Texte intégral
Je suis très heureux de ce débat.
Vous avez tous rappelé que l'Europe est le premier contributeur mondial à l'aide publique au développement. Mais celle-ci est remise en cause dans sa légitimité et son identité. Son efficacité est contestée dès lors que la marginalisation de nombreux pays s'accentue en dépit de cette aide. En outre, celle-ci entraîne une interdépendance qui accentue parfois les difficultés des pays en développement, quand les pays développés soulèvent la question du respect des normes sociales ou environnementales...
Nous sommes au coeur de la renégociation des Accords de Lomé, lien privilégié et tout à fait exemplaire entre l'Union européenne et les pays ACP.
M. Barbier a eu raison de rappeler que la situation géopolitique a considérablement changé depuis les premiers Accords de Lomé, avec la mondialisation économique, l'irruption des nouvelles technologies de la communication, l'accès de l'Union européenne à la dimension politique, la mise en place de l'OMC. J'ajoute que, les élections européennes approchant, il n'est pas inintéressant de parler de l'Europe.
Avant de rappeler les principes qui nous guident et les positions que nous défendons dans les enceintes européennes, j'insiste sur la nécessité d'une meilleure efficacité et d'une meilleure coordination de l'aide européenne. Comme nous y a appelé notamment M. Charasse, nous devons établir une meilleure relation entre l'aide multilatérale européenne et l'aide bilatérale française. Des progrès restent à accomplir dans cette voie.
- Les principes de notre action en matière de développement, qui sont au coeur des Accords de Lomé, ont été rappelés par M. Lagauche : il s'agit de concentrer nos actions sur les populations les plus défavorisées ; répondre aux aspirations démocratiques et s'attacher au respect des Droits de l'Homme ; aider l'insertion des pays en développement dans l'économie mondiale.
A propos du premier point, un débat a eu lieu sur le périmètre de l'aire ACP. Certains auraient aimé qu'il englobe tous les PMA, sans tenir compte de la relation privilégiée que certains d'entre eux entretiennent avec l'Europe. La France a préféré s'en tenir à un ensemble géographique cohérent plutôt qu'à une zone en "peau de léopard". Elle a défini une zone de solidarité prioritaire.
Quant à l'ambition démocratique, vous vous interrogez sur la conditionnalité de l'aide, comme Mme Bidard-Reydet ou M. Barnier qui a souligné le besoin de prendre en compte les situations des uns et des autres tout en ne cédant pas sur un bloc commun de valeurs rappelle que le traité instituant la Communauté européenne accorde en matière de coopération et de développement une place fondamentale à la promotion des Droits de l'homme, de l'Etat de droit et de la démocratie. Il était naturel que la Convention de Lomé se réfère à ces éléments essentiels. Leur violation est sanctionnée par la suspension partielle, ou la non-exécution des accords de coopération, selon l'article 366 bis.
Cette question est au coeur de la renégociation des accords. Les pays ACP souhaiteraient obtenir un droit de regard sur les décisions de l'Union et craignent la notion de "bonne gouvernance" comme le soulignait Mme Bidard-Reydet. La France et l'Union n'entendent pas transiger : on ne peut se priver d'une capacité de réaction lorsque les valeurs qui guident la construction européenne sont bafouées. Toutefois, la France n'envisage pas la dimension politique de l'accord sous un angle exclusivement coercitif. C'est le dialogue politique qui doit faire progresser les Droits de l'Homme, et l'Etat de droit en évitant à tout prix des situations de blocage. Ainsi, si nous suspendons les coopérations d'Etat à Etat, nous ne supprimons pas notre aide directement orientée vers les populations civiles.
En matière de Droits de l'Homme nous tenons à marquer l'importance des droits sociaux. C'est sous cet angle que la candidature de Cuba, où des progrès restent à accomplir sur le plan de libertés publiques mais où les droits sociaux sont mieux respectés que dans beaucoup de pays, en développement ou non, doit être considérée.
Quant à l'insertion dans l'économie mondiale, vous avez tous souligné le lien entre commerce et aide au développement. Cette approche européenne se distingue de la dérive américaine "Trade but not aid".
La prochaine conférence ministérielle de l'OMC se tiendra à Seattle en novembre et décembre. Elle se prononcera sur l'opportunité d'un nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales. A la demande de l'Union et de la France, les problèmes, des pays en développement et des pays les moins avancés y seront tout spécialement pris en compte. L'Union considère qu'il faut privilégier leur accès aux marchés des pays développés. La Conférence de Rio offrira à cet égard l'occasion d'un dialogue entre l'Europe et l'Amérique latine.
