Interview de M. Thierry Mandon, secrétaire d'Etat à la Réforme de l'Etat et à la simplification, à BFM Business le 17 octobre 2014, sur les annonces de réformes et la mise en oeuvre de la politique gouvernementale.

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Média : BFM

Texte intégral

STEPHANE SOUMIER
Thierry MANDON est avec nous, bonjour Thierry MANDON et merci beaucoup de venir nous voir. Je voulais qu'on solde ensemble – et on va le faire d'ailleurs - l'ensemble de la semaine économique et puis, alors, cette espèce de volonté de réformes qui peut ressembler à un catalogue. Mais juste je vais vous raconter la séquence des dernières heures-là, Thierry MANDON : allocations familiales et, donc, c'est bel et bien une hausse d'impôts et le président de la République nous avait dit, nous avait garanti qu'il n'y aurait pas de hausse d'impôts ; hier soir, à l'Assemblée, le gouvernement a dû repousser un vote parce qu'il y avait de nouvelles modifications, on voulait mettre les députés sur le Crédit d'Impôt Compétitivité Emploi ; et puis on a appris, hier soir aussi, que Ségolène ROYAL voulait finalement casser le contrat écolo, casser le contrat écolo. Ma question, elle est simple : comment voulez-vous investir dans ces conditions, Thierry MANDON ?
THIERRY MANDON
Oui ! Mais enfin c'est des sujets un peu différents. Les allocations familiales ce n'est pas une…
STEPHANE SOUMIER
Ca part dans tous les sens ! C'est ça le sujet.
THIERRY MANDON
Oui ! Alors il faut les prendre en même temps, il faut les prendre à part. Allocations familiales, il y a un sujet dont on ne parle absolument pas, c'est un scandale que de faire payer la politique familiale par les enfants qui naissent. Ca veut dire quoi ? Ca veut dire que ce n'est pas possible d'accepter qu'il y ait du déficit sur une branche famille, à la limite sur des budgets, sur de la protection sociale santé, on peut imaginer que transitoirement… mais, sur la politique famille, ça veut dire qu‘à chaque fois qu'un enfant nait c'est lui qui paie. Bon ! Donc, il faut trouver une solution.
STEPHANE SOUMIER
Ce déficit est artificiel, Thierry MANDON, vous le savez parfaitement…
THIERRY MANDON
Je ne sais pas !
STEPHANE SOUMIER
Ce déficit est artificiel parce que la branche famille excédentaire va garantir derrière des systèmes de retraite pour lesquels elle n'a absolument rien à voir et rien à faire.
THIERRY MANDON
Non ! C'est plus compliqué que ça. C'est vrai que, si on a un peu de croissance, il n'y a plus de problème de déficit et donc c'est des mesures qui, sans casser les principes sur lesquels est basée la politique familiale - ce que l'on appelle l'universalité – mettent un peu de conditionnalité dans la nature des prestations. Ca veut dire quoi ? Ca veut dire que comme les principes ne sont pas cassés, le jour où la croissance revient, le système se rééquilibre et ces mesures peuvent être revues. Donc, moi, j'assume ça. ECOMOUV', il ne s'agit pas seulement de casser le contrat, parce que ça c'est les intentions de madame…
STEPHANE SOUMIER
Je vous arrête !
THIERRY MANDON
Bien sûr !
STEPHANE SOUMIER
Comment ça, vous assumez ça ? Quand on a la ministre des Affaires sociales qu'il y a 8 jours nous dit : « la piste est écartée » et quand on a… Mais mon Dieu, enfin il était solennel François HOLLANDE quand il nous a dit : « je vous garantis la stabilité fiscale » ?
THIERRY MANDON
Mais vous êtes en train de découvrir ce que c'est qu'une démocratie parlementaire ! Dans tous les pays d'Europe : en Angleterre, en Allemagne - aux Etats-Unis c'est monnaie courante – les budgets sont négociés entre l'Exécutif et le Parlement. Ca veut dire quoi ? Ca veut dire que l'Exécutif peut avoir les intentions qu'il veut, quand il arrive au Parlement, la règle démocratique eh bien c'est qu'on négocie, et ça n'empêche pas les investissements en Angleterre, en Allemagne et aux Etats-Unis, c'est une nouvelle façon de bâtir la démocratie. Certes c'est plus turbulent, c'est plus compliqué, à la fin il y a un compris, mais c'est ça voilà… la démocratie française devient une démocratie de compromis et de négociations comme les autres grandes démocraties.
