Interview de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT à France-Inter le 5 septembre 2001, sur la refondation sociale, le paritarisme dans le cadre de la gestion de la Sécurité sociale et le financement de la protection sociale.

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Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli
Qu'adviendra-t-il de la Sécurité sociale après le 1er octobre ? Le paritarisme a-t-il vécu ? C'est ainsi vous posez la question dans un point de vue à la une du Monde. Le Medef et la CGPME ont en effet décidé de ne pas renouveler leurs administrateurs au sein des conseil d'administration des caisses pour protester contre le financement des 35 heures par la Sécurité sociale. Est-ce inéluctable ? Parce qu'à vous lire, on a le sentiment que c'est fini et que le paritarisme n'existe plus ou est sur le point de ne plus exister ?
- "C'est l'heure des choix pour le Gouvernement et si rien n'est fait dans les jours et dans les semaines qui viennent, je crains que nous tournions une page tout à fait importante de l'histoire de la notre Sécurité sociale. Alors que le système français avait une originalité qui était celle de considérer finalement que la meilleure garantie pour que notre système de protection sociale collective reste fidèle à lui-même, c'était encore d'impliquer les acteurs - les patrons et les syndicats - dans la gestion de ce système. C'est vrai que la responsabilisation aide à maintenir et à être garant de ce système. Dès lors qu'une partie des acteurs - le patronat aujourd'hui - s'en va de ces conseils d'administration, il n'y a pas 36.000 solutions : cela veut dire que, de fait, c'est l'Etat qui se retrouve en première ligne. L'Etat qui a, aujourd'hui des fonctions tout à fait décisives à assurer pour la Sécurité sociale afin de définir les politiques de long terme, afin de garantir la protection sociale pour demain, se trouvera aussi à devoir gérer, c'est-à-dire à mettre la main dans le cambouis."
Je me souviens que l'année dernière - parce que c'est un usage dans toutes les grandes radios qu'il y ait aussi une rentrée sociale -, on parlait de refondation sociale. On commençait à parler de modernisation sociale. Quel échec, un an après !
- "La refondation sociale était aussi une série de négociations qui, elles, ont produit leurs résultats. On verra. C'est le verre à moitié plein ou à moitié vide. En tout cas, sur la Sécurité sociale, nous disons - et le choix est clair aujourd'hui - ou bien dans ce pays nous considérons qu'il y a un intérêt pour une question de démocratie, de conception de l'organisation de notre vie en société ; ou bien nous considérons qu'entre l'Etat, qui a de lourdes fonctions et de lourdes responsabilités à assurer, et l'individu, il y a des acteurs qui s'organisent, qui deviennent responsables, qui assument des responsabilités. Je pense que cela nourrit la démocratie, cela conduit à la responsabilisation plutôt qu'à l'exacerbation des conflits d'intérêts. Si on fait disparaître cela à la Sécurité sociale, c'est un pan de notre histoire sociale et politique française qui s'en va."



Ce n'est pas rien. Qui assume la chute de cette démocratie sociale ? C'est l'Etat, c'est le Medef, c'est le patronat, c'est vous, les syndicats ?
- "Dans les faits, les patrons s'en vont donc incontestablement : ils seront eux responsables de cette situation. Mais dans le même temps, ils ont trouvé un prétexte pour sortir de la Sécurité sociale dans le fait que le Gouvernement souhaite faire financer par la Sécurité sociale les 35 heures."
Est-ce un prétexte ou un argument ? Après tout, est-ce que c'est une bonne idée ?
- "Tout le monde n'est pas sûr que ce soit un argument et c'est peut-être un prétexte. Donc, je dis au Gouvernement, et tous les syndicats le disent aussi, que l'argent de la Sécurité sociale est fait pour la Sécurité sociale et non pour les 35 heures. C'est un argument de bon sens. Alors, enlevez cet argument au patronat et nous en aurons le coeur net si véritablement c'est une argutie, un prétexte ou si c'est un vrai argument !"
Vous êtes assez d'accord finalement avec le point de vue du Medef : financer les 35 heures avec la Sécu n'est pas la bonne idée ?
- "Sur ce plan-là, je crois que cela fait 85 % des sondages aujourd'hui. Vous et moi, nous cotisons à l'assurance maladie, nous cotisons pour nos retraites, nous cotisons pour diverses organismes sociaux, nous avons l'intention que l'argent que nous mettons là aille à la protection sociale qui nous est destinée, pas à autre chose. C'est une affaire de bon sens et le rétablissement de la clarté dans ce qu'on nous demande de financer, dans nos prélèvements obligatoires. Nous avons besoin d'être sûr qu'ils sont bien orientés vers ce pourquoi on nous les prélève."
Ce que vous appelez la transparence ?
- "La transparence des financements sera un progrès de la démocratie, sera un progrès dans la capacité des citoyens et des assurés sociaux à penser que ce système de protection social est un vrai bénéfice."
Vous imaginez le Gouvernement d'ici le 1er octobre reculer sur la question des financements des 35 heures ?
- "Et pourquoi ? Ce n'est pas un recul !"
Il faudrait quand même à un moment donné assumer une décision politique qui n'est pas légère.
