Point de presse conjoint de MM. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, et Jaswant Singh, ministre indien des affaires extérieures, et interviews à la presse et aux radios françaises à New Delhi le 1er novembre 2001, sur les répercussions des événements en Afghanistan sur le dialogue indo-pakistanais, la recherche d'une solution politique et la réaction de l'Inde au plan d'action proposé par la France pour l'avenir de ce pays.

Prononcé le 1er novembre 2001

Intervenant(s) : 

Circonstance : Tournée en Inde et au Pakistan de M. Hubert Védrine les 1er et 2 novembre 2001 : visite en Inde le 1er

Média : Agence Algérie Presse Service - Presse

Texte intégral

Point de presse conjoint à New Delhi, le 1er novembre 2001 :
(...)
Mesdames et Messieurs je suis dans cette région pour suivre le travail de recherche pour une solution politique sur l'avenir de l'Afghanistan.
Compte tenu des relations étroites et du dialogue stratégique que la France entretien avec l'Inde depuis maintenant plusieurs années, il était normal que je commence ce voyage par New Delhi.
Monsieur le Ministre et moi-même nous sommes rencontrés il y a peu de jours à Paris, mais, en ce moment, les situations évoluent vite. Donc nous avons à nouveau mis en commun nos analyses de la situation, sur le plan militaire, sur le plan politique. Et nous allons poursuivre nos efforts de façon coordonnée jusqu'à ce qu'une véritable solution politique alternative s'enclenche à propos de l'Afghanistan.
Comme vous le savez, j'irai ensuite, tout de suite après, au Pakistan.
Notre objectif est que les événements actuels et leurs répercussions ne soient en rien préjudiciables à la relation entre l'Inde et le Pakistan. On connaît tous les problèmes, notamment le Cachemire et d'autres. Nous souhaitons que dans ce contexte tout cela soit abordé avec sens des responsabilités, beaucoup de sang froid et d'une façon qui soit constructive pour la stabilité de la région.
Mais le premier objectif c'est naturellement notre travail en commun sur la question afghane.
Le ministre et moi-même resterons en contact très étroit.
Q - Monsieur le Ministre, on a lu ce matin dans la presse locale des déclarations assez belliqueuses de responsables militaires ou politiques indiens à propos du Cachemire. Dans quelle mesure pensez vous que le conflit du Cachemire peut entraver la recherche d'une solution politique en Afghanistan, et le rôle de la France pour essayer de favoriser le dialogue entre New Delhi et Islamabad ?
(...)
R - En ce qui me concerne, je pense qu'il y a des objectifs qui sont dans l'intérêt de tous les pays concernés : enclencher un solution politique en Afghanistan qui soit représentative de l'Afghanistan de demain que le monde entier veut aider à renaître ; combattre le terrorisme partout, sous toutes ses formes et par tous les moyens ; coopération policière, judiciaire, fiscale et recherche de solution sur les problèmes qui peuvent alimenter le terrorisme.
Enfin nous souhaitons naturellement que les problèmes qui peuvent exister entre le Pakistan et l'Inde soient traités par le dialogue et avec un grand sens des responsabilités.
Si on peut y aider, tant mieux. Je ne sais pas si c'est spécialement demandé, je ne crois pas, mais cela pourrait traduire un état d'esprit. Mais il me semble clair qu'aussi bien l'Inde que le Pakistan ont intérêt à ce qu'il y ait une bonne solution politique stable en Afghanistan demain.
Q - Quelle est votre position quant aux Taleban modérés ? Peuvent-ils trouver un rôle à jouer dans une administration future de l'Afghanistan ?
R - Je ne dois pas connaître assez bien la situation mais je ne sais pas très bien ce qui est un Taleban modéré, en réalité. Ce que je trouve normal et légitime en tout cas, c'est que les Pashtouns soient représentés dans l'Afghanistan de demain d'une façon qui tienne compte de ce qu'ils sont dans le pays
Mais qui seront demain ces représentants des Pashtouns dans le nouveau pouvoir qui devrait être une coalition ? Je n'en sais rien. Cela ne peut pas se trancher de l'extérieur, c'est aux Afghans de le déterminer dans les processus que nous voulons précisément enclencher.
(...)
Q - Si, car les Britanniques vont acheter de nouveaux avions...
