Texte intégral
Je suis venu, comme vous le savez, représenter la France à l'inauguration, ce matin, de l'Ecole de maintien de la paix à vocation régionale de Zambakro. J'ai évidemment saisi cette occasion pour découvrir la région et le réseau de grandes écoles de Yamoussoukro que je ne connaissais pas, mais j'ai surtout profité de ce nouveau voyage à Abidjan pour quelques contacts avec le ministre des Affaires Etrangères, avec le Premier ministre, et avec le président Henri Konan Bédié que je quitte à l'instant.
S'agissant de l'inauguration de ce matin, je ne crois pas utile de donner plus de détails. Vous êtes tout à fait informés de cette initiative franco-ivoirienne, en quelque sorte, qui consiste à réunir celles et ceux qui, demain, pourront participer au maintien de la paix. L'encadrement associe les pays de la région ou de la sous-région. Les partenaires occidentaux sont également pluriels puisque si la France a été le principal financier des équipements, vous savez que ceci s'inscrit dans le cadre d'un partenariat entre la France, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Dans ce domaine - je l'ai dit à un de vos confrères - je crois qu'enfin, le moment est venu où on sait dépasser la compétition pour préférer le partenariat et permettre ainsi aux Africains d'assumer mieux leur sécurité et leur paix au moment où des conflits encore trop nombreux déchirent ce continent, même si ce continent n'est pas le seul à offrir l'image de conflits douloureux dont les populations civiles sont toujours victimes. J'ai été frappé, ce matin, par les chiffres qu'a rappelés le représentant du Secrétaire général des Nations unies : au moment de la guerre 14-18, les populations civiles affectées par le conflit représentaient 10 % des victimes, aujourd'hui elles représentent 90 % des victimes.
En ce qui concerne les contacts, ils ont, comme d'habitude, permis de confronter nos analyses respectives par rapport à la situation internationale, par rapport aux conflits, proches ou plus lointains. Nous avons évoqué aussi bien la guerre qui actuellement oppose l'Ethiopie à l'Erythrée que la situation encore très incertaine de la Sierra Leone ou les suites du coup d'Etat au Niger. Nous avons aussi évoqué les changements qui sont en train de se produire et que nous espérons voir se confirmer du côté de Khartoum ou du côté de Tripoli.
S'agissant de la situation intérieure, le Premier ministre m'a dit les efforts pour consolider une situation économique et sociale qui présente de bons résultats, mais qui appelle une poursuite d'un certain nombre d'efforts ; dont la normalisation de la relation avec le Fonds monétaire international. Nous avons avec les uns et les autres évoqué quelques spéculations spécifiques qui intéressent beaucoup l'économie ivoirienne, qu'il s'agisse du cacao ou des perspectives de développement que la banane semble offrir à ce pays. Nous avons parlé de l'université, du dialogue difficile avec les étudiants ; nous avons parlé aussi du dialogue politique interne à la Côte d'Ivoire. Vous voyez que les sujets ont été divers, nombreux, et je suis prêt à répondre aux questions que vous auriez à me poser pour vous aider à éclairer mieux ces questions dont nous avons donc parlé aujourd'hui avec nos interlocuteurs ivoiriens.
Q - Vous avez fait allusion tout à l'heure à votre conversation avec le président Bédié, et aux problèmes avec le Fonds monétaire international qui ne sont pas encore réglés. D'autres bailleurs de fonds, par exemple l'Union européenne, ont suspendu leur coopération dans certains domaines, notamment la santé et la décentralisation. La France est-elle pleinement satisfaite de sa relation avec la Côte d'Ivoire et est-ce qu'ici, bien qu'il y ait des problèmes avec d'autres bailleurs de fonds, elle la poursuit de la même façon ?
R - Je ne suis pas sûr de savoir ce que veut dire "pleinement satisfaite". La relation que nous avons avec la Côte d'Ivoire est marquée par un dialogue pratiquement continu, qui sait être exigeant. C'est certainement un des pays où la coopération française se développe le plus complètement, et dans des domaines extrêmement divers, qui touchent aussi bien la formation, la santé, le développement agronomique, la recherche ou la défense ; nous en avons dit un mot ce matin. Nous sommes conscients, et je l'ai dit à mes interlocuteurs, des efforts qui restent à faire sur le plan économique : si certains indicateurs sont encourageants, il reste que l'évolution de certaines dépenses mérite encore d'être mieux maîtrisée, il reste des recettes douanières sans doute à accroître, même si les explications qui ont été données par le Premier ministre ont très largement répondu à nos interrogations sur ce point.
