Interview de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes à LCI le 26 novembre 2014, sur l'anniversaire de la loi Veil et la situation de la médecine libérale.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral


PRESENTATRICE
On va tout de suite retrouver Guillaume DURAND, il reçoit ce matin la ministre de la Santé, Marisol TOURAINE.
GUILLAUME DURAND
Je suis ravi de vous retrouver et donc ravi de vous accueillir Marisol TOURAINE. Evidemment aujourd'hui honneur à Simone VEIL, mais fallait vraiment voter une résolution à l'Assemblée ?
MARISOL TOURAINE
Les parlementaires de la mission pour les femmes ont souhaité présenter cette résolution, je pense que c'est important, à la fois pour rappeler, pour rappeler que la loi VEIL, la loi de 1974-75 a représenté une étape absolument fondamentale, c'est une loi de libération, une loi d'émancipation pour les femmes – on ne se souvient pas tant que cela de ce qu'était la réalité pour les femmes avant cette date-là…
GUILLAUME DURAND
Eh bien c'était les avortements…
MARISOL TOURAINE
Les avortements clandestins…
GUILLAUME DURAND
Les avortements clandestins, oui.
MARISOL TOURAINE
Des risques pour la santé, des femmes qui mouraient ou en tout cas étaient largement menacées…
GUILLAUME DURAND
Oui ! Mais enfin pourquoi revoter…
MARISOL TOURAINE
Et puis aujourd'hui…
GUILLAUME DURAND
Sur une loi qui est votée ?
MARISOL TOURAINE
Parce que… non mais il ne s'agit pas de revoter, il s'agit de rappeler l'importance…
GUILLAUME DURAND
C'est une résolution !
MARISOL TOURAINE
Il s'agit de rappeler l'importance de cette loi et de rappeler que le combat pour que les femmes puissent maîtriser leur corps reste un combat d'actualité. On le voit aux portes de la France, on entend dans les pays de grandes civilisations des responsables dire que le statut des femmes c'est la maternité ; on entend dans…
GUILLAUME DURAND
Vous parlez de la Turquie, d'ERDOGAN.
MARISOL TOURAINE
On entend dans notre pays même des voix s'élever qui ne s'entendaient pas il y a quelques années, au fond…
GUILLAUME DURAND
Exemple ! Exemple.
MARISOL TOURAINE
Ecoutez, il y a eu une manifestation il y a quelques mois avec des milliers de personnes dans la rue contre l'interruption volontaire de grossesse ; il y a eu à l'Assemblée nationale même des parlementaires réclamer…
GUILLAUME DURAND
Mais personne ne reviendra sur la loi VEIL !
MARISOL TOURAINE
Qui réclamait la fin du remboursement de l'IVG...
GUILLAUME DURAND
Est-ce que vous considérez qu‘il va y avoir une sorte de…
MARISOL TOURAINE
On entend parler d'IVG de confort. Tout cela c'est une parole réactionnaire, parce qu'il n'y a pas d'autre mot, réactionnaire contre les femmes, qui se libère, qui ne menace pas, je le crois - je le dis sincèrement – qui ne menace pas le droit à l'IVG dans notre pays aujourd'hui, mais qui fait renaître un discours moralisateur, de culpabilisation, qu'il ne faut pas laisser s'installer.
GUILLAUME DURAND
Mais est-ce que vous considérez qu'une partie de la droite, dont vous venez de signaler les propos, pourrait revenir sur cette loi, non ?
MARISOL TOURAINE
Non !
GUILLAUME DURAND
Puisque c'est la droite qui l'a votée avec Simone VEIL ?
MARISOL TOURAINE
Oui ! Grâce à la gauche d‘ailleurs, parce que sans la gauche la loi VEIL n'aurait pas été votée. Je ne crois, je le dis, je ne crois pas qu'il y ait de risque pour le droit à l'interruption volontaire de grossesse dans notre pays aujourd'hui, mais il y a au fond un discours de culpabilisation et un risque de recul – de recul en arrière par définition - de retour en arrière et, donc, nous devons être vigilants. C'est aussi un terrain de droit nouveau et j'ai fait voter la gratuité complète de l'interruption volontaire de grossesse, elle est maintenant prise en charge à 100 % par la Sécurité Sociale ; j'ai mis en place un site gouvernemental : ivg.gouv.fr, qui apporte une information neutre aux femmes, puisque jusqu'à maintenant quand on allait sur un moteur de recherche, Google pour ne pas le citer, on tapait ivg, on tombait sur des sites qui étaient des sites anti-avortement, -ce qui est un peu préoccupant – et le site officiel du gouvernement qui est très largement présenté.
GUILLAUME DURAND
Alors j'ai droit à des questions ! Concernant d'abord justement ce nouveau mécanisme, bon vous venez de vous expliquer sur la loi VEIL, maintenant si on vote sur un Etat palestinien, il y a quand même quelque chose de bizarre à l'Assemblée nationale qui sont ces prononcements finalement qui n'ont pas vocation à être de véritables lois et qui sont plutôt des engagements – comment peut-on dire – moraux ?
