Déclaration de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, notamment les soins médicaux et la prévention, Paris le 21 octobre 2014.

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Circonstance : Présentation du projet de loi de financement de la sécurité sociale à l'Assemblée nationale le 21 octobre 2014

Texte intégral


M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames et messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, notre modèle social rassemble les Français. Ils nous le disent : ils tiennent à ce modèle dont la force est de s'adresser à tous, depuis la naissance jusqu'à la fin de la vie, et dont l'objectif est de soutenir davantage ceux qui en ont le plus besoin.
Notre protection sociale contribue de façon puissante à la redistribution dans notre pays ; mais c'est aussi parce que tous les Français savent que la sécurité sociale sera là pour eux, au moment où ils en auront besoin, face à la maladie, au terme de leur carrière professionnelle ou encore pour les aider dans l'éducation de leurs enfants, qu'elle est au cœur du consensus républicain.
Pour cette raison, nous ne pouvons accepter l'immobilisme ni le statu quo, qui seraient dangereux pour l'avenir de la protection sociale – pas seulement parce que le conservatisme n'est pas synonyme de progrès, mais aussi parce que, quels que soient les succès de notre modèle social, nous devons sans cesse l'adapter, pour faire en sorte qu'il tienne mieux ses promesses de justice, qu'il réponde aux évolutions de notre société et, bien évidemment, qu'il soit soutenable financièrement.
Voilà pourquoi nous faisons le choix résolu de la réforme. Contrairement à la majorité précédente, nous n'utilisons pas ce terme pour masquer des régressions. Non, la réforme, ce n'est pas remettre en cause les droits sociaux, raboter, dérembourser. Réformer, c'est aller de l'avant, transformer, faire des choix qui s'inscrivent dans le chemin du progrès, pour plus d'efficacité et de justice.
Le choix de la réforme juste est celui que nous faisons depuis deux ans.
Nous l'avons fait d'abord en matière de retraites, avec la loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites votée en janvier dernier. Cette loi est efficace, puisqu'elle permet d'envisager le retour de la Caisse nationale d'assurance vieillesse à l'équilibre en 2017.
M. Arnaud Robinet. Comme la dernière fois !
Mme Marisol Touraine, ministre. Et elle est juste, puisqu'elle consacre des droits nouveaux, comme la prise en compte de la pénibilité, et renforce les solidarités, avec la revalorisation, effective depuis le 1er octobre, de l'allocation de solidarité aux personnes âgées à 800 euros, ainsi que le versement d'une prime exceptionnelle de 40 euros aux retraités qui perçoivent moins de 1 200 euros de pension globale.
Réforme efficace et juste, également, de notre système de santé : ce n'est pas en réduisant sa qualité ou en rabotant la prise en charge par l'assurance maladie que nous réaliserons des économies durables ; c'est en le transformant pour qu'il réponde mieux aux besoins et aux attentes des Français et des professionnels de santé.
Tel est le sens du projet de loi de santé que j'ai présenté la semaine dernière en Conseil des ministres. Ce texte contient des réformes structurantes visant à permettre à tous de continuer à accéder à des soins de qualité et à favoriser l'innovation, tout en maîtrisant nos dépenses – car ce n'est pas contradictoire.
Le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale s'inscrit dans la même perspective, avec la même volonté structurante ; il s'articule autour de quatre axes forts, qui sont autant de priorités.
D'abord, la pertinence des soins. Prescrire les bons soins aux patients et leur éviter d'avoir à répéter inutilement analyses et consultations est un enjeu de santé publique. C'est pourquoi le texte vous propose de doter les agences régionales de santé d'une palette graduée d'outils afin de pouvoir modifier le comportement d'établissements ciblés en raison de problèmes de non-pertinence dans leurs pratiques ou leurs prescriptions.
La deuxième priorité est de maîtriser les dépenses de médicaments. Adapter les prix, les diminuer, mais pas de manière uniforme : voilà la ligne que nous tenons. Nous continuerons, j'y insiste, à soutenir l'innovation, mais en faisant baisser les prix des médicaments qui ne présentent pas d'amélioration du service médical rendu.