L'Union souhaite aussi que l'assistance technique aux pays en développement soit renforcée, notamment pour les aider à résoudre les contentieux commerciaux : ils sont en effet démunis des armées d'experts et de juristes dont disposent les pays développés.
M. Barnier m'a interrogé sur les flux d'investissements privés quasi nuls vers les ACP, tandis que M. Lagauche a insisté sur la nécessité des microcrédits et du développement du secteur privé. Il est vrai que les investissements privés à destination de l'Afrique subsaharienne - avec 2 % du total mondial - sont tout à fait insuffisants. L'image de l'Afrique, avec ses violences et ses guerres, ne constitue peut-être pas le meilleur argument pour attirer les capitaux ; mais on oublie trop souvent les résultats positifs obtenus ici et là, notamment en Afrique occidentale. Nous nous efforçons donc d'aider à orienter les capitaux privés vers les pays en développement, notamment africains. Nous avons mis au point, en coopération avec le CNPF mais aussi avec des investisseurs privés d'Afrique noire un site Internet intitulé "investir en zone franc", qui offre la meilleure banque de données sur les réalités fiscales, économiques et sociales de ces pays aux investisseurs privés, français et autres.
Je rappelle que l'un des trois axes de la renégociation de Lomé est l'appui au secteur privé dans le processus de développement, ce qui renvoie au problème des règles fiscales et de la sécurisation des investissements. L'organisation pour l'harmonisation du droit des affaires participe à la recherche de solutions.
La Commission avait adopté en 1997 une résolution soulignant l'importance du rôle joué par le microcrédit pour résoudre les problèmes de pauvreté. La France accorde une grande importance à la promotion de l'initiative privée et des activités de proximité animées notamment par des groupes de femmes et qui peuvent être aidées par une offre de crédit mieux adaptée. Elle considère que les bailleurs de fonds doivent porter leurs efforts sur la création et le renforcement des institutions viables financièrement, capables de procureur des services financiers de base au plus grand nombre.
L'annulation de la dette peut donner aux pays pauvres une marge de manoeuvre supplémentaire pour promouvoir leur croissance. L'amélioration des mécanismes d'allégement de la dette des pays du Sud les plus pauvres est envisagée. Le prochain Sommet du G8 à Cologne sera en partie consacré à ce sujet. De nombreuses voix s'élèvent, notamment du côté des ONG, pour critiquer l'insuffisance des mesures de réduction de la dette prises jusqu'à présent.
J'ai présenté avec M. Strauss-Kahn il y a quelques semaines, l'initiative française dans ce domaine. Nous avons fait des propositions significatives sur deux points sensibles : le financement par les pays développés et l'utilisation par les pays bénéficiaires des marges de manoeuvre ainsi dégagées... L'annulation du service de la dette sur les créances d'aide publique au développement pour trente ans répond à une revendication des ONG.
Elle est conforme au principe d'équité car le partage du fardeau de nos partenaires réside non seulement dans l'annulation des créances résiduelles mais également dans la poursuite des actions en faveur des pays en développement.
L'insuffisance de l'aide publique apportée par certains pays - et non des moindres - pose problème. Un seul chiffre : si la proposition française était retenue, cela représenterait pour notre seul pays une charge de deux milliards et demi de dollars, ce qui est tout à fait considérable !
Nous souhaitons que ces mesures soient réservées avant tout aux pays respectueux de la bonne gouvernance et des Droits de l'Homme. Nous instaurerons donc une période probatoire avant de les mettre en oeuvre.
Nous voulons aussi que des mécanismes de suivi, pays par pays, de l'utilisation des marges des manoeuvres soient constitués. M. Barnier m'a demandé si nous allions privilégier les aides budgétaires ou les aides aux projets. Nous sommes en fait favorables à un "mixage", les décisions étant prises au terme d'un dialogue serré et constructif avec les intéressés.
Il est essentiel que l'Union européenne veille à ce que les créances de l'ACP ne pèsent pas d'un poids excessif sur leur développement. Elle fait déjà des efforts très importants puisqu'elle n'octroie plus que des dons, ce qui limite le poids de la dette de ces pays, et qu'elle est en "transfert positif" sur tous ces pays, ce qui veut dire que ce qu'elle leur donne dépasse ce qu'ils lui doivent.
M. Pelletier m'a interrogé sur le niveau des aides et M. Ambroise Dupont sur leur destination géographique. Je rappelle que selon l'Agenda 2000, le niveau de l'action extérieure de l'Union est maintenu en termes réels et que la part de la France est de 21,3 % alors que pour les autres dépenses celle-ci ne dépasse pas 18 %.
