Déclaration de M. Christian Eckert, secrétaire d'Etat au budget, sur la place du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) dans la politique économique gouvernementale, un an après son lancement, à l'Assemblée nationale le 15 janvier 2015.

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Circonstance : Débat sur le rapport de la mission d'information sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, à l'Assemblée nationale le 15 janvier 2015

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle le débat sur le rapport de la mission d'information sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi.
La Conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons le Gouvernement, puis les orateurs des groupes. Nous procéderons ensuite à une séance de questions-réponses. La durée des questions et des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. le secrétaire d'État chargé du budget.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, vous avez souhaité que nous ayons un débat sur le crédit d'impôt compétitivité emploi, et je vous en remercie. Le CICE constitue en effet l'un des piliers de la politique économique du Gouvernement.
Il est important avant tout de replacer le CICE dans le contexte du pacte de responsabilité et de solidarité. Le CICE a été voté fin 2012 et ses premiers effets se sont concrétisés dès 2013 pour les entreprises ayant souhaité bénéficier du préfinancement, soit plus de 15 000 entreprises pour 1,9 milliard d'euros de créances en 2013. Puis, en 2014, les premiers versements au titre des créances acquises en 2013 ont eu lieu. En tout, ce sont près de 10 milliards d'euros de marge qui ont été redonnés aux entreprises dès 2014.
Le pacte de responsabilité et de solidarité a, quant à lui, été annoncé par le Président de la République le 31 décembre 2013, puis a été discuté avec les syndicats et les organisations patronales avant d'être voté à l'été 2014. Il est désormais en vigueur depuis le 1erjanvier de cette année, de sorte par exemple que plus aucune cotisation URSSAF n'est due pour un salarié rémunéré au niveau du SMIC aujourd'hui. D'autres mesures du pacte entreront en vigueur en 2016, puis en 2017.
Au final, cette montée en puissance permettra d'atteindre près de 40 milliards d'euros de marges de manœuvre nouvelles pour les entreprises d'ici à 2017, dont environ 30 milliards au titre de la baisse du coût du travail.
L'objectif est clair : redonner de la compétitivité à nos entreprises afin que celles-ci puissent se développer, exporter, investir, embaucher. Cet objectif, rappelons-le, s'inscrit dans la stratégie économique globale décidée par le Président de la République et le Premier ministre, qui repose sur trois piliers : améliorer la compétitivité des entreprises ; réduire le déficit public et assainir nos comptes publics ; réformer en profondeur l'économie par des réformes de structure telles que la loi pour la croissance et l'activité, la loi santé ou la réforme territoriale. Le CICE est bien l'une des clés de cette stratégie d'ensemble.
L'année 2014 a donc été la première année où les créances pour le CICE ont été enregistrées et où les premiers versements envers les entreprises éligibles ont été effectués. Je me permets de vous rappeler qu'en règle générale, une créance n'est pas immédiatement remboursable : les versements peuvent être étalés sur les trois années suivant celle au titre de laquelle elle est constatée et imputés lors du paiement de l'impôt dû chaque année. Seules certaines entreprises peuvent bénéficier d'un remboursement immédiat et en totalité de leur créance : ce sont par exemple les PME, les jeunes entreprises innovantes ou encore les entreprises en difficulté.
Nous sommes donc véritablement un an après la réforme. Il est un peu tôt pour dresser un bilan précis de son impact, mais plusieurs travaux ont déjà été remis en fin d'année dernière pour effectuer un premier bilan, notamment une mission parlementaire, que vous avez présidée, monsieur le député Yves Blein, et une étude menée sous l'égide de France Stratégie.
Avec ces deux rapports, remis à quelques semaines d'intervalle, les acteurs économiques, politiques et sociaux ont été consultés sur leur vision du CICE : les parlementaires, les partenaires sociaux, les entreprises.
