Déclaration de M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur l'enseignement supérieur agronomique et vétérinaire, Paris le 3 octobre 2001.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche agricole, agro-alimentaire et vétérinaire (CNESERAAV) à Paris le 3 octobre 2001

Texte intégral

Je suis heureux de pouvoir aujourd'hui participer à la première réunion du conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche agricole, agro-alimentaire et vétérinaire.
Et je tiens à remercier toutes celles et tous ceux qui siègent aujourd'hui dans cette nouvelle instance, les représentants élus des personnels et des étudiants, tout d'abord, mais aussi les représentants du ministère chargé de l'enseignement supérieur, les représentants des collectivités territoriales, les représentants des directeurs d'écoles et enfin les personnalités qualifiées qui ont accepté de participer à ce conseil.
L'enseignement supérieur public relevant de mon ministère, c'est-à-dire 19 établissements, 9000 étudiants, 1500 IATOS, 1000 enseignants dont 860 enseignants-chercheurs, est enfin doté d'une instance consultative collective. Je ne doute pas que tous ensemble vous en ferez un lieu de débats animés, passionnés et constructifs.
Cet enseignement a fourni un grand nombre des cadres supérieurs de nos administrations européenne, nationale et territoriale, des professions agricoles et vétérinaires, de la recherche et de notre enseignement technique et professionnel ainsi que des activités d'amont et d'aval de l'agriculture. C'est dire le rôle essentiel qu'il a joué dans les changements des quarante dernières années, qui lui permet de jouir d'une notoriété tant en France qu'à l'étranger.
Mais le monde change. Les crises récentes nous ont tous interpellés. Les domaines d'intervention de notre ministère ont évolué et sont aujourd'hui pour beaucoup d'entre-eux partagés et non plus de la compétence exclusive de mon département ministériel ; c'est le cas, par exemple, de la qualité des produits alimentaires, de la sécurité des aliments, de l'environnement, ou encore de l'espace rural, du bien être des animaux et même des méthodes agronomiques.
Tous ces sujets sont au cur des préoccupations de nos concitoyens et la loi d'orientation agricole a l'ambition d'y répondre. C'est une nouvelle conception, une nouvelle approche de l'agriculture dans la société que nous mettons en uvre, dans la perspective du développement durable.
Cette redéfinition et cet élargissement de nos compétences mais en même temps leur partage avec d'autres acteurs publics voire privés, vous les connaissez également dans le domaine de l'enseignement supérieur, agronomique et vétérinaire qui n'est plus dans une situation de quasi-monopole pour un grand nombre de ses filières de formation ; d'autres institutions sont également présentes tant au niveau national qu'au niveau européen en particulier.
De son côté, le système d'enseignement supérieur a évolué. Ainsi, le changement de statut des enseignants de nos établissements, il y aura bientôt dix ans, a changé les modalités de leur recrutement et modifié leurs préoccupations professionnelles en faveur de la recherche. Toutes ces évolutions ont conduit nos écoles à organiser et à développer des liens de coopération avec les autres institutions de recherche et d'enseignement supérieur, aux plans local, national, européen et international.
Ces liens, de plus en plus nombreux avec, dans la plupart des cas, des partenaires de plus grande taille ou rattachés à des grands organismes nationaux, sont aujourd'hui indispensables mais les moyens humains et financiers sont rarement équilibrés et posent la question de l'identité collective et de la stratégie commune de l'ensemble du dispositif d'enseignement supérieur et de recherche sous tutelle de notre ministère.
Cette question de l'identité, qui a été bien mise en avant dans la synthèse nationale de PROSPEA, concerne à la fois l'enseignement technique et l'enseignement supérieur.
Pour renforcer notre identité, vous avez, nous avons des atouts puisque vous travaillez sur les champs qui sont aujourd'hui essentiels pour nos concitoyens. Former les futurs cadres qui vont être chargés des questions considérées comme les plus sensibles pour leur avenir par les femmes et les hommes de notre pays, c'est le plus beau, le plus grand défi que nous pouvons avoir ensemble.