MARISOL TOURAINE
Ca c'est une question à poser à l'Assemblée nationale, c'est une initiative…
GUILLAUME DURAND
Non ! Mais je vous demande votre avis à vous.
MARISOL TOURAINE
Non ! Mais c'est une initiative parlementaire, parce que…
GUILLAUME DURAND
Qu'on vote pour ou contre l'Etat palestinien, ça ne changera à la situation au Proche Orient ?
MARISOL TOURAINE
Non ! Mais je ne trouve pas, comment dire, déplacé que des parlementaires expriment une volonté et un engagement sur des sujets qui leur paraissent importants, on ne peut pas dire que l'Assemblée nationale consacre l'essentiel de son temps à des résolutions, donc qu'il y ait quelques…
GUILLAUME DURAND
Non ! Mais je vous parle de l'actualité.
MARISOL TOURAINE
Oui ! Mais qu'il y ait quelques résolutions importantes qui marquent un engagement fort ne me parait pas déplacé et en tout cas pas en dehors du champ d'activité des parlementaires, les parlementaires sont aussi là pour exprimer une volonté politique.
GUILLAUME DURAND
Eh bien justement à propos des parlementaires et de la volonté politique, il y a quelque chose qui est – alors là on sort totalement du sujet, on va revenir à la politique de santé, mais c'est important parce que c'est dans les journaux partout ce matin – c'est donc l'affaire du MISTRAL, à titre personnel vous êtes favorable à la décision de François HOLLANDE ? Parce que là on voit aussi que c'est complètement transpirant sur le plan politique, à droite il y a des gens qui sont « pour » la déclaration de HOLANDE, d'autres qui sont résolument « contre » ?
MARISOL TOURAINE
Oui ! Le président de la République avait dit très clairement que pour que la livraison des MISTRAL intervienne certaines conditions devaient être réunies et en particulier l'engagement d'une solution politique avec l'Ukraine, on voit bien qu'il y a une situation d'instabilité qui perdure, les conditions ne sont pas réunies et je ne vois pas comment la France peut aujourd'hui livrer ces MISTRAL.
GUILLAUME DURAND
Donc, il a raison ?
MARISOL TOURAINE
Ah ! Il a… en tout cas c'est la décision qu'il a prise et évidemment le gouvernement est entièrement rassemblé pour soutenir cette décision.
GUILLAUME DURAND
Mais vous savez très bien que Vladimir POUTINE ne changera pas de politique, donc ça veut dire que ce n'est pas une… il ne sursoit pas, si ça continue comme ça les MISTRAL ne seront jamais…
MARISOL TOURAINE
Mais les politiques ne sont jamais… enfin ne sont pas nécessairement immuables, heureusement, l'histoire montre qu'il y a des politiques qui évoluent et qui se transforment et donc nous verrons si la politique de la Russie évolue si nous pouvons livrer les MISTRAL.
GUILLAUME DURAND
Quitte à perdre un peu de crédibilité en matière de signature de grand contrat à l'armement, quitte à se voir imposer des dommages et intérêts de 3 milliards ?
MARISOL TOURAINE
Il y a des enjeux stratégiques, géostratégiques, là nous parlons d'une région qui est aux frontières de l'Europe occidentale, de l'Union européenne, c'est à quelques centaines de kilomètres de chez nous, la stabilité européenne est évidemment un sujet tout à fait essentiel pour nous.
GUILLAUME DURAND
J'ai un petit papier devant moi ! Dépassement d'honoraires, les cliniques se rebiffent, et l'un des responsables justement du secteur privé de la clinique déclare : « nous serons contraints de bloquer le système de santé français avec manifestation donc à l'appui au début du mois de janvier ».
MARISOL TOURAINE
Oui ! Et de quoi parlons-nous concrètement pour les cliniques privées ? Les cliniques privées…
GUILLAUME DURAND
Eh bien il vous accuse, pardonnez-moi je vais être violent, il vous accuse de mettre en l'air le système libéral…
MARISOL TOURAINE
Oui !
GUILLAUME DURAND
Et ça fait plusieurs semaines que ça dure d'ailleurs, les médecins, les cliniques maintenant ?
MARISOL TOURAINE
Oui ! Mais il y a beaucoup de contrevérités. Parce qu'est-ce que demain les Français pourront continuer à choisir le médecin qu'ils veulent ? La réponse est oui ! Et donc ceux qui, disons accréditent ou font circuler l'idée que demain on imposera aux Français leur médecin, disent une contrevérité. Pour ce qui est des cliniques, quel est le sujet ? Le sujet est de savoir si, pour recevoir le label - parce que c'est de cela qu'il s'agit - le label « service public hospitalier » on peut demander des contreparties aux cliniques ? Est-ce que demain les financements de l'Assurance Maladie continueront d'aller aux cliniques ? La réponse est oui ! Est-ce que demain les gens qui veulent aller se faire soigner en clinique aux mêmes conditions qu'aujourd'hui pourront le faire ? La réponse est oui ! Le seul sujet c'est pour avoir le label « service public hospitalier » puisque la loi va rétablir le principe d'un service public hospitalier, est-ce qu'on peut demander des contreparties aux établissements ? Eh bien oui ! Je trouve que…
GUILLAUME DURAND
Oui ! C'est votre droit ! Mais quand ils disent : « nous serons contraints de bloquer le système de France »...