Quels enseignements pouvons-nous en tirer ? Tout d'abord, ces deux rapports dressent un bilan encourageant du CICE. Votre rapport, monsieur le député Blein, fait état d'un « bilan d'étape positif », pour un dispositif dont vous soulignez la « nouveauté », en particulier de par son mécanisme de préfinancement.
Bien sûr, des critiques existent. Le ciblage a fait l'objet de beaucoup de remarques. Pour certains, le dispositif gagnerait à être plus centré sur les bas salaires au lieu d'aller jusqu'à 2,5 SMIC. D'autres souhaitent un élargissement au-delà, pour concerner plus spécifiquement les entreprises à caractère industriel. Pour d'autres encore, il faudrait se concentrer sur les entreprises exportatrices.
Je le dis de manière très simple : les entreprises ont besoin de stabilité et de visibilité. Un dispositif simple, lisible, large est un gage de réussite et de confiance, qui permet une adoption rapide par les entreprises. Les chiffres le démontrent : ce sont d'ores et déjà 9,9 milliards d'euros de créances qui ont été enregistrés au 31 décembre 2014, dont 6,3 milliards sont déjà touchés par les entreprises, pour plus de 860 000 bénéficiaires.
Ce résultat est en ligne avec notre estimation des droits ouverts au titre des salaires versés en 2013. Cette estimation était de 10,6 milliards d'euros, certaines entreprises pouvant déclarer tardivement leurs impôts. Notons que ce compteur pour l'année 2014 devrait cependant en rester globalement là du point de vue de l'impact sur nos comptes publics, compte tenu de la décision récente de l'INSEE de modifier à nouveau sa méthodologie comptable.
Au final, dès la première année de mise en œuvre du dispositif, il semble clair que les entreprises ont véritablement et massivement adopté le CICE et je crois, mesdames et messieurs les députés, qu'il faut s'en féliciter.
D'autres critiques ont aussi porté sur ce que font les entreprises du CICE. Les actionnaires vont-ils en profiter pour augmenter leurs dividendes ? Les grandes entreprises vont-elles tenter de capter le crédit d'impôt dont bénéficient les PME, et notamment leurs sous-traitants ? Les salariés les mieux payés vont-ils voir leur rémunération augmenter, avec un accroissement des inégalités salariales ? Sur toutes ces craintes, légitimes, les premiers bilans effectués dans les deux rapports d'étape sont, je pense, de nature à nous rassurer.
L'analyse basée sur les enquêtes de conjoncture de l'INSEE montre que les entreprises comptent utiliser le CICE en premier lieu pour l'investissement : plus de la moitié des entreprises interrogées disent que si leur résultat d'exploitation augmente grâce au CICE, celui-ci sera affecté majoritairement à l'investissement. Alors que cet investissement a chuté de 10 % en France et de 18 % en Europe depuis la crise de 2008, un tel résultat va, cela ne fait aucun doute, dans la bonne direction.
Par ailleurs, dans sa note de conjoncture du mois de décembre, l'INSEE montre que le CICE a permis de créer 15 000 emplois par trimestre en 2014 et, avec l'entrée en vigueur du pacte de responsabilité, ce sont 20 000 emplois par trimestre qui pourraient être créés en 2015. Cette même note affirme également que le taux de marge des entreprises augmentera au premier semestre 2015, passant de 29,6 % fin 2014 à 30,8 % mi 2015, grâce au CICE, au pacte de responsabilité mais aussi à la relative modération salariale des entreprises.
Investissement, emploi, rétablissement des marges : le CICE va dans la bonne direction et respecte ses objectifs. La montée en puissance du dispositif cette année, qui passe de 4 à 6 % de la masse salariale en-dessous de 2,5 SMIC, est donc une bonne nouvelle, qui confortera les entreprises dans leurs décisions d'embauche et d'investissement.
Il serait toutefois déplacé de se réjouir de manière définitive, quand tant de nos concitoyens sont en situation précaire et quand tant d'entreprises peinent à se maintenir à flot. Il est nécessaire d'être à l'écoute des uns et des autres sur les forces et les défis que représente un tel dispositif. Il est nécessaire de comprendre l'évolution des attentes et des usages. Il est nécessaire de toujours veiller à son efficacité.