Cette identité, elle doit se construire autour d'un projet d'ensemble pour une meilleure efficacité du service public de l'enseignement supérieur agronomique et vétérinaire, projet d'un engagement contractuel avec la tutelle qui englobe tous nos établissements, chacun y trouvant sa place à partir du projet d'école.
Deux ans après le vote de la LOA, dont plusieurs articles sont consacrés aux missions et à l'organisation de l'enseignement supérieur, un an après la mise en place des chantiers de PROSPEA concernant notamment la coopération internationale, la formation professionnelle continue ou les conséquences de la Loi sur les savoirs et les qualifications, le temps est venu d'afficher nos ambitions pour notre enseignement supérieur, d'affirmer qu'il doit occuper une place éminente dans les domaines des sciences du vivant et des milieux naturels au niveau national et européen, comme au niveau international.
Je souhaite que nous nous en donnions les moyens.
Mon ambition est de donner plus de lisibilité, de cohérence, de souplesse et d'efficacité à notre système qui doit conserver son caractère spécifique à la fois scientifique, technologique et professionnel.
Il s'agit d'abord de conforter nos disciplines de base que sont notamment l'agronomie et la médecine vétérinaire, en réaffirmant la méthodologie de l'approche systémique, seule en mesure d'appréhender et d'enseigner la complexité du vivant ; mais il convient également de renforcer la coopération nécessaire avec le système universitaire fondé sur les disciplines académiques pour favoriser, entre autres, la participation aux écoles doctorales en y apportant notre culture spécifique.
Un renforcement des sciences sociales, économiques et juridiques dans nos formations est par ailleurs indispensable pour, notamment, aider à comprendre et à prévoir les évolutions des demandes de la société.
Cette lisibilité et cette cohérence doivent se traduire dans le cursus de nos étudiants. Ces cursus doivent s'inscrire dans une volonté de former de façon adaptée aux nouveaux métiers de la production, de la transformation et de la commercialisation des aliments et à ceux de l'environnement.
Je souhaite ainsi que nous allions ensemble vers des programmes pédagogiques de formation qui permettent une diversité des parcours et une harmonisation des niveaux de qualifications dans le cadencement de 3/5/8 ans, de plus en plus reconnu au plan européen
Il est nécessaire, en effet, que nous donnions à nos étudiants des bases communes de connaissances, qui leur permettent ensuite des mobilités plus aisées. Cette réflexion est en particulier utile pour éclairer, entre autres, la mise en uvre des missions des futurs fonctionnaires et, notamment, ceux du nouveau corps des IGREF et des vétérinaires inspecteurs.
Il est en même temps indispensable d'élargir les origines de recrutement de nos étudiants, en particulier en favorisant la promotion des diplômés de l'enseignement technique agricole.
La mission de recherche de nos établissements, même si son développement est récent, a modifié le fonctionnement et l'organisation de nos établissements. La place qu'elle prendra dans notre dispositif sera déterminante pour l'avenir de celui-ci, car nos établissements devront de plus en plus assurer à la fois la formation à la recherche et la formation par la recherche. Ceci demande une mobilité croissante des chercheurs, des enseignants-chercheurs et des doctorants entre équipes qui coopèrent. Plus encore que pour la formation des cadres des métiers du vivant, la recherche dans ce domaine nécessite une concentration de moyens humains et matériels de plus en plus importante.
Séparément, nos écoles seront de moins en moins en mesure d'assurer leur mission de recherche. D'ailleurs, au travers des coopérations locales ou nationales, nos établissements travaillent déjà avec les laboratoires universitaires et les grands organismes de recherche, en particulier avec ceux qui sont sous ma tutelle partagée. Au-delà de ce qui a déjà été fait, je souhaite encourager le développement de ces unités mixtes de recherche (UMR), et que nous trouvions les formules contractuelles permettant une reconnaissance équilibrée de la place de chaque composante.
