Entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, avec la chaîne de télévision chinoise "CBN TV" le 18 octobre 2014, sur les relations franco-chinoises, les sanctions à l'encontre de la Russie et sur l'épidémie d'Ebola.

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Circonstance : Déplacement en Chine, du 17 au 19 octobre 2014

Texte intégral

- Chine -
Q - C'est la 8ème fois que vous vous rendez en Chine, et la 2ème fois cette année. Chaque visite produit des résultats différents, quels sont ceux attendus cette fois-ci ?
R - Effectivement, je me déplace souvent en Chine ces derniers temps. Cet après-midi, nous avons inauguré la «Maison de la France» au sein de l'espace Rhône-Alpes. Nous avons assisté à la signature de contrats couvrant, notamment, les secteurs de l'alimentation, du tourisme et de la culture. Je me rendrai également à l'inauguration de l'exposition «la Trilogie des Modernes» organisée dans le cadre du 50ème anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques franco-chinoises, qui concerne les grands chefs-d'oeuvre de notre héritage artistique français.
Par ailleurs, la promotion des investissements bilatéraux est toujours un élément important lors de ces déplacements. En mai cette année, j'ai rencontré des investisseurs chinois intéressés par la France, comme plus tôt ce matin.
Q - Le nouveau gouvernement chinois est en place depuis un an. Les investisseurs français en Chine sont-ils satisfaits à cet égard de l'environnement d'affaires ?
R - Nous pensons que l'atmosphère entre nos deux pays est particulièrement propice aux investissements actuellement. De nombreux investisseurs français sont entrés sur le marché chinois récemment, en particulier à Shanghai. Pourquoi croyons-nous que cette tendance est positive ? Parce qu'actuellement les investisseurs chinois en France sont relativement peu nombreux, même si beaucoup d'entrepreneurs chinois se montrent intéressés par la perspective de développement en France. Ce n'est pas assez, la marge de progression des investissements bilatéraux reste très importante, et nous souhaitons voir davantage d'entreprises chinoises s'installer en France. C'est également vrai en ce qui concerne le tourisme. De plus en plus de touristes chinois se rendent en France, ce qui est extrêmement positif, mais nous voulons en accueillir encore davantage.
Q - Lors de votre visite de mai, votre première étape a été consacrée à un entretien avec Jack Ma dans la ville de Hangzhou. À ce jour, Alibaba est déjà entré sur le marché américain. Avez-vous encore des choses à dire à Jack Ma ?
R - C'est effectivement le cas. La dernière fois que je me suis rendu en Chine, grâce à la signature de l'accord avec Alibaba, nous avons lancé «la semaine des produits français», permettant de promouvoir des articles français sur le site T-Mall. Cela a donné des résultats très positifs, les ventes ont été en nette progression cette semaine-là. Comme avec cet accord, nous allons approfondir notre coopération avec Alibaba. Notre coopération la plus récente concerne la «semaine des célibataires» du 11 novembre, qui suivra le modèle de promotion utilisé pour la semaine française. Pour cette raison, nous serons rapidement amenés à signer un nouvel accord avec Jack Ma.
Q - Dans quelle mesure estimez-vous que le renforcement des investissements bilatéraux peut bénéficier aux PME ?
R - Les PME sont essentielles à l'économie française. Les grandes entreprises françaises sont déjà bien implantées en Chine depuis un certain nombre d'années. Nous souhaitons maintenant voire davantage de PME se développer sur le marché chinois. La «Maison de la France» au sein de l'espace Rhône-Alpes sera dans cette perspective une structure très utile, qui soutiendra les PME dans leurs projets en Chine. Car pour un entrepreneur de PME, il n'est pas possible d'arriver avec sa valise dans une ville étrangère, il est nécessaire d'avoir un soutien financier et en matière de conseil. La «Maison de la France» sera très utile à cet égard.
Q - La France vient d'obtenir récemment deux prix Nobel. Quels sont vos commentaires concernant la déclaration du Nobel d'économie Jean Tirole selon laquelle «la France n'est pas finie» ?
R - Tout d'abord, rappelons-nous que la France a obtenu trois prix «Nobel», celui de littérature, d'économie et de mathématiques, puisque la médaille Fields correspond au prix Nobel de mathématiques. Les propos du Nobel d'économie sont tout à fait justes. Bien que l'économie mondiale se trouve actuellement dans un système plutôt américain, la France demeure la cinquième puissance mondiale. Elle est membre permanent du conseil de sécurité des Nations unies ; c'est une puissance nucléaire ; plus de cent millions de personnes pratiquent la langue française dans le monde ; la France possède de nombreuses avancées technologiques ; et la gastronomie française est très appréciée dans le monde entier au même titre que la gastronomie chinoise. Certes l'économie connait des hauts et des bas et nous nous trouvons actuellement dans une phase difficile mais la Chine peut être convaincue que la France reste une grande puissance indépendante. L'amitié franco-chinoise s'inscrit dans une perspective prometteuse.
Q - La crise économique ne concerne pas uniquement la France car il semblerait que la croissance économique de l'Europe dans son ensemble soit entrée dans une phase de ralentissement. Comment l'Europe devrait-elle y remédier ?
R - En effet, la croissance économique de l'Europe n'est que de l'ordre d'un pour cent ; ce qui est largement insuffisant. D'abord, nous pensons que les investissements internes aux pays européens doivent s'intensifier. Ensuite, il faudrait développer les possibilités extérieures, comme en Amérique du Sud ou en Asie. Mais quel est l'essentiel ? Ce sont l'information, la recherche, l'investissement et l'éducation. L'Europe est très compétente dans ces domaines et il manque simplement un brin de dynamisme à notre économie. (...).
- Russie -
(...)
Q - Étant donné que l'économie est affaiblie, est-ce qu'il se pourrait que la France lève les sanctions économiques à l'égard de la Russie ?
R - La question est complexe. La France et la Russie entretiennent, historiquement de bonnes relations, mais la Russie a transgressé les règles internationales en portant atteinte à l'intégrité d'un territoire. Elle a d'abord envahi la Crimée puis s'en est emparée. Nous étions dès lors obligés d'adopter des sanctions à l'encontre de la Russie. Nous n'accorderons pas de concession à l'encontre de nos principes car la transgression des règles internationales peut engendrer de graves conséquences.
(...).
- Épidémie Ebola -
(...)
Q - Les menaces communes ne se limitent plus à la géopolitique locale mais s'étendent également au domaine de la santé. L'apparition du virus Ebola risque-t-elle de susciter la volonté de suspendre le développement de l'économie mondiale ?
R - La diffusion du virus Ebola est effectivement inquiétante et le monde entier devrait se mobiliser afin d'aider nos amis africains. La France soutient beaucoup la Guinée. Nous sommes conscients que la diffusion rapide du virus est en partie due au contexte mondialisé, tout comme le SRAS à l'époque. Pour y faire face, nous devons mener une coopération mondiale.
Q - Pensez-vous que la coopération mondiale est suffisante de nos jours ?
R - Je pense qu'elle est insuffisante. Certains pays s'investissent beaucoup tandis que d'autres ne s'estiment pas concernés. À l'ère de l'ouverture mondiale, l'orgueil national ne mène nulle part. La France apporte d'importants soins médicaux à la Guinée, qui découlent en partie de notre proximité historique. Nos chercheurs se sont installés sur le terrain et ont établi des hôpitaux et des centres de recherche dans la forêt en Guinée. La France ne cessera de soutenir la Guinée.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 octobre 2014