J'ai appris les réserves que l'examen du dossier santé inspiraient à la Commission de Bruxelles. C'est une question dont nous débattrons certainement avec nos collègues européens, car c'est un dossier important. Nous avons bien sûr le souci d'une meilleure efficacité dans l'utilisation des aides publiques que la France et ses partenaires, soit dans un cadre bilatéral, soit au travers par exemple du Fonds européen de développement adressent à ce pays. Mais pour nous, l'essentiel, je le répète, c'est que nous puissions avoir ce dialogue franc, interroger et obtenir des réponses.
Q - Je ne sais pas si c'est vous ou M. Védrine qui a parlé des pays prioritaires. Je voulais vous demander quelle est la position que la Côte d'Ivoire occupe parmi ces pays prioritaires. Deuxième question : on sait qu'il y a la coopération militaire, - ce qu'on appelle les Alligator 3, ou 4, ou 5. Depuis près de vingt ans cela se passe entre la France et la Côte d'Ivoire. Les opérations militaires Alligator, je crois, il y en a eu il y a quelques années ; et la troisième question, c'est de donner votre position sur cette incompréhension sur la position des bases militaires pour éclaircir un peu la situation.
R - Sur la première question concernant les pays dits prioritaires, merci de me la poser car cela me permet de rappeler un peu ce que nous avons fait. La France a fait le choix de réformer son dispositif de coopération. Lionel Jospin m'a demandé, auprès d'Hubert Védrine, de conduire une réforme qui ouvre le champ de la coopération vers l'ensemble, en réalité, des pays du monde, mais une coopération qui n'est pas appelée à se développer de la même manière selon qu'on a en face de nous un pays en développement, ou un pays émergent, voire un pays développé. Quand je dis "coopération", j'englobe à la fois la coopération culturelle, scientifique, technique, et la coopération au développement. Vous savez que désormais, il n'existe plus qu'un grand ministère des Affaires étrangères à l'intérieur duquel le ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie que je suis, est chargé plus particulièrement de ces questions de coopération. Pour rendre compte de l'Histoire et de la géographie, mais aussi des problèmes spécifiques que rencontrent certains pays et du besoin qu'ils ont d'être davantage aidés que d'autres, nous avons dessiné une "zone de solidarité prioritaire" qui englobe beaucoup de pays africains, l'ensemble des pays africains francophones, mais aussi de nouveaux pays, - je pense à l'Afrique du Sud et à la Namibie, pour en citer deux ; je pense au Nigeria qui est déjà intégré à cette "zone de solidarité prioritaire". Elle est vaste, elle répond, je le répète, à la fois à des besoins objectifs , - le niveau de développement ou de sous-développement de ces pays, voire le degré de pauvreté - et à la volonté de la France d'entretenir des liens privilégiés avec certains pays. Cette zone pourra varier dans le temps, parce que certains pays peuvent sortir, heureusement, de cette zone de pauvreté et ne plus justifier les mêmes aides publiques au développement. La France peut aussi avoir des attentions stratégiques différentes demain et vouloir privilégier sa relation avec telle ou telle région du monde. Mais pour l'instant, cette "Zone de solidarité prioritaire" - qui comprend 54 pays, dont, je le répète, un nombre important de pays africains - permet dans ces pays-là d'utiliser l'ensemble des outils de coopération de la France, c'est-à-dire, entre autres, ses instruments financiers. Elle permet aussi de faire intervenir l'Agence française de développement, qui est l'opérateur français en matière d'aide au développement. La Côte d'Ivoire, - et là je réponds plus précisément à votre question -, est évidemment dans cette "Zone de solidarité prioritaire".
S'agissant de la coopération militaire, je ne suis pas sûr d'avoir compris exactement le début de votre question mais j'ai bien compris la fin, c'est-à-dire notre politique en ce qui concerne les bases militaires extérieures. C'est vrai que nous avons, là aussi, redéfini notre dispositif militaire extérieur : nous avons confirmé l'existence et le maintien de cinq bases, et je parle là, en cas de besoin, sous le contrôle du général Roux, qui est le directeur de la Coopération militaire et de Défense et qui pourrait, si nécessaire, compléter ou corriger mes propos. Ces cinq bases sont Djibouti, Dakar, Abidjan, Libreville et N'djamena. L'ensemble des effectifs, et je parle là encore sous le contrôle du général Roux, est de l'ordre de 6000 dont 2500 à Djibouti, ici un peu moins de 600, et un peu plus de 1000 à Dakar. On pourrait vous donner plus de précisions, mais voilà globalement comment les choses se passent. Ce qui est vrai aussi, c'est que nous avons fait le choix de modifier un peu le statut, des militaires appelés à servir dans ces bases, avec une vitesse de rotation un peu plus grande car nous entendons bien que ces bases, puissent servir à la formation de nos soldats comme elles servent à la protection des pays dans lesquels elles se trouvent. Je n'apprendrais rien à personne en vous disant que le fait que Djibouti dispose de la présence militaire française n'est pas pour rien dans le fait que Djibouti - et j'espère que cela durer - a su échapper à cette guerre qui actuellement oppose l'Ethiopie et l'Erythrée.