Nous devons poursuivre sans relâche l'effort en faveur des médicaments génériques, en incitant les médecins, en ville comme à l'hôpital, à les prescrire et en renforçant la confiance du public à leur égard. Je présenterai prochainement de façon plus détaillée les actions que j'entends mener dans ce domaine, à travers un plan pour les génériques.
Par ailleurs – et ceci est un point particulièrement sensible –, face à la progression exceptionnelle des dépenses de traitement de l'hépatite C, je vous propose d'adopter des mesures fortes de refonte de la régulation des dépenses de produits de santé.
Je veux avant tout rappeler que les traitements de l'hépatite C constituent une nouvelle formidable pour la santé publique, car ils apportent à un grand nombre de malades une amélioration réelle, et significative, de leur état de santé. Notre système de santé permet un large accès des patients aux bienfaits de l'innovation thérapeutique, et nous pouvons en être fiers : c'est une des « marques de fabrique » du système français. Mais nous devons être cohérents : si nous souhaitons préserver à la fois cette excellence et cette accessibilité, il nous faut réformer notre système de santé et nous donner les moyens de réagir à la situation présente.
Le défi financier que représente pour l'assurance maladie l'innovation, en l'espèce celle pour le traitement de l'hépatite C, est en effet redoutable. C'est pourquoi je propose la création dès 2014 d'un mécanisme de régulation pour les médicaments destinés au traitement de cette affection, visant à faire supporter aux laboratoires concernés un dépassement éventuel de l'enveloppe consacrée à ce traitement.
Troisième axe du projet de loi : rechercher l'efficience de la dépense hospitalière. Nous souhaitons amplifier les actions en ce sens en permettant la mutualisation des achats hospitaliers. Le projet de loi relatif à la santé, en créant les groupements hospitaliers de territoire, donnera aux hôpitaux des outils nouveaux pour ce faire. Votre rapporteur pour l'assurance maladie, M. Olivier Véran, a déposé un amendement sur le sujet, qui montre bien que nous faisons le pari d'une transformation de l'organisation territoriale des soins hospitaliers afin de permettre aux hôpitaux de mieux répondre aux exigences auxquelles ils sont confrontés. Nous définissons aussi – et je sais que c'est un sujet sensible pour l'ensemble des parlementaires – un mode de financement adapté aux hôpitaux de proximité, pour permettre à ceux-ci de jouer un rôle important de coordination entre ville, hôpital et secteur médico-social.
Enfin, quatrième orientation, j'engage un « virage ambulatoire » de notre système de soins ; il s'agit d'améliorer la prise en charge de nos concitoyens tout en maîtrisant les dépenses. Cette question sera au cœur des débats que nous aurons à l'occasion de l'examen du projet de loi de santé, mais nous devons d'ores et déjà inscrire ce fil conducteur dans les dispositions financières que je vous propose d'adopter. Le choix du premier recours se traduit d'abord, très concrètement, par la fixation, pour la deuxième année consécutive, à 2,2 % du taux de progression de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie – l'ONDAM – des soins de ville, soit un taux plus élevé que celui de l'ONDAM des établissements de santé. Difficile, dans ces conditions, de soutenir que les soins de ville sont désavantagés !
Nous poursuivons la démarche du pacte territoire santé, avec des mesures favorables à l'installation des médecins en zone sous-dense. En 2013, nous avions instauré la prise en charge du congé maternité pour les médecins généralistes s'engageant à s'installer durablement dans ces zones ; ce dispositif incitatif ayant fait ses preuves, nous allons l'étendre à des médecins spécialistes. Nous allons également créer une aide pour tenir compte des difficultés spécifiques de l'activité des médecins en zone isolée, notamment en montagne.
Au-delà de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, j'ai demandé aux directeurs généraux des agences régionales de santé de se mobiliser pour organiser et favoriser le virage ambulatoire dans leurs territoires. À ce titre, 19 millions d'euros d'aides sont prévues, dans le cadre du fonds de modernisation des établissements de santé, afin d'accompagner les projets de développement de la chirurgie ambulatoire, qui est l'une des orientations fortes que nous comptons soutenir dans les années à venir.