STEPHANE SOUMIER
Alors je vais le dire brutalement, Thierry MANDON, à ce moment-là il faut se taire, à ce moment-là il faut arrêter les effets d'annonce, à ce moment-là il faut arrêter de multiplier ces déclarations qui nous font penser qu'on peut avancer et qu'on peut faire des réformes ?
THIERRY MANDON
Eh bien vous avez totalement raison ! Je pense que du fait de cette évolution profonde et irréversible qui fait que le Parlement français, comme les autres grands Parlements, l'Etat forcément s'émancipera - en tout cas en partie - de l'Exécutif, il faut un nouvel art de gouverner. Il faut être beaucoup plus prudent dans les annonces, il faut être beaucoup plus précis dans la mise en oeuvre des politiques qu'on veut mettre en place pour être sûr - et accessoirement négocier avec les parlementaires – pour être sûr que ce qu'on va dire va se faire, et il ne suffit pas de dire : « je veux casser tel contrat » pour que ça se fasse, il faut être sûr qu'on va pouvoir le faire juridiquement, qu'on va pouvoir le faire financièrement, il faut que toutes ces questions-là soient réglées avant de commencer à parler d'un problème. Donc, il y a des évolutions dans l'art de gouverner indispensables.
STEPHANE SOUMIER
Mais ce n'est pas seulement le contrat ECOMOUV' ! Alors allons-y sur l'espèce de catalogue assez dingue quand même auquel nous a soumis Emmanuel MACRON, qu'est-ce qu'il y a là-dedans dont on puisse se dire : Tiens ! J'ai peut-être là un petit territoire d'investissement ? Parce que c'est la clé quand même – et je reviendrai à ma question sur l'investissement - j'ai peut-être un petit territoire d'investissement ? Non ! Je n'ai rien du tout. Parce que l'ensemble de ces éléments, ce catalogue, tous peuvent être remis en cause du jour au lendemain, Thierry MANDON, on est d'accord ?
THIERRY MANDON
Eh bien les lois il faut attendre qu'elles soient votées pour qu'elles soient effectives, oui, bien sûr, donc, tant que la loi n'est pas votée, ce n'est pas définitif. En revanche, la volonté qu'il y a derrière ce qu'a annoncé Emmanuel MACRON, qui est quand même une volonté d'ouvrir l'économie, de faire en sorte qu'il y ait un peu plus de commerces ouverts le dimanche, que si possible on ait géré les seuils, que pour les professions réglementées ça soit moins corseté, il y a quand même – je prends les notaires – il y en a moins aujourd‘hui qu'en 1980 – donc qu'il y ait des possibilités d'installation supplémentaires pour les notaires. Ca, cette philosophie-là, elle demeure et elle restera…
STEPHANE SOUMIER
Mais vous fermez tout ! Vous fermez tout.
THIERRY MANDON
C'est l'inverse !
STEPHANE SOUMIER
Mais non ! Professions réglementées, il y avait ce truc, alors je les entendais et puis les notaires ils nous écrivent nous ici : « Ah ! Mon Dieu, vous allez mettre GOLDMAN SACHS à Argenton-sur-Creuse avec l'ouverture du capital », c'était intéressant. Et puis qu'est-ce que j'avais ? Les jeunes notaires qui nous écrivaient…
THIERRY MANDON
Qui veulent s'installer !
STEPHANE SOUMIER
Qui veulent s'installer !
THIERRY MANDON
Eh bien c'est que…
STEPHANE SOUMIER
Mais ils ne pourront pas plus…
THIERRY MANDON
Mais pourquoi ils ne pourront pas plus ?
STEPHANE SOUMIER
Parce que vous ouvrez un système de cooptation ! Il va falloir que ce soit entre professionnels…
THIERRY MANDON
Mais de toute façon…
STEPHANE SOUMIER
Que l'on puisse ouvrir le capital…
THIERRY MANDON
D'abord on ne l'ouvre pas, d'abord c'est le système qui existe aujourd'hui, sauf qu'aujourd'hui ils ne peuvent pas…
STEPHANE SOUMIER
Eh bien oui ! Donc, on…
THIERRY MANDON
Donc, aujourd'hui, ils ne peuvent pas s'installer et là demain il y a des installations qui seront possibles pour les notaires…
STEPHANE SOUMIER
Pour peu que leurs pairs le veuillent ! Tout ça va rester… on va rester entre nous, surtout ne pas trop bouleverser l'équilibre.
THIERRY MANDON
Eh bien les notaires qui vous écrivent, ils vous disent aussi que l'idéal eut été qu'on ne bouge rien.
STEPHANE SOUMIER
Ah ! Eh bien oui.
