Texte intégral
THOMAS SOTTO
L'interview politique d'Europe 1, Jean-Pierre ELKABBACH, vous recevez ce matin le ministre de la Défense, Jean-Yves LE DRIAN. Messieurs, c'est à vous !
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ministre le plus populaire, vous mettez en place la plus vaste opération militaire de sécurité intérieure, elle était préparée, le président de la République l'a ordonnée, bienvenu Jean-Yves LE DRIAN et bonjour !
JEAN-YVES LE DRIAN
Bonjour.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il y avait des opérations extérieures, à partir d'aujourd'hui, il y a des opérations intérieures, 10.500 soldats, tous des professionnels, vont s'occuper de la protection des Français. Est-ce que ça veut dire que le danger en France a tellement augmenté en quelques jours.
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui, la menace est très élevée, et c'est pour cette raison que le président de la République a décidé de mettre en oeuvre ce qu'on appelle le contrat opérationnel de protection du territoire, qui est inscrit dans la loi de programmation militaire, et qui aboutit au déploiement de plus de 10.000 militaires, pour protéger les lieux sensibles de France, que ce soit les écoles, les synagogues, les mosquées, des lieux publics pour une certaine durée
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais ça veut dire que la menace a crû en quelques jours...
JEAN-YVES LE DRIAN
Ça veut dire que la menace est à un niveau très élevé. Et que, aujourd'hui, c'est une singularité nouvelle et grave, il n'y a pas de rupture entre la menace extérieure et la menace intérieure. Et s'il y a eu décision de mobilisation de plus de 10.000 militaires, c'est parce que c'est une opération militaire, comme les opérations que nous menons à l'extérieur
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est-à-dire ? Qui la commande ?
JEAN-YVES LE DRIAN
C'est-à-dire que c'est commandé par le chef d'état-major des armées, c'est une opération militaire à l'intérieur, dans le cadre des missions de nos armées qui doivent assurer la protection du territoire à des moments de tensions élevées, comme c'est le cas aujourd'hui. Donc nous sommes dans nos missions.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Le 11 janvier, moi, ça m'a rappelé une autre date
JEAN-YVES LE DRIAN
Le 11 janvier, oui, je pense qu'on n'en a pas beaucoup parlé, mais le 11 janvier 2013, le 11 janvier 2015, il y a un lien, le 11 janvier 2015, c'est l'élan du peuple de France, c'est cette manifestation énorme de confiance collective et aussi d'aspiration à la liberté, mais à la sécurité, et le 11 janvier 2013, c'était le début de l'opération au Mali, c'est le même ennemi, ce sont les groupes terroristes, ceux qui veulent toucher à nos libertés, ceux qui veulent développer des attentats en France
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est-à-dire que la menace intérieure et la menace extérieure sont liées ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Ne font qu'une. Et aujourd'hui, si on dit : les armées sont là, oui, les armées sont là, parce que c'est la même menace, ce sont les groupes terroristes
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais ça veut dire aussi que le mal et l'ennemi sont à l'intérieur du pays ou de nous-mêmes, et que la réponse doit l'être aussi.
JEAN-YVES LE DRIAN
La réponse, elle est à la fois à l'intérieur et à l'extérieur, mais pour nos armées, c'est le même combat.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors 10.500 soldats en renfort, c'est du jamais vu, même si la loi le prévoit, c'est appliqué pour la première fois, ce soir, combien seront-ils les militaires ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Nous allons déployer les 10.500, je ne peux pas vous dire exactement le nombre précis ce soir, précisément, mais demain, nous serons 10.500 sur tous les sites sensibles de France.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et vous mobilisez d'un coup 10.500, est-ce que vous les prélevez sur les militaires qui sont au Proche-Orient et en Afrique ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Pas du tout. A partir du moment où je viens de vous dire que le combat était global et que nous menons des opérations extérieures précisément contre ces groupes djihadistes qui veulent atteindre notre sécurité et notre liberté, évidemment, la mobilisation des 10.500 à l'intérieur est une mobilisation qui est prévue dans le dispositif de nos armées et qui permet la complémentarité de l'action
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Jean-Yves LE DRIAN, on entendait tout à l'heure Caroline ROUX, certaines voix dans l'opposition, dans votre majorité, proposent un retour du service militaire sous différentes formes, est-ce que vous l'envisagez ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Je ne suis pas sûr que ça corresponde à la menace d'aujourd'hui. Nous avons fait le choix d'une armée professionnelle, et on voit bien face aux risques que nous rencontrons qu'il faut une armée professionnelle, mais, je pense, il est souhaitable de renforcer le service civique, et le président de la République l'a annoncé au moment de ses voeux, et il est aussi souhaitable de nous interroger sur la place des réserves, moi, je suis très attentif à la fois aux réserves opérationnelles et aux réserves citoyennes, pour des missions complémentaires de celles de nos forces professionnelles, je crois que, un des sujets qui doit être posé demain, c'est le rôle des réserves pour l'avenir, en particulier, sur la protection du territoire
