Texte intégral
Monsieur le Secrétaire général,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Secrétaire général adjoint,
Mesdames et Messieurs les Représentants et Chefs des délégations,
Monsieur le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies,
Mesdames et Messieurs les Représentants des organisations internationales,
Monsieur le Directeur,
Mesdames et Messieurs les Délégués,
Mesdames et Messieurs,
La question de l'immigration est trop souvent l'otage, dans nos pays respectifs, des surenchères politiques ou politiciennes. La confusion et le préjugé affectent la qualité du débat public, dès lors que l'on aborde ce sujet. L'opinion elle-même, parfois excitée par des démagogues professionnels, peut, sur ce sujet, rapidement s'enflammer.
La France, sur la question de l'immigration, a une position particulière. Plus vieux pays d'immigration du continent européen, la France a su, pendant de nombreuses années, faire vivre un modèle d'intégration qui reposait sur trois piliers :
- Le travail salarié, notamment industriel, qui permettait aux migrants de s'intégrer ;
- L'éducation nationale ;
- Le refus du communautarisme au profit de l'application universelle des principes de la République, dont le principe de laïcité.
Et paradoxalement, c'est même au moment où les flux migratoires en France se réduisaient de façon significative - dans la deuxième moitié des années 1970 - que l'immigration a été accusée, par une partie de la classe politique, de miner l'unité de la Nation. Certains se sont alors empressés de stigmatiser l'immigré, tenu pour responsable de la montée du chômage. Depuis lors, les mêmes - ou leurs héritiers - dénoncent à intervalles réguliers des afflux massifs d'immigrés. La réalité est bien différente : avec environ 9% d'immigrés - c'est-à-dire, pour être précis, d'étrangers nés à l'étranger -, la France est en effet dans la moyenne des pays européens. Les flux migratoires représentent 0,3% de notre population - ce qui nous situe dans la moyenne basse des pays européens. Chaque année également, 100 000 personnes acquièrent la nationalité française, ce qui est là encore dans la moyenne de ce que réalisent nos partenaires. Et faut-il le dire, toutes les études convergent pour démontrer que cette immigration réduite, contribue favorablement à notre dynamisme économique.
Comment comprendre, dès lors, la distorsion qui peut exister entre, d'une part, la réalité attestée par les chiffres, et, d'autre part, la perception que les citoyens peuvent en avoir ?
Comment éviter qu'une telle perception conduise inévitablement au repli sur soi, à la fermeture, et finalement à la perte de rayonnement, de compétitivité, d'attractivité, mais aussi, à la perte, fondamentale à mes yeux, de ce qui a constitué la singularité de notre modèle républicain ?
Ne nous voilons pas la face : l'immigration est un défi que nous lance la mondialisation, dans la mesure où elle révèle tous les grands déséquilibres - démographiques, économiques, politiques - qui traversent notre époque. Selon les projections de l'ONU, la population mondiale atteindra les 8 milliards d'individus vers 2025, c'est-à-dire dans dix ans seulement. L'essentiel de la croissance démographique mondiale aura lieu dans les pays du Sud, tandis que l'Europe connaît déjà une évolution négative. L'Afrique surtout va connaître un bond démographique sans précédent. Dans ce contexte, et compte tenu de la gravité et de la profondeur de certaines crises régionales, en particulier au Sud de la Méditerranée, les flux migratoires à l'échelle du monde ne sont pas prêts de se tarir.
Dans ce contexte, le gouvernement français assume une politique migratoire qui est fondée sur un triptyque qui correspond aux exigences de notre temps :
- Renforcer l'intégration républicaine pour ceux que notre droit et nos valeurs nous commandent d'accueillir, et en particulier les demandeurs d'asile ;
- Faire de la France une terre de choix pour les migrations de la connaissance, de l'excellence, de la compétitivité et du savoir ; La France a trop longtemps, par une politique frileuse, laissé les talents du monde entier délaisser son territoire et préférer d'autres destinations.
- Enfin, nous voulons lutter contre l'immigration irrégulière et la fraude au séjour.
Je suis convaincu qu'une très large majorité de nos concitoyens peuvent se rassembler derrière ces objectifs. Ce rassemblement ne va pas de soi mais nous ne devons pas ménager nos efforts pour en créer les conditions. Aussi faut-il dire comment.
La première exigence qui s'impose à nous à cet égard est la transparence: contre les fantasmes et les exploitations malveillantes de la question migratoire, nous devons nous fonder sur des données objectives, sur des faits rationnellement établis, et les diffuser auprès du grand public.
L'OCDE contribue elle-même de longue date à diffuser de telles données. Ses « perspectives des migrations internationales » sont une référence incontestable dont l'utilité et la qualité ne sont plus à démontrer.