C'est le but du comité de suivi des aides qui a été installé par le Premier ministre début novembre 2014. Je note avec la plus grande satisfaction que ce comité a été ouvert aux députés et aux sénateurs, puisqu'il comporte deux représentants de chaque assemblée. Je le répète, la confiance et la transparence sont les clés du succès de cette politique économique. La présence de la représentation nationale est le gage, j'en suis convaincu, que s'instaure un échange concret et constructif sur le sens et l'utilisation des aides aux entreprises, et en particulier du CICE.
Désormais, mesdames et messieurs les députés, il nous appartient de poursuivre et de renforcer notre politique de soutien à l'emploi et à l'investissement. Certes, les entreprises se sont appropriées le CICE et ses premiers effets se font déjà sentir. Cela ne signifie pas que le dispositif soit figé et ne doive pas évoluer. Cela signifie tout simplement que la direction que nous avons prise est la bonne et qu'il faut continuer dans cette voie.
Pour aller plus loin, le Président de la République a annoncé la mise à l'étude de la transformation du crédit d'impôt en allégement de cotisations à compter de 2017. Cette perspective rejoint certaines des propositions d'évolution du dispositif que préconisait le député Blein dans son rapport.
Cette évolution est de nature à rendre le dispositif encore plus lisible pour les entreprises, qui voient directement les effets de la réduction du coût du travail. C'est aussi une solution pour accentuer la politique poursuivie par le pacte de responsabilité, puisque celui-ci consiste aussi en un allégement des cotisations patronales.
Simplifier et mettre en cohérence : deux objectifs sur lesquels, je l'espère, nous pouvons facilement tomber d'accord.
Les modalités précises de ce basculement, néanmoins, sont encore en cours d'élaboration, sachant que le Président de la République a fixé le calendrier pour 2017. C'est dans cette optique que nous travaillons activement. Donner plus de précisions, à ce stade, sur les modalités de cette bascule, reste difficile.
En effet, plusieurs éléments importants doivent être pris en considération : en particulier, le passage d'un dispositif versé avec un an de décalage à un dispositif versé l'année même où les salaires ouvrant droit à cette aide sont payés nécessite d'étudier tous les scénarios de transition, compte tenu des enjeux budgétaires importants qu'il comporte. Il faudra aussi trouver un juste équilibre entre trois contraintes : le cadrage budgétaire de nos finances publiques d'une part, le besoin légitime de stabilité exprimé par les entreprises d'autre part, et enfin les nécessaires évolutions du champ de cette nouvelle aide, dans la mesure où seules les entreprises assujetties à l'impôt sur les sociétés sont concernées par le CICE aujourd'hui, alors que toutes les entreprises ayant des salariés sont concernées par les charges patronales.
Avant la finalisation de ce chantier, il est important que nous poursuivions tous nos efforts pour que le CICE continue à produire ses effets. À ce titre, je vous confirme, mesdames et messieurs les députés, que la demande qui avait été faite par plusieurs d'entre vous de permettre l'imputation du CICE sur les acomptes d'impôt des sociétés, afin d'éviter des mouvements de trésorerie dans les entreprises, va être mise en œuvre à très brève échéance. Une instruction fiscale en cours de finalisation viendra le préciser, de sorte que les entreprises pourront en bénéficier dès la prochaine échéance d'impôt sur les sociétés, c'est-à-dire à l'acompte du 15 mars. Cette mesure, tout comme le préfinancement qui était déjà en place, vient atténuer le décalage d'un an dans le versement du CICE et donne donc plus de visibilité aux entreprises pour se développer dès aujourd'hui.
Simplifier, renforcer, donner de la visibilité, c'est cela, mesdames et messieurs les députés, la politique qui est celle du Gouvernement.