Enfin, parmi les missions de nos écoles, la formation professionnelle continue va prendre de plus en plus de place. La loi de modernisation sociale présentée par le gouvernement consacre une partie importante à la formation professionnelle ; afin de favoriser la formation tout au long de la vie, elle améliore très sensiblement la reconnaissance de l'expérience professionnelle pour les formations diplômantes.
Il est indispensable que notre enseignement supérieur prenne toute sa place dans le développement de la formation continue, comme cela est déjà le cas pour notre enseignement technique et professionnel. Il convient, dans un marché concurrentiel, que nos établissements du supérieur élaborent et mettent en uvre une offre coordonnée de formation continue, en liaison avec nos EPL pour la diffusion sur tout le territoire. Je souhaite que le service public prenne toute sa place dans ce domaine.
Les nouvelles technologies de l'information et de la communication commencent à modifier les méthodes d'apprentissage ainsi que les rapports pédagogiques entre les enseignants et les étudiants. L'enjeu en ce domaine est immense ; il s'agit d'un combat pour notre culture et son influence internationale. Là encore, les moyens à mobiliser sont très lourds - moyens intellectuels, moyens matériels - pour construire l'université virtuelle des sciences du vivant.
Sur tous les thèmes que je viens d'évoquer, et peut-être plus particulièrement en matière de recherche et de nouvelles technologies, la concurrence internationale est de plus en plus vive, compte tenu du poids des systèmes d'enseignement supérieur anglo-saxons et de leur rôle de référence. Par ailleurs, les dispositifs d'enseignement supérieur et de recherche sont des facteurs importants de compétitivité du potentiel agricole et agro-alimentaire français et européen sur la scène internationale.
A l'heure où se construisent, chaque jour un peu plus, les espaces européens de la recherche et de l'enseignement supérieur, c'est ensemble qu'il faut se mettre en ordre de marche afin, par exemple, d'offrir un cadre commun pour l'échange d'enseignants, d'enseignants-chercheurs et d'étudiants étrangers.
Le constat que je viens de faire sur les missions de formation, de recherche, de coopération internationale, je pourrais le faire aussi pour les autres missions de nos établissements d'enseignement supérieur, qu'il s'agisse de veille scientifique et technique, d'innovation, de développement, de valorisation des résultats de la recherche, ou encore de diffusion de l'information scientifique et technique. Sur tous ces thèmes, compte tenu de la rapidité des évolutions technologiques et du renforcement de la concurrence tant nationale qu'internationale, nous avons intérêt à " jouer groupés ", comme on dit dans un sport collectif qui m'est cher.
Voici, Mesdames et Messieurs, mon ambition pour notre enseignement supérieur, les lignes d'un projet.
Pour le mener à bien, pour affirmer notre identité, il faut que vous puissiez travailler plus et mieux ensemble, que nous travaillions de manière coordonnée avec des orientations clairement définies.
Il faut que nous adaptions nos structures au service de cette ambition. Il est nécessaire d'avoir en commun un projet décliné en grands programmes qui permettent au plus grand nombre d'être associé au projet global.
Il est nécessaire, par ailleurs, que chaque composante maintienne son ancrage régional, notamment ses liens avec les collectivités territoriales dont nombre se sont fortement engagés en faveur de nos établissements, dans le respect des répartitions des compétences issues des lois de décentralisation.
La loi nous offre le cadre qui devrait nous permettre de progresser dans cette voie, puisqu'elle dispose (dans l'article L 812-5 du code rural) " qu'un ou plusieurs établissements publics d'enseignement supérieur agricole peuvent constituer un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel ou selon les besoins, soit entre eux, soit avec d'autres personnes morales de droit public ou de droit privé, un groupement d'intérêt public, doté de la personnalité morale et de l'autonomie financière, afin :
1° soit de créer, sur proposition du ministre de l'agriculture, des pôles de compétence à vocation internationale ;
2° soit d'exercer en commun des activités de caractère scientifique, technique, professionnel, éducatif et culturel, ou de gérer des équipements ou des services d'intérêt commun ".