THIERRY MANDON
Voilà ! Bon, et donc ça va bouger. Et d'ailleurs vous avez aujourd'hui une étude qui va sortir de l'OCDE…
STEPHANE SOUMIER
Je sais ! J'ai vu ça.
THIERRY MANDON
Eh bien il faut en parler aussi.
STEPHANE SOUMIER
Eh bien allez-y alors, parlez-en.
THIERRY MANDON
Eh bien oui ! Eh bien quoi, que cette étude elle dit quoi ? Elle dit que la France depuis 2012 se réforme assez profondément, qu'il y a encore des champs sur lesquels il faut aller plus vite, exemple les professions réglementées, mais que l'ensemble des réformes qui ont été faites sur 5 ans produisent 1,7 de croissance du PIB de plus. Ca veut dire quoi ? Ca veut dire que le chemin de la réforme…
STEPHANE SOUMIER
Oui ! Mais enfin vous savez pourquoi je n'en parle pas, Thierry MANDON, mais c'est un truc de dingue, donnez-moi un exemple, j'en veux juste un Thierry MANDON, un exemple de réforme, un seul ?
THIERRY MANDON
Eh bien vous avez le Crédit Impôt Compétitivité, c'est le premier, le premier, ce qui reconstitue les marges…
STEPHANE SOUMIER
4 milliards d'euros ont été aujourd'hui reverses dans l'économie nationale…
THIERRY MANDON
L'année dernière ! Oui.
STEPHANE SOUMIER
Au titre du Crédit d'Impôt Compétitivité Emploi, 4 milliards d'euros aujourd'hui Thierry MANDON…
THIERRY MANDON
Pour l'instant ! D'accord.
STEPHANE SOUMIER
Ce n'est pas une réforme ?
THIERRY MANDON
Eh bien c'est une première, c'est une première partie d'une réforme. La deuxième tranche…
STEPHANE SOUMIER
Mais comment est-ce qu'on peut nous dire que ça 1,7 point de croissance, enfin ça n'a pas de sens ?
THIERRY MANDON
Non ! Mais il n'y a pas que ça. Le marché…
STEPHANE SOUMIER
Si ! Il n'y a que ça.
THIERRY MANDON
Eh bien absolument pas ! Le marché du travail, l'ANI, la négociation…
STEPHANE SOUMIER
Mais vous savez combien de plans de sauvegarde de l'emploi ont été signés par les entreprises depuis l'ANI ?
THIERRY MANDON
Oui ! D'accord ! Il y en a assez peu, parce que…
STEPHANE SOUMIER
2 ! 2…
THIERRY MANDON
Parce qu'ils préfèrent… Absolument ! Non, plus que 2, non mais pas beaucoup.
STEPHANE SOUMIER
Allez ! 4, bon…
THIERRY MANDON
Pas beaucoup, allez, pas beaucoup. Mais il n'empêche que dans les entreprises la culture des négociations est en train de se développer ; ensuite, vous avez quand même des réformes très importantes qui sont faites sur les collectivités territoriales, qui ont été votées, qui ne sont pas terminées mais qui ont été votées en première lecture ; vous avez tout ce qu'on a fait sur la simplification, enfin je ne vais pas vous faire la liste et le catalogue, la France se réforme, mais c'est long, c'est lent et c'est salué par les organisations internationales.
STEPHANE SOUMIER
Vous savez on est au coeur du truc-là Thierry MANDON de ce je ressens quand j'écoute les chefs d'entreprise, c'est de l'illusion la réforme ?
THIERRY MANDON
Non ! Non.
STEPHANE SOUMIER
C'est la réforme de papier, c'est la réforme écrite.
THIERRY MANDON
Je vais vous dire la difficulté c'est qu'il se passé 2 choses en même temps, c'est qu'il y a une conjoncture très déprimée par défaut de demande – ce n'est pas seulement en France, c'est en Allemagne aussi – par défaut de demande, c'est-à-dire que les entreprises n'ont pas de demande, n'ont plus suffisamment de marchés, n‘ont plus suffisamment de clients et, ça, ce n'est pas lié à la politique de réforme ou à l'absence de politique de réforme, c'est lié à une conjoncture - notamment européenne - sur laquelle tout le monde nous envoie des signaux d'alarme : le FMI, l'OCDE et sur laquelle il faut pouvoir bouger, si on ne relance pas l'investissement et public et privé, si on ne crée pas des occasions de demande pour les entreprises, alors là oui la déprime va gagner et c'est ça le chantier qui est devant nous.
STEPHANE SOUMIER
Thierry MANDON avec nous ce matin sur BFM BUSINESS.Source : Service d'information du Gouvernement, le 23 octobre 2014