Pour terminer, j'aimerais rappeler ma détermination, comme celle de l'ensemble du Gouvernement, à faire en sorte que 2015 soit une année de résultat. Les dispositifs sur lesquels nous nous sommes engagés sont maintenant votés et mis en place. La balle est donc aussi dans le camp des entreprises, qui bénéficient également d'un euro faible et de la baisse des prix du pétrole. Mais je n'ai pas l'intention de rejeter la responsabilité sur tel ou tel. C'est par le rassemblement de toutes les forces de notre pays que nous réussirons collectivement à lutter contre le chômage et notamment celui des jeunes, à redonner aux entreprises des capacités pour investir et innover, et à créer un climat de confiance propice à une reprise économique solide et durable. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)
(…)
M. le président. Nous en venons maintenant aux questions.
La parole est à Mme Jeanine Dubié, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Mme Jeanine Dubié. Monsieur le secrétaire d'État, ma question porte sur les effets indésirables du CICE dans le secteur médico-social, et plus particulièrement sur les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, du fait du bénéfice du CICE pour les EHPAD à caractère commercial.
Ces effets indésirables ou pervers, comme on les qualifie en économie, entre public et privé, ne sont plus à démontrer dans le secteur. Ils sont inhérents à la non-sélectivité évoquée par le président Schwartzenberg.
Ils ont été repérés dès l'origine dans les débats parlementaires de l'hiver 2012, et des rééquilibrages ont été apportés, notamment pour les EHPAD associatifs à but non lucratif, par l'augmentation de l'abattement de la taxe sur les salaires de 6 000 à 20 000 euros. Cela étant dit, il reste insuffisant pour les plus grandes structures. Mais pour les EHPAD à caractère public, aucune solution n'a été envisagée pour pallier cette distorsion de concurrence, et aucune mesure compensatoire ne semble prévue.
Pourtant, le bénéfice de l'application du CICE pour les EHPAD à caractère commercial est loin d'être négligeable quand on sait que la masse salariale représente près de 70 % des charges d'exploitation. Une compensation ayant été trouvée pour le secteur associatif à but non lucratif, il n'est pas compréhensible que le secteur public ne soit pas concerné, tant une baisse des charges a une incidence directe sur le prix de journée à la charge du résident – et donc sur l'attractivité de l'établissement –, mais aussi en matière d'emploi.
On voit donc ici se dessiner, sur un même bassin de vie, une réelle distorsion de concurrence entre maisons de retraite privées à caractère commercial et celles qui relèvent du public. Cette distorsion dessert le secteur public, ce qui est quand même paradoxal. Pour la Fédération hospitalière de France, ce sont en effet 53 millions d'euros dont vont bénéficier 1 600 EHPAD commerciaux.
Monsieur le secrétaire d'État, il serait opportun que le Gouvernement porte un œil attentif sur ce sujet, afin d'objectiver clairement cette inégalité de traitement. Quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre pour remédier à ce traitement inégal et permettre aux EHPAD publics de bénéficier d'un allégement de charges équivalent aux 6 % du CICE ?
Le Gouvernement dispose-t-il d'une étude d'impact chiffrée qui lui permettrait – ainsi qu'à la représentation nationale – de formuler des réponses calibrées aux enjeux du terrain pour la préservation de l'attractivité du secteur public en matière d'établissements d'accueil pour personnes âgées dépendantes ? Dans le cas contraire, peut-on l'envisager ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Merci, madame la députée, pour cette question extrêmement pertinente. Ce n'est d'ailleurs pas la seule question de concurrence – mais je n'aime pas ce mot, je ne suis pas sûr qu'il s'agisse d'un secteur vraiment concurrentiel, parlons plutôt d'une différence de situation. Vous avez parfaitement raison de souligner cet état de fait, mais il existe aussi dans le domaine sanitaire.
Nous l'avons réglé, ou au moins atténué, par la tarification. Elle n'est pas la même, dans le secteur sanitaire, pour les établissements publics et pour les établissements à caractère privé. Cela a été fait, c'était un engagement du Gouvernement.