Je souhaite donc que nous nous réfléchissions à la mise en place d'une structuration cohérente de nos 19 écoles.
Pourquoi cette nécessaire structuration ?
Pour assurer :
- une cohérence de nos cursus,
- une programmation des grands axes d'innovation-recherche-développement,
- une offre commune de formation continue,
- une fonction de veille et prospective sur les filières professionnelles et des métiers,
- une approche commune à l'international,
un développement d'une université virtuelle des sciences du vivant ;
- à ces missions, il convient d'ajouter :
- une mobilité interne de nos étudiants et de nos enseignants-chercheurs,
- une politique commune de communication,
- une animation collective de la vie étudiante.
Dans ce cadre, il est souhaitable que nous mettions en place une organisation des disciplines, facilitant les échanges entre enseignants-chercheurs d'une même discipline autour de l'élaboration de projets de recherche, et facilitant les échanges interdisciplinaires pour l'établissement des cursus de formation. Mais, ceci, en ayant toujours à l'esprit le nécessaire maintien de l'approche systémique tant pour la formation de nos étudiants, que pour les actions de recherche.
Une autre préoccupation doit également nous animer, il s'agit de la promotion et du recrutement de nos enseignants-chercheurs. Je crois que dans un cas, comme dans l'autre, il convient de revenir sur les méthodes d'évaluation qui, aujourd'hui, pour des raisons de facilité, sont trop orientées sur les seules activités de recherche et, qui plus est, sur les recherches académiques.
Là aussi, je crois que nous devons réaffirmer notre identité par rapport à des modèles, sans doute bien adaptés à l'université mais qui, appliqués sans nuance dans notre système, ne permettent pas de prendre en compte l'ensemble de ses missions. Il est également important de réfléchir à l'articulation et à la cohérence des différents types d'évaluation : évaluation individuelle, évaluation des équipes, des formations, des établissements et des politiques publiques. La loi d'orientation agricole prévoit que " l'enseignement supérieur agricole public est régulièrement évalué ". Il faut que le travail des différentes instances qui participent à ces évaluations soit coordonné.
Je sais que vous partagez l'essentiel de ces préoccupations et que les réflexions autour d'une approche fédérative se sont multipliées.
La structuration que je propose n'est pas définitivement arrêtée à ce jour, ni dans son contenu, ni dans sa forme juridique, mais le cadre législatif existe.
Elle ne doit pas être un étage supplémentaire compliquant la liaison ascendante et descendante avec la tutelle ; elle doit disposer de compétences précises tout en jouant le plus possible sur le principe de la subsidiarité pour les écoles.
Mon objectif est qu'elle puisse se mettre en place rapidement. Je souhaite donc qu'un projet puisse vous être présenté lors de votre prochaine séance, fin décembre ou début janvier.
D'ici là, je demande à la DGER de poursuivre rapidement le travail engagé avec les directeurs d'établissements et bien sûr d'approfondir la concertation, tant avec les représentants syndicaux des enseignants, des IATOS et des étudiants, qu'avec les organismes de recherche partenaires et les représentants de l'enseignement supérieur du Ministère de l'Éducation nationale.
Je souhaite notamment que chaque directeur organise dans son établissement une consultation des différents conseils ; mon souci est bien à la fois de prendre en compte les initiatives déjà engagées, de valoriser les synergies existantes, et d'en développer d'autres là où c'est nécessaire.
Sur cette question de l'avenir de l'enseignement supérieur agronomique et vétérinaire, beaucoup de choses ont été dites et écrites depuis une vingtaine d'années. Des rapports ont été remis, des initiatives ont été annoncées, sans déboucher. Aujourd'hui, il est temps d'aboutir.
Je souhaite que nous réussissions cette échéance-ci. Je suis déterminé. Je propose une réforme de raison qui permette à notre enseignement supérieur de trouver sa place dans le nouveau contexte éducatif européen et qui lui donne également la possibilité de répondre encore mieux aux inquiétudes de nos concitoyens.
(source http://www.agriculture.gouv.fr, le 08 octobre 2001)