Les patients devant bien évidemment, tout comme les établissements, être accompagnés, votre rapporteur pour l'assurance maladie a déposé un amendement tendant à créer un cadre d'expérimentation pour des hôtels hospitaliers, destinés à l'ambulatoire.
M. Dominique Tian. Des « Ibis » médicaux ! (Sourires.)
Mme Marisol Touraine, ministre. Il s'agit là d'une initiative innovante, à laquelle le Gouvernement apportera son soutien.
Le virage ambulatoire est indissociable du renforcement de la qualité de notre système de soins. Nous investirons 34 millions d'euros à cette fin dès 2015. Nous vous proposons en outre de faciliter la prise en charge des actes innovants et des actes issus d'expérimentations ; 15 millions d'euros iront au déploiement d'équipements d'imagerie médicale, afin de réduire les délais d'attente, et nous allons financer le développement de la télémédecine.
Au-delà de l'organisation de notre système de santé et du financement des principales orientations, je veux insister sur le fait que les priorités politiques qui sont depuis deux ans les miennes trouvent un écho dans ce texte.
Ainsi, les deux premiers chapitres de la partie relative à l'assurance maladie sont consacrés à l'accès aux soins et aux droits, ainsi qu'à la prévention.
L'investissement en faveur de la prévention sera soutenu : ces crédits progressent de façon importante entre 2015 et 2017. Nous allons aider les centres de vaccination à développer leur activité de vaccination gratuite, et nous réformons le dispositif de dépistage du VIH et des infections sexuellement transmissibles afin de lui donner plus de visibilité et de mieux organiser la continuité entre le dépistage et la prise en charge.
Mon engagement pour l'accès aux soins et aux droits se prolonge, et ce, je veux le réaffirmer ici, malgré le contexte financier contraint qui est le nôtre. Depuis que je suis aux responsabilités, j'ai refusé toute mesure de transfert de charge vers les patients. Il n'y a eu, depuis deux ans, ni déremboursement, ni forfait, ni franchise. Ce choix résolu montre ses effets, puisque la part des dépenses de soins qui reste à la charge des ménages a diminué depuis 2012, passant de 9,2 % des dépenses de soins à 8,8 %, alors qu'au cours des années précédentes, mesdames et messieurs les députés, c'est le chemin inverse qui avait été parcouru. La part des dépenses restant à la charge des ménages était passée de 8,8 % à 9,2 %. La différence, ce ne sont pas les organismes complémentaires qui la prennent en charge, c'est l'assurance maladie, c'est-à-dire la solidarité nationale.
Nous renforçons donc les droits de nos concitoyens, et ce malgré un contexte contraint. Nous n'en réalisons pas moins des efforts importants en vue de parvenir, c'est un objectif que nous visons, à un meilleur équilibre des finances de la Sécurité sociale. Cela prouve que l'objectif d'efficacité est parfaitement compatible avec l'objectif de justice, que nous conservons. Nous allons ainsi proposer la mise en place du tiers payant intégral au 1er juillet 2015 pour les bénéficiaires de l'aide à la complémentaire santé, ce qui concernera un million de personnes.
Par ailleurs, je reviens sur ce que j'ai annoncé tout à l'heure lors des questions au Gouvernement. Le groupe socialiste a déposé un amendement par lequel il demande au Gouvernement un rapport sur la suppression des franchises et des participations forfaitaires pour les personnes qui bénéficient de l'aide à la complémentaire santé. D'autres groupes – le groupe radical et le groupe écologiste – ont déposé des amendements analogues, ce qui traduit l'attachement de la majorité à l'accès aux soins et à la solidarité. Comme je l'ai dit tout à l'heure, le Gouvernement répondra à l'appel venu des groupes de la majorité en proposant la suppression de toutes les franchises et participations forfaitaires pour les bénéficiaires de l'aide à la complémentaire santé. C'est une mesure de justice.
Mme Isabelle Le Callennec. Qui va coûter combien ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Et qu'on ne me dise pas, comme je l'ai entendu, que nous n'assumons pas nos responsabilités, parce que, mesdames et messieurs de l'opposition, je vous appelle à faire preuve d'un peu d'humilité. Les années où vous avez été aux responsabilités ont été caractérisées par l'augmentation du reste à charge.
