Interview de M. Claude Goasguen, délégué général et porte-parole de Démocratie libérale, à France-inter le 30 octobre 2001, sur le projet de création d'un centre de détention en Corse et sur le texte de loi sur la sécurité quotidienne.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

F. Beaudonnet Les attentats du 11 septembre et la crainte d'une attaque terroriste sur notre sol semblent avoir, pour l'instant, minimisé certains divergences droite-gauche en matière de sécurité. Demain, les députés devraient adopter définitivement le projet de loi sur la sécurité quotidienne. Mais si malgré tout, la polémique reste vive sur certains aspects de ce texte, elle l'est encore plus après la décision de D. Vaillant de créer un centre de détention en Corse. A ce sujet, L. Jospin précise que "ce centre de détention sera uniquement pour les détenus condamnés à de longues peines." Or, depuis ce week-end, toute la droite s'offusque de cette décision. Est-ce que la précision du Premier ministre vous pèse ?
- "Non, pas du tout. Le Gouvernement vient de perdre une bonne occasion de se taire, car entre monsieur Vaillant, madame Lebranchu et monsieur Jospin, qui croire ? Personne ne dit la même
chose. On a parlé de Borgo, d'un centre de détention, on a eu le sentiment qu'entre le ministre de l'Intérieur et le Garde des Sceaux, on ne disait pas la même chose et que le Premier ministre était surpris. De tout cela, nous en avons un peu l'habitude dans le domaine de l'Etat, hélas ! Mais lorsqu'il s'agit d'une situation aussi dramatique que celle de la Corse, qui nécessite une fermeté de gouvernement, je dois dire que l'attitude du Gouvernement est proprement ridicule. L'oeil narquois de monsieur Talamoni, qui regarde désormais la République avec un air hautain, a de quoi hérisser le poil, non seulement de la droite mais, je crois, des républicains de gauche. Certains ont le courage désormais de le dire - après avoir dit le contraire d'ailleurs. J'ai fait partie de la commission d'enquête parlementaire et j'ai visité le centre de Borgo. Ce centre n'est pas du tout adapté à la situation qu'on voulait lui donner, puisqu'il semble que, désormais, on ait fait machine arrière. C'était à l'origine, probablement, une cité universitaire, qui a été posée sur le sol de la Corse, qui est insurveillable ; c'est la seule prison où j'ai eu le sentiment que les gardiens étaient davantage menacés par les prisonniers que les prisonniers par les gardiens. C'est donc un climat d'insécurité qui règne au sein de cette prison, qui s'accompagne de menaces - je le dis parce que, désormais, les syndicats de la Pénitentiaire l'ont dit. Par conséquent, je crois que c'est une mauvaise chose. Monsieur Vaillant s'est trompé, il ne connaissait pas son dossier, il a voulu faire plaisir à monsieur Talamoni. Je considère que les accords Matignon n'ont même plus à être suspendus, parce qu'ils sont morts."
Je ne vais pas vous l'apprendre - car vous l'avez dit, vous êtes membre de la Commission d'enquête parlementaire sur les prisons -, mais d'un strict point de vue judiciaire, la décision n'a rien d'exceptionnel puisque, selon le Code de procédure pénale, les détenus, par exemple, de courtes peines, sont détenus dans les maisons d'arrêt, les détenus de peines moyennes, dans des centres de détention. Et il est courant également qu'un détenu soit transféré dans sa région pour des raisons humanitaires. C'est d'ailleurs ce qu'a évoqué le Premier ministre hier.
- "Vous conviendrez quand même, que pour annoncer une réforme pénitentiaire et mettre en harmonie le Code pénal avec la réalité, l'endroit était assez mal choisi. Car cela pouvait prêter à confusion, c'est le moins qu'on puisse dire. Que l'on donne aux détenus des conditions qui soient conformes à notre tradition républicaine, cela va de soi. Il est vrai qu'un certain nombre de gens qui sont en prison n'ont pas à y être - c'est le problème de l'immigration clandestine, notamment, qui en est la cause - ; que l'on construise des prisons adaptées, cela va de soi. Mais quand on est à Ajaccio, qu'on est ministre de l'Intérieur et qu'on fait la déclaration de monsieur Vaillant, on ne fera pas croire qu'on a envie de réforme la condition pénitentiaire ! On a envie, en réalité, de faire un cadeau aux autonomistes corses qui, en plus, le refusent. A un certain moment de ridicule, si la situation n'était pas dramatique - car on a oublié qu'on a tué un homme trois jours avant l'arrivée du ministre de l'Intérieur ! -, si cette situation n'était pas si dramatique, je parlerais de pantalonnade."
Quand la droite a été au pouvoir, on ne peut pas dire qu'elle ait été d'une grande efficacité en matière corse. Vous venez de nous dire que le processus de Matignon ne doit même pas être suspendu...
- "Il est mort, il est mort de fait."
Vous dites qu'il est mort, mais alors, quelle est la politique alternative, que proposez-vous ?
- "Je ne considère pas qu'il soit possible de discuter avec des gens qui ne condamnent pas la violence. On ne peut pas, dans cette période internationale où nous luttons contre le terrorisme, expliquer aux Français que nous allons mobiliser la moitié de la planète contre le terrorisme et accepter de discuter à la même table, dans des lieux officiels, avec des gens qui ne prennent même pas la précaution de condamner le terrorisme, voire même qui réclament l'amnistie pour des terroristes. Tant que ce geste de bonne volonté de la part de ceux qui réclament l'indépendance ou l'autonomie n'aura pas été fait, alors il n'y aura pas de solution qui amène la Corse à une évolution que nous souhaitons. La République ne discute pas avec des gens qui emploient des armes, qui ne sont pas conformes à notre tradition. Il faut lutter, il faut, là-dessus, être de bon sens. Le bons sens, de temps en temps, est utile en politique. Les Français ont parfaitement bien compris cela, monsieur Chevènement aussi - assez tard semble-t-il, mais il l'a compris."
