Déclaration de M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, sur le mouvement et la vie associative et les relations entre les pouvoirs publics et les associations dans le cadre de la loi sur l'économie sociale et solidaire, Paris le 17 septembre 2014.

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Circonstance : Colloque national de l'Observatoire Connaitre pour Agir à Paris le 17 septembre 2014

Texte intégral


Animateur : M. le Ministre, nous sommes très heureux de vous accueillir. Nous avons travaillé sur l'intérêt de l'observation, nous avons commencé par le travail de Mme Viviane Tchernonog sur l'observation à l'échelle nationale. Puis, nous avons montré quels étaient les enjeux qui se posaient à la vie associative et comment les observatoires locaux de la vie associative pouvaient contribuer à cette connaissance, mais à une connaissance pour l'action et non théorique. Il sera question cet après-midi d'une région que vous connaissez bien, le Nord-Pas-de-Calais, à partir notamment d'observatoires mis en place sur la région lilloise. Nous connaissons votre parcours, notamment dans le secteur social qui vous est familier. Vous êtes d'ailleurs encore pour quelques jours président de l'Union nationale des centres communaux d'action sociale (UNCASS). Nous vous laissons conclure cette matinée.
Intervention de M. Patrick Kanner, Ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports
Vous me peinez en évoquant ma fin de présidence de l'UNCASS, c'était une belle aventure individuelle et collective que j'ai portée et que vous avez peut-être croisée les uns ou les autres dans vos responsabilités. Je regrette de ne pas avoir pu assister aux travaux de ce matin, j'ai tenté de changer l'heure du conseil des ministres, mais cela n'a pas été possible ! Vous avez devant vous un ministre un peu rasséréné depuis hier après-midi. C'est un élément important pour nous de pouvoir travailler dans la durée, c'est ce que nous ont demandé ce matin le Président de la République et le Premier ministre : travailler dans la durée pour obtenir des résultats.
Je remercie vous tous qui m'accueillez ici, vous tous mesdames et messieurs, les représentants de M. le président du Sénat, Jean-Pierre Bel.
Je crois au monde associatif, j'aime le monde associatif ! J'ai la conviction que le nombre d'associations dans notre pays, le nombre de bénévoles seront un jour l'un des indicateurs de la richesse nationale. Je suis un peu « stiglizien », comme diraient certains et je suis intimement convaincu que cela contribue à la notion du vivre ensemble. 16 millions de bénévoles recensés, c'est un chiffre que je connais bien, car il y a aussi 16 millions de licenciés dans les sports, le 16 revient ! 1 million d'associations : la France se situe très à la pointe dans ce domaine. Le jour où cette reconnaissance sera faite, et nous avons encore du chemin à parcourir, nous aurons accompli un grand progrès : considérer que l'engagement gratuit fait partie de notre richesse collective et de notre richesse nationale.
Je considère que la compétition est stimulante, mesdames et messieurs, mais que la coopération permet aussi de réaliser de grandes avancées dans le domaine sociétal. En ma qualité de ministre en charge notamment de la Vie associative et de l'Éducation populaire, je veux vraiment faire avancer cette prise de conscience. J'ai envie de dire que nous faisons partie des meubles, je me considère comme tel en qualité de militant associatif, je ne sais plus combien de cartes je possède en tant que militant associatif et je ne compte pas m'en séparer en tant que ministre. Donc, nous faisons partie des meubles historiques de la vie démocratique française, il y a peut-être une renaissance, en tout cas un renouveau à imaginer. Je veux vraiment que soit reconnue cette richesse du monde associatif. Je veux croire et faire croire à cette richesse. Je reprendrai naturellement le travail de mes deux prédécesseurs que je tiens à saluer, Mme Valérie Fourneyron et Mme Najat Vallaud-Belkacem, qui ont été très présentes dans le mouvement associatif. Il y a changement de ministère, changement de style, je suis un homme avec toutes ses qualités et naturellement tous ses défauts, mais je ne changerai pas de ligne. Nous sommes dans la cohérence, car le secteur associatif a besoin de stabilité, de visibilité dans ses interlocuteurs à l'échelle de la nation.