Q - Le trop-plein de la coopération militaire ?
R - Vous avez compris que nous avons reformaté la présence militaire française puisque nous avons décidé de fermer les bases que nous avions en Centrafrique, - il y avait Bangui et Bouar qui ont été fermées -, et de 8000 hommes nous descendons à 6000. Voilà le reformatage.
Mais je voudrais qu'on fasse bien la distinction entre cette présence militaire française qui doit permettre de répondre aux obligations que nous avons aussi vis-à-vis des pays africains dans le cadre des accords de défense, mais qui nous permet aussi, en cas de besoin, d'assurer la sécurité des ressortissants français, voire des ressortissants européens, et d'autres pays. On a présentes à l'esprit quelques crises où l'intervention rapide des forces françaises a permis de mettre en sécurité non seulement les ressortissants français, je le répète, mais les ressortissants d'autres pays qui étaient extérieurs au conflit. La coopération militaire, c'est autre chose. La coopération militaire est l'appui que la France donne aux pays qui lui en font la demande pour les aider à construire une armée qui soit mieux susceptible d'accomplir ses missions. Cette coopération militaire s'exécute en plaçant auprès des gouvernements étrangers, et singulièrement auprès des ministères de la Défense, des cadres français qui sont là pour faire de l'appui, et nous disons institutionnel, au même titre qu'il y a des magistrats auprès des ministres de la Justice, ou des policiers auprès des ministres de l'Intérieur pour les aider à constituer une police. C'est la coopération technique. Je ne confonds pas cela avec la présence des militaires dans les bases. Je crois qu'il fallait faire ce distinguo parce qu'on peut parfois un peu mélanger.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez parlé tout à l'heure de discussions relatives aux problèmes politiques en Côte d'Ivoire. Vous avez parlé du dialogue politique, du dialogue difficile avec les étudiants. Je voudrais savoir le sentiment avec lequel vous êtes sorti de ces discussions et ce que vous en pensez. Vous avez parlé de rencontres avec les autorités ivoiriennes, je voudrais savoir si vous avez rencontré aussi l'opposition, et quel est le sentiment avec lequel vous repartez en France ce soir ?
R - J'ai rencontré des autorités ivoiriennes conscientes des difficultés que rencontrent les étudiants soucieux de leur avenir professionnel, sortant pour beaucoup d'entre eux, d'ailleurs, du milieu rural, confrontés à des problèmes spécifiques. Ces autorités ont à prendre en charge une augmentation très rapide du nombre d'étudiants, - on a cité le chiffre de 25 000 étudiants de plus chaque année -, ce qui veut dire pratiquement une nouvelle université à construire chaque année, ce qui évidemment pose des problèmes difficiles. Nous avons évoqué les revendications des étudiants, la généralisation du système des bourses qui renvoie à des problèmes financiers et budgétaires tout à fait considérables, surtout si elle s'accompagne d'une augmentation des bourses qui est demandée par ailleurs. On a évoqué cette revendication d'un droit à recommencer de nouveaux cycles d'études, ce qui évidemment pose la question de la limite de l'exercice de ce droit. En France, vous le savez, on peut redoubler, on peut recommencer un nouveau cycle, mais on ne peut pas le faire indéfiniment. Il appartient aux responsables ivoiriens de décider de l'organisation qu'ils veulent pour leur université. Je veux simplement dire aussi qu'il y a d'autres pays que la Côte d'Ivoire où l'université soulève aussi des problèmes spécifiques, et d'autant plus importants que c'est là que normalement se forment les élites de demain, ce qui donne au dialogue entre ces futures élites et le pouvoir une connotation particulière.
La France a connu aussi des moments difficiles dans son histoire avec ses universités ou ses étudiants. Je ne peux que former le souhait, exprimer un voeu, c'est qu'on trouve le point d'équilibre entre ces revendications et les possibilités budgétaires, ce qui n'est sans doute pas le plus facile dans la période.
