Déclaration de M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, sur, au Sénat le 19 novembre 2014, sur les leviers d'aide à la relance économique de la zone euro.

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Circonstance : Débat sur l'action de la France pour la relance économique de la zone euro, au Sénat le 19 novembre 2014

Texte intégral

Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs,
Je vous remercie pour cette invitation. Le débat que nous avons mené cet après-midi est vital pour l'avenir de notre continent. Il a occupé une grande part de mon énergie et de mon temps depuis plusieurs mois, et tout particulièrement en ce moment, alors qu'une nouvelle Commission prend ses fonctions.
Car l'Europe aujourd'hui fait face à un risque économique majeur. Il ne s'agit plus de la crise des marchés financiers que nous avons connue en 2008, ni de celle des dettes souveraines que nous avons affrontée à partir de 2009. Les réponses fortes prises au niveau européen, notamment sous l'impulsion du Président de la République, ont permis de surmonter ces crises. Je pense notamment au lancement des travaux sur l'Union bancaire qui, en juin 2012, a ouvert la voie à une action plus décisive encore de la Banque centrale européenne. Le risque d'éclatement est désormais derrière nous.
Mais nous faisons face à une autre menace, à une menace que peu d'observateurs avaient prévue jusqu'à ces derniers mois et qui pourtant est bien là : je veux parler d'une croissance beaucoup trop faible, couplée à une inflation trop faible et au risque que cette situation s'installe dans la durée. Cela aurait des effets désastreux, avec un chômage qui s'enracine, un tissu économique et social qui se délite. Le Japon est entré dans une telle spirale dans les années 1990 et peine à en sortir.
L'Europe devra-t-elle subir le même sort ? Faut-il même accepter qu'elle en coure le risque ?
La réponse est non ! Car la première leçon de l'expérience japonaise, c'est que, au moment où on se rend compte qu'on est entré dans cette situation, il est déjà trop tard. Il faut donc agir tout de suite pour éviter de tomber dans cette spirale, en utilisant tous les leviers.
C'est une réponse en cinq axes que la France appelle de ses voeux, une réponse cohérente pour permettre à l'Europe de sortir par le haut de la crise actuelle :
- la politique monétaire doit être accommodante pour assurer un financement bon marché pour les acteurs économiques ; elle a aussi aidé par la baisse de l'euro à apporter à nos entreprises un soutien bienvenu ;
- la politique budgétaire doit assurer la poursuite du redressement budgétaire sans étouffer la croissance, par un rythme de réduction des déficits publics plus lent, et de manière coordonnée entre les membres de la zone euro ;
- les réformes de structure doivent nous permettre d'augmenter nos perspectives de croissance à moyen terme, là aussi de manière mieux coordonnées entre les Etats membres ;
- le plan d'investissement européen est une réponse à court mais aussi à moyen terme, nous devons exiger qu'il soit ambitieux ;
- enfin, il est nécessaire que nous soyons capables de tracer un cadre européen rénové, au vu des enseignements passés.
* Politique monétaire
Avec + 0,4 % en octobre, l'inflation en zone euro s'inscrit durablement sur une dynamique très inférieure à sa cible de 2 % et ne devrait pas retrouver cet objectif avant 2017.
Prenant la mesure de la situation, la BCE a annoncé des mesures sans précédent en juin et septembre, passant par de nouveaux achats d'actifs et par une nouvelle séquence de prêts ciblés aux banques. Si ces annonces ont contribué largement à la détente du cours de l'euro depuis l'été, leur mise en oeuvre n'aura des effets que graduels sur l'inflation et l'offre de crédits.
Mario DRAGHI a redit, lundi dernier, que le Conseil d'administration de la BCE était unanimement prêt à utiliser d'autres instruments si nécessaire et a demandé à ses services d'y travailler.
Cependant, comme l'a souligné Mario DRAGHI lundi, la politique monétaire ne peut pas, à elle seule, faire office de stratégie commune pour redresser nos économies. La BCE prend ses responsabilités, mais les Etats membres et la Commission doivent prendre les leurs.
* Politique budgétaire
La défiance des investisseurs au coeur de la crise des dettes souveraines a conduit les Etats à se lancer à partir de 2010 dans une consolidation massive et prolongée de leurs finances publiques.
Si nécessaire qu'elle ait été pour restaurer la confiance et éviter la dislocation de la zone euro, cette opération, et en particulier son caractère simultané dans la plupart des pays, a lourdement pesé sur la croissance. La Commission l'a elle-même reconnu en évaluant la perte d'activité résultant de trois années de consolidation simultanée des comptes publics (2010-2013) entre 3 et 8 % du PIB selon les Etats, dont 5 % en France.