M. Dominique Tian. C'est faux !
Mme Marisol Touraine, ministre. Votre passage aux responsabilités s'est traduit par la mise en place des franchises et des déremboursements. C'est vous qui les avez créés ! Et, dans le même temps, est-ce que vous avez réduit le déficit ? Il n'a jamais été aussi élevé que lorsque nous avons pris les responsabilités gouvernementales en 2012 ! Nous réduisons le déficit et nous faisons œuvre de justice en permettant aux plus modestes de notre pays d'accéder aux soins. Car la justice c'est cela : c'est de tout faire pour lever les obstacles que rencontrent un certain nombre de nos concitoyens pour aller se soigner.
Ce PLFSS marque aussi un effort soutenu en direction des personnes âgées et handicapées. Dans le cadre contraint qui est le nôtre, avec Laurence Rossignol et Ségolène Neuville, nous continuons d'investir dans la prise en charge des personnes âgées en perte d'autonomie et des personnes en situation de handicap. Nous allons donc continuer à soutenir les créations de places pour les établissements et services pour personnes handicapées. Nous investirons dans la création d'unités de consultation en ville pour garantir aux personnes handicapées l'accès aux soins courants dans un cadre adapté, avec des locaux mis en accessibilité et des professionnels formés. Nous consacrerons 100 millions d'euros à améliorer le niveau d'encadrement en soins des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes et les parcours pour personnes âgées en risque de perte d'autonomie, connues ici sous l'acronyme PAERPA, bénéficieront de 20 millions d'euros d'investissements.
L'année 2015 sera évidemment marquée par l'adoption de la loi d'adaptation de la société au vieillissement, que nous vous avons présentée, il y a quelques semaines, avec Laurence Rossignol. C'est une réforme qui améliorera, très concrètement, la vie quotidienne de nombreuses personnes âgées et de leurs familles ; c'est une réforme de progrès, car, aujourd'hui, les personnes âgées et leurs familles ne sont pas placées dans les mêmes conditions pour faire face à la perte d'autonomie.
En 2015, nous le savons, les dépenses seront limitées du fait du calendrier d'adoption et de mise en œuvre de cette réforme. Cependant, la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie, la CASA, destinée à financer cette réforme, sera bien affectée à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. La part de ces ressources non consommée en 2015 servira à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées, à travers le financement d'un plan pluriannuel d'aide à l'investissement pour ces personnes.
Efficacité et justice, c'est aussi le sens de la réforme de la politique familiale que nous présentons.
Mme Isabelle Le Callennec. C'est une blague !
Mme Marisol Touraine, ministre. J'entends répondre ici à un certain nombre de contre-vérités que j'ai pu entendre et marquer clairement quelles sont nos orientations. La majorité soutient les familles, toutes les familles.
Mme Isabelle Le Callennec et M. Dominique Tian. Pas toutes ! Pas toutes !
Mme Marisol Touraine, ministre. La majorité aime les familles. Il n'y a pas, d'un côté, ceux qui aiment les familles, ceux qui seraient les représentants des familles, ceux qui seraient les familles et, de l'autre, des individus solitaires, ne sachant pas ce que sont les familles. Nous sommes évidemment attentifs aux familles, parce que la natalité française est une force pour notre pays. C'est un atout, une force pour la France quand on la compare à d'autres pays. C'est dans nos familles que les enfants font leurs premiers apprentissages,…
M. Dominique Tian. C'est du blabla !
Mme Marisol Touraine, ministre. …c'est là qu'ils découvrent l'altérité et la socialisation, c'est dans les familles que s'apprennent la solidarité, l'attention et le soin portés à l'autre.
M. Francis Vercamer. Quels accents de sincérité !
Mme Marisol Touraine, ministre. C'est seulement si la cellule familiale joue son rôle que les enfants progressent vers l'autonomie pour devenir des adultes, et c'est à cette condition qu'ils peuvent être égaux dans leur destinée, c'est à cette condition que le respect mutuel et le vivre ensemble sont possibles. C'est quand les familles sont fortes que la devise républicaine peut tenir ses promesses.
