Déclaration de M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, sur le rôle de la finances dans le financement de l'économie et des entreprises, Paris le 17 novembre 2014.

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Circonstance : Entretiens de l'Autorité des marchés financiers au Palais Brongniart, Paris le 17 novembre 2014

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Merci infiniment, Monsieur le Président, de m'avoir invité à conclure ces débats. J'ai eu peur de vous faire attendre parce que j'étais un peu en retard et j'ai vu que vous aviez eu la politesse y compris de faire durer un petit peu plus les débats de ces tables rondes pour me permettre de ne pas être en retard.
Je pense que le thème qui nous réunit aujourd'hui est évidemment un terme particulièrement décisif dans le contexte actuel. Et ce n'est pas un hasard que vous posiez maintenant cette question du sens de la finance.
Après les excès d'une finance trop peu régulée qui ont conduit à la crise, nous nous sommes collectivement efforcés, tant au niveau du G20 qu'au sein de l'Union européenne, de mettre en place un ensemble de réglementations qui assure une meilleure stabilité de notre système financier.
Et nous sommes maintenant à un autre moment à un moment charnière ; bien que la crise produise encore ses effets sur nos économies, nous ne sommes plus tenus par l'urgence de la crise financière. Se pose donc, au fond, la question de la bonne articulation entre la nouvelle régulation financière, issue de la crise qu'il faut peaufiner, terminer, et une politique résolument tournée vers la croissance économique.
Redonner du sens à la finance, c'est donc avant tout la mettre au service des besoins de financement de l'ensemble des acteurs économiques, et notamment des entreprises.
C'est exactement la vision de la finance que nous souhaitons promouvoir dans le débat européen sur l'union des marchés de capitaux.
Enfin, il me semble que cette finance, nous devons avoir l'ambition de la développer au sein de la place de Paris.
D'abord donc, redonner du sens à la finance, c'est la mettre au service des besoins de financement de l'ensemble de l'économie et des entreprises.
Vous le savez, parce que c'est votre métier, notre modèle de financement repose très largement sur le financement bancaire, mais il est en mutation profonde. Les financements de marché représentaient 25% du financement en dette des entreprises françaises fin 2007, au moment de la crise : ce ratio est aujourd'hui de 35%.
Certes, les grandes entreprises sont largement à l'origine de ces évolutions. Mais on observe aussi une augmentation du nombre d'émetteurs, en particulier parmi les entreprises de taille intermédiaire, ce qui traduit une évolution profonde.
Les causes de cette transformation sont nombreuses, elles ne sont pas seulement la conséquence des règles prudentielles : pour les entreprises, l'accès facilité au marché financier permet de diversifier leurs modes de financement et d'optimiser le coût de financement.
Pour les entreprises qui en sont capables et qui le souhaitent, il faut donc développer sur les marchés des réponses efficaces et compétitives à leurs besoins de financement.
C'est pourquoi ceci constitue l'un des trois axes d'actions du Comité Paris 2020, que je réunirai lundi prochain, et auquel vous participez, Monsieur le Président.
Un exemple : le développement du marché des placements privés.
Après l'adoption d'une charte des Euro-PP en début d'année, la Place travaille collectivement à l'établissement d'une documentation standard qui facilitera le recours au placement privé et contribuera à la visibilité de ce marché auprès des investisseurs. La collaboration de l'ensemble des acteurs de la Place a permis de constituer ce marché de référence en France pour les entreprises et les investisseurs institutionnels.
Cette mutation de notre modèle de financement devrait s'effectuer de manière progressive.
Il nous faut en tout état de cause préserver la capacité des banques à octroyer des crédits aux entreprises, et notamment aux PME, dont elles resteront évidemment pendant encore très longtemps la première source de financement. La mise en place d'un cadre de titrisation maîtrisé, avec une rétention minimale des risques au sein des banques qui ont octroyé le prêt, fait partie des pistes qu'il convient de creuser et de mettre en oeuvre. Il est important de définir des critères suffisamment robustes pour ne pas alimenter une nouvelle crise financière, mais qui soient suffisamment uniformes pour qu'une classe de titrisations saines et solides se développe en Europe.
Je me félicite à ce titre que la Commission ait adopté un certain nombre d'actes délégués, en octobre dernier, qui vont soutenir une titrisation dite "de haute qualité" simple, sûre et transparente.
Il nous faut aussi avoir des infrastructures de marché capables de traiter des flux d'échanges plus importants. La réflexion à ce sujet fait également partie des travaux du Comité Place de Paris 2020.
A l'échelle européenne, la mise en place d'une union des marchés de capitaux, et c'est le deuxième point de mon intervention, devra contribuer à améliorer la capacité de financement des entreprises.
Vous le savez, vous y avez fait allusion, je crois que vous en avez parlé au cours d'une table ronde, le Commissaire européen Lord HILL a lancé une vaste réflexion sur l'union des marchés de capitaux. Je souhaite que la France joue un rôle central dans ce débat, çà n'est pas une affaire de Britanniques, c'est une affaire qui nous concerne, nous aussi, au premier chef.