MM. Lagauche, Del Picchia et Mme Bidard-Reydet ont plaidé pour une coopération européenne plus cohérente. Ils ont raison. L'efficacité passe par un discours cohérent, concerté, univoque. Nous devons être capables, nous Européens, de parler d'une même voix. Aujourd'hui, les débats sur le développement sont conduits avant tout au sein du FMI et de la Banque mondiale, voire de l'OMC. Or l'Europe accompagne plus qu'elle ne détermine dans ces enceintes. Elle n'exerce pas l'influence qui correspond à son poids économique et à ses financements. C'est dans cet esprit que j'ai lancé un appel avec mes homologues allemand et britannique et je pense qu'une vraie dynamique est désormais lancée.
J'estime d'ailleurs que la Francophonie peut jouer un rôle de relais pour renforcer notre influence dans ces institutions avant chaque grand rendez-vous, les francophones pourraient se réunir pour définir une position commune. Ce point a été abordé à Monaco.
Lors du dernier Conseil de développement, nous avons, proposé, puisque M. Prodi veut modifier l'organigramme de la Commission, qu'un seul commissaire soit en charge de toutes les questions de développement. Nous avons également demandé un rapport annuel sur la politique d'aide au développement de l'Union. Nous avons discuté des résultats d'une évaluation des instruments et programmes de développement de l'aide communautaire. Ce bilan met l'accent, comme le rapport Tavernier, sur la nécessaire complémentarité de nos actions, il fait aussi apparaître que l'aide aux ACP s'est révélée la plus efficace des programmes communautaires.
Comme l'a dit M. Charasse, il est certes nécessaire de consolider la présence européenne dans les pays en développement et donner plus de publicité à la coopération bilatérale française. Cela passe certainement par un meilleur dialogue avec les représentants de ce pays et une meilleure information de nos diplomates. Il s'agit souvent d'une question de personnes. Et puis il y a aussi ce sentiment de culpabilité qu'il nous faut oublier. Ni nostalgie, ni culpabilité : telle doit être la règle de notre comportement à l'égard de ces pays.
Je voudrais aborder un sujet qui ne l'a pas été ce matin et qui me tient à coeur celui de la migration et du développement. Je crois en effet impossible de parler d'aide au développement sans qu'il y ait une politique commune en matière de migrations.
J'ai donc suggéré en novembre 1997 au Conseil de développement une meilleure coordination des actions menées sur ce thème. Un séminaire s'est tenu à Paris le 19 mars réunissant des représentants de treize pays de l'Union et un représentant de la Commission. La Convention de Lomé permet déjà de prendre en compte des aides aux retours et, pour les pays méditerranéens, la Déclaration de Barcelone prévoit un partenariat social, culturel avec un chapitre sur l'immigration. Les participants ont marqué un intérêt, pour le concept français de codéveloppement et la nécessité d'inclure la question des migrations dans le dialogue avec les pays en développement. Un groupe de travail "asile et migration" a été constitué et il pourrait rendre ses contusions lors du Sommet de Tempere en Finlande en octobre prochain.
M. Barnier a beaucoup parlé de la coopération décentralisée, c'est aussi un sujet qui me tient à coeur. Nous avons décidé l'envoi d'une mission à Bruxelles pour défendre ce dossier car la coopération décentralisée n'a pas la même signification dans tous les pays membres. D'ores et déjà, nous avons entrepris de sensibiliser nos partenaires à cette dimension essentielle du développement. Je rappelle que nous avons engagé une action pour la reconstruction des Balkans avec les collectivités locales. Lors d'un récent voyage en Macédoine, j'ai d'ailleurs tenu à me faire accompagner par MM. Puech et Delevoye pour montrer mon souci d'associer les collectivités locales. De même, j'étais mardi à Stockholm pour traiter des problèmes de pays touchés par l'ouragan Mitch et je me suis fait accompagner par des représentants d'ONG et de collectivités locales.
Pour les Balkans, il est normal que le Haut-commissariat aux réfugiés soit le chef de file et le coordinateur des principales aides ; encore faut-il lui donner les moyens de mener à bien ses missions. L'appel aux forces alliées a ainsi permis de résoudre les problèmes dé logistique et de sécurité.
La notion de volontariat est par nature un peu contradictoire avec l'idée de coordination. Nous avons néanmoins tenté de les concilier en Albanie afin de donner la plus grande efficacité possible aux interventions, quelque peu désordonnées, des collectivités locales. Je souscris volontiers à l'idée de mieux impliquer les ambassadeurs. Lors de la dernière conférence de nos diplomates, en août, j'avais demandé qu'un atelier sur là coopération décentralisée soit organisé. Nous avons dû refuser du monde. Voilà qui démontre l'intérêt de nos ambassadeurs pour le sujet. Nous allons aussi continuer à organiser des rencontres par pays, réunissant toutes les collectivités locales s'y intéressant. Et à l'initiative de M. Chevènement je dois prochainement entretenir les préfets de la coopération décentralisée. Le temps est loin où celle-ci était "hors-la-loi" et je m'en félicite.