Succinctement, quelles sont nos orientations ?
La relation entre pouvoirs publics et associations doit être honnête, tout simplement, respectueuse, confiante, avec la Charte d'engagement réciproque signée en février 2014 entre l'État et le secteur associatif, mais aussi pour la première fois avec les collectivités territoriales. Cette charte doit vivre sur le terrain. J'ai bien entendu en arrivant les propos sur la place des élus territoriaux, nombreux, vous le savez, 550 000 élus territoriaux qui doivent être mobilisés autour des engagements qui sont les nôtres. Cela signifie qu'il faudra clarifier le rôle de chacun. La nouvelle définition de la notion de subvention présente dans la loi sur l'Économie sociale et solidaire, votée en juillet dernier, doit nous y aider. Tout sera fait pour que le secteur associatif trouve de nouvelles ressources dans le contexte budgétaire que vous connaissez. Elles ont désormais une capacité étendue à recevoir des dons, des legs, capacité définie dans la loi sur l'Économie sociale et solidaire. Il faut que les associations perdent moins de temps aux procédures administratives, qu'elles puissent se consacrer à leur raison d'être, c'est-à-dire aux projets associatifs qui font partie de leurs statuts, de leur engagement.
Le choc de simplification sera un de mes chantiers principaux. Il concerne également le secteur associatif. Vous savez qu'un député, ancien directeur général bien connu de la fédération nationale Léo Lagrange, M. Yves Blein a été chargé d'une mission sur ce sujet. Naturellement, je sais que votre Réseau y a largement contribué.
Nous devons encore inciter au recours croissant aux conventions pluriannuelles d'objectifs et de moyens. Je crois à ce dispositif afin que le secteur associatif dispose de cette visibilité que je viens d'évoquer. Simplement, pour avoir un peu confiance dans l'avenir pour les enjeux qui sont les vôtres.
Enfin, et surtout, il faut soutenir et promouvoir l'engagement bénévole. C'est le coeur de la vie associative, c'est la plus-value sociétale que vous nous apportez. Au-delà de son utilité pour le secteur associatif, il participe à la cohésion de la Nation. Dans cette perspective, je porterai, vous le savez, une réforme majeure : le congé pour engagement. Il fera l'objet d'un rapport au parlement puis d'une discussion avec les partenaires sociaux afin d'en définir les contours.
Je ne m'attarde pas davantage sur ce tableau de la politique de soutien au secteur associatif, car aujourd'hui, vous posez une question plus précise : celle du « territoire pertinent ». J'utilise une image pour le « territoire pertinent » : comme l'horizon, plus on s'en approche, plus il s'éloigne ! Il faut être humble sur cette notion de pertinence du territoire d'observation qui a été évoquée.
Au fond, qu'est-ce qu'un territoire ? Ce sont des relations, un espace de relations entre acteurs locaux. Et dans ce cadre, il est clair que ces relations constituent un élément majeur de mise en oeuvre d'une politique d'intérêt général, voire d'une politique publique. Je sais quelle est cette valeur entre les acteurs locaux et je sais que ces relations font ou ne font pas le succès du lien social dans notre pays. J'ai la faiblesse de penser, y compris en ma qualité de futur-ex-président du Conseil régional du Nord, que notre situation sociale est tellement difficile aujourd'hui, tellement compliquée, voire tellement dégradée, que s'il n'y avait pas ce tissu associatif, nous connaîtrions des dérapages terribles dans nos quartiers, dans nos villes et villages. Cela doit être dit à un moment donné, je le redis devant vous ce matin.