Nous avons même évoqué les problèmes collatéraux qui sont nés de ce conflit étudiant, le problème de la presse, de la relation avec la presse. Mesdames et Messieurs les professionnels, nous avons parlé à la fois du besoin d'informer, du besoin de le faire de manière professionnelle. Je vous en parle très librement parce que je suis un fervent partisan de la liberté de la presse, mais je pense que la liberté se mérite aussi par la manière professionnelle dont on l'exerce. Je vous rappelle simplement que l'éthique est une vertu qui ne doit pas être totalement étrangère à ceux qui font le métier d'informer. Si on l'oublie, je crois qu'on va objectivement à l'encontre de la démocratie, car c'est la crédibilité qui de ce fait est détruite. C'est un problème important, et je crois que dans un pays qui approfondit sa démocratie, la responsabilité des journalistes est tout à fait considérable.
Nous avons évoqué la possibilité, au sein de la Francophonie, de parler de ces choses, parce qu'il semble que c'est un bon niveau pour parler franchement, y compris des sujets qui peuvent fâcher. Je parle de l'information, je parle de la relation entre le pouvoir et la presse, mais cela vaut aussi pour l'alternance, cela vaut aussi pour la corruption, toutes questions qui nous paraissent tout à fait essentielles, qui rejoignent le thème de la bonne gouvernance auquel les opinions en général sont de plus en plus sensibles, l'opinion française aussi. Ce sont des thèmes qu'on va retrouver beaucoup plus fortement dans la relation Europe-ACP au moment du renouvellement des accords de Lomé que lors des premiers accords de Lomé. Je vous rappelle qu'on est dans la dernière ligne droite du renouvellement des Accords de Lomé, et parmi les novations, il y a justement le dialogue politique. Il faut qu'on puisse en parler, et j'ai proposé, à Bucarest en particulier, que dans le cadre de la Francophonie nous organisions un débat sur ces questions qui touchent à la démocratie et aux Droits de l'Homme. J'espère que nous allons pouvoir le conduire avant la fin de l'année.
Q - Par rapport à la situation de la République démocratique du Congo, est-ce qu'on ne pourrait pas dire qu'il y a une démission de la part de la France ?
R - Attendez, qu'est-ce qu'il aurait fallu ? Qu'on parachute des commandos ? Qu'est-ce qu'il fallait faire ?
Q - C'est juste une question ...
R - Merci de me la poser ! S'agissant du Congo démocratique, je rappelle que la coopération d'Etat à Etat a en effet été suspendue. Nous y avons une ambassade, nous continuons d'ailleurs d'aider la société civile au travers de quelque 20 millions de francs que nous donnons chaque année à des ONG qui peuvent aider sur le plan de la santé ou de l'éducation ; nous suivons de très près l'évolution de la situation ; nous attendons que les espoirs de solution négociée qu'on nous annonce chaque semaine se concrétisent et les messages que nous faisons passer à l'ensemble des protagonistes sont des messages d'encouragement au dialogue. Dialogue entre pays qui font la guerre ou qui se font la guerre, dialogue aussi à l'intérieur du Congo démocratique entre les différents acteurs de la vie politique congolaise. Croyez bien que le jour où les conditions d'un vrai dialogue et d'une démocratie retrouvée seront réunies au Congo-Kinshasa, la France reprendra pleinement sa coopération avec ce très grand pays. C'est en tout cas vraiment l'espoir qui est le nôtre, mais on ne peut pas vraiment considérer que la France serait responsable des dysfonctionnements, - et le mot est faible -, qu'a connus le Congo au cours de ces dernières années. Je veux même bien vous livrer un sentiment très personnel : on a probablement soutenu M. Mobutu beaucoup trop longtemps.
Q - Avec le chef de l'Etat, vous avez parlé des suites du coup d'état au Niger. En tant que ministre français de la Coopération, pouvez-vous nous dire quel est l'état des relations entre la France et les nouveaux hommes au pouvoir au Niger ?
R - Nous avons condamné le coup d'Etat, suspendu notre coopération et rapatrié nos coopérants. Pour l'instant, les deux tiers des coopérants sont d'ores et déjà rapatriés. Nous n'avons laissé au Niger que les moyens destinés à aider directement la population civile. Nous suivons de très près l'évolution de la situation. J'ai eu des contacts avec quelques responsables nigériens que j'ai rencontrés à différents endroits ; nous avons dit à nos interlocuteurs que pour nous, le test était l'enclenchement d'un processus démocratique conduit dans les meilleurs délais, permettant à un pouvoir civil légitimé par un vote de reprendre en main la situation à Niamey. J'observe que l'ensemble de la classe politique dialogue avec le Conseil de réconciliation nationale que dirige M. Wanke, pour définir, justement, un calendrier prévoyant, entre autres, un référendum constitutionnel, des élections législatives, une élection présidentielle et des élections locales qu'il faut refaire. Vous êtes trop informés de la situation pour ne pas savoir que c'est justement la manière dont on a géré ces élections locales qui explique en partie le malencontreux accident, pour reprendre l'expression consacrée.