Nous n'avons pas réglé complètement la situation pour le secteur médico-social. Faut-il pour autant, en se fondant sur cet exemple qui soulève une vraie question, rejeter l'ensemble du dispositif ? Je ne le crois pas. Il faut chercher des solutions. Nous avons évoqué, lors des débats parlementaires, le fait que la tarification, qui passe souvent par un travail avec les conseils généraux, peut être adaptée à cette différence de situation – pour ne pas utiliser le terme de concurrence dans un secteur qui est plutôt caractérisé par le défaut de l'offre.
En tout cas, les entreprises médico-sociales à caractère associatif, non lucratif, bénéficient depuis le 1er janvier 2015 des allégements de charges prévus dans le pacte, au même titre que les autres. Je pense que ce basculement évoqué pour 2017 permettra de régler la situation, mais c'est un des points qu'il est extrêmement difficile de régler. Celui du secteur de la grande distribution a été parfaitement évoqué par Éric Alauzet tout à l'heure, je n'y reviendrai pas.
Monsieur Gomes, vous avez dit que j'avais évoqué des « effets pervers assurés ». En effet, comme dans tout dispositif, il y a des effets de bord, que j'avais effectivement pointés. Nous les avons parfois résolus, mais nous ne sommes pas tout à fait parvenus à les résoudre dans d'autres situations, c'est la difficulté de la tâche qui nous occupe.
M. le président. La parole est à M. Patrice Carvalho, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Patrice Carvalho. On nous assure aujourd'hui que 52 % des entreprises des services et 58 % des entreprises de l'industrie déclarent que le CICE est majoritairement utilisé pour l'investissement. Derrière l'investissement, l'emploi est lui aussi mentionné par une part significative d'entreprises.
Dans les faits, nous observons cependant que certaines entreprises utilisent le CICE de manière assez contestable. C'est le cas par exemple à la SNCF. Le groupe, faisant le choix du préfinancement, a ainsi décidé en 2013 de vendre son montant estimé de CICE au groupe Natixis, en contractant un emprunt de 181 millions d'euros pour un coût de 9,8 millions d'euros sur la durée totale de l'emprunt.
M. Olivier Carré. Ils l'ont escompté !
M. Patrice Carvalho. Nous pouvons nous interroger sur la conformité aux objectifs du CICE de cette opération de titrisation et l'opportunité du recours en l'espèce au préfinancement, conçu à l'origine comme un mécanisme de soutien aux PME-PMI confrontées à des tensions de trésorerie ou à des menaces de défaut de paiement.
Estimant que tout ou partie du crédit d'impôt n'avait pas été utilisé conformément à l'article 244 quater C du code des impôts, le comité d'entreprise a demandé à l'employeur, comme l'y autorise la loi, de lui fournir des explications. La direction financière du groupe a alors indiqué que le CICE avait joué un rôle d'amortisseur des effets de la récession de 2013, dans un contexte de croissance faible. Elle n'a fourni au comité central d'entreprise aucun élément d'évaluation permettant d'identifier les efforts en termes d'investissement et d'emploi. L'investissement a même reculé de près de 250 millions d'euros par rapport aux prévisions initiales, en 2013, à l'image des effectifs, qui ont même davantage reculé en 2013 que ce qui était initialement prévu.
Si nous prenons l'exemple de la SNCF, ce n'est pas pour charger spécifiquement cette entreprise, mais pour soulever un double problème : celui de l'encadrement de l'utilisation du CICE et celui de l'information des comités d'entreprise, dès lors que l'entreprise ne détaille pas l'utilisation du CICE.
Nous avons là deux difficultés majeures sur lesquelles nous souhaiterions connaître les intentions du Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Monsieur le député, vous évoquez un cas particulier. Vous comprendrez d'ailleurs que les questions de secret fiscal ne permettent pas de donner ici trop de détails chiffrés sur les volumes et les montants. Vous en avez évoqué vous-même, sous votre responsabilité.