- "Est-ce que c'est reculer pour un Gouvernement que de prendre conscience que derrière cette question, qui finalement aurait dû être considérée comme un petit épiphénomène - quelques milliards à la Sécurité sociale pour les 35 heures -, il y ait toutes ces conséquences importantes ? Voila ce qui doit guider le Gouvernement. D'ailleurs je ne suis pas sûr que le Gouvernement n'ait pas ce débat en son sein. Aujourd'hui, le moment est venu de faire prévaloir pour le coup l'intérêt général sur des intérêts de politique qui ont émaillé ces dernières années les relations entre le Medef et le Gouvernement. C'est pourquoi j'en appelle - et je crois que nous ne sommes pas seuls - à ce que le Gouvernement abandonne purement et simplement cette idée de faire financer les 35 heures par la Sécurité sociale."
Sur cette question de la surpolitisation - que vous évoquez aussi dans votre point de vue -, est-ce que la Sécurité sociale ne peut pas être un levier dans une campagne politique qui va commencer et qui va être lourde ? On commence déjà à le mesurer dans les universités d'été ici ou là. Est-ce que la Sécurité sociale ne va pas être un levier pour les uns et pour les autres et notamment pour le Medef en consistant à dire au Gouvernement qu'il se trompe et qu'il fait fausse route ?
- "La Sécurité sociale globalement, mais bien d'autres thèmes, vont de fait être présents dans la campagne électorale. Pourquoi ? Parce que ce sont maintenant des vrais sujets de société qui sont sur la table et qui évidemment intéressent au plus haut point - en tout cas je l'espère - tous ceux qui prétendent à l'exercice des fonctions au niveau de l'Etat : la Sécurité sociale et son avenir, la réforme des retraites. En ce qui concerne la mondialisation, on a la même question en France. Quelle est-elle ? Dans une économie de marché qui se développe, qui à tendance à vouloir être reine, est-ce que véritablement nous allons tous parvenir à poser des garde-fous, à garantir que les impératifs sociaux, les choix sociaux fondamentaux, la justice sociale, les contreparties que les salariés attendent soient des données qui prévalent dans l'organisation du monde économique ? Cela se fait comment ça ? Par la puissance publique ? Oui, bien sûr. Mais cela se fait aussi par tous les acteurs, au quotidien, individuels et collectifs qui se sentent concernés par cet objectif de mettre de la garantie sociale, de la protection, des droits sociaux dans cette économie et dans ce monde qui bouge. La France a une histoire en la matière. Qu'au moins la France soit cette petite lumière qui continue à briller et qui d'ailleurs devra aussi se traduire au niveau de l'Europe."
A propos de la mondialisation, B. Thibault dit que c'est la logique du profit et que cette logique du profit s'exprime aujourd'hui avec de plus en plus de violence. Comment vous positionnez-vous par rapport à ce point de vue ?
- "Bien sûr que la mondialisation, dans la mesure où elle est aujourd'hui essentiellement axée sur le commerce, sur la libération des échanges et des capitaux, est la recherche du profit. Mais toute la question est de savoir si cette recherche, ce développement de la croissance - qui est par ailleurs nécessaire - va déterminer l'organisation de notre monde ou est-ce qu'en même temps nous allons chercher le développement de l'économie de la planète en réduisant les écarts de développement, en assurant le développement durable de notre planète ? Est-ce qu'on va le faire en intégrant le défi de la réduction des inégalités, de la qualité de l'environnement, la réduction des écarts Nord-Sud, le respect des droits sociaux fondamentaux, et progressivement une protection collective pour tous les gens de la planète ? Voilà le défi de la mondialisation. Par pitié, que la France n'abandonne pas ce combat au moment où il faut l'engager au niveau européen et mondial."
En cette rentrée de septembre, où on voit quelques clignotants : conjoncture économique pas fameuse, pas simplement en France mais en Europe - l'Allemagne et l'Amérique ne vont pas si fort que ça - , montée du chômage. Il y a des clignotants allumés ?
- "Il y a des clignotants. Disons qu'il y a des alertes. Nous assistons incontestablement à un ralentissement de l'économie. Nous ne sommes pas en récession. Il ne s'agit pas aujourd'hui de dramatiser la situation mais je crois qu'il faut être tout simplement attentif au fait que le développement de la croissance durable au niveau où on l'a connue ces deux dernières années n'est pas garanti à tous les coups. Il faut utiliser tous les leviers qui permettent de rester et de maintenir le cap sur ce développement de l'activité et de la croissance. De ce point de vue-là, nous sommes assez contents que la prime pour l'emploi tombe en ce moment et au bon moment, parce que ce sera un bon élément de soutien de la demande. C'est aussi la raison pour laquelle aujourd'hui - mais nous le disions déjà avant - nous n'allons pas lever le pied sur la question des salaires. C'est fini, la modération salariale. Nous l'avons considérée comme un élément qu'il fallait prendre en compte dans les négociations sur la réduction du temps de travail parce que les salariés comprenaient et admettaient d'ailleurs - ils en faisait le choix eux-mêmes - qu'entre du temps de travail en moins et les salaires, il y avait un équilibre à trouver. Ca y est, désormais ce temps est maintenant est dernière nous et il s'agit de replacer la revendication salariale au coeur des négociations. C'est d'ailleurs ce que les salariés attendent."
FO et la CGT, sur ce plan-là, se montrent assez toniques avec des mobilisations annoncées, y compris d'ailleurs pour la fin du mois de septembre. Qu'en dites-vous à la CFDT ?
- "Je souhaite surtout que nous soyons très toniques et très combatifs dans les négociations d'entreprise. Parce que c'est en principe dans ce premier trimestre que les négociations d'entreprise ont lieu. C'est là qu'on pose les revendications des salariés, c'est là qu'il faut bien les ajuster. C'est surtout là qu'il faut obtenir des revendications face aux patrons dans les entreprises."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 6 septembre 2001)