R - Je ne crois pas que cela soit dirigé contre nous
(...).
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 novembre 2001)
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Interview à la presse à New Delhi, le 1er novembre 2001 :
J'ai estimé normal de commencer par Delhi ma visite dans la région, en raison du dialogue entre la France et l'Inde et d'autre part en raison de ce que l'Inde peut apporter à la recherche d'une solution politique pour l'Afghanistan.
J'avais déjà reçu le ministre des Affaires étrangères indien à Paris il y a quelques jours, mais la situation évolue vite et j'ai éprouvé le besoin de le revoir.
D'autre part, nous ne souhaitons pas que les événements actuels aient des répercussions négatives ou préjudiciables sur les relations entre l'Inde et le Pakistan. Mais cela suppose beaucoup de sang-froid et de sens des responsabilités. Cela aussi, je voulais en parler à Delhi comme j'en parlerai à Islamabad.
Je suis très satisfait des entretiens que j'ai eus aujourd'hui à New Delhi avec les membres de la Commission des Affaires étrangères du Sénat et de l'Assemblée nationale ainsi qu'un certain nombre d'experts ou d'intellectuels, parce que, au-delà des positions officielles, il est très intéressant pour moi de saisir l'atmosphère, le climat qui règnent ici sur ces sujets.
Q - Quelle a été la réaction face au plan d'action proposé par la France pour l'Afghanistan et, en particulier, la réaction indienne ?
R - La France a été le premier pays, le premier octobre, à mettre en avant la nécessité d'une vision politique de l'avenir de l'Afghanistan.
Le plan avait un volet humanitaire, politique et économique, et nous l'avons, depuis lors, enrichi et adapté en fonction des contacts et des événements nouveaux. Ce plan a été bien accueilli partout, chez tous nos partenaires.
Je crois que nous avions été les premiers à souligner qu'il fallait travailler d'urgence à l'enclenchement d'un processus politique, engageant tous les Afghans, pouvant conduire à un gouvernement représentatif de tous les Afghans, pour préparer l'avenir. Tout le monde est, je crois, sur cette ligne maintenant. Ce processus politique n'est pas encore clairement enclenché : c'est pourquoi nous continuons à y- travailler.
Q - Est-ce que je peux vous demander votre évaluation de la situation actuelle en Afghanistan et est-ce que vous êtes optimiste sur la réaction et le comportement des Etats-Unis ?
R - La réaction des Etats-Unis a été jugée légitime par le Conseil de sécurité dès l'origine. Tout le monde a souhaité que cette réaction soit ciblée sur les réseaux terroristes et sur le système taleban, et c'est ce qui est fait. Cela paraît long et compliqué mais personne n'avait dit que cela allait être court et facile.
Les victimes civiles sont évidemment à déplorer mais c'est lié, malheureusement, à la façon dont les Taleban mettent des cibles militaires près des hôpitaux et des écoles. Il ne faut pas oublier que l'Afghanistan est un pays martyre de différentes façons depuis 20 ans.
Donc, même si cela pose problème, cette phase militaire préalable devait être accomplie.
Q - L'Inde a dit qu'elle voulait participer à un groupe qui réfléchirait à la situation de l'Afghanistan après les Taleban. Qu'en pensez-vous et en avez-vous parlé avec vos homologues aujourd'hui ?
R - Je trouve cela tout à fait légitime. D'ailleurs, ma présence ici et l'intensité des contacts entre la France et l'Inde le prouvent. Nous n'avons pas tout à fait trouvé encore au sein de l'ONU la bonne combinaison du groupe permettant à tous les pays qui ont des choses utiles à apporter sur l'Afghanistan de travailler ensemble. Alors, nous corrigeons cela par de nombreux contacts bilatéraux très intenses. Mais nous avons demandé au Secrétaire général des Nations unies de réfléchir à une formule plus adéquate.
Q - Peut-on dire qu'il y a des Taleban modérés ? L'Inde et la Russie ne le pensent pas. Quelle est votre opinion ?
R - J'ai eu tout à l'heure l'occasion de répondre que je ne sais pas ce qu'est un Taleban modéré. Mais, en ce qui concerne le choix des Pachtouns qui représenteront les Pachtouns dans le processus politique à venir, c'est aux Afghans de se mettre d'accord entre eux. On ne veut pas imposer une solution politique toute faite aux Afghans. Nous voudrions recréer une situation dans laquelle ils pourraient reprendre en mains leur destin.