Vous posez deux questions. La première est celle du préfinancement et de son coût. Vous assimilez cela à de la titrisation, je crois que c'est aller un peu loin.
M. Olivier Carré. C'est de l'escompte !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Un préfinancement, qu'il soit fait par la BPI ou par une banque à caractère privé, a un coût. Vous évoquez 9,8 millions d'euros sur 181 millions d'euros de CICE, un rapide calcul révèle que cela représente 4,5 % de la somme. Si le prêt est sur trois ans, cela ne me semble pas un coût prohibitif compte tenu du coût de l'argent aujourd'hui. Cela veut dire très concrètement qu'au lieu de toucher 181 millions d'euros – ce sont vos propos, je ne valide pas ce chiffre –, la SNCF en toucherait 171 millions, ce qui est à vrai dire assez peu différent, mais elle les toucherait tout de suite.
Vous évoquez ensuite la question de l'utilisation. L'argent est fongible, dans une entreprise. Dès lors, il est toujours difficile et sujet à caution de flécher une utilisation. Je vous rappelle néanmoins que la loi de finances rectificative a introduit une obligation d'annexer aux comptes annuels un document faisant état de la nature de l'utilisation du CICE par l'entreprise. Je dois dire que compte tenu de la fongibilité des entrées et des sorties de recettes et de dépenses d'une entreprise, il faudra regarder de très près pour voir comment ce document ou ces déclarations de l'entreprise pourront permettre de valider ces déclarations. Voilà ce que je peux dire en l'état.
M. Patrice Carvalho. Et s'agissant des comités d'entreprise ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Nous aurons l'occasion de revenir sur les autres questions.
M. le président. La parole est à M. Jean Grellier, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Jean Grellier. Monsieur le secrétaire d'État, objectivement, les entreprises que nous rencontrons aujourd'hui reconnaissent le bien-fondé du CICE, mesure qui contribue à l'amélioration de leur compétitivité.
Cependant, un certain nombre d'entreprises viennent de découvrir des conséquences collatérales négatives dans l'application de certains dispositifs. Il s'agit de ceux qui concernent les procédures de révision de prix dans l'application de contrats publics et privés, et qui sont affectés par la prise en compte du CICE par l'INSEE comme une sorte de subvention intégrée dans l'indice du coût horaire du travail révisé.
Celui-ci est généralement utilisé à des fins d'indexation de contrat et porte sur l'ensemble des secteurs marchands non agricoles. Il suit en outre l'évolution de l'ensemble des rémunérations, des cotisations sociales et des taxes nettes de subvention.
Dans ce cas, les entreprises concernées ne bénéficient plus du CICE en totalité, puisque cela se traduit par une baisse du prix des contrats en cours, au bénéfice des donneurs d'ordre ou des cocontractants.
Par ailleurs, plus les entreprises emploient ou créent de l'emploi et plus elles sont affectées par ce phénomène.
Monsieur le secrétaire d'État, avez-vous la possibilité d'intervenir, de manière réglementaire ou par tout autre moyen, pour que le CICE ne soit plus intégré par l'INSEE dans l'indice du coût horaire du travail révisé, de façon à ne plus être pris en compte dans les modalités d'indexation des prix, sachant que pour certaines entreprises, et selon de premières évaluations, les effets pourraient aller jusqu'à plus de 50 % du montant du CICE, sommes qui ne sont plus affectées à l'investissement et à l'emploi ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Comme d'habitude, monsieur le député, vous soulevez une vraie question, une question intéressante et complexe. Selon que l'on se place d'un côté ou de l'autre, l'effet peut paraître très différent et l'entreprise peut être perçue comme perdante ou gagnante. S'il s'agit d'une entreprise qui fournit des prestations à une autre entreprise ou à une collectivité, le fait de réaliser une moins forte révision de prix issue des contrats, du fait de l'intégration du CICE, permet à celui qui achète d'être bénéficiaire ; le prestataire de services réalise quant à lui un moindre gain. Tout est dans tout, et réciproquement : selon que l'on se place du côté du fournisseur ou de celui de l'acheteur qui peut être, lui-même, fournisseur de quelqu'un d'autre, on peut conclure à un effet pervers ou, à tout le moins, un effet sur lequel on peut se poser des questions.