Nous devons bien sûr poursuivre l'assainissement de nos finances publiques. Mais nous devons aussi éviter que le spectre d'une "troisième crise", conjonction d'une période prolongée de faible croissance et d'une inflation anormalement basse, se matérialise. A Brisbane le week-end dernier, nos partenaires du G20 nous ont appelé à réagir : J. LEW s'est publiquement inquiété du risque d'une "décennie perdue" en Europe.
La réponse tient dans l'application intelligente de nos règles, avec leur flexibilité qui assure justement leur adéquation à des situations variées, et contribue donc à leur crédibilité.
Au-delà de ces enjeux de très court terme, il faut adapter le cadre de gouvernance budgétaire, notre logiciel commun, qui ne doit plus être le logiciel de prévention du risque d'éclatement, mais un logiciel garant d'une croissance durablement équilibrée.
La Commission fera un premier bilan des règlements communautaires, dits "6-pack" et "2-pack".
Je souhaite que nous puissions améliorer ce cadre, pour bien assurer la prise en compte de la situation économique lorsque sont examinées les politiques budgétaires dans la zone euro. Il faut d'ailleurs décider d'abord des orientations agrégées pour la zone euro avant de rentrer dans un débat pays par pays, sinon cela n'est pas de la coordination, mais de la juxtaposition !
* Réformes de structure
Le troisième levier d'action, ce sont les réformes de structure.
Sous ce vocable, on ne désigne pas je ne sais quelles injonctions néo-libérales, on entend des réformes en profondeur des mécanismes de l'économie, pour augmenter les possibilités de croissance à l'avenir. L'accord national interprofessionnel sur l'emploi de 2012, transcrit dans une loi que vous avez votée, est une réforme de structure.
Ces réformes de structure sont elles aussi discutées entre Européens. Mais nous devons accorder une attention plus égale à ce que nous faisons pour créer les conditions d'une croissance plus forte et à ce que nous faisons pour réduire nos déficits. Une monnaie commune crée des interdépendances et des intérêts communs. C'est vrai en matière budgétaire, mais c'est tout aussi vrai pour ce qui est des autres politiques économiques.
Je souhaite plus de discussions et de coordination sur les orientations politiques des réformes, pays par pays, sur leur mise en oeuvre effective et sur l'évaluation de leur impact – pour chaque pays et pour la zone euro dans son ensemble. Pour prendre un exemple : le mois dernier, l'OCDE a estimé que les réformes déjà engagées ou annoncées pourraient permettre une augmentation de l'ordre de 0,4 point par an sur 10 ans de la croissance potentielle de la France, c'est-à-dire la croissance de demain.
Les réformes que nous menons sont aussi essentielles que les améliorations budgétaires. Il faut d'ailleurs que la Commission lorsqu'elle quantifie les efforts budgétaires recommandés à chaque pays prenne non seulement en compte les effets de l'inflation et de la croissance, mais aussi –pour évaluer le potentiel de croissance –l'impact des réformes structurelles.
* Plan d'investissement européen
Le quatrième levier, c'est l'investissement, le "plan Juncker".
Il y a aujourd'hui un manque d'investissement en Europe, avec un volume d'investissement dans la zone euro inférieur de 16 % à celui de 2007. La faiblesse de l'investissement est, dans beaucoup de pays, même en Allemagne, un des principaux éléments qui expliquent la faiblesse de la demande. C'est une menace à la fois pour la croissance aujourd'hui et pour les perspectives de croissance de demain.
L'investissement, c'est ce qui réconcilie offre et demande, ce qui réconcilie court terme et long terme. Le plan Juncker doit comporter un volet à court terme, de projets qui puissent démarrer dès 2015. Mais l'essentiel de ses effets se fera sentir sur le moyen terme, c'est pour cela que nous devons le concentrer prioritairement sur les secteurs qui sont le plus porteurs de la croissance de demain : la connaissance et l'économie numérique, les infrastructures énergétiques, les infrastructures de transport là où elles manquent, les infrastructures sociales, la transition énergétique, le tout en portant une attention toute particulière aux PME et ETI.
Un mot sur le volet financier de ce plan d'investissement.