Q - Est-ce que la France enverra des troupes, si le besoin s'en fait sentir ?
R - Le président de la République française et le Premier ministre français ont exprimé par rapport aux Etats-Unis une disponibilité de principe. Mais, comme vous le constatez, les Etats-Unis, pour l'essentiel, veulent agir par eux-mêmes.
Q - Un certain nombre de pays occidentaux ont incité l'Inde et le Pakistan à reprendre le dialogue. Le Premier ministre a dit que cela n'était pas d'actualité, mais quelle serait la situation s'il n'y avait pas de dialogue et quelle influence cela pourrait-il avoir sur la situation en Afghanistan ?
R - Nous, nous sommes évidemment favorables à un dialogue entre l'Inde et le Pakistan sur les problèmes que ces deux pays rencontrent. Je ne vois même pas comment on pourrait être contre le dialogue. Le problème, c'est que ce dialogue n'arrive pas à s'enclencher, même quand il y a des tentatives.
Je résume : nous souhaitons que, dans la situation actuelle, les responsables fassent tout pour empêcher qu'il y ait une dégradation dans les relations Inde-Pakistan et sur le fond, nous souhaitons que le dialogue reprenne.
Q - Avez-vous évoqué le Cachemire ?
R - Oui, c'est toujours un peu évoqué. C'est difficile d'être ici sans en entendre parler.
Q - Est-ce que vous avez obtenu des assurances que l'Inde ne traverserait pas la ligne de contrôle et ne mènerait pas d'action, et êtes-vous satisfait de ces assurances ?
R - Je n'ai pas posé de question de ce type. L'Inde est un grand pays, conscient de son rôle et de ses responsabilités. J'ai insisté sur le fait qu'à nos yeux, au moment où l'on doit se concentrer tous ensemble sur la solution politique pour l'Afghanistan, après les actions militaires, il est très important que rien ne vienne aggraver la situation sur d'autres plans. Donc, je crois que la communauté internationale a besoin en ce moment d'un engagement constructif de l'Inde et d'un engagement constructif du Pakistan dans la recherche de la solution.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 novembre 2001)
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Interview aux radios françaises à New Delhi, le 1er novembre 2001 :
Q - (Sur les raisons de la visite en Inde du ministre)
R - Oui, c'est très important pour moi parce que nous avons, depuis des années, un dialogue stratégique entre la France et l'Inde qui se renforce. Nous sommes, maintenant, habitués à travailler ensemble. Par ailleurs, il est important pour nous de parler aux Indiens et aux Pakistanais pour que les répercussions des attentats et de l'action qui doit être menée depuis ne dégradent pas les relations entre le Pakistan et l'Inde, qui ont, vous le savez, ce gros problème du Cachemire. Et d'un côté et de l'autre, il faut que nous puissions faire passer des messages de sens des responsabilités. Il y a évidemment une dimension de terrorisme dans le cadre du Cachemire. Il y a aussi une dimension politique et, malheureusement, le dialogue entre l'Inde et le Pakistan est bloqué. Il a lieu de temps en temps mais il n'aboutit pas. Il ne faut absolument pas que ces problèmes viennent, en ce moment, s'ajouter à d'autres. Voilà les deux raisons principales qui justifient l'étape à New Delhi.
Q - Sur le processus militaire, est-ce que vos interlocuteurs indiens s'inquiètent, à l'instar des Européens, du peu de résultat, pour le moment, de cette offensive militaire en Afghanistan ?
R - Pas exagérément, les Européens non plus. Tout le monde souhaite, que ce soient les Indiens ou les Européens ou les Arabes et j'imagine aussi les Américains, que les frappes aériennes ayant atteint leurs objectifs, on puisse passer rapidement à une autre phase qui serait terrestre puis ciblée, toujours dans la recherche des responsables terroristes. C'est un souhait général mais qui dépend, évidemment, des réalités sur le terrain.
Q - Monsieur le Ministre, la France propose un plan d'action pour l'après-Taleban en Afghanistan. On a vu au moment de la mort d'Abdul Haq que les Américains sont déjà sur le terrain, recherchent cette solution politique qui ne repose pas uniquement sur l'Alliance du nord. Qu'est-ce que la France peut apporter de plus ?