Et je suis étonnée d'entendre opposer, sur les bancs de l'opposition, les crèches aux familles, comme si défendre les familles c'était uniquement défendre le fait de rester à la maison. On voit donc là surgir une espèce d'époque révolue, où les femmes devraient rester chez elles. On voit bien ce qui se cache, derrière vos cris et vos récriminations. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI. – Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La gauche a prouvé son engagement pour les familles, pour toutes les familles, notamment les familles modestes et celles des classes moyennes. Elle augmente de 25 % l'allocation de rentrée scolaire, pour trois millions de familles. Elle augmente de 50 % le complément familial, pour 385 000 familles nombreuses. Elle augmente de 25 % l'allocation de soutien familial, pour 750 000 familles monoparentales. Elle investit massivement dans un plan d'accueil de la petite enfance pour offrir davantage de solutions d'accueil aux familles avec de jeunes enfants. Ce sont 2,5 milliards d'euros de plus qui ont été consacrés à la politique familiale depuis deux ans, et cet effort va se poursuivre.
Je veux le dire : nous menons une politique familiale résolument tournée vers la justice et le progrès. Cependant, dans la période que nous traversons, ne pas adapter notre politique familiale, ce serait refuser de regarder la réalité en face. La réalité, c'est que ce gouvernement a hérité d'une branche famille en déficit de 2,5 milliards d'euros. La réalité, c'est également que l'ensemble des aides n'est pas réparti de façon satisfaisante entre les familles. La rapporteure de la branche famille et le groupe socialiste, républicain et citoyen proposent donc, dans ces circonstances, de moduler les allocations familiales en fonction des revenus. Au nom du Gouvernement, je salue cet amendement, et je le soutiendrai. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.) Je veux indiquer à ses auteurs qu'ils ont ainsi montré leur courage réformateur et leur attachement à la justice.
Alors, cette proposition a donné lieu à de très nombreux commentaires ces derniers jours,…
M. Dominique Tian. Surtout de la part des associations familiales !
Mme Marie-Françoise Clergeau. Pas de toutes, monsieur Tian ! Pas de toutes !
Mme Marisol Touraine, ministre. …mais aussi à de nombreuses contrevérités. On nous accuse de remettre en cause l'universalité de la politique familiale.
M. Dominique Tian. À juste titre !
Mme Marisol Touraine, ministre. C'est faux. L'universalité n'a jamais signifié l'uniformité. Toutes les familles – je dis bien : toutes les familles – doivent pouvoir faire confiance à la solidarité nationale, et, je le dis solennellement, toutes les familles qui y ont droit aujourd'hui continueront demain à percevoir des allocations familiales.
On nous reproche ensuite de remettre en cause les principes fondateurs de la Sécurité sociale.
M. Dominique Tian. Oui !
M. Bernard Lesterlin. Absurde !
Mme Marisol Touraine, ministre. Vaste débat ! Je voudrais donc vous rappeler donc les termes de l'exposé des motifs de l'ordonnance du 4 octobre 1945, qui définit l'universalité de la manière suivante : « Le but final à atteindre est la réalisation d'un plan qui couvre l'ensemble de la population du pays contre l'ensemble des facteurs d'insécurité. » Cette universalité n'exclut pas, dans l'esprit des fondateurs, de donner plus lorsque les besoins le justifient, puisque la Sécurité sociale a pour objectif de « prélever sur le revenu des individus favorisés les sommes nécessaires pour compléter les ressources des travailleurs ou familles défavorisées ».
M. Francis Vercamer. Pour ça, vous n'êtes pas en reste !
Mme Marisol Touraine, ministre. Dès l'origine, l'universalité de la couverture n'exclut pas de tenir compte des ressources. Nous nous inscrivons donc dans la continuité de cet héritage. Et d'ailleurs, ramenons les choses à leur juste niveau : depuis des années, sans que la droite ait jamais trouvé quoi que ce soit à y redire, il y a des prestations familiales qui sont accordées sous condition de ressources. Il y a des prestations familiales qui ont été accordées sous condition de ressources…
Mme Isabelle Le Callennec. Les trois-quarts !
Mme Marisol Touraine, ministre. …et qui ne le sont plus et inversement. Il y a donc des mouvements, des transformations, des évolutions.
