Déclaration de M. Manuel Valls, Premier ministre, sur les liens d'amitié entre la France et la Serbie, le renforcement des relations économiques, la coopération universitaire et le soutien de la France au processus d'adhésion de la Serbie à l'Union européenne, à Belgrade le 7 novembre 2014.

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Circonstance : Voyage officiel en Serbie du 6 au 7 novembre 2014 - Rencontre avec les étudiants à l'université de Belgrade le 7

Texte intégral

Monsieur le ministre de l'Education,
Monsieur le Recteur,
Mesdames, messieurs,
Mes chers amis,
Je viens à l'instant d'achever, dans le parc de Kalemegdan, un moment riche en émotion. Là, aux côtés d'Aleksandar VUCIC, j'ai souhaité rendre hommage à la fraternité d'armes qui, au travers du temps, unit la France et la Serbie.
Aussi surprenant que cela puisse vous paraître, il y a un lien entre le monument de Kalemegdan et notre rencontre ici, dans cette prestigieuse Université de Belgrade. Vous le savez peut-être : le monument en reconnaissance à la France a été érigé à l'initiative d'anciens élèves et étudiants serbes, ceux-là mêmes qui avaient étudié en France au lendemain de la Première guerre mondiale.
C'est à cette époque que, grâce au grand nombre de jeunes serbes venus étudier en France, une longue histoire d'échanges universitaires est née ; une longue histoire aussi d'amitié entre les jeunesses de nos deux pays.
C'est à ce moment qu'a été créé le premier Institut français, ici-même, à l'université de Belgrade, et il annonçait déjà celui que vous connaissez aujourd'hui, rue Zmaj Jovina [Zmaï Yovina]. En cette année de commémoration, le grand dessinateur Jacques TARDI, qui y est actuellement exposé, offre au public belgradois un regard nouveau et saisissant sur la Grande Guerre.
Cette tradition d'échanges entre nos deux pays s'est poursuivie jusqu'à nos jours. Tout d'abord, par la présence d'étudiants serbes dans les universités françaises et par l'existence, ici, à Belgrade, de l'école française et de classes bilingues dans les lycées du pays. Ensuite, par des mobilités et une curiosité de plus en plus marqués de la part de nos jeunes Français à l'égard de la Serbie. Et je sais qu'ils en reviennent enthousiastes.
Mes chers amis,
A Kalemegdan, nous avons évoqué la force de notre mémoire commune.
Elle fait la solidité de notre amitié et elle annonce l'avenir. C'est pourquoi j'ai tenu à ce que l'Ode à la joie, l'hymne européen, soit joué. Son interprétation fut très émouvante. D'autant plus émouvante que j'ai l'intime conviction que dans un avenir prochain, il deviendra un hymne commun.
Cet avenir vous appartient, jeunes de Serbie. Et en m'adressant à vous, je mesure tout le poids du passé récent ; de ce conflit meurtrier qui, il y a encore quelques années, a resurgi d'un passé que l'on croyait oublié.
Je m'adresse à vous qui serez à jamais marqués par ces moments qui ont vu les missiles s'abattre sur Belgrade, le canon tonner au Kosovo, et des milliers de civils être jetés sur les routes de l'exode.
Je m'adresse à vous qui avez donc cette responsabilité - peut-être la plus difficile qui soit : ne pas oublier, ne rien oublier du passé, mais savoir aussi avancer. Et alors, dans quelques années, vous pourrez vous retourner et dire à vos enfants : voici ce que nous avons réalisé, voici le chemin que la Serbie a parcouru !
Je sais combien vous avez la force et la volonté d'ancrer votre pays dans la paix, la solidarité, la concorde. Ce sont les fondements nécessaires au rayonnement et à la prospérité d'un peuple.
J'ai foi en la Serbie comme la France a eu foi en 1914, lorsqu'elle a tendu cette main.
Aujourd'hui, plus de 100 ans ont passé, et malgré les terribles tourments du 20e siècle qui ont même vu nos pays s'affronter, nous sommes de nouveau côte à côte. Notre mémoire commune est vivante. Ensemble, nous regardons le passé avec lucidité et l'avenir avec confiance.