Je ne pense pas que l'INSEE ait l'intention de revenir sur cette notion, car elle traduit une réalité. S'agissant de la baisse du coût du travail, d'une certaine façon, le CICE doit être intégré comme un élément modérant l'augmentation du coût du travail et donc les révisions de prix issues de contrats pluriannuels.
Ceci dit, cela concerne les contrats en cours. Je pense que les contrats futurs prendront en compte ces situations et qu'il n'y aura plus d'évolution, de rupture au regard de la question que vous soulevez. Cette dernière pourrait être réglée en cas de basculement vers une réduction de charges, qui rendrait les choses plus automatiques.
M. le président. La parole est à M. Philippe Gomes, pour le groupe de l'Union des démocrates et indépendants.
M. Philippe Gomes. Ma question porte sur la transformation du CICE. J'ai indiqué tout à l'heure que le groupe UDI était favorable à ce que ce dispositif ne soit pas maintenu, pour des raisons que j'ai eu l'occasion d'exposer, et qu'un nouveau dispositif plus simple, plus efficace et plus puissant soit susceptible d'être mis en œuvre.
Le Président de la République a affirmé, d'abord dans le cadre du pacte de responsabilité, puis lors de son intervention télévisée du 6 novembre dernier – je le cite : « Nous allons faire le CICE pendant trois ans ; ça va monter en régime, et après, en 2017, tout ce qui a été mis sur l'allégement du coût du travail, ça sera transféré en baisse de cotisations sociales pérennes ». Comme cela a déjà été indiqué, cette piste a d'ailleurs été reprise par le rapporteur de la mission d'information. Nous soutenons cette démarche. Nous considérons qu'effectivement, le transfert du mécanisme actuel vers une baisse directe des cotisations sociales semble efficace et plus pertinent.
Toutefois, nous nous interrogeons sur la possibilité d'accélérer ce calendrier. Nous avons bien noté les indications du ministre, notamment sur le dispositif transitoire qu'il fallait imaginer, étant donné son impact éventuel sur les finances publiques, mais une accélération de ce calendrier est-elle envisageable de façon à ce que, dès 2015, ou même dès 2016, la France puisse, au travers de ses entreprises, bénéficier d'un véritable choc de compétitivité ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Monsieur le député, je vous le dis tout net : non, je ne pense pas que le Gouvernement accélère le calendrier qui a été annoncé par le Président de la République. Vous avez parlé tout à l'heure d'« usine à gaz », vous avez dit que c'était une faute d'avoir transformé ce que votre majorité avait imaginé et d'en avoir fait le CICE. Je veux vous rappeler deux choses. Premièrement, procéder à un allégement de charges, cela coûte tout de suite ; or, dans l'état où nous avons trouvé les finances publiques, nous étions dans l'incapacité de le faire – oui : dans l'incapacité de le faire – à hauteur des sommes en jeu. Deuxièmement, vous avez dit que c'était la même chose, que votre TVA sociale revenait au même ; je vous rappelle quand même que le CICE n'est financé que pour seulement un tiers par la majoration de taux de TVA qui a été faite, alors que l'allégement de charges que vous avez imaginé et mis en place d'une façon d'ailleurs assez perverse – vous l'avez voté mais ne l'avez pas mis en place tout de suite, reportant son application après les élections – était financé à 100 % par l'augmentation de TVA.
M. Olivier Carré. Non, c'est faux !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Voilà des différences fondamentales. Monsieur Carré, je suis affirmatif : votre dispositif était financé par l'augmentation de la TVA. En volume, notre mécanisme est sans commune mesure avec le vôtre : alors que, de mémoire, votre dispositif se traduisait par une augmentation de TVA de 13,5 milliards, nous en sommes restés à environ un tiers de ce montant. Il y a donc là des différences fondamentales.