Merci, je crois qu'il nous faut arrêter, merci Monsieur l'Ambassadeur d'avoir permis cet échange et à une autre fois, je reviens toujours avec beaucoup de plaisir à Abidjan qui est une très grande ville africaine dans un grand pays africain.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 juin 1999)
S'agissant de l'inauguration de ce matin, je ne crois pas utile de donner plus de détails. Vous êtes tout à fait informés de cette initiative franco-ivoirienne, en quelque sorte, qui consiste à réunir celles et ceux qui, demain, pourront participer au maintien de la paix. L'encadrement associe les pays de la région ou de la sous-région. Les partenaires occidentaux sont également pluriels puisque si la France a été le principal financier des équipements, vous savez que ceci s'inscrit dans le cadre d'un partenariat entre la France, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Dans ce domaine - je l'ai dit à un de vos confrères - je crois qu'enfin, le moment est venu où on sait dépasser la compétition pour préférer le partenariat et permettre ainsi aux Africains d'assumer mieux leur sécurité et leur paix au moment où des conflits encore trop nombreux déchirent ce continent, même si ce continent n'est pas le seul à offrir l'image de conflits douloureux dont les populations civiles sont toujours victimes. J'ai été frappé, ce matin, par les chiffres qu'a rappelés le représentant du Secrétaire général des Nations unies : au moment de la guerre 14-18, les populations civiles affectées par le conflit représentaient 10 % des victimes, aujourd'hui elles représentent 90 % des victimes.
En ce qui concerne les contacts, ils ont, comme d'habitude, permis de confronter nos analyses respectives par rapport à la situation internationale, par rapport aux conflits, proches ou plus lointains. Nous avons évoqué aussi bien la guerre qui actuellement oppose l'Ethiopie à l'Erythrée que la situation encore très incertaine de la Sierra Leone ou les suites du coup d'Etat au Niger. Nous avons aussi évoqué les changements qui sont en train de se produire et que nous espérons voir se confirmer du côté de Khartoum ou du côté de Tripoli.
S'agissant de la situation intérieure, le Premier ministre m'a dit les efforts pour consolider une situation économique et sociale qui présente de bons résultats, mais qui appelle une poursuite d'un certain nombre d'efforts ; dont la normalisation de la relation avec le Fonds monétaire international. Nous avons avec les uns et les autres évoqué quelques spéculations spécifiques qui intéressent beaucoup l'économie ivoirienne, qu'il s'agisse du cacao ou des perspectives de développement que la banane semble offrir à ce pays. Nous avons parlé de l'université, du dialogue difficile avec les étudiants ; nous avons parlé aussi du dialogue politique interne à la Côte d'Ivoire. Vous voyez que les sujets ont été divers, nombreux, et je suis prêt à répondre aux questions que vous auriez à me poser pour vous aider à éclairer mieux ces questions dont nous avons donc parlé aujourd'hui avec nos interlocuteurs ivoiriens.
Q - Vous avez fait allusion tout à l'heure à votre conversation avec le président Bédié, et aux problèmes avec le Fonds monétaire international qui ne sont pas encore réglés. D'autres bailleurs de fonds, par exemple l'Union européenne, ont suspendu leur coopération dans certains domaines, notamment la santé et la décentralisation. La France est-elle pleinement satisfaite de sa relation avec la Côte d'Ivoire et est-ce qu'ici, bien qu'il y ait des problèmes avec d'autres bailleurs de fonds, elle la poursuit de la même façon ?
R - Je ne suis pas sûr de savoir ce que veut dire "pleinement satisfaite". La relation que nous avons avec la Côte d'Ivoire est marquée par un dialogue pratiquement continu, qui sait être exigeant. C'est certainement un des pays où la coopération française se développe le plus complètement, et dans des domaines extrêmement divers, qui touchent aussi bien la formation, la santé, le développement agronomique, la recherche ou la défense ; nous en avons dit un mot ce matin. Nous sommes conscients, et je l'ai dit à mes interlocuteurs, des efforts qui restent à faire sur le plan économique : si certains indicateurs sont encourageants, il reste que l'évolution de certaines dépenses mérite encore d'être mieux maîtrisée, il reste des recettes douanières sans doute à accroître, même si les explications qui ont été données par le Premier ministre ont très largement répondu à nos interrogations sur ce point.
J'ai appris les réserves que l'examen du dossier santé inspiraient à la Commission de Bruxelles. C'est une question dont nous débattrons certainement avec nos collègues européens, car c'est un dossier important. Nous avons bien sûr le souci d'une meilleure efficacité dans l'utilisation des aides publiques que la France et ses partenaires, soit dans un cadre bilatéral, soit au travers par exemple du Fonds européen de développement adressent à ce pays. Mais pour nous, l'essentiel, je le répète, c'est que nous puissions avoir ce dialogue franc, interroger et obtenir des réponses.