Autre sujet d'actualité, le texte de loi sur la sécurité quotidienne, demain à l'Assemblée. Là, en revanche, vous avez des points d'accord avec le Gouvernement.
- "C'est-à-dire que le Gouvernement a repris un certain nombre de nos propositions pour être plus clair, puisque désormais le Gouvernement essaye de faire croire qu'il est devenu sécuritaire. Alors qu'on entend encore les sarcasmes de la plupart des leaders de gauche : nous étions, il y a quelques semaines, la "droite barbelés." Je préfère être la "droite barbelés" que la "gauche débordée" et qu'en occurrence, le Gouvernement est complètement débordé par le problème de l'insécurité. La loi que nous aurons demain est une loi qui fait une série de mesures."
De votre côté, vous taxiez le Gouvernement d'angélisme.
- "C'est sûr que je continue à le taxer d'angélisme. Quelle est la crédibilité d'un gouvernement en matière de sécurité, lorsqu'il y a un peu plus d'un an, le Premier ministre qualifiait "d'incivilité" l'attaque d'un bus en banlieue parisienne ? J'appelle cela un délit, parce que j'appelle les choses telle qu'elles sont. La crédibilité d'un Premier ministre est fondamentale pour la crédibilité d'un gouvernement dans la lutte contre l'insécurité. Vous pouvez multiplier les mesures. On parle souvent de la tolérance zéro aux Etats-Unis, mais la tolérance zéro n'a pas impliqué des moyens considérables supplémentaires. C'est la crédibilité de la sanction qui est en cause."
Justement, en ce qui concerne la tolérance zéro...
- "Qui est un slogan..."
La gauche n'utilise pas ce mot. Mais ce qui a été dit ce week-end, au cours d'un congrès avec les socialistes, finalement, est assez proche de tout cela. Est-ce que sur le plan de la sécurité - thème central de la campagne électoral - finalement, les positions de la droite et de la gauche ne sont-elles pas en train de se rassembler ?
- "A mon avis, la gauche qui sent venir les élections, sent qu'il est temps peut-être de considérer que le problème de la sécurité est prioritaire. Je vous répète qu'il y a un problème de crédibilité. La gauche a sans doute de la crédibilité dans d'autres secteurs, je ne le nie pas, mais dans le domaine sécuritaire, elle ne l'a pas. Pour moi, et pour reprendre une expression que je dirais avec humour, M. Jospin est un "tigre de papier" en matière de sécurité. Il ne fait peur à personne. Il s'est posé trop de questions. Je dirais que c'est un problème culturel dans les milieux de gauche. Vous avez là un certain nombre de soixante-huitards qui ne veulent pas aller au placard. C'est pour cela qu'en réalité la délinquance augmente aussi. Parce que les chiffres sont terribles. Je ne voudrais pas encombrer les auditeurs, le matin, avec une litanie de chiffres - qui d'ailleurs, entre parenthèses, sont pipés parce que nous n'avons pas d'observatoire indépendant. Une des premières choses à faire dans une loi sur la délinquance est de dire la vérité aux Français, même si elle est difficile. Essayez d'aller faire une main courante au commissariat du coin et vous verrez si vous pouvez l'inscrire ! On vous dira que d'abord, on n'a pas le temps, deuxièmement, que ce n'est pas nécessaire et que troisièmement, cela n'aboutira pas. Si vous avez un problème d'assurance, on prendra votre main courante. S'il fallait mettre tous les chiffres dans la comptabilité, je dois dire que personne n'en dormirait plus la nuit."
La semaine dernière, le groupe DL auquel vous appartenez, s'est déclaré favorable à une motion de censure contre le Gouvernement, sur les questions de sécurité justement. Mais même sur ce thème central de campagne électoral, vous ne vous n'êtes pas mis d'accord avec le RPR.
- "On s'est mis d'accord. Et d'ailleurs, vous verrez qu'aujourd'hui même, nous réagirons fortement contre la politique de sécurité du Gouvernement. Nous avons estimé, et moi-même j'étais favorable à une motion de censure, mais les arguments du groupe RPR m'ont paru tout à fait cohérent : nous avons estimé que ce n'était pas la peine de regrouper une majorité qui était en train de devenir plurielle par le négatif. Il y avait sans doute d'autres méthodes. Nous le diront tout à l'heure d'ailleurs, parce que nous allons nous rencontrer."
Un mot sur la fusillade de Tours et la tuerie qui s'en est suivie : quatre morts, sept blessés. C. Pasqua demande le rétablissement de la peine capitale. Est-ce que vous ne trouvez pas qu'il va un peu loin ?
- "Je ne partage pas l'avis de C. Pasqua de ce point de vue. Je ne commente pas ce qui s'est passé. Il faut attendre l'enquête. Il serait malvenu qu'un homme politique commente cet incident qui, visiblement, est l'oeuvre de quelqu'un qui n'avait plus toute sa maîtrise et toute sa raison. Je ne crois pas pour autant qu'il faille faire de la démagogie et aggraver un peu plus le climat d'insécurité qui règne en France par un débat sur la peine de mort."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 30 octobre 2001)