cela, un certain nombre de pays et gouvernants de ces pays nous disent : «Oui, mais c'est une question de culture chez nous ; l'opinion n'est pas prête ; la religion ceci, la religion cela...».
En fait, nous, nous considérons que ce n'est pas une question de culture, c'est une question de principe. Si nous refusons la peine de mort c'est parce que nous considérons qu'il y a des droits universels de la personne humaine et que ces droits ne changent pas selon que l'on est au Nord, au Sud, à l'Est ou à l'Ouest. Et nous considérons que le refus de la peine de mort, c'est-à-dire le prix attaché à la vie humaine, le fait que nous ne reconnaissons pas à un État le droit, par une espèce de loi du talion, de supprimer la vie d'une personne, cela fait partie d'une certaine conception universelle de la personne humaine.
Les arguments, vous les connaissez. Le principal argument, dans cette matière dramatique, c'est un argument presque de bon sens, il a été très bien résumé par Robert Badinter une fois lorsqu'il a dit : «Puisqu'aucune justice ne peut être absolument infaillible - il y a toujours des erreurs -, la peine de mort est moralement inacceptable». Si la justice se trompe et que la peine de mort est appliquée, comment revenir en arrière, c'est évidemment impossible.
Mais je trouve, comme Robert Badinter d'ailleurs, que cet argument est insuffisant parce que l'on pourrait, finalement, avoir une espèce d'a contrario et dire : «Oui, mais si la justice n'était pas infaillible, la peine de mort serait légitime». Non. C'est un argument supplémentaire, fort. Mais l'argument de principe c'est que l'on n'a jamais pu établir un lien entre l'existence de la peine de mort dans une législation et le niveau de la criminalité - ce n'est pas parce que l'on guillotine, que l'on exécute etc. que la criminalité diminue, c'est absolument faux, les statistiques sont là pour le montrer.
Et puis, l'argument le plus profond, c'est un argument au nom d'une certaine conception de la personne humaine. Nous considérons qu'il n'appartient pas, quelle que soit la gravité de la faute, à un État de supprimer la vie d'une personne.
Alors qu'est-ce qu'il faut faire pour essayer de faire avancer la cause de l'abolition universelle ? Eh, bien il faut agir à tous les niveaux.
Nous agissons au niveau des Nations unies. Chaque année, et c'était encore le cas cette année, la France réunit toute une série d'autres pays et le nombre s'élargit. Donc, ça, c'est une bonne chose pour dire à la face du monde, puisque les Nations unies représentent l'organisation la plus solennelle du point de vue international : «Nous ne sommes pas d'accord avec la peine de mort et nous demandons son abolition universelle.»
Il existe à Genève, une organisation qui s'appelle le Conseil des droits de l'Homme et, à notre initiative, cette organisation a adopté, au mois de juin dernier, une résolution, une décision qui est extrêmement forte sur la peine de mort.
Le réseau diplomatique français - la France a des ambassades dans tous les pays du monde -, nos diplomates sont chargés - je leur ai demandés - d'essayer d'expliquer pourquoi l'abolition de la peine de mort est nécessaire. Et dans certains pays, c'est très difficile, dans les pays qui pratiquent la peine de mort. Mais c'est dans ces pays-là en particulier qu'il faut essayer de l'expliquer.
Et puis, c'est pour cela que nous avons pensé à vous, nous avons essayé avec, bien sûr, les personnalités qui sont là, de nous adresser aux jeunes parce que nous, notre conviction est faite mais c'est en s'adressant au public jeune qu'on peut essayer de faire partager nos idées. L'an dernier nous avions lancé, en partenariat avec le ministère de l'Éducation nationale, un concours qui était ouvert à l'ensemble des lycées de France sur le thème de l'abolition.
Cette année, nous avons souhaité prolonger nos actions à destination des jeunes francophones en France et à l'étranger et c'est le sens de cette journée et puis de cette petite cérémonie de clôture. J'espère que le contenu des ateliers auxquels vous avez participés, enfin tout ce que vous avez pu entendre ou faire a été utile. Et il va y avoir - et donc on le lance - un concours de slogans. Alors le slogan c'est «à bas la peine de mort» et il va falloir essayer d'incarner ce slogan et nous faisons cela en liaison avec le ministère de l'Éducation nationale, avec l'organisme qui s'occupe de l'enseignement français à l'étranger et avec tous nos diplomates.
Voilà ce que je voulais vous dire. C'est un combat de longue durée parce que pour arriver à convaincre les gouvernements c'est évidemment très long mais nous pensons que c'est un combat extrêmement juste et nous espérons, sinon d'ailleurs vous ne seriez pas là, que vous avez la même conviction que nous.
Et donc je termine en vous disant d'abord que vous êtes ici les très bienvenus et que nous comptons beaucoup sur vous pour faire partager ces idées à travers vos camarades, vos familles et puis, si vous vous déplacez, à toutes les occasions que vous aurez de parler de ce thème important.
Voilà et encore une fois merci au nom de la diplomatie française et du gouvernement de la République de vous associer à cette grande cause. Merci beaucoup.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 octobre 2014