Le basculement évoqué est prévu en fonction d'un calendrier qu'a indiqué le Président de la République et posera des difficultés du point de vue de sa mise en œuvre, comme M. Carré l'a reconnu tout à l'heure à cette tribune, compte tenu du tuilage budgétaire – le mot est faible – qui sera nécessaire.
M. le président. La parole est à M. Éric Alauzet, pour le groupe écologiste.
M. Éric Alauzet. Monsieur le secrétaire d'État, en mettant en place le CICE, nous avons inscrit dans la loi le fait que le crédit d'impôt ne peut ni financer les hausses des bénéfices distribués, ni servir à augmenter les rémunérations des dirigeants de l'entreprise. De telles restrictions apparaissent évidentes afin de s'assurer que le crédit d'impôt est effectivement consacré à financer le développement des entreprises, par exemple par la formation et l'investissement, pour améliorer la compétitivité, conquérir des marchés et créer de l'emploi.
Néanmoins, à ce jour, il n'est pas inscrit dans la loi que le versement du CICE ou de toute aide aux entreprises est incompatible avec des pratiques d'optimisation fiscale agressive, alors même que ces pertes fiscales sont en cause dans la baisse des recettes de l'État, qui sont pourtant nécessaires au soutien même des entreprises.
Alors que l'État et les citoyens français consentent un effort sans précédent au bénéfice des entreprises, il serait incompréhensible que ces dernières ne s'acquittent pas de la totalité de leur impôt ou, plus précisément, qu'elles réduisent cet impôt comme peau de chagrin. De telles pratiques ne pourraient conduire, in fine, qu'à la remise en cause de cette politique de soutien aux entreprises.
Je souhaite donc savoir, monsieur le secrétaire d'État, l'avis du Gouvernement quant au fait d'intégrer dans la loi l'interdiction, s'agissant des entreprises recevant le CICE, du recours à l'optimisation fiscale agressive, au même titre que la hausse des dividendes et l'augmentation des rémunérations des dirigeants.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Merci de votre question, monsieur Alauzet. C'est un débat que nous avons souvent et qui, comme la plupart des débats, est légitime.
En premier lieu, nous nous chamaillons parfois, de façon tout à fait républicaine et normale, sur la définition de « l'optimisation fiscale agressive ». Je sais que l'OCDE a formaté un certain nombre de choses à ce sujet. Le Conseil constitutionnel n'est pas toujours du même avis. Vous avez pu constater qu'un certain nombre de nos tentatives pour calibrer ces notions sont souvent restées vaines.
En deuxième lieu, je ne crois pas qu'il faille mélanger les problèmes. Concernant l'optimisation fiscale agressive – on pourrait même enlever le mot « agressive » –, un travail est en cours entre différents pays de l'Union européenne. Il existe déjà des outils fiscaux ; je vous rappelle que l'article 209 B du code général des impôts permet de taxer les revenus d'une entreprise établie en France perçus par les filiales situées dans un paradis fiscal, ou l'inverse. Mélanger les deux questions – indépendamment des problèmes techniques, législatifs, voire constitutionnels ou de droit communautaire que cela peut poser – ne serait pas une bonne solution. Nous continuons notre travail, nous avons progressé, comme vous le dites vous-même. Certes, comme on l'a vu dans un débat précédent, des nuances peuvent exister entre nous quant à l'évaluation de notre rythme de progression, mais il ne faut pas, j'y insiste, mélanger ces deux notions.
Il y a des choses qui sont légales et d'autres qui sont illégales. Il y a également l'abus de droit, qui a donné lieu à des définitions jurisprudentielles. Je ne vois pas pourquoi la mise en œuvre de procédés légaux empêcherait la perception d'un crédit d'impôt qui est égalitaire pour toutes les entreprises qui peuvent en bénéficier.
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions.
Le débat est clos.
Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 16 janvier 2015