M. Lagauche a insisté, à juste titre, sur la prévention des conflits. Sans paix, il n'y a pas de développement. L'Union européenne attache une grande importance à cette question et son appui à l'OUA en témoigne. Le dernier conseil du développement du 21 mai a adopté une résolution appelant à une meilleure prise en compte du problème de l'accumulation et de la dissémination des armes légères, ce qui répond à notre propre engagement dans la prévention des conflits en Afrique, fondé sur deux principes la multilatéralisation, sous l'égide de l'OUA ou de l'ONU, et la régionalisation, qui en regroupant les forces armées de plusieurs pays, les habitue à travailler ensemble.
J'en viens aux négociations relatives aux renouvellements de la Convention de Lomé. En juin 1998, l'Union européenne a confié un mandat de négociation à la Commission ; les discussions se sont ouvertes le 30 septembre à Bruxelles, et à la mi-février de cette année s'est tenue la conférence de Dakar. Sur les volets, politique et institutionnel, on a bien avancé. La "bonne gouvernance" sera inscrite dans la convention. Cependant, dès lors que des sanctions seraient prévues, il conviendra d'adopter une formulation précise afin d'éviter toute différence d'interprétation.
La stratégie d'aide au développement fait également l'objet d'un accord : qu'il s'agisse de la lutte contre la pauvreté et de l'accès à la santé et à l'éducation, ou de l'aide au secteur privé.
Le volet commercial pose plus de problèmes, puisque deux conceptions s'affrontent. La majorité des pays européens, dont la France, souhaitent inscrire les relations avec les pays ACP dans le cadre de partenariats économiques régionaux, correspondant largement aux unions douanières en train de se mettre en place, en Afrique notamment. C'est le moyen d'intégrer ces pays progressivement au marché mondial, en évitant que les plus fragiles ne soient balayés, par une ouverture sans grand vent de l'économie mondiale. Les accords pourraient être mis eu place d'ici 2005 et l'accès réciproque aux marchés se faire sur une période de dix ans environ, en fonction des situations locales.
Les pays ACP préféreraient reporter cette échéance à 2010. Si nous ne parvenons pas à nous entendre, les règles de l'OMC risquent de nous rattraper - rappelons-nous l'affaire de la banane !
Cette conception correspond au mandat donné à la Commission. Mais les partisans du libre-échange exacerbé veulent promouvoir un système de préférences commerciales harmonisé. Cependant, nous considérons que cette stratégie d'ouverture au monde sans filet n'est pas appropriée pour les pays en développement. Il faut donner le temps au temps. Nous espérons que les Européens confirmeront le mandat de la Commission, pour ne pas créer d'incertitudes qui retarderaient le calendrier.
L'autre volet difficile à négocier concerne les instruments financiers. La France tente de persuader les Européens et les pays ACP de maintenir le Stabex et le Sysmin, rénovés bien sûr, afin de continuer à assurer un revenu stable aux producteurs.
Le mandat de l'Union européenne consacre le maintien du mécanisme mais cela n'a pas été facile à obtenir car la France était isolée au départ et les pays ACP s'inquiètent encore des modalités d'adaptation de ces instruments.
Tout cela sera à nouveau révoqué à Bruxelles les 29 et 30 juillet prochains. La convention actuelle expire fin février 2000, la nouvelle entrera donc en vigueur sous la présidence portugaise voire, si nous prenons du retard, après juillet 2000, sous présidence française.
La négociation concernant le renouvellement du FED devrait aboutir à peu près à la même époque. Les procédures d'utilisation feront bien sûr l'objet de discussions avec nos partenaires. La construction européenne a sa logique de transfert de souveraineté : c'est la Commission de Bruxelles qui est chargée de ce dossier. Je précise à M. Charasse que si ce sont des fonctionnaires des pays membres qui sont consultés, les ministres ne sont en aucun cas "écartés" de la consultation.
Notre devoir, et notre intérêt, nous dictent d'améliorer encore notre action à l'égard des PVD. Ils attendent de nous, les pays africains notamment, que nous les aidions à entrer dans le prochain siècle. Nos valeurs de solidarité nous incitent à engager une politique commune de coopération. Et la renégociation. des Accords de Lomé est l'occasion de faire preuve d'imagination pour améliorer notre solidarité avec le monde en développement. Je ne doute pas que ces ambitions sont partagées par les membres de votre Haute Assemblée.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 mai 1999)
Vous avez tous rappelé que l'Europe est le premier contributeur mondial à l'aide publique au développement. Mais celle-ci est remise en cause dans sa légitimité et son identité. Son efficacité est contestée dès lors que la marginalisation de nombreux pays s'accentue en dépit de cette aide. En outre, celle-ci entraîne une interdépendance qui accentue parfois les difficultés des pays en développement, quand les pays développés soulèvent la question du respect des normes sociales ou environnementales...
