Entretien de Mme Annick Girardin, secrétaire d'État au développement et à la francophonie, 0 RFI le 13 février 2015, sur l'aide française au développement.

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  • Annick Girardin - secrétaire d'État au développement et à la francophonie

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Q - Vous êtes la secrétaire d'État en charge du développement et de la Francophonie. Avec Harlem Désir, vous venez de lancer, c'était ce matin, l'année européenne du développement, peut-être tout d'abord pour bien définir ce dont on parle. Le développement pour qui et pourquoi ?
R - Le développement et la solidarité internationale - puisque c'est comme cela que s'appelle mon secrétariat d'État - sont destinés aux pays en développement, aux pays les plus vulnérables, c'est-à-dire pour la France par exemple essentiellement l'Afrique, les États insulaires et quelques pays de l'Asie.
Le développement, ce sont de grands objectifs pour qu'il y ait de la sécurité, de la paix, que l'écologie ait sa place, que la solidarité ait sa place, qu'il y ait une possibilité de développement économique et de croissance dans les pays aujourd'hui les plus défavorisés. Et puis, sur le volet climat, le développement, c'est aussi comment aujourd'hui on réagit face au réchauffement climatique et comment on reste sur la ligne des deux degrés. Aujourd'hui, cette planète mais surtout ceux qui y vivent sont en dangers.
Q - Expliquez-nous le lien, le rapport précis entre climat et développement, modèle de développement.
R - Nous avons aujourd'hui à réinventer un modèle de développement parce qu'aujourd'hui, seuls, les États ne peuvent plus faire face à l'enjeu du développement aux côtés de leurs partenaires du Sud tant le travail est important.
La démographie africaine est tellement importante aujourd'hui que par exemple même la lutte que l'on a menée contre la pauvreté qui a reculé en Afrique n'est pas suffisante compte tenu du nombre de jeunes qui arrivent chaque année ; c'est un énorme défi.
En même temps, nous avons aujourd'hui une année sur laquelle nous réfléchissons pour arriver, en décembre 2015, à un accord climat. Ce que l'on constate, c'est que les questions climatiques ou les perturbations climatiques touchent les plus défavorisés, les pays les plus fragiles, c'est-à-dire l'Afrique, encore une fois, ou les petits États insulaires. La montée des eaux, les catastrophes naturelles, la désertification, la déforestation, tout cela touche nos partenaires du Sud que nous soutenons.
Q - Tout cela coûte cher, bien évidemment, alors que la crise économique et la nécessité de réduire la dette de l'État oblige à réduire les budgets. L'aide au développement voit-elle son enveloppe baisser ? Qu'est-ce qui est mis de côté ?
R - Si vous parlez effectivement de l'implication de la France, nous avons préservé notre cœur de métier ; nous avons préservé les pays et notamment l'Afrique. Le président de la République l'a rappelé, nous avons continué à augmenter notre soutien aux ONG. Certes, les difficultés financières sont là mais le défi est tel que même si on voulait multiplier par dix l'aide au développement des États, on n'arriverait pas à répondre au défi qui est face à nous. Ce n'est pas l'échelle. L'échelle à laquelle nous devons répondre, c'est une échelle où les États devront obligatoirement avoir une politique de développement et c'est ce qui va se faire et c'est ce qui va se décider à Addis-Abeba en juillet prochain, en Éthiopie, où nous avons un grand rassemblement sur le financement du développement.
Q - Sur le financement du développement, ce qui montre bien que c'est le nerf de la guerre !
R - C'est le nerf de la guerre !
Q - Vous vous attendez à ce que soit réduit le financement ou justement à dire «attention, surtout il faut préserver parce que c'est préserver l'avenir, préserver les budgets pour préserver l'avenir ...» ?
R - C'est plus que préserver les budgets, c'est obligatoirement les augmenter et pour les augmenter, il faut les faire à plusieurs, c'est-à-dire qu'il faut que les États s'engagent. L'objectif de 0,7 %, sera réaffirmé mais aussi il faut que les entreprises puissent se mobiliser à nos côtés ; il faut que les collectivités territoriales puissent se mobiliser au-delà ; il faut que les banques de développement puissent davantage «verdir» leur dispositif et puis il faut être innovant. Le financement innovant sera très certainement la réponse. Concrètement, cela veut dire que la taxe par exemple pour la France, la taxe sur les transactions financières que nous avons mise en place, il faut qu'elle devienne européenne.
Q - Donc vous avez lancé tout à l'heure l'année européenne dédiée au développement. Pourquoi européenne sachant que l'Europe est le premier bailleur mondial, c'est-à-dire celle qui donne le plus d'argent au monde en faveur du développement. Pourquoi cette année européenne ? Pour relancer, pour maintenir justement ce souci, cette envie ?