Ces liens qui unissent nos pays s'expriment de manière très concrète. Lorsque votre pays a été frappé par des inondations terribles au printemps dernier, la France a tenu à être au plus près des populations touchées. Ainsi, en juillet, à l'initiative commune des Présidents Tomislav NIKOLIC et François HOLLANDE, la conférence des donateurs s'est réunie.
Et la France poursuit cet engagement qui passe aujourd'hui par la reconstruction, pour rebâtir ce qui a été détruit, notamment à Obrenovac où je me rendrai tout à l'heure. Bien sûr, mon gouvernement a mobilisé des fonds et envoyé, dans les meilleurs délais, des spécialistes de la sécurité civile. Mais, je tiens également à souligner toutes les initiatives des particuliers, des ONG et des entreprises. Elles témoignent de l'affection des français pour la Serbie.
Je ne suis pas venu seul en Serbie.
35 entreprises, PME et grands groupes m'ont suivi. Ils marquent, ainsi, leur volonté de participer pleinement au développement de votre pays, à la construction de son avenir.
Il faut être honnête : la présence économique de la France en Serbie n'est à la hauteur ni de notre amitié, ni de nos ambitions communes. Le succès du forum des affaires franco-serbe que nous avons ouvert avec Aleksandar VUCIC m'a convaincu que nous pouvions y remédier. Par de grands projets, bien sûr, mais aussi à travers des investissements moins visibles mais tout aussi durables, qui renforceront davantage encore nos liens économiques. La jeunesse serbe sera appelée à participer à ce renouveau, car toutes ces entreprises auront besoin de votre énergie et de vos compétences.
Aujourd'hui, 650 jeunes serbes seulement étudient en France. C'est à la fois beaucoup et pas assez au regard des 280 000 étudiants étrangers que compte la France. Aussi, je souhaite que, d'ici la fin de la décennie, le nombre d'étudiants serbes en France ait triplé. Voilà un investissement crucial, sur le long terme, dans l'intérêt de nos deux pays.
Pour vous aider à être plus mobiles, vers la France, vers l'ensemble de l'Europe, le programme Eramus Plus viendra appuyer cet engagement. Vous le savez : s'il y a un projet européen qui fait l'unanimité, que tous citent comme un succès incontestable de l'Union européenne, c'est bien ce programme. Il aide les étudiants à diversifier leurs parcours, à s'enrichir de la connaissance des autres et puis - c'est aussi important - à faire la fête avec leurs voisins. Mais au-delà, le programme Erasmus, c'est un formidable moyen de bâtir une identité commune.
L'Europe est née de la guerre, de cette pulsion terrible qui a consisté à vouloir anéantir l'autre. Mais l'Europe est née surtout du dépassement des haines, des antagonismes, des ressentiments.
Bien sûr, il y a eu, au départ, la détermination de quelques hommes d'Etat. Mais la réconciliation n'aurait pas été aussi profonde, aussi solide, sans la volonté des peuples, sans les quelques huit millions de jeunes Français et de jeunes Allemands qui se sont rencontrés grâce à l'Office Franco-Allemand pour la Jeunesse, créé il y a cinquante ans.
Oui, c'est pour une bonne part la jeunesse qui a permis de construire l'Europe d'aujourd'hui. Et l'Union européenne le lui rend bien, en favorisant la mobilité des étudiants à l'intérieur de ses frontières ; des étudiants qui ont souvent une conscience européenne plus marquée que leurs aînés.
Si je vous dis cela, c'est parce que je pense que vous, jeunes de Serbie, vous avez une mission. Je sais que beaucoup d'entre vous croient en l'avenir européen de la Serbie. Mais je sais aussi vos doutes. Des doutes qui sont, malheureusement, ceux de l'ensemble de la jeunesse européenne : le chômage, l'expérience brutale de la crise qui alimentent un certain scepticisme à l'égard de la politique.