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est quoi les réserves aujourd'hui, les réservistes ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Aujourd'hui, il y a un nombre significatif de réservistes qui sont mobilisés régulièrement pour des phases d'entraînements, il importe de rendre plus attractives ces réserves, à la fois dans les contrats que peuvent avoir les réservistes avec leurs employeurs, mais aussi dans les missions qui leur sont confiées, c'est une des leçons que nous devons tirer de la nouvelle situation.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Jean-Yves LE DRIAN, les Français devront s'habituer à voir plus de militaires dans les rues, par patrouilles de trois, et sur les sites sensibles, vous en avez cité quelques-uns, c'est quoi un site sensible, par exemple ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Un site sensible, c'est un site qui pourrait faire l'objet d'une attaque par un groupe terroriste
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Exemple, exemple
JEAN-YVES LE DRIAN
Par exemple, une mosquée, par exemple une synagogue, par exemple une école juive, par exemple un site militaire, par exemple, un lieu public particulier
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais ça veut dire les gares, les aérogares, les aéroports ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Ça veut dire les aérogares, les aéroports, et la complémentarité avec les forces
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Les bus, les métros ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Et la complémentarité avec les forces de police et de gendarmerie qui remplissent déjà ce rôle. Les forces armées vont identifier, sont en train d'identifier déjà depuis hier, en relation avec les préfets de zones et les officiers généraux de zones de défense, les lieux les plus sensibles qui ont été repérés et ils arrivent là, en complémentarité avec les forces de gendarmerie et de police, mais sous un commandement unique. Ce que je voudrais bien vous faire comprendre, Jean-Pierre ELKABBACH, c'est que c'est une opération militaire, ce n'est pas de l'appoint, c'est une opération militaire qui est en complémentarité avec le général des opérations extérieures
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous l'avez dit, c'est le chef d'état-major de l'armée, le général de VILLIERS, c'est vous et c'est le président de la République.
JEAN-YVES LE DRIAN
Absolument.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est la hiérarchie. Les armes de ces soldats, est-ce qu'elles seront en permanence chargées ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Je n'ai pas à vous répondre directement, mais les moyens de défense sont tout à fait opérationnels.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est-à-dire qu'ils pourront à tout moment tirer ou dans des cas de légitime défense, parce que, un terroriste cède rarement aux sommations
JEAN-YVES LE DRIAN
Ils ont les moyens de faire en sorte que la sécurité soit respectée.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Tous les moyens.
JEAN-YVES LE DRIAN
Y compris les moyens et les ordres qui conviennent.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On a compris. On a tué des Français juifs, on les menace, 717 écoles et synagogues sont protégées, pourtant, une soixantaine d'agression en quelques jours ont été commises contre des musulmans. Est-ce qu'ils seront aussi protégés ?
JEAN-YVES LE DRIAN
C'est aussi grave, c'est aussi grave d'être antimusulman que d'être antisémite, c'est un délit, et nous sommes aussi vigilants sur la protection des lieux fréquentés par les musulmans que la protection des lieux fréquentés par les populations juives. C'est le même sujet, la protection, la sécurité des Français, quels qu'ils soient.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Monsieur LE DRIAN, la loi de programmation militaire, qu'on a beaucoup suivie ici, à Europe 1, avec Thomas, avec toutes les équipes, prévoit de supprimer en moyenne 7.500 postes par an, en 2013, 14, 15 et peut-être en 2016. Face aux menaces, qui peut demander de suspendre ou d'arrêter cette hémorragie ? Est-ce que vous pourriez être favorable, je ne sais pas, à ou l'arrêt ou à un moratoire ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Ecoutez, aujourd'hui, les missions que remplissent nos armées, que ce soit les missions à l'extérieur, que ce soit l'opération intérieure dont on parle, sont tout à fait inscrites dans la loi de programmation militaire, correspondent au contrat qui a été passé entre la Nation et les armées
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais vous voudriez bien que ça s'arrête ou pas ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Il est prévu en 2015 que le Parlement soit saisi d'une actualisation de la loi de programmation militaire, c'est-à-dire qu'il est prévu qu'en 2015, on regarde à nouveau quelles sont les menaces et quelles sont les capacités nouvelles qu'il s'agit de mettre en oeuvre
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc dans ce cas, vous demandez au Parlement de
JEAN-YVES LE DRIAN
Si cette question sera abordée au moment où il le faudra lorsque le Parlement sera saisi, et c'est-à-dire dans quelques semaines.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Aujourd'hui, l'Irak, le Premier ministre avec vous et Laurent FABIUS, va demander au Parlement, comme le prévoit la Constitution, de prolonger les actions militaires en Irak. D'abord, on a envie de demander est-ce qu'elles ont donné des résultats, mais ce matin, est-ce que vous demandez à tous les partis d'approuver, comme ça a été fait il y a quatre mois, la poursuite de notre présence, surtout aérienne, en Irak ?