R - Cette année européenne, ce n'est pas par hasard. L'Europe a décidé dans cette année importante, 2015, de montrer combien cette région, l'Europe, est la plus généreuse au monde, vous l'avez dit mais au-delà que cette fierté soit portée par l'ensemble des Européens et notamment également par les Français, que l'on comprenne que cette solidarité est là et qu'il nous faut davantage la montrer.
Cette année européenne est faite pour les médias, pour que l'on en parle davantage. Elle est faite pour les citoyens, pour plus de transparence sur notre politique de développement et nous le faisons à travers, enfin l'Europe le fait et nous l'avons fait avec Harlem Désir ce matin, l'Europe fait un appel à projet à hauteur de 600 000 euros ; des projets qui seront labellisés et qui seront présentés à l'ensemble des Européens pour que l'on comprenne concrètement ce que fait l'Europe, ce que font le pays européens en matière de développement.
Vous savez la France est très, très solidaire et notamment la jeunesse.
Q - Justement, les jeunes sont solidaires. Autre chose à propos de la jeunesse, c'est le volontariat international qui permet à 4.000 jeunes aujourd'hui de s'engager au nom de l'État dans une action à travers le monde. C'est donc un succès ; pour autant, vous voulez apporter des modifications ou carrément réformer le système ?
R - L'engagement des jeunes en service civique, en volontariat international doit être une réponse plus importante en nombre. Il faut donc la renforcer mais il faut aussi que l'on puisse la simplifier, que l'on puisse la valoriser. Je constate que l'on a dix dispositifs, que l'on n'a absolument pas qu'une seule porte d'entrée. Donc, il nous faut une seule porte d'entrée qui explique quelles sont les possibilités pour des jeunes de partir à l'international.
Q - C'est plus compliqué aujourd'hui.
R - Les jeunes vous disent que c'est un parcours du combattant. Ensuite, il faut que l'on puisse augmenter ce nombre de jeunes et puis surtout il faut que ce soit moins élitiste parce que l'on constate aujourd'hui que seuls 3% de tous ces jeunes ont le bac ou un niveau inférieur au bac comme qualification. On a davantage des bac + 3.
Il nous faut, comme le président de la République l'a souhaité, pouvoir répondre à toutes les demandes et pouvoir apporter des réponses à chaque jeune. Mais il y a encore une dimension qui me tient à coeur, c'est la valorisation. Vous savez, je viens de Saint-Pierre-et-Miquelon, un territoire proche du Canada et de l'Amérique du Nord. Au Canada et en Amérique du Nord, on valorise cet engagement quand il est de six mois ou d'un an, d'un an et demi ; les compétences et l'expérience acquises sont reconnues.
Q - Pour ensuite trouver un travail ?
R - Pour trouver un travail avec les entreprises, pour retourner dans le domaine universitaire, faire des passerelles avec l'université, pour éventuellement accéder à des formations professionnelles, voire pour faire un concours de la fonction publique.
Q - Tout autre chose, dimanche dernier, vous vous êtes rendue en Guinée équatoriale pour retravailler les relations entre Paris et Malabo mises à mal par l'affaire des biens mal acquis qui ont touché le fils du président Obiang. Qu'avez-vous dit à ce chef d'État qui, je vous le rappelle, dirige le pays d'une main de fer depuis son coup d'État en 79 ?
R - Le souhait du président François Hollande était que je me rende dans le premier trimestre 2015 en Guinée équatoriale, après une rencontre qui avait eu lieu à New York entre les deux présidents. L'objectif de ce déplacement était de voir dans quel domaine et comment nous pouvions avec la Guinée équatoriale mener des partenariats.
Q - Après avoir vu le chef de l'État de Guinée équatoriale, qu'est-ce qu'il en ressort ?
R - Il en ressort que nous allons avoir des missions d'experts qui se rendront en Guinée équatoriale : l'Agence française de développement ; Expertise France, très certainement, c'est le souhait que nous avons émis. Ensuite, nous verrons effectivement avec les entreprises françaises comment concrétiser un certain nombre de partenariats. Et puis, le président de Guinée équatoriale souhaite effectivement une nouvelle rencontre, quand nous aurons avancé sur un certain nombre de dossiers, avec le président François Hollande.
Q - Et pour ce qui est de l'affaire des biens mal acquis, vous en avez parlé ?
R - J'ai évoqué cette question avec le ministère des affaires étrangères. Cette question a été évoquée rapidement et chacun a compris que nous avions des systèmes, des fonctionnements différents. En ce qui concerne la France, la justice est totalement indépendante. Nous pouvons travailler sur un certain nombre de projets avec la Guinée équatoriale mais cette question est à part, elle ne peut pas être traitée par les échanges que nous avons, c'est la justice qui fera son travail.
Q - Donc on ne vous a pas demandé de passe-droits et bien sûr, vous n'en avez pas accordés !
R - Le président n'a absolument pas évoqué cette question et je crois que chacun a compris quelle était la position de l'autre.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 février 2015