Nous sommes au coeur de la renégociation des Accords de Lomé, lien privilégié et tout à fait exemplaire entre l'Union européenne et les pays ACP.
M. Barbier a eu raison de rappeler que la situation géopolitique a considérablement changé depuis les premiers Accords de Lomé, avec la mondialisation économique, l'irruption des nouvelles technologies de la communication, l'accès de l'Union européenne à la dimension politique, la mise en place de l'OMC. J'ajoute que, les élections européennes approchant, il n'est pas inintéressant de parler de l'Europe.
Avant de rappeler les principes qui nous guident et les positions que nous défendons dans les enceintes européennes, j'insiste sur la nécessité d'une meilleure efficacité et d'une meilleure coordination de l'aide européenne. Comme nous y a appelé notamment M. Charasse, nous devons établir une meilleure relation entre l'aide multilatérale européenne et l'aide bilatérale française. Des progrès restent à accomplir dans cette voie.
- Les principes de notre action en matière de développement, qui sont au coeur des Accords de Lomé, ont été rappelés par M. Lagauche : il s'agit de concentrer nos actions sur les populations les plus défavorisées ; répondre aux aspirations démocratiques et s'attacher au respect des Droits de l'Homme ; aider l'insertion des pays en développement dans l'économie mondiale.
A propos du premier point, un débat a eu lieu sur le périmètre de l'aire ACP. Certains auraient aimé qu'il englobe tous les PMA, sans tenir compte de la relation privilégiée que certains d'entre eux entretiennent avec l'Europe. La France a préféré s'en tenir à un ensemble géographique cohérent plutôt qu'à une zone en "peau de léopard". Elle a défini une zone de solidarité prioritaire.
Quant à l'ambition démocratique, vous vous interrogez sur la conditionnalité de l'aide, comme Mme Bidard-Reydet ou M. Barnier qui a souligné le besoin de prendre en compte les situations des uns et des autres tout en ne cédant pas sur un bloc commun de valeurs rappelle que le traité instituant la Communauté européenne accorde en matière de coopération et de développement une place fondamentale à la promotion des Droits de l'homme, de l'Etat de droit et de la démocratie. Il était naturel que la Convention de Lomé se réfère à ces éléments essentiels. Leur violation est sanctionnée par la suspension partielle, ou la non-exécution des accords de coopération, selon l'article 366 bis.
Cette question est au coeur de la renégociation des accords. Les pays ACP souhaiteraient obtenir un droit de regard sur les décisions de l'Union et craignent la notion de "bonne gouvernance" comme le soulignait Mme Bidard-Reydet. La France et l'Union n'entendent pas transiger : on ne peut se priver d'une capacité de réaction lorsque les valeurs qui guident la construction européenne sont bafouées. Toutefois, la France n'envisage pas la dimension politique de l'accord sous un angle exclusivement coercitif. C'est le dialogue politique qui doit faire progresser les Droits de l'Homme, et l'Etat de droit en évitant à tout prix des situations de blocage. Ainsi, si nous suspendons les coopérations d'Etat à Etat, nous ne supprimons pas notre aide directement orientée vers les populations civiles.
En matière de Droits de l'Homme nous tenons à marquer l'importance des droits sociaux. C'est sous cet angle que la candidature de Cuba, où des progrès restent à accomplir sur le plan de libertés publiques mais où les droits sociaux sont mieux respectés que dans beaucoup de pays, en développement ou non, doit être considérée.
Quant à l'insertion dans l'économie mondiale, vous avez tous souligné le lien entre commerce et aide au développement. Cette approche européenne se distingue de la dérive américaine "Trade but not aid".
La prochaine conférence ministérielle de l'OMC se tiendra à Seattle en novembre et décembre. Elle se prononcera sur l'opportunité d'un nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales. A la demande de l'Union et de la France, les problèmes, des pays en développement et des pays les moins avancés y seront tout spécialement pris en compte. L'Union considère qu'il faut privilégier leur accès aux marchés des pays développés. La Conférence de Rio offrira à cet égard l'occasion d'un dialogue entre l'Europe et l'Amérique latine.
