Interview de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, à France-inter le 11 janvier 2001, sur le projet de crédit d'impôt en faveur des bas salaires.

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Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli Après le débat sur la cagnotte, celui sur la ristourne est-il ouvert ? "Ristourne" pour la CFDT, c'est aussi une proposition de mots faite par le premier secrétaire du PS, F. Hollande. Mais au fond, quelle est d'ailleurs la vraie nature de ce débat ? Quel est son poids social ? Quel est son poids politique ? Après que le Conseil constitutionnel ait annulé la baisse de la CSG, le Gouvernement a écarté le principe d'une hausse du Smic et opterait donc dans les heures qui viennent pour le crédit d'impôt rebaptisé "ristourne fiscale." C'est la formule de F. Hollande. Pas de "crédit d'impôt" puisque - on vient de l'entendre - cette formule a été récusée : prime de pouvoir d'achat ! On joue sur les mots ?
- "Je prends position non pas en fonction de la sémantique mais parce que j'ai derrière la tête quelque chose. Il semble effectivement, apparemment, que ce soit une question de choix de termes. Moi, je suis pour l'augmentation du Smic, je suis pour l'augmentation du salaire direct. Je pense que nous avons là une occasion de régler d'autres problèmes. L'un des premiers problèmes est que nous avons un Smic de 35 heures et un Smic de 39 heures. Lorsqu'il y a deux Smic, c'est comme la monnaie, il y en a un qui chasse l'autre. Nous avons intérêt, le plus rapidement possible, à aller vers un seul Smic. C'est l'occasion. Nous avons une voie qu'il faudrait utiliser. D'autant que je rappelle qu'en 2002, les entreprises de moins de 20 salariés vont devoir être aux 35 heures. On a l'occasion de faire non pas une substitution, non pas non plus la satisfaction d'une revendication - parce que la revendication d'une revalorisation du Smic de 10 % serait de la folie - mais on a un passage. Certes, cela touche 2,7 millions de personnes et en fait, on veut redistribuer pour 9 millions de personnes. Je ne suis pas dupe. Néanmoins, il paraît aussi que dans les petites entreprises, comme dans le bâtiment, on ne trouve pas de salariés. Il faut revoir le pouvoir d'achat. Et puis si on augmente le Smic, dans la pratique, quelque temps après, cela se ressent sur les salaires directes. Cela se ressent sur les autres salaires au-dessus du Smic."
Voilà l'argument qu'on oppose : c'est au fond l'Etat qui financerait les hausses de salaires, qui cautionnerait les hausses de salaires ?
- "Pourquoi pas ?"
Ce qui serait très difficile après pour les négociations salariales.
- "Non, pas du tout. Le problème de la négociation salariale n'a jamais été résolu au niveau de l'Etat et au niveau interprofessionnel en France, fort heureusement. C'est dans l'entreprise ou c'est au niveau de branches pour les salaires conventionnels."
On dirait que c'est l'Etat qui a envoyé le signal ?
- "Qui voulez-vous que ce soit ? M. Seillière ? Il n'y a pas de danger quand même ! Il faut être clair : je ne suis pas pour relancer l'inflation, il faut quand même y aller modérément. Encore que je ne suis pas un anti-inflationniste à tous crins : quand on la domine, c'est quand même de la redistribution. Mais je me contente de 1,5 % d'inflation par an. Ceci étant, quand on regarde l'inverse, il y a une déresponsabilisation. J'ai cru me reconnaître quand M. Bromberger a parlé des syndicalistes qui "avaient le courage de...." Je suis vraisemblablement le seul à dire qu'il faut que tous les citoyens payent des impôts. Je prends l'image du chômeur qui devrait payer 50 francs d'impôt parce que c'est le cordon ombilical de la citoyenneté."
C'est le lien social qui est dans l'impôt ?
- "Oui. Si je vote pour un tel ou un tel, c'est en fonction du jugement que je porte sur les sous que je leur donne. Je suis comme tout le monde, je paye deux mois et demi environ d'impôt et quand ça arrive, je fais la tête. Inutile de vous dire que je ne suis pas content. Je suis comme tout le monde. Néanmoins, c'est ce qui me donne un lien et qui fait de moi un citoyen qui s'exprime, en espérant le faire en connaissance de cause. Cela dicte mes choix. Je pense que tout le monde devrait le faire parce qu'il faut éviter de tomber dans la déresponsabilisation et dans le poujadisme. Effectivement, le fait que l'Etat redistribue de l'argent a un côté "caisse de bienfaisance" et cela va faire naître chez les gens toute une série de choses. Vous vous rendez compte : le commerçant du coin qui fait une crise de poujadisme tous les matins, lorsqu'il va apprendre que le modeste petit gars du coin va être payé avec son argent !"