JEAN-YVES LE DRIAN
L'article 35 de la Constitution prévoit qu'il y ait un vote, quatre mois après l'engagement des forces sur un théâtre extérieur, et ce vote a lieu aujourd'hui, c'est une circonstance qui aboutit à ce que ce soit en même temps qu'un débat sur la situation
JEAN-PIERRE ELKABBAC
Vous demandez l'unanimité ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Je souhaite que l'ensemble des partis politiques puisse approuver les orientations qui ont été prises, parce que, en Irak, nous avons affaire à une armée terroriste, une armée terroriste qui est composée d'éléments terroristes, mais aussi de combattants venus de partout, de France en particulier, mais aussi de Tunisie, d'Arabie Saoudite, de Belgique, d'Allemagne, d'Australie, de Tchétchénie, partout, il y a une armée djihadiste, une armée terroriste et une armée internationale. Il faut donc enrayer cette offensive du prétendu Etat islamique, et c'est la raison pour laquelle nous sommes membres de la coalition avec 32 autres pays
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Très bien, l'autorisation, si elle vous est donnée par le vote, cette fois, elle est sans limite de temps. Mais
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui, elle est sans limite de temps
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Je veux vous interroger sur la Syrie, contre Daech, quelle est pour vous, Jean-Yves LE DRIAN, l'urgence, se débarrasser de Bachar El ASSAD d'abord ou de l'Etat islamique ? Est-ce qu'il ne faut pas sortir du ni-ni, ni Bachar ni Daech ? Il faut commencer avec une chronologie
JEAN-YVES LE DRIAN
Sur l'Irak et la Syrie, notre volonté et la volonté de la coalition, c'est d'abord d'enrayer la progression, ça a été fait, ensuite, c'est de former les troupes, les forces qui seront à même de reconquérir le territoire, c'est-à-dire les forces irakiennes et les Peshmergas, c'est ce que nous faisons
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais est-ce qu'on va aller en Syrie ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Et ensuite, c'est de faire en sorte que ces forces avec l'appui de la coalition puissent reconquérir le territoire perdu, et annihiler les initiatives de l'Etat islamique
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Monsieur le Ministre de la Défense
JEAN-YVES LE DRIAN
Alors, cette orientation supposera du temps, et en Syrie, nous, nous n'avons pas à choisir entre un terroriste impitoyable et un dictateur sanguinaire qui a effectué 200.000 morts dans sa propre population, mais nous aidons, nous sommes en Syrie, nous aidons l'armée syrienne libre à se constituer, à se former, à s'instruire, et nous l'équipons pour qu'elle puisse reconquérir ce territoire aussi contre Daech et contre Bachar
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pendant 3 ans les occidentaux ont promis de dégager, d'éliminer Bachar, et ce qui se produit c'est que Daech augmente son essor concurrent et criminel. Pour la France, est-ce que le moment approche de bombarder aussi Daech en Syrie ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Nous ne sommes pas dans cette situation aujourd'hui, aujourd'hui nous renforçons, avec les membres de la coalition, l'armée syrienne libre, nous l'équipons, nous la formons, pour qu'elle puisse être la solution à la fausse alternative entre Daech et Bachar El ASSAD.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Dernière question. L'Etat islamique a piraté les comptes Twitter et Youtube du commandement militaire américain au Moyen-Orient, c'est vrai et c'est en même temps incroyable, et en plus Daech ironise, ils diffusent les adresses personnelles des officiers devenus des cibles, et ils disent « attention, on est partout. » Est-ce que le système français est aussi surveillé, protégé, ou est-ce qu'il peut être attaqué par les pirates terroristes ?
JEAN-YVES LE DRIAN
La cyber-guerre c'est la guerre de demain, elle commence déjà aujourd'hui, et la Loi de Programmation Militaire que j'ai présentée au Parlement, intègre cette nouvelle donnée. Demain il y aura une quatrième armée qui s'appellera l'armée cyber, demain il y aura des soldats cyber, et nous avons mis en place un programme d'1 milliard d'euros pour être
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais ça peut se produire en France ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Nous avons les moyens de réagir, nous avons aussi les moyens d'attaquer, mais nous sommes en situation de pouvoir répondre, parce que la cyber-guerre c'est vraiment un outil majeur, contre lequel il faut se défendre, et la France est au rendez-vous.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Merci.
THOMAS SOTTO
Merci Jean-Yves LE DRIAN d'être venu
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On voit bien que le monde a changé !
THOMAS SOTTO
En direct sur Europe 1 ce matin, merci, bonne journée.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 14 janvier 2015