L'Union souhaite aussi que l'assistance technique aux pays en développement soit renforcée, notamment pour les aider à résoudre les contentieux commerciaux : ils sont en effet démunis des armées d'experts et de juristes dont disposent les pays développés.
M. Barnier m'a interrogé sur les flux d'investissements privés quasi nuls vers les ACP, tandis que M. Lagauche a insisté sur la nécessité des microcrédits et du développement du secteur privé. Il est vrai que les investissements privés à destination de l'Afrique subsaharienne - avec 2 % du total mondial - sont tout à fait insuffisants. L'image de l'Afrique, avec ses violences et ses guerres, ne constitue peut-être pas le meilleur argument pour attirer les capitaux ; mais on oublie trop souvent les résultats positifs obtenus ici et là, notamment en Afrique occidentale. Nous nous efforçons donc d'aider à orienter les capitaux privés vers les pays en développement, notamment africains. Nous avons mis au point, en coopération avec le CNPF mais aussi avec des investisseurs privés d'Afrique noire un site Internet intitulé "investir en zone franc", qui offre la meilleure banque de données sur les réalités fiscales, économiques et sociales de ces pays aux investisseurs privés, français et autres.
Je rappelle que l'un des trois axes de la renégociation de Lomé est l'appui au secteur privé dans le processus de développement, ce qui renvoie au problème des règles fiscales et de la sécurisation des investissements. L'organisation pour l'harmonisation du droit des affaires participe à la recherche de solutions.
La Commission avait adopté en 1997 une résolution soulignant l'importance du rôle joué par le microcrédit pour résoudre les problèmes de pauvreté. La France accorde une grande importance à la promotion de l'initiative privée et des activités de proximité animées notamment par des groupes de femmes et qui peuvent être aidées par une offre de crédit mieux adaptée. Elle considère que les bailleurs de fonds doivent porter leurs efforts sur la création et le renforcement des institutions viables financièrement, capables de procureur des services financiers de base au plus grand nombre.
L'annulation de la dette peut donner aux pays pauvres une marge de manoeuvre supplémentaire pour promouvoir leur croissance. L'amélioration des mécanismes d'allégement de la dette des pays du Sud les plus pauvres est envisagée. Le prochain Sommet du G8 à Cologne sera en partie consacré à ce sujet. De nombreuses voix s'élèvent, notamment du côté des ONG, pour critiquer l'insuffisance des mesures de réduction de la dette prises jusqu'à présent.
J'ai présenté avec M. Strauss-Kahn il y a quelques semaines, l'initiative française dans ce domaine. Nous avons fait des propositions significatives sur deux points sensibles : le financement par les pays développés et l'utilisation par les pays bénéficiaires des marges de manoeuvre ainsi dégagées... L'annulation du service de la dette sur les créances d'aide publique au développement pour trente ans répond à une revendication des ONG.
Elle est conforme au principe d'équité car le partage du fardeau de nos partenaires réside non seulement dans l'annulation des créances résiduelles mais également dans la poursuite des actions en faveur des pays en développement.
L'insuffisance de l'aide publique apportée par certains pays - et non des moindres - pose problème. Un seul chiffre : si la proposition française était retenue, cela représenterait pour notre seul pays une charge de deux milliards et demi de dollars, ce qui est tout à fait considérable !
Nous souhaitons que ces mesures soient réservées avant tout aux pays respectueux de la bonne gouvernance et des Droits de l'Homme. Nous instaurerons donc une période probatoire avant de les mettre en oeuvre.
Nous voulons aussi que des mécanismes de suivi, pays par pays, de l'utilisation des marges des manoeuvres soient constitués. M. Barnier m'a demandé si nous allions privilégier les aides budgétaires ou les aides aux projets. Nous sommes en fait favorables à un "mixage", les décisions étant prises au terme d'un dialogue serré et constructif avec les intéressés.
Il est essentiel que l'Union européenne veille à ce que les créances de l'ACP ne pèsent pas d'un poids excessif sur leur développement. Elle fait déjà des efforts très importants puisqu'elle n'octroie plus que des dons, ce qui limite le poids de la dette de ces pays, et qu'elle est en "transfert positif" sur tous ces pays, ce qui veut dire que ce qu'elle leur donne dépasse ce qu'ils lui doivent.
M. Pelletier m'a interrogé sur le niveau des aides et M. Ambroise Dupont sur leur destination géographique. Je rappelle que selon l'Agenda 2000, le niveau de l'action extérieure de l'Union est maintenu en termes réels et que la part de la France est de 21,3 % alors que pour les autres dépenses celle-ci ne dépasse pas 18 %.