R - L'assassinat du commandant Abdul Haq a plutôt prouvé l'inverse, malheureusement. La France a été la première, le 1er octobre, à faire un plan pour l'avenir de l'Afghanistan, pour souligner que ce n'était pas qu'un problème humanitaire même s'il est très important et que nous nous en occupons beaucoup par ailleurs, et pas uniquement un problème futur de reconstruction économique mais aussi un problème politique. Depuis lors, la France, comme aussi plusieurs autres pays européens, les Etats-Unis, les Nations unies, M. Brahimi, représentant de Kofi Annan, travaillent activement à dégager entre les Pachtounes, les Tadjiks, les Ouzbeks, etc et quelques autres minorités, les bases d'un processus politique pouvant conduire à un gouvernement de coalition pour gouverner l'Afghanistan demain. Tout le travail qui est fait en ce moment, c'est dans ce but, pour que ces différents groupes dépassent un peu leur réflexe trop particulariste et travaillent avec le souci commun de l'Afghanistan. De même que nous dialoguons beaucoup avec les pays voisins de l'Afghanistan, pour qu'ils ne se soucient pas simplement de l'influence des autres voisins qui pourraient les inquiéter mais qu'eux aussi essaient de nous aider à bâtir un Afghanistan en paix et stable. On peut créer les conditions, on peut favoriser, on peut encourager mais, à un moment donné, il faut que ce soient les Afghans eux-mêmes qui trouvent les solutions à leurs problèmes. Cela, on ne l'a pas trouvé encore. C'est pour cela que nous sommes si engagés et si actifs.
Q - Justement, dans la recherche de cette solution politique d'après-Taleban, quel verrou, quel point de blocage on peut espérer faire sauter au Pakistan, et notamment, l'opposition farouche des Pakistanais à toute représentation de l'Alliance du Nord tadjik au sein d'un futur gouvernement afghan ?
R - Il n'est pas possible d'avoir un futur gouvernement afghan dans lequel il n'y aurait pas de représentants des Tadjiks, des Ouzbeks et des Azeris, c'est tout à fait impossible et donc tout à fait impossible d'avoir un gouvernement afghan dans lequel il n'y aurait pas de représentants des Pachtounes. Il faut donc que les Pakistanais acceptent cette idée, de même que les Iraniens, les Russes, les Ouzbeks et les Tadjiks doivent accepter l'idée de la représentation des Pachtounes. Après, il faut se mettre d'accord sur les proportions et sur les gens. Il y a donc un message à passer du côté pakistanais. Ils peuvent aider à faire émerger les représentants Pachtounes qui seraient les éléments de cette combinaison. Il faut, en contrepartie, qu'ils acceptent les nôtres.
Q - Une dernière question sur notre confrère Peyrard. Est-ce que, au cours de vos discussions ce soir et demain, vous évoquerez son cas. Est-ce que les autorités pakistanaises peuvent faire quoi que ce soit pour une libération prochaine ?
R - Naturellement, je l'évoquerai. Mais croyez bien que nous sommes mobilisés constamment pour lui depuis la première minute et nous le serons jusqu'à ce qu'il soit libéré.
Q - Pensez-vous que le dialogue existe toujours entre les Pakistanais et les Taleban et qu'un canal puisse être utilisé ?
R - Je préfère ne faire aucun commentaire dans toutes ces affaires. Je n'en fais jamais. La seule chose qui m'intéresse, c'est l'officialité.
Q - Quelques mots sur la mission de Pierre Lafrance qui vous accompagne dans votre tournée ?
R - M. Lafrance est un ambassadeur expérimenté qui connaît très bien cette région, maintenant en retraite et que j'ai rappelé pour cette mission, qui parle plusieurs des langues de cette région, que j'ai chargé d'une mission, qui a donc fait le tour des pays avec les ministres et qui doit être en contact avec l'ensemble des protagonistes en plus de ce que font les services du Quai d'Orsay qui travaillent normalement tous les jours là-dessus. C'est à ce titre qu'il m'accompagne et sa mission continuera, notamment dans cette phase politique où l'on ne doit négliger aucun contact.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 novembre 2001)