Q - Je ne sais pas si c'est vous ou M. Védrine qui a parlé des pays prioritaires. Je voulais vous demander quelle est la position que la Côte d'Ivoire occupe parmi ces pays prioritaires. Deuxième question : on sait qu'il y a la coopération militaire, - ce qu'on appelle les Alligator 3, ou 4, ou 5. Depuis près de vingt ans cela se passe entre la France et la Côte d'Ivoire. Les opérations militaires Alligator, je crois, il y en a eu il y a quelques années ; et la troisième question, c'est de donner votre position sur cette incompréhension sur la position des bases militaires pour éclaircir un peu la situation.
R - Sur la première question concernant les pays dits prioritaires, merci de me la poser car cela me permet de rappeler un peu ce que nous avons fait. La France a fait le choix de réformer son dispositif de coopération. Lionel Jospin m'a demandé, auprès d'Hubert Védrine, de conduire une réforme qui ouvre le champ de la coopération vers l'ensemble, en réalité, des pays du monde, mais une coopération qui n'est pas appelée à se développer de la même manière selon qu'on a en face de nous un pays en développement, ou un pays émergent, voire un pays développé. Quand je dis "coopération", j'englobe à la fois la coopération culturelle, scientifique, technique, et la coopération au développement. Vous savez que désormais, il n'existe plus qu'un grand ministère des Affaires étrangères à l'intérieur duquel le ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie que je suis, est chargé plus particulièrement de ces questions de coopération. Pour rendre compte de l'Histoire et de la géographie, mais aussi des problèmes spécifiques que rencontrent certains pays et du besoin qu'ils ont d'être davantage aidés que d'autres, nous avons dessiné une "zone de solidarité prioritaire" qui englobe beaucoup de pays africains, l'ensemble des pays africains francophones, mais aussi de nouveaux pays, - je pense à l'Afrique du Sud et à la Namibie, pour en citer deux ; je pense au Nigeria qui est déjà intégré à cette "zone de solidarité prioritaire". Elle est vaste, elle répond, je le répète, à la fois à des besoins objectifs , - le niveau de développement ou de sous-développement de ces pays, voire le degré de pauvreté - et à la volonté de la France d'entretenir des liens privilégiés avec certains pays. Cette zone pourra varier dans le temps, parce que certains pays peuvent sortir, heureusement, de cette zone de pauvreté et ne plus justifier les mêmes aides publiques au développement. La France peut aussi avoir des attentions stratégiques différentes demain et vouloir privilégier sa relation avec telle ou telle région du monde. Mais pour l'instant, cette "Zone de solidarité prioritaire" - qui comprend 54 pays, dont, je le répète, un nombre important de pays africains - permet dans ces pays-là d'utiliser l'ensemble des outils de coopération de la France, c'est-à-dire, entre autres, ses instruments financiers. Elle permet aussi de faire intervenir l'Agence française de développement, qui est l'opérateur français en matière d'aide au développement. La Côte d'Ivoire, - et là je réponds plus précisément à votre question -, est évidemment dans cette "Zone de solidarité prioritaire".
S'agissant de la coopération militaire, je ne suis pas sûr d'avoir compris exactement le début de votre question mais j'ai bien compris la fin, c'est-à-dire notre politique en ce qui concerne les bases militaires extérieures. C'est vrai que nous avons, là aussi, redéfini notre dispositif militaire extérieur : nous avons confirmé l'existence et le maintien de cinq bases, et je parle là, en cas de besoin, sous le contrôle du général Roux, qui est le directeur de la Coopération militaire et de Défense et qui pourrait, si nécessaire, compléter ou corriger mes propos. Ces cinq bases sont Djibouti, Dakar, Abidjan, Libreville et N'djamena. L'ensemble des effectifs, et je parle là encore sous le contrôle du général Roux, est de l'ordre de 6000 dont 2500 à Djibouti, ici un peu moins de 600, et un peu plus de 1000 à Dakar. On pourrait vous donner plus de précisions, mais voilà globalement comment les choses se passent. Ce qui est vrai aussi, c'est que nous avons fait le choix de modifier un peu le statut, des militaires appelés à servir dans ces bases, avec une vitesse de rotation un peu plus grande car nous entendons bien que ces bases, puissent servir à la formation de nos soldats comme elles servent à la protection des pays dans lesquels elles se trouvent. Je n'apprendrais rien à personne en vous disant que le fait que Djibouti dispose de la présence militaire française n'est pas pour rien dans le fait que Djibouti - et j'espère que cela durer - a su échapper à cette guerre qui actuellement oppose l'Ethiopie et l'Erythrée.