Il y a une articulation à trouver entre financements publics et privés. Il ne faut pas les opposer, au contraire : l'intervention publique doit débloquer des projets, attirer des capitaux privés en prenant une part du risque, donner une perspective de temps long quand les investisseurs privés sont myopes. Pour cela, il y aura des actions de nature règlementaire, qu'il ne faut pas oublier. Mais il y a aussi besoin de ressources publiques, et pour une initiative réellement ambitieuse, il faudra en mobiliser de nouvelles. Il faudra mieux utiliser le budget européen, les fonds structurels, mais je suis aussi favorable à une réflexion sur l'utilisation d'autres outils de l'UE, qui ont une capacité d'emprunt.
Nous avons en France, avec le Programme d'investissements d'avenir, un exemple de dispositif plutôt efficace, dont on pourrait s'inspirer au niveau européen. L'idée existe de créer un Fonds européen d'investissement stratégique, qui centraliserait des ressources et les utiliserait pour soutenir des projets plus risqués que ce que fait actuellement la BEI, avec une plus grande palette d'instruments financiers : j'y suis favorable ! Il faut un instrument qui utilise au mieux le savoir-faire de la BEI mais qui soit capable de prendre plus de risque, c'est un élément clé si nous voulons que l'intervention publique ait un effet d'entraînement sur les projets et les financements privés.
Les banques publiques d'investissement nationales, là où elles existent, devront être impliquées, pour apporter leur savoir-faire, leur connaissance du terrain, voire leurs ressources financières.
* Perspectives d'intégration futures
Enfin, il y a une dernière dimension très importante : notre projet pour l'Europe. Ce n'est pas qu'une question de projet politique, c'est aussi un enjeu de court terme : tracer une perspective pour le projet européen, c'est contribuer à redonner confiance dans ce projet et donc soutenir la reprise. Je veux souligner deux projets qui sont des chantiers immédiats pour la nouvelle Commission.
Tout d'abord, l'harmonisation fiscale.
Vous savez que j'ai l'ambition d'une première étape pour la taxe sur les transactions financières européenne d'ici la fin de l'année. Ce sera non seulement un outil de lutte contre la spéculation, mais aussi la preuve qu'il est possible de faire des coopérations renforcées en matière fiscale et que des avancées sont possibles malgré la règle de l'unanimité. Je fais confiance à Jean-Claude JUNCKER et Pierre MOSCOVICI pour porter cette ambition.
Il y a aussi un premier chantier à lancer tout de suite, la lutte contre l'optimisation fiscale des entreprises : dans la lutte contre la fraude des personnes, l'Europe ne s'est mise à bouger qu'après que les Etats-Unis ont lancé leur offensive avec FATCA.
A nous de montrer que l'Europe peut elle aussi prendre l'initiative : je voudrais que la Commission fasse des propositions très vite pour intégrer dans la législation de l'UE l'ensemble des principes de l'agenda de travail de l'OCDE sur le sujet, connu sous l'acronyme "BEPS", que ce soit en matière de transparence, en matière d'imposition minimale des entreprises ou en matière de pratiques dommageables.
Deuxième chantier d'intégration: le secteur financier.
L'union bancaire a montré que nous pouvions avancer vite au bénéfice de la stabilité financière, mais aussi au bénéfice du financement de l'économie : quand la régulation et la surveillance du secteur financier sont unifiées, les liquidités circulent mieux et de manière plus sûre de ceux qui en ont vers ceux qui en ont besoin.
Pour compléter l'union bancaire, la Commission a fait une priorité de "l'union des marchés de capitaux", pour que les marchés financiers et les acteurs non bancaires puissent, en complément des banques, améliorer le financement de l'économie européenne. L'idée est bonne, maintenant il faut lui donner du contenu.
* Conclusion
En conclusion, je voudrais nous rappeler que notre politique économique est cohérente avec notre vision européenne. Il ne s'agit pas de demander à l'Europe plus de souplesse pour faire face à une insuffisance d'efforts nationaux. Nous avons trouvé des déficits creusés, nous les réduisons – et nous faisons ralentir la dépense publique, dès 2013 et 2014, comme jamais en 15 ans. Nous menons des réformes que d'autres n'ont pas menées en 10 ans, notamment pour restaurer la compétitivité de nos entreprises.
Mais nous devons être lucides sur la croissance européenne et sur les risques. Il est de notre responsabilité collective, aujourd'hui, d'appeler à la mobilisation de l'ensemble des leviers de croissance – ce qui passe par une politique monétaire accommodante, une adaptation du rythme de consolidation budgétaire, un plan d'investissement ambitieux et des réformes qui assureront la croissance de demain.
C'est ce que j'appelle prendre nos responsabilités, pour la France et pour l'Europe.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 20 novembre 2014