MARISOL TOURAINE
Eh bien, écoutez, il faut quand même que les Français sachent qu'en gros…
GUILLAUME DURAND
C'est quand même fort comme déclaration.
MARISOL TOURAINE
En gros, le sujet c'est : est-ce qu'on peut demander aux cliniques de respecter un certain nombre de conditions, notamment en termes de tarifs, pour être répertoriées comme un service public hospitalier ? Donc, franchement…
GUILLAUME DURAND
Oui ! Mais est-ce que vous vous êtes d'accord, enfin… Mais, en tant que ministre de la Santé, est-ce que vous considérez que vous pouvez affronter une grève pareille, c'est-à-dire le système de santé français bloqué par les cliniques privées fussent-elles justement…
MARISOL TOURAINE
Mais les Français sont extrêmement attachés à l'accès aux soins et je suis certaine que les Français sont attachés à ce que les cliniques soient ouvertes et jouent leur rôle, mais les Français veulent pouvoir être remboursés par la Sécurité Sociale - ils veulent pouvoir choisir en tout cas – et le seul enjeu qui aujourd'hui est posé c'est que les Français, lorsqu'ils vont se faire soigner, puissent trouver des endroits où ils ne paient pas de leur poche, où ils sont pris en charge par la Sécurité Sociale et, au fond, si les cliniques souhaitent être reconnues comme faisait partie du service public hospitalier, il faut qu'ils se préoccupent ou qu'elles se préoccupent des conditions d'accès financières. Donc, encore une fois, il ne s'agit pas pour moi de dire aux cliniques : « vous n'existez plus, vous ne pouvez pas travailler, vous ne pouvez pas choisir vos modes d'exercice », oui les cliniques pourront continuer de travailler aux conditions qu'elles décident, mais, si elles veulent être considérées comme faisant partie du service public hospitalier, il y a des conditions à respecter.
GUILLAUME DURAND
Alors je sais que bien que vous allez prendre ça pour une attaque personnelle, mais comment se fait-il qu'une grande partie des médecins, les syndicats majoritaires par exemple, considèrent qu'au fond le fond de la bataille de votre politique de santé c'est d'abattre la médecine libérale, ils l'écrivent partout ou en tout cas souvent ?
MARISOL TOURAINE
Oui ! Je crois qu'il y a peut-être des ajustements à apporter à la loi e j'ai dit que j'étais prête à discuter pour revoir des… préciser des rédactions dans la loi, parce que…
GUILLAUME DURAND
Donc, vous allez re-recevoir les syndicats ?
MARISOL TOURAINE
Ah ! Mais je vois les organisations syndicales, les représentants des médecins de façon extrêmement régulière et, encore une fois, s'il y a des interrogations, des doutes à lever, je le ferai de façon extrêmement – comment dire – de façon très disponible. Mais cette loi…
GUILLAUME DURAND
Quand ?
MARISOL TOURAINE
Eh bien dans les semaines qui viennent je vois les organisations syndicales ! Mais cette loi elle n'est pas faite contre la médecine libérale, c'est une loi qui est faite avec les médecins pour les patients.
GUILLAUME DURAND
Mais ils ont cette perception-là !
MARISOL TOURAINE
C'est quoi l'enjeu de la loi ? C'est de dire que la prévention doit être prioritaire désormais - et la rémunération des médecins doit d'ailleurs dépendre de la manière dont ils prennent en charge la prévention - la prévention a été oubliée, il s'agit de faire en sorte que les enfants soient accompagnées depuis le plus jeune âge, lutter contre le tabagisme, lutter contre l »alcoolisation des enfants… Qui est contre cela ? Personne ! Pas les organisations syndicales.
GUILLAUME DURAND
Oui ! Mais eux considèrent qu'on est en train de les enfermer dans des honoraires qui sont des honoraires trop contraignants…
MARISOL TOURAINE
Il s'agit de dire ensuite que la médecine, le système de santé doit être réorganisé autour du médecin traitant - c'est la médecine libérale cela – et donc le médecin traitant doit avoir une responsabilité renforcée et il a un rôle à jouer auprès des malades, c'est tout contre un système qui serait un système anti-médecine libérale, c'est exactement l'opposé de cela que je veux faire. Et quant à la rémunération, ce que je souhaite c'est que cette rémunération – mais ça ne figure pas dans la loi – c'est que cette rémunération intègre des éléments autres que la rémunération à l'acte : des forfaits lorsque l'on s'occupe des personnes âgées, ce qui prend plus de temps ; une rémunération pour disons la prise en compte de la prévention par exemple ; une rémunération pour le travail d'équipe et, donc, c'est l'évolution de la médecine libérale mais au contraire le renforcement de la médecine libérale au service des patients que je souhaite promouvoir.
GUILLAUME DURAND
Merci Marisol TOURAINE.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 28 novembre 2014