Nous ne sommes pas là en train de discuter, mesdames et messieurs, de sujets périphériques, de supplément d'âme de notre République, encore qu'un petit supplément ne gâcherait rien au paysage. Nous sommes au coeur de ce qui doit être une organisation collective. Et cette organisation doit répondre à de grands enjeux, des enjeux décisifs. Le premier est d'être en phase avec les évolutions sociologiques profondes qui façonnent nos vies. Aujourd'hui, il est évident que les innovations viennent du terrain, que l'engagement est d'abord personnel avant d'être collectif, même si le collectif doit venir en support dans un second temps. Les grandes autorités, les grands discours, les normes qui s'imposent uniformément à tous, chacun a bien compris que cela devenait de plus en plus difficile à comprendre, voire même insupportable. Le principe de subsidiarité mérite peut-être d'être évoqué à nouveau. Chacun compose avec tous les savoirs à sa disposition, et ils sont maintenant de plus en plus nombreux, de plus en plus accessibles, au travers de rencontres, d'échanges, de conversations, de l'évolution des moyens numériques. C'est un nouveau modèle politique, existentiel qui se met en place devant nous. Il nous touche tous, individuellement et collectivement. La question qui nous est posée est celle de l'autonomie : elle est au centre de ce modèle. On parle parfois d'empowerment, peu importe, il s'agit de la même chose, de la capacité des individus à prendre la maîtrise de leur destin, seuls ou avec d'autres. Car, je n'oublie pas une chose, et pourtant c'est la tentation des politiques, c'est que l'on n'émancipe pas, on s'émancipe. Nous, politiques avons tendance à nous projeter pour le bonheur des autres, mais ce bonheur doit être construit par les personnes elles-mêmes. Toute politique de progrès, toute politique visant à étendre le champ de nos libertés doit associer ceux qu'elle prétend viser. En tant que ministre de gauche dans un gouvernement que je revendique de gauche, je veux promouvoir ce modèle centré sur l'autonomie. Je veux promouvoir tout ce qui participera à l'émancipation, à l'épanouissement de mes concitoyens. J'estime que c'est là, la mission profonde d'un ministre en charge de la Vie associative et de l'Éducation populaire. C'est en tout cas non seulement mon engagement, mais c'est aussi mon histoire personnelle, vous l'avez rappelé et je vous en remercie.
La politique institutionnelle, j'y crois, sinon je ne serais pas devant vous et je n'aurais pas pris cette fonction de Ministre, mais elle doit s'accompagner du mouvement que vous représentez. Je pense que la politique institutionnelle doit réinterroger son fonctionnement pour être plus en phase avec les forces vives, avec ce que nous appelons la société civile dans laquelle les politiques ont toute leur place. Il faut faire confiance aux citoyens dans leur capacité à entreprendre, à créer, à inventer, à trouver des formes originales pour s'associer et faire ensemble, faire une société tout simplement. De ce point de vue, le gouvernement a marqué une rupture nette avec l'époque précédente. Les corps intermédiaires sont respectés, reconnus. Le dialogue à tous les niveaux est la méthode privilégiée. Je ne vais pas céder à la démagogie, nous connaissons tous la situation de nos finances publiques. Les associations en souffrent comme d'autres, mais personne ne peut contester qu'il y ait eu un changement de philosophie, de pratique dans le respect entre le pouvoir politique et le secteur associatif. Et cette confiance de l'État envers les associations, c'est entre autres traduite par une réforme très importante, celle qui a parfois fait débat, voire polémique, celle des rythmes scolaires. À propos de cette réforme, nous avons beaucoup parlé du rythme des enfants, de chronologie, et nous avons eu raison de le faire. Mais, il y a un autre aspect qu'il ne faut pas négliger, car il est de portée considérable : c'est la reconnaissance de l'Éducation populaire. Retrouvons le sens de l'Éducation populaire et du professionnalisme associatif. Avec cette réforme, mesdames et messieurs, nous disons : « oui, l'école est l'un des piliers de notre République ». Je pense qu'elle en est le principal et le plus agité, y compris au travers de ses représentants, qu'ils soient parents ou professionnels. Mais à côté de l'Éducation nationale, il existe d'autres manières d'apprendre et de découvrir. Celui qui a tant porté à Lille, le projet éducatif global, départemental sait ce que signifie la co-construction avec les services de l'Éducation nationale, en s'appuyant sur le secteur associatif pour la porter. L'éducation appartient à tous et à toutes.