Q - Le trop-plein de la coopération militaire ?
R - Vous avez compris que nous avons reformaté la présence militaire française puisque nous avons décidé de fermer les bases que nous avions en Centrafrique, - il y avait Bangui et Bouar qui ont été fermées -, et de 8000 hommes nous descendons à 6000. Voilà le reformatage.
Mais je voudrais qu'on fasse bien la distinction entre cette présence militaire française qui doit permettre de répondre aux obligations que nous avons aussi vis-à-vis des pays africains dans le cadre des accords de défense, mais qui nous permet aussi, en cas de besoin, d'assurer la sécurité des ressortissants français, voire des ressortissants européens, et d'autres pays. On a présentes à l'esprit quelques crises où l'intervention rapide des forces françaises a permis de mettre en sécurité non seulement les ressortissants français, je le répète, mais les ressortissants d'autres pays qui étaient extérieurs au conflit. La coopération militaire, c'est autre chose. La coopération militaire est l'appui que la France donne aux pays qui lui en font la demande pour les aider à construire une armée qui soit mieux susceptible d'accomplir ses missions. Cette coopération militaire s'exécute en plaçant auprès des gouvernements étrangers, et singulièrement auprès des ministères de la Défense, des cadres français qui sont là pour faire de l'appui, et nous disons institutionnel, au même titre qu'il y a des magistrats auprès des ministres de la Justice, ou des policiers auprès des ministres de l'Intérieur pour les aider à constituer une police. C'est la coopération technique. Je ne confonds pas cela avec la présence des militaires dans les bases. Je crois qu'il fallait faire ce distinguo parce qu'on peut parfois un peu mélanger.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez parlé tout à l'heure de discussions relatives aux problèmes politiques en Côte d'Ivoire. Vous avez parlé du dialogue politique, du dialogue difficile avec les étudiants. Je voudrais savoir le sentiment avec lequel vous êtes sorti de ces discussions et ce que vous en pensez. Vous avez parlé de rencontres avec les autorités ivoiriennes, je voudrais savoir si vous avez rencontré aussi l'opposition, et quel est le sentiment avec lequel vous repartez en France ce soir ?
R - J'ai rencontré des autorités ivoiriennes conscientes des difficultés que rencontrent les étudiants soucieux de leur avenir professionnel, sortant pour beaucoup d'entre eux, d'ailleurs, du milieu rural, confrontés à des problèmes spécifiques. Ces autorités ont à prendre en charge une augmentation très rapide du nombre d'étudiants, - on a cité le chiffre de 25 000 étudiants de plus chaque année -, ce qui veut dire pratiquement une nouvelle université à construire chaque année, ce qui évidemment pose des problèmes difficiles. Nous avons évoqué les revendications des étudiants, la généralisation du système des bourses qui renvoie à des problèmes financiers et budgétaires tout à fait considérables, surtout si elle s'accompagne d'une augmentation des bourses qui est demandée par ailleurs. On a évoqué cette revendication d'un droit à recommencer de nouveaux cycles d'études, ce qui évidemment pose la question de la limite de l'exercice de ce droit. En France, vous le savez, on peut redoubler, on peut recommencer un nouveau cycle, mais on ne peut pas le faire indéfiniment. Il appartient aux responsables ivoiriens de décider de l'organisation qu'ils veulent pour leur université. Je veux simplement dire aussi qu'il y a d'autres pays que la Côte d'Ivoire où l'université soulève aussi des problèmes spécifiques, et d'autant plus importants que c'est là que normalement se forment les élites de demain, ce qui donne au dialogue entre ces futures élites et le pouvoir une connotation particulière.
La France a connu aussi des moments difficiles dans son histoire avec ses universités ou ses étudiants. Je ne peux que former le souhait, exprimer un voeu, c'est qu'on trouve le point d'équilibre entre ces revendications et les possibilités budgétaires, ce qui n'est sans doute pas le plus facile dans la période.
Nous avons même évoqué les problèmes collatéraux qui sont nés de ce conflit étudiant, le problème de la presse, de la relation avec la presse. Mesdames et Messieurs les professionnels, nous avons parlé à la fois du besoin d'informer, du besoin de le faire de manière professionnelle. Je vous en parle très librement parce que je suis un fervent partisan de la liberté de la presse, mais je pense que la liberté se mérite aussi par la manière professionnelle dont on l'exerce. Je vous rappelle simplement que l'éthique est une vertu qui ne doit pas être totalement étrangère à ceux qui font le métier d'informer. Si on l'oublie, je crois qu'on va objectivement à l'encontre de la démocratie, car c'est la crédibilité qui de ce fait est détruite. C'est un problème important, et je crois que dans un pays qui approfondit sa démocratie, la responsabilité des journalistes est tout à fait considérable.