Des doutes qui tiennent certainement aussi à l'histoire de votre pays et de la région, au souvenir encore très présent des guerres qui ont déchiré la Yougoslavie. Ces plaies n'ont pas fini de cicatriser. Il suffit de voir ce qui se passe encore parfois dans les stades pendant les matchs de football. Personne n'est dupe. Ceux qui sont à l'origine de ces incidents n'ont qu'un seul objectif : faire échouer le rapprochement entre les peuples des Balkans, en rouvrant des conflits que l'on pensait disparus.
Certains d'entre vous se demandent alors s'ils peuvent faire confiance à l'Union européenne, confiance à cette Europe dont bien des Serbes, je le sais, ont eu le sentiment qu'elle leur tournait le dos. Cette Europe qu'on dit également « fatiguée » à la suite des élargissements successifs et dont on se demande parfois, ici, si elle veut véritablement accueillir la Serbie en son sein.
L'Europe est un grand dessein. Et c'est aussi notre destin. Mais nous le voyons bien, cet idéal qui a su pacifier un continent, a perdu de sa force aux yeux des peuples. Ils s'interrogent sur l'utilité, les finalités du projet européen. L'Europe doit donc se réinventer, répondre aux attentes concrètes des habitants : la croissance, l'emploi, la solidarité,... Elle doit aussi savoir assumer pleinement sa responsabilité historique, face aux dérèglements du monde. Sinon, elle court le risque de sortir de l'histoire. Elle risque aussi de faillir à sa responsabilité historique, celle de faire coïncider l'histoire de l'Europe et sa géographie.
A vos doutes sur l'Europe, je veux apporter deux réponses.
La première, c'est que les difficultés économiques que vous vivez - parfois plus durement que d'autres - représentent précisément une grande raison de croire au projet européen. Aujourd'hui, l'Europe commence seulement à se relever de la crise économique ; une crise qui a commencé ailleurs, aux Etats-Unis, avant de frapper sévèrement l'Union européenne en mettant en évidence ses propres fragilités.
Cette même crise frappe également votre pays. Ce qui montre bien les liens qui l'unissent à l'Europe. Et c'est précisément parce que les économies de l'Union et celle de la Serbie sont déjà si étroitement liées, par le commerce, par les investissements, que la Serbie doit devenir membre à part entière de l'Union européenne. Cette adhésion sera un accélérateur de développement économique.
A cela s'ajoute une raison plus essentielle encore, qui est valable pour la Serbie comme pour tous les pays européens - y compris la France - : les réformes !
L'Europe a une grande qualité : être un levier de réforme, dans tous les domaines, économiques certes, mais pas seulement. Je pense notamment à l'Etat de droit, aux libertés publiques, à la lutte contre la corruption, à l'environnement. L'Europe mène chacun de ses membres à se remettre en question, à progresser ensemble. Et c'est là une force.
J'en reviens donc à la mission qui est la vôtre. Celle d'être les éclaireurs de votre pays sur la voie de l'Europe. Vous avez pour cela des atouts que d'autres, avant vous, n'ont pas eus.
Comme les jeunesses française et allemande d'après-guerre, les conflits sont derrière vous et vous désirez ardemment tourner cette page. Mais, vous toutes et vous tous, avez aujourd'hui des moyens qui n'existaient pas alors, des moyens puissants à votre disposition : la communication, l'information, les moyens européens qui vous permettent de vous connaître, de voyager, d'étudier et, qui demain, vous permettront de travailler ensemble.
Et le message que je suis venu vous délivrer aujourd'hui c'est que vous pouvez croire en vous-mêmes comme votre pays croit en vous. Chaque pays doit investir pour sa jeunesse, l'encourager, l'aider à débuter dans la vie, car la jeunesse, c'est simplement l'avenir d'un pays. Et vous avez donc une grande responsabilité : vous êtes les bâtisseurs de la Serbie et de l'Europe de demain.
Vive la Serbie et vive la France !
Source http://www.ambafrance-srb.org, le 12 novembre 2014