MM. Lagauche, Del Picchia et Mme Bidard-Reydet ont plaidé pour une coopération européenne plus cohérente. Ils ont raison. L'efficacité passe par un discours cohérent, concerté, univoque. Nous devons être capables, nous Européens, de parler d'une même voix. Aujourd'hui, les débats sur le développement sont conduits avant tout au sein du FMI et de la Banque mondiale, voire de l'OMC. Or l'Europe accompagne plus qu'elle ne détermine dans ces enceintes. Elle n'exerce pas l'influence qui correspond à son poids économique et à ses financements. C'est dans cet esprit que j'ai lancé un appel avec mes homologues allemand et britannique et je pense qu'une vraie dynamique est désormais lancée.
J'estime d'ailleurs que la Francophonie peut jouer un rôle de relais pour renforcer notre influence dans ces institutions avant chaque grand rendez-vous, les francophones pourraient se réunir pour définir une position commune. Ce point a été abordé à Monaco.
Lors du dernier Conseil de développement, nous avons, proposé, puisque M. Prodi veut modifier l'organigramme de la Commission, qu'un seul commissaire soit en charge de toutes les questions de développement. Nous avons également demandé un rapport annuel sur la politique d'aide au développement de l'Union. Nous avons discuté des résultats d'une évaluation des instruments et programmes de développement de l'aide communautaire. Ce bilan met l'accent, comme le rapport Tavernier, sur la nécessaire complémentarité de nos actions, il fait aussi apparaître que l'aide aux ACP s'est révélée la plus efficace des programmes communautaires.
Comme l'a dit M. Charasse, il est certes nécessaire de consolider la présence européenne dans les pays en développement et donner plus de publicité à la coopération bilatérale française. Cela passe certainement par un meilleur dialogue avec les représentants de ce pays et une meilleure information de nos diplomates. Il s'agit souvent d'une question de personnes. Et puis il y a aussi ce sentiment de culpabilité qu'il nous faut oublier. Ni nostalgie, ni culpabilité : telle doit être la règle de notre comportement à l'égard de ces pays.
Je voudrais aborder un sujet qui ne l'a pas été ce matin et qui me tient à coeur celui de la migration et du développement. Je crois en effet impossible de parler d'aide au développement sans qu'il y ait une politique commune en matière de migrations.
J'ai donc suggéré en novembre 1997 au Conseil de développement une meilleure coordination des actions menées sur ce thème. Un séminaire s'est tenu à Paris le 19 mars réunissant des représentants de treize pays de l'Union et un représentant de la Commission. La Convention de Lomé permet déjà de prendre en compte des aides aux retours et, pour les pays méditerranéens, la Déclaration de Barcelone prévoit un partenariat social, culturel avec un chapitre sur l'immigration. Les participants ont marqué un intérêt, pour le concept français de codéveloppement et la nécessité d'inclure la question des migrations dans le dialogue avec les pays en développement. Un groupe de travail "asile et migration" a été constitué et il pourrait rendre ses contusions lors du Sommet de Tempere en Finlande en octobre prochain.
M. Barnier a beaucoup parlé de la coopération décentralisée, c'est aussi un sujet qui me tient à coeur. Nous avons décidé l'envoi d'une mission à Bruxelles pour défendre ce dossier car la coopération décentralisée n'a pas la même signification dans tous les pays membres. D'ores et déjà, nous avons entrepris de sensibiliser nos partenaires à cette dimension essentielle du développement. Je rappelle que nous avons engagé une action pour la reconstruction des Balkans avec les collectivités locales. Lors d'un récent voyage en Macédoine, j'ai d'ailleurs tenu à me faire accompagner par MM. Puech et Delevoye pour montrer mon souci d'associer les collectivités locales. De même, j'étais mardi à Stockholm pour traiter des problèmes de pays touchés par l'ouragan Mitch et je me suis fait accompagner par des représentants d'ONG et de collectivités locales.
Pour les Balkans, il est normal que le Haut-commissariat aux réfugiés soit le chef de file et le coordinateur des principales aides ; encore faut-il lui donner les moyens de mener à bien ses missions. L'appel aux forces alliées a ainsi permis de résoudre les problèmes dé logistique et de sécurité.
La notion de volontariat est par nature un peu contradictoire avec l'idée de coordination. Nous avons néanmoins tenté de les concilier en Albanie afin de donner la plus grande efficacité possible aux interventions, quelque peu désordonnées, des collectivités locales. Je souscris volontiers à l'idée de mieux impliquer les ambassadeurs. Lors de la dernière conférence de nos diplomates, en août, j'avais demandé qu'un atelier sur là coopération décentralisée soit organisé. Nous avons dû refuser du monde. Voilà qui démontre l'intérêt de nos ambassadeurs pour le sujet. Nous allons aussi continuer à organiser des rencontres par pays, réunissant toutes les collectivités locales s'y intéressant. Et à l'initiative de M. Chevènement je dois prochainement entretenir les préfets de la coopération décentralisée. Le temps est loin où celle-ci était "hors-la-loi" et je m'en félicite.