Nous avons évoqué la possibilité, au sein de la Francophonie, de parler de ces choses, parce qu'il semble que c'est un bon niveau pour parler franchement, y compris des sujets qui peuvent fâcher. Je parle de l'information, je parle de la relation entre le pouvoir et la presse, mais cela vaut aussi pour l'alternance, cela vaut aussi pour la corruption, toutes questions qui nous paraissent tout à fait essentielles, qui rejoignent le thème de la bonne gouvernance auquel les opinions en général sont de plus en plus sensibles, l'opinion française aussi. Ce sont des thèmes qu'on va retrouver beaucoup plus fortement dans la relation Europe-ACP au moment du renouvellement des accords de Lomé que lors des premiers accords de Lomé. Je vous rappelle qu'on est dans la dernière ligne droite du renouvellement des Accords de Lomé, et parmi les novations, il y a justement le dialogue politique. Il faut qu'on puisse en parler, et j'ai proposé, à Bucarest en particulier, que dans le cadre de la Francophonie nous organisions un débat sur ces questions qui touchent à la démocratie et aux Droits de l'Homme. J'espère que nous allons pouvoir le conduire avant la fin de l'année.
Q - Par rapport à la situation de la République démocratique du Congo, est-ce qu'on ne pourrait pas dire qu'il y a une démission de la part de la France ?
R - Attendez, qu'est-ce qu'il aurait fallu ? Qu'on parachute des commandos ? Qu'est-ce qu'il fallait faire ?
Q - C'est juste une question ...
R - Merci de me la poser ! S'agissant du Congo démocratique, je rappelle que la coopération d'Etat à Etat a en effet été suspendue. Nous y avons une ambassade, nous continuons d'ailleurs d'aider la société civile au travers de quelque 20 millions de francs que nous donnons chaque année à des ONG qui peuvent aider sur le plan de la santé ou de l'éducation ; nous suivons de très près l'évolution de la situation ; nous attendons que les espoirs de solution négociée qu'on nous annonce chaque semaine se concrétisent et les messages que nous faisons passer à l'ensemble des protagonistes sont des messages d'encouragement au dialogue. Dialogue entre pays qui font la guerre ou qui se font la guerre, dialogue aussi à l'intérieur du Congo démocratique entre les différents acteurs de la vie politique congolaise. Croyez bien que le jour où les conditions d'un vrai dialogue et d'une démocratie retrouvée seront réunies au Congo-Kinshasa, la France reprendra pleinement sa coopération avec ce très grand pays. C'est en tout cas vraiment l'espoir qui est le nôtre, mais on ne peut pas vraiment considérer que la France serait responsable des dysfonctionnements, - et le mot est faible -, qu'a connus le Congo au cours de ces dernières années. Je veux même bien vous livrer un sentiment très personnel : on a probablement soutenu M. Mobutu beaucoup trop longtemps.
Q - Avec le chef de l'Etat, vous avez parlé des suites du coup d'état au Niger. En tant que ministre français de la Coopération, pouvez-vous nous dire quel est l'état des relations entre la France et les nouveaux hommes au pouvoir au Niger ?
R - Nous avons condamné le coup d'Etat, suspendu notre coopération et rapatrié nos coopérants. Pour l'instant, les deux tiers des coopérants sont d'ores et déjà rapatriés. Nous n'avons laissé au Niger que les moyens destinés à aider directement la population civile. Nous suivons de très près l'évolution de la situation. J'ai eu des contacts avec quelques responsables nigériens que j'ai rencontrés à différents endroits ; nous avons dit à nos interlocuteurs que pour nous, le test était l'enclenchement d'un processus démocratique conduit dans les meilleurs délais, permettant à un pouvoir civil légitimé par un vote de reprendre en main la situation à Niamey. J'observe que l'ensemble de la classe politique dialogue avec le Conseil de réconciliation nationale que dirige M. Wanke, pour définir, justement, un calendrier prévoyant, entre autres, un référendum constitutionnel, des élections législatives, une élection présidentielle et des élections locales qu'il faut refaire. Vous êtes trop informés de la situation pour ne pas savoir que c'est justement la manière dont on a géré ces élections locales qui explique en partie le malencontreux accident, pour reprendre l'expression consacrée.
Merci, je crois qu'il nous faut arrêter, merci Monsieur l'Ambassadeur d'avoir permis cet échange et à une autre fois, je reviens toujours avec beaucoup de plaisir à Abidjan qui est une très grande ville africaine dans un grand pays africain.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 juin 1999)