Interview de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes à France 2 le 19 mai 1999, sur la campagne pour les élections européennes, les chantiers de la future présidence française de l'Union européenne en 2000, l'Europe sociale et le conflit du Kosovo.

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Q - La campagne européenne a du mal à démarrer.
R - C'est une campagne qui n'est jamais facile. Traditionnellement, c'est l'élection à laquelle les Français votent le moins. C'est dommage parce que c'est très important d'élire le Parlement européen. Il a pu, par exemple, conduire la Commission de Bruxelles à démissionner et il joue un très grand rôle dans la législation. C'est vrai qu'il y a eu le Kosovo, les affaires intérieures dont on a beaucoup parlé - à mon sens, un peu trop -, qui ont peut-être empêché cette campagne de se lancer. Pourtant, elle se déroule. Sur le terrain, il y a du monde. On en parle. Et je crois que les Français s'y intéressent quand même. D'ailleurs, les sondages évoluent plutôt bien pour la liste de François Hollande qui a distancé assez nettement celle de Nicolas Sarkozy. Je crois que maintenant on va rentrer dans les trois dernières semaines, dans la phase la plus active de cette campagne, et il faut y aller.
Q - La France, dans la deuxième moitié de l'année prochaine, occupera la présidence de l'Union européenne, ce qui est un rôle absolument considérable. Quels seront les grands chantiers que la France essaiera de mettre en avant pendant sa présidence ?
R - C'est vrai que la France, présidente de l'Union européenne en l'an 2000, c'est quelque chose qui est quand même assez significatif et important pour l'Europe. Pour moi, les priorités de la présidence française doivent être d'abord l'emploi : faire en sorte que le Pacte européen pour l'emploi - que nous allons adopter dans quelques jours à Cologne -, devienne une réalité et peut-être qu'à ce moment-là, nous ferons enfin les grands travaux pour la croissance en Europe que nous souhaitons. Il y a aussi la relance de la réforme des institutions de l'Europe. On voit que l'Europe - c'est peut-être une des raisons de la désaffection - ne marche pas suffisamment bien, qu'elle est un peu paralysée. Je souhaite qu'on puisse réformer les institutions européennes sous présidence française. Et puis, il y a aussi tout ce qui concerne l'Europe sociale, les droits sociaux fondamentaux : le droit à la santé, le droit à l'environnement, le droit au logement, le droit à un revenu pour tous, le droit à un toit pour tous. Peut-être les Européens pourraient-ils adopter une sorte de traité social, les Allemands le proposent et cela pourrait se faire sous présidence française. Voilà trois grands chantiers : l'emploi, les institutions, le social et j'ajoute bien sûr, l'Europe de la Défense dont chacun voit aujourd'hui que nous devons la bâtir pour répondre à une aspiration des peuples, quand on voit par exemple ce qui se passe au Kosovo sur notre continent.
Q - A propos de l'Europe sociale, sur les 35 heures, cela pousse un peu du côté du patronat. Nos partenaires européens sont un peu méfiants en voyant l'expérience française. Est-ce forcément un modèle ?
R- Cela tousse du côté du patronat, mais en même temps cela marche. Il y a de plus en plus d'accords qui sont signés. Il y a des emplois qui sont créés en très grand nombre. Il va y avoir maintenant une incitation forte à travers une baisse des charges à créer les emplois supplémentaires avec la deuxième loi sur les 35 heures. Je crois qu'il faut discuter avec le patronat mais pas de réaction excessive comme celle que j'ai vue chez M. Seillère. Cela marche pour l'économie française. Peut-être pas autant qu'on le voudrait pour l'emploi - au contraire -, il faut maintenant relancer la machine.
Pour ce qui concerne l'Europe, j'ai participé à de nombreux Conseils des ministres, je n'ai jamais entendu quelqu'un dire que les 35 heures étaient incompatibles avec l'Europe. Chacun fait de la réduction du temps de travail en Europe : les Hollandais font du temps partiel, les Anglais font de la flexibilité. Chacun fait à sa manière. Nous, nous pensons qu'une bonne loi - avec les 35 heures, mais aussi un dialogue social - peut fonctionner. J'ai eu l'occasion de le voir par exemple chez moi, chez Peugeot, très grande entreprise dans ma région. Nous avançons.
Q - Dans la guerre du Kosovo, on se rend compte que l'Europe politique et de la Défense est cruellement absente. On a le sentiment que ce sont un peu les Américains qui donnent le ton. Il va y avoir une médiation en partie européenne, en partie russe puisque le président finlandais ainsi que le représentant de Boris Eltsine doivent se rendre à Belgrade. Que va-t-on proposer au juste au président Milosevic ?
R - D'abord, les Européens ne sont pas absents. A Rambouillet, c'était Robin Cook et Hubert Védrine qui ont enclenché un processus diplomatique.
Q - Mais Madeleine Albright s'est précipitée après, pour que cela ne reste pas entre Européens ?
R - Après peut-être, mais les Européens sont là. Les Européens sont là dans le conflit et dans l'aide humanitaire. Maintenant, ce qu'on propose est simple : ce sont les cinq conditions de l'ONU qui sont devenues celles du G8, les huit principales puissances du monde, à savoir le retrait des troupes serbes ; le retour des réfugiés au Kosovo ; une solution politique : l'autonomie du Kosovo ; la mise en place d'une force de sécurité internationale. C'est ce que M. Milosevic doit accepter. Il y a des signes - il faut toujours les prendre avec beaucoup de précaution quand il s'agit de M. Milosevic -, il y a, semble-t-il, des gens proches de lui qui commencent à dire "les conditions du G8 nous intéressent". Il faut confirmer honnêtement, mais c'est la direction : trouver une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU qui permette de trouver une solution politique. Il faut donc continuer comme nous le faisons, à la fois sur le pied militaire, pour mettre la pression...
Q - Avec les Britanniques d'ailleurs qui poussent un peu en faveur de l'offensive terrestre ?
R - Disons, un peu rétractée maintenant. En tout cas, nous ne sommes pas favorables à l'engagement terrestre et, de l'autre côté, il y a la solution diplomatique. Il faut que l'Europe prenne en charge son futur. C'est l'enjeu de l'Europe de la Défense de faire en sorte que nous ne soyons pas réduits, soit à ne rien faire face à l'inacceptable - ce que bien sûr nous ne pouvons pas faire parce que nous sommes des démocraties -, soit être effectivement toujours dans un système dont la clé est chez les Américains. Que l'Europe se saisisse de son destin, qu'elle bâtisse la défense européenne. Je crois que c'est là qu'est notre venir./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 mai 1999)