Je veux donc dire que la modulation des allocations familiales ne remet en cause ni l'universalité de la politique familiale ni les fondements de la Sécurité sociale. Laquelle Sécurité sociale établit évidemment une différence très forte entre la politique de santé, qui est une politique d'assurance et la politique familiale, qui est une politique d'accompagnement. Il est donc vain d'imaginer que, demain, viendrait la modulation des remboursements en matière de santé, en fonction des revenus. Cela n'a strictement rien à voir.
Cette réforme est une réforme de justice, qui demandera un effort à seulement 11 % des familles, les plus aisées. Les classes moyennes ne sont pas concernées. Il ne s'agit pas de stigmatiser qui que ce soit : la France compte également sur toutes les familles, mais être efficace et juste, c'est adopter un dispositif simple, lisible et compréhensible par tous. Les familles qui, avec deux enfants, ont un revenu inférieur à 6 000 euros par mois continueront de toucher le même montant d'allocations. Au-delà de 6 000 euros de revenu, les allocations familiales seront réduites de moitié.
M. Dominique Tian. Alors ce n'est plus universel !
M. Bernard Lesterlin. Alors ça devient juste, monsieur Tian !
Mme Marisol Touraine, ministre. Au-delà de 8 000 euros de revenu, les allocations familiales seront divisées par quatre. Afin d'éviter les effets de seuils qui pourraient résulter de cette modulation, le Gouvernement déposera un sous-amendement dont l'objet sera d'instaurer un lissage de cette modulation.
Mesdames et messieurs les députés, une écrasante majorité de Français soutient cette mesure,…
Mme Isabelle Le Callennec et M. Dominique Tian. Ah, non !
Mme Marisol Touraine, ministre. …parce que nos concitoyens comprennent qu'elle est juste, parce qu'ils comprennent que, dans un pays où 50 % des salaires sont inférieurs à 1 700 euros, un effort peut être demandé aux familles qui gagnent plus de 6 000 euros.
Mme Catherine Coutelle. Absolument !
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Les Français comprennent aussi le choix que nous faisons pour améliorer l'articulation entre la vie professionnelle et la vie familiale. La fécondité ne dépend pas uniquement des prestations : elle dépend aussi de la possibilité, pour les jeunes actifs, de ne pas renoncer à leurs projets professionnels lorsqu'ils ont des enfants.
Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Exactement ! C'est la France d'aujourd'hui contre la France d'hier !
Mme Marisol Touraine, ministre. Le Gouvernement a fait un choix volontariste en la matière. C'est grâce à cet effort que nous accompagnerons la réforme du congé parental, votée dans la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui instaure un partage du congé. La durée de la prestation partagée d'éducation de l'enfant sera de six mois pour chaque parent pour le premier enfant, et, au-delà, de deux ans pour le premier parent et d'un an pour le second.
Mesdames et messieurs les députés, la réforme de la politique familiale présentée dans ce PLFSS résulte de discussions intenses et constructives entre le Gouvernement et les parlementaires de la majorité. Je salue l'engagement et l'esprit de responsabilité et de justice du groupe socialiste. Je tiens à rendre particulièrement hommage à Mme la rapporteure pour la branche famille, Marie-Françoise Clergeau, à Mme la rapporteure pour le secteur médico-social, Martine Pinville, et bien sûr à Mme la présidente de la commission des affaires sociales, Catherine Lemorton, pour leur travail. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
M. Dominique Tian. Et les autres ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Mesdames et messieurs les députés, n'écoutons pas les cris de ceux qui ont peur du changement et qui voudraient condamner notre modèle social en le maintenant dans les ornières de l'immobilisme. N'écoutons pas les leçons faciles de ceux qui exigent des réformes qu'ils n'ont pas été capables de mener lorsqu'ils étaient au pouvoir. Gardons le cap vers le progrès, malgré les vents et les courants difficiles. Renforçons les protections collectives, tout en répondant aux exigences du moment. Tenons ensemble l'idéal et le réel : voilà ce qui est à notre portée, et que nous devons réaliser. Ce projet de loi de financement de la Sécurité sociale est résolument réformateur, c'est-à-dire à la fois efficace et juste. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
source http://www.assemblee-nationale.fr, le 22 octobre 2014