En France, nous avons souhaité, depuis 2013, que les statistiques annuelles de l'immigration soient strictement conformes au code de bonne pratique des statistiques européennes. Ainsi avons-nous mis en place un calendrier de publication. Les publications statistiques sont par ailleurs clairement distinguées des communiqués politiques, publiés séparément.
Nous veillons également à inscrire l'ensemble des données publiées dans le cadre des comparaisons internationales pertinentes, qui relativisent la place de la France dans les flux migratoires mondiaux.
La deuxième exigence est liée à la première : c'est une exigence de pédagogie.
Ainsi, au printemps 2013, a été organisé au Parlement un vaste débat sur l'immigration professionnelle et étudiante, dont la vocation était avant tout pédagogique : il s'agissait de faire en sorte que chacun s'affranchisse des postures habituelles. C'est la raison pour laquelle il n'y a pas eu de vote, ce qui a permis de montrer que sur ce sujet, la représentation nationale pouvait être consensuelle.
Donner les vrais chiffres, bâtir un consensus sur les réalités migratoires, cela est important. Mais, l'essentiel est de traduire nos orientations dans des réformes audacieuses, en tentant toujours de bâtir un consensus républicain fort.
Le Gouvernement français va débattre au Parlement la semaine prochaine d'un projet de loi sur le droit d'asile, que j'aurai l'honneur de présenter. Celui-ci a été élaboré à l'issue d'une concertation pilotée par deux parlementaires, l'un de la majorité et l'autre de l'opposition, dans un souci revendiqué et assumé d'équilibre.
Ce projet de loi vise à mettre la France en conformité avec le droit européen en répondant aux trois dysfonctionnements qui pèsent sur le droit d'asile en France, confronté à un quasi doublement de la demande de 2007 à 2013 :
- D'abord, nos procédures sont trop longues, elles sont trop complexes : il faut jusqu'à 24 mois, parfois davantage, pour l'examen complet d'une procédure d'asile. Le projet de loi ambitionne de réduire ce délai à 9 mois ;
- les conditions de prise en charge des demandeurs d'asile sont trop inégalitaires, entre des demandeurs qui bénéficient d'une prise en charge adaptée en CADA et ceux qui demeurent trop longtemps, trop souvent dans la précarité. Le projet de loi crée les conditions pour permettre à chaque demandeur d'asile d'accéder à un centre d'accueil pour demandeurs d'asile ; en revanche, l'hébergement sera directif, cela signifie que le demandeur n'aura pas le choix du lieu d'hébergement ;
- les droits des demandeurs, notamment en procédure prioritaire, ne sont pas respectés : ils n'ont notamment pas accès à un juge spécialisé ; le projet de loi met en place, selon des procédures adaptées et raccourcies, un accès au juge de l'asile dès lors que la demande est recevable.
Ces trois points sont indissociables et constituent une réponse adaptée au diagnostic partagé par tous. Lorsque l'on répond aux vrais problèmes, selon un diagnostic partagé, je crois qu'on crée les conditions pour un débat apaisé.
Un autre projet de loi sur le séjour a été déposé. Il est bâti selon les mêmes principes : apporter, sans a priori, des réponses aux dysfonctionnements recensés dans nos dispositifs. Il tire, pour sa part les conclusions du débat sans vote et vise notamment à renforcer l'attractivité de la France aux migrations de la connaissance et du savoir, grâce au passeport talents, qui va induire une modification substantielle et de nos flux migratoires et de leur perception par l'opinion.
Cette loi vise aussi à renforcer l'intégration, en créant pour tous les étrangers nouvellement arrivés un parcours d'intégration qui sera accompagné par la délivrance de titres de séjour plus pérennes, pour favoriser l'accès à l'emploi, au logement. Car, disons-le, le défi migratoire des années à venir n'est pas uniquement la gestion des flux migratoires, mais la construction, dans une société diverse et dont la diversité ira croissante, d'un vivre ensemble, d'une singularité française qui ne soit pas une agglomération de différences mais un rassemblement autour d'un idéal commun. La France est armée pour bâtir cet idéal, parce qu'elle l'a déjà bâti par le passé, parce que cet idéal est consubstantiel à notre histoire. Cet idéal porte un nom : c'est la République. C'est le droit à l'éducation. C'est la laïcité. C'est le refus du communautarisme. C'est le respect d'un certain nombre de valeurs universelles.
Je sais bien qu'en matière d'immigration, la pédagogie est parfois difficile, et la réforme l'est davantage encore. Mais, les difficultés sont faites pour qu'on les affronte et pour qu'on les dépasse et je crois que la politique n'a pas d'autre raison d'être.
Je vous remercie.
Source http://www.delegfrance-ocde.org, le 10 décembre 2014