M. Lagauche a insisté, à juste titre, sur la prévention des conflits. Sans paix, il n'y a pas de développement. L'Union européenne attache une grande importance à cette question et son appui à l'OUA en témoigne. Le dernier conseil du développement du 21 mai a adopté une résolution appelant à une meilleure prise en compte du problème de l'accumulation et de la dissémination des armes légères, ce qui répond à notre propre engagement dans la prévention des conflits en Afrique, fondé sur deux principes la multilatéralisation, sous l'égide de l'OUA ou de l'ONU, et la régionalisation, qui en regroupant les forces armées de plusieurs pays, les habitue à travailler ensemble.
J'en viens aux négociations relatives aux renouvellements de la Convention de Lomé. En juin 1998, l'Union européenne a confié un mandat de négociation à la Commission ; les discussions se sont ouvertes le 30 septembre à Bruxelles, et à la mi-février de cette année s'est tenue la conférence de Dakar. Sur les volets, politique et institutionnel, on a bien avancé. La "bonne gouvernance" sera inscrite dans la convention. Cependant, dès lors que des sanctions seraient prévues, il conviendra d'adopter une formulation précise afin d'éviter toute différence d'interprétation.
La stratégie d'aide au développement fait également l'objet d'un accord : qu'il s'agisse de la lutte contre la pauvreté et de l'accès à la santé et à l'éducation, ou de l'aide au secteur privé.
Le volet commercial pose plus de problèmes, puisque deux conceptions s'affrontent. La majorité des pays européens, dont la France, souhaitent inscrire les relations avec les pays ACP dans le cadre de partenariats économiques régionaux, correspondant largement aux unions douanières en train de se mettre en place, en Afrique notamment. C'est le moyen d'intégrer ces pays progressivement au marché mondial, en évitant que les plus fragiles ne soient balayés, par une ouverture sans grand vent de l'économie mondiale. Les accords pourraient être mis eu place d'ici 2005 et l'accès réciproque aux marchés se faire sur une période de dix ans environ, en fonction des situations locales.
Les pays ACP préféreraient reporter cette échéance à 2010. Si nous ne parvenons pas à nous entendre, les règles de l'OMC risquent de nous rattraper - rappelons-nous l'affaire de la banane !
Cette conception correspond au mandat donné à la Commission. Mais les partisans du libre-échange exacerbé veulent promouvoir un système de préférences commerciales harmonisé. Cependant, nous considérons que cette stratégie d'ouverture au monde sans filet n'est pas appropriée pour les pays en développement. Il faut donner le temps au temps. Nous espérons que les Européens confirmeront le mandat de la Commission, pour ne pas créer d'incertitudes qui retarderaient le calendrier.
L'autre volet difficile à négocier concerne les instruments financiers. La France tente de persuader les Européens et les pays ACP de maintenir le Stabex et le Sysmin, rénovés bien sûr, afin de continuer à assurer un revenu stable aux producteurs.
Le mandat de l'Union européenne consacre le maintien du mécanisme mais cela n'a pas été facile à obtenir car la France était isolée au départ et les pays ACP s'inquiètent encore des modalités d'adaptation de ces instruments.
Tout cela sera à nouveau révoqué à Bruxelles les 29 et 30 juillet prochains. La convention actuelle expire fin février 2000, la nouvelle entrera donc en vigueur sous la présidence portugaise voire, si nous prenons du retard, après juillet 2000, sous présidence française.
La négociation concernant le renouvellement du FED devrait aboutir à peu près à la même époque. Les procédures d'utilisation feront bien sûr l'objet de discussions avec nos partenaires. La construction européenne a sa logique de transfert de souveraineté : c'est la Commission de Bruxelles qui est chargée de ce dossier. Je précise à M. Charasse que si ce sont des fonctionnaires des pays membres qui sont consultés, les ministres ne sont en aucun cas "écartés" de la consultation.
Notre devoir, et notre intérêt, nous dictent d'améliorer encore notre action à l'égard des PVD. Ils attendent de nous, les pays africains notamment, que nous les aidions à entrer dans le prochain siècle. Nos valeurs de solidarité nous incitent à engager une politique commune de coopération. Et la renégociation. des Accords de Lomé est l'occasion de faire preuve d'imagination pour améliorer notre solidarité avec le monde en développement. Je ne doute pas que ces ambitions sont partagées par les membres de votre Haute Assemblée.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 mai 1999)