Autre enjeu que vous avez explicitement posé avec cette journée, c'est la connaissance locale. Plus qu'une économie de la connaissance, nous devons viser une société de la connaissance. Quand je parle de connaissance, je ne parle pas que de recherches ou d'innovations high-tech qui sont absolument nécessaires. Je n'imagine pas que des ingénieurs oeuvrant dans des laboratoires ou des incubateurs ne soient pas intégrés dans cette logique. Je parle aussi du savoir-faire, de la transmission des savoirs, de la transmission de la culture professionnelle, de la transmission au travers de réseaux locaux d'entraide, de culture, d'Éducation populaire. Bien sûr, je mise sur le talent de nos chercheurs, surtout quand ils trouvent, mais aussi sur celui des ouvriers (ouvrier n'est pas un gros mot), sur le talent des travailleurs et notamment des travailleurs sociaux, les acteurs de la culture, du sport, pour tenir compte de mon périmètre d'intervention ministérielle.
Nous sommes à l'ère des réseaux, ce n'est pas qu'un slogan et cela dépasse de loin Facebook ou tous les réseaux sociaux divers et variés qui font également partie de ce mouvement et qui sont une nouvelle donne pour notre société. Concrètement, cela veut dire que notre organisation territoriale doit aussi dépasser les clivages institutionnels ou thématiques. Pour activer le potentiel gigantesque de nos territoires, il faut faciliter la rencontre, l'échange, le partage, bien sûr dans le respect de ceux qui savent ou qui pensent savoir et de ceux qui aspirent à savoir. C'est ce à quoi s'emploie le secteur associatif avec ferveur, avec enthousiasme, avec générosité et que le Réseau national que vous représentez mutualise en tant que réponse pertinente sur nos différents territoires. Pour avoir suivi l'installation de la Maison de Lille, je connais la valeur ajoutée qu'elle a pu apporter au secteur associatif de ma ville. C'est pourquoi, connaître la réalité, territoire par territoire de l'activité associative est une chance pour l'ensemble de la collectivité.
J'ai souvent utilisé un triptyque dans ma vie politique : pour agir il faut vouloir, mais pour vouloir il faut connaître. Je souscris donc totalement à votre démarche, celle qui nous réunit : la promotion de l'observation locale de la vie associative. C'est une mine d'informations, de l'intelligence en barre diront certains, si vous me permettez l'expression.
Le Réseau national des Maisons des associations est précieux pour vous, associations, mais aussi précieux pour les territoires, pour les décideurs des territoires. Il le sera d'autant plus qu'il imaginera de nouveaux outils, qu'il entreprendra de nouvelles démarches. Il faut mutualiser, il faut échanger, nous avons besoin de réseaux comme le vôtre pour que chaque association progresse et se dépasse, pour ouvrir de nouveaux espaces de co-construction. Je reprends cette expression de démocratie collaborative, pour mener des politiques publiques intelligentes, pertinentes, et pour mettre en lumière le rôle essentiel qui est le vôtre. Il est souvent question du rôle d'aiguillon du secteur associatif, je préfère celui de défricheur, de défricheur pour une société plus agréable à vivre.
Mesdames et messieurs, merci à vous, tout simplement, merci pour ce travail. J'espère recevoir les minutes de votre colloque. Merci pour cet engagement. Dans le climat de morosité qui est le nôtre, de défiance, de crise morale disait hier le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale, dans ce climat que nous traversons, qui est compliqué, vous l'avez compris, c'est un climat de perte de repères, vous entretenez l'idée essentielle que la solidarité ne peut pas être galvaudée en tant que de valeur. C'est une lueur à laquelle je souhaite m'accrocher, par mon engagement personnel, mais surtout par les réalisations que je pourrais porter avec vous en faveur du secteur associatif. Merci pour votre attention.
Source http://www.maisonsdesassociations.fr, le 26 janvier 2015