Il me semble que c'est l'occasion de porter, au niveau européen, un message très clair sur le sens de la finance : si nous voulons approfondir l'union des marchés de capitaux en Europe, c'est avant tout pour améliorer les capacités de financement de nos entreprises, faciliter ainsi leur investissement et donc, in fine, contribuer à la croissance.
Dernier point que je voulais soulever, pour assurer le financement de nos entreprises : nous avons besoin d'une place de Paris qui soit forte et attractive.
Cela passe par l'adaptation de notre cadre réglementaire pour le rendre compétitif, tout en maintenant la stabilité financière et la protection des investisseurs et des épargnants.
A l'heure de la dématérialisation, de la mondialisation, le maintien d'une place financière physique forte, à proximité des émetteurs, reste essentiel pour assurer le financement efficace de nos entreprises. La concentration d'émetteurs, d'intermédiaires financiers et d'investisseurs crée par ailleurs un "effet de réseau" qui est évidemment bénéfique à l'innovation dans ce domaine.
Je ne crois donc pas qu'il faille opposer, d'une part, les entreprises et, d'autre part, notre système financier. Nous ne rendrons pas notre économie plus forte en affaiblissant notre secteur financier. A l'inverse, développer un système financier qui ne soit pas tourné vers les entreprises n'aurait pas de sens.
Et dans un environnement extrêmement concurrentiel, où les activités financières sont, pour beaucoup d'entre elles, facilement délocalisables (et cela est vrai non seulement pour les banques, mais aussi pour les entreprises émettrices), cela suppose par exemple de s'interroger régulièrement sur nos spécificités, celles auxquelles on tient et aussi celles… dont on devrait se passer !
C'est précisément pour cette raison que, dans le cadre du Comité Place de Paris 2020, nous avons entamé un travail de revue réglementaire.
Plus d'une centaine de mesures ont été identifiées par les acteurs privés. Elles vont être analysées dans les prochaines semaines par mes services, en lien très étroit avec l'Autorité des marchés financiers, la Banque de France et l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, dans une démarche stratégique : cette spécificité-là, sur tel point, qui peut paraître un point de détail, y tient-on vraiment ? Si oui, il nous faudra la promouvoir au niveau européen. Si non, il nous faudra la supprimer.
A cet égard, je souhaite d'ores et déjà saluer l'initiative de l'AMF, qui a mené à bien, avec les acteurs de la Place, - beaucoup d'entre vous - une réflexion sur l'encadrement règlementaire des introductions en bourse. Les évolutions proposées par ce groupe de travail permettront de faciliter la levée de capitaux par les entreprises sur les marchés, ce qui est une bonne chose.
Le développement donc d'une Place forte, cela passe aussi par le développement d'une stratégie d'ensemble.
Le cadre règlementaire peut créer les bonnes incitations, mais le développement de notre Place sera surtout le fruit de la mobilisation collective de l'ensemble des acteurs : les émetteurs, les intermédiaires financiers, les investisseurs, et cela suppose que chacun joue pleinement son rôle.
Nous aurons l'occasion lundi prochain, lors de la prochaine réunion du Comité Place de Paris 2020, d'aborder avec les représentants de la Place cette question essentielle de la stratégie d'ensemble.
Je ne doute pas que les uns et les autres partagerons la conviction que cette Place de Paris doit se développer très directement autour du financement des entreprises, en mobilisant pour cela au mieux l'épargne – abondante – des ménages français et en attirant, comme nos gestionnaires d'actifs le font déjà avec talent, des investisseurs internationaux en France. C'est en effet notre domaine de compétence, et cela correspond au sens que nous voulons donner à la finance.
Enfin, je ne voudrais pas évoquer le développement de la Place sans souligner évidemment, Monsieur le Président, le rôle majeur qu'y joue son régulateur, l'Autorité des marchés financiers.
La qualité de la supervision de l'AMF, sa connaissance fine du marché - parfois très fine – est largement reconnue ; elle constitue – çà a été souligné de manière indépendante et objective, Monsieur le Président, un atout important pour notre Place, que nous devrons préserver et valoriser.
L'accompagnement progressif d'un modèle de financement encore très largement bancaire vers un modèle accordant plus de Place à la désintermédiation, lorsque cela sera pertinent, voilà l'enjeu.
Une union des marchés de capitaux, dont la priorité est clairement d'améliorer les capacités de financement de nos entreprises, voilà l'objectif.
Une Place de Paris forte et attractive, mobilisant les capitaux de manière efficace pour développer, concrètement et à proximité des entreprises, des réponses innovantes aux besoins de financement des entreprises, voilà l'outil.
Voilà donc les ingrédients du financement de la croissance dont nous avons profondément besoin, et tous les outils doivent être utilisés pour aller vers cette croissance. Voilà donc la tâche à laquelle nous devons nous atteler ensemble, pouvoirs publics, acteurs de marché, entreprises et secteur financier, investisseurs et épargnants. L'AMF, je n'en doute pas, y jouera un rôle moteur.
Je vous remercie infiniment de m'avoir écouté.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 1er décembre 2014