Est-ce qu'il peut y avoir un phénomène inverse - on évoquait les salaires à l'instant - c'est-à-dire qu'au fond, cette prise en charge des salariés par l'Etat induise un phénomène de pression à la baisse sur les salaires ?
- "Cela pas exclu. Je n'en suis pas sûr, mais on ne peut pas écarter l'éventualité. Ce n'est pas exclu effectivement que cela fasse une poche et que cela fasse un effet de seuil. Il y a quelque chose que M. Bromberger a touché du doigt et qui me semble être effectivement important : c'est la conséquence, lorsque quelqu'un retrouve du travail, du fait que l'imposition lui tombe dessus brutalement. Je dis que c'est une analyse à courte vue. Même dans les circonstances actuelles, quand on retrouve du travail il vaut mieux travailler que spéculer sur les régimes d'assurance chômage ou sur le RMI. Il suffit de voir les malheurs qu'on a eu dans la négociation du régime d'assurance chômage pour savoir que ce n'est pas une sinécure. Ce n'est pas une rente ad vitam. Il faut faire attention à cela et je pense qu'il faut trouver l'équilibre entre le salaire qui justifie le fait de travailler et qui reconnaît le travail et en même temps, tout le système économique français, au moins dans le domaine de la protection sociale, qui est fait par des prélèvements. Plus on donne du salaire direct, plus cela fournit des ressources au régime de protection sociale - cela me semble être une nécessité quand même. Il me semble qu'on a des problèmes pour les retraites etc. On ne va pas, à l'inverse, toujours réduire le montant des cotisations qui rentreraient pour financer les ressources de la protection sociale."
Mais à vos yeux, quelle est la part du débat social dans cette affaire et celle du débat politique ?
- "Le débat social : zéro. Prise de position de la CGT, prise de position de la CFDT, prise de position de la CGC, prise de position de FO ; bagarres à l'intérieur des organisations politiques, au moins à l'intérieur du parti socialiste, et puis après, grand débat. Cela fait partie de ce que vous disiez tout à l'heure, à savoir le débat entre le Président de la République et le Premier ministre. En définitive, c'est cela. Il y a un problème de sémantique, mais mon choix est dicté par une autre logique, qui est celle qu'il faut donner du salaire direct aux gens parce que c'est ce qui, à mon avis, fait bénéficier le mieux de la croissance."
Quand on parle d'année utile en ce moment, on parle d'une année utile à quoi ? Aux ambitions politiques uniquement ?
- "J'ai le sentiment, effectivement, que nous sommes entrés déjà dans toutes les subtilités, les analyses et les effets pour savoir qui, que, à quel moment ? Cela ne veut pas dire que cela ne vaudra rien. J'ai participé aux voeux du Président de la République - où le Premier ministre était présent bien entendu - qui a fait un discours de presque trois quart d'heure - d'habitude, il fait 20 minutes de discours - très long, très intéressant. Il y en avait pour tout le monde, y compris le centenaire de la loi sur les associations qui sont très utiles, etc.. On a eu tous droit à notre petit coup de chapeau. Ce qui veut bien dire qu'il est en campagne électorale. Je le constate ; c'est son droit, et en plus c'est logique. Je suppose que si c'était un autre, ce serait la même chose. Mais il a dit quelque chose de fort intéressant : il a dit qu'il fallait que le droit soit mobile. Il a expliqué qu'il fallait que les salariés qui changent d'entreprises - parce qu'ils sont dans une filiale, qu'ils viennent au siège ou réciproquement - ou le cas échéant dans une externalisation - donc la sous-traitance -, aient des droits qui restent permanents. Je suis demandeur - opportuniste comme je suis - et je dis tout de suite au Medef : "On négocie une convention interprofessionnelle sur le contrat collectif dans le domaine de la sous-traitance." Ce serait moderne. L'Etat n'y met pas son nez, on négocie cela ensemble. Apparemment, M. Kessler m'a dit qu'il était d'accord. Je ne vais pas manquer de le saisir officiellement, et je le saisis ici où j'ai l'occasion de le dire devant tout le monde de façon à ce qu'il ne se dédise pas."
Voilà peut-être une autre proposition présidentielle qui sera pris en compte. J.-M. Ayrault, président du groupe socialiste à l'Assemblée, s'étonne et dit que le choix qui vient d'être fait est une curiosité politique. Au fond, cela consistait à donner raison ou à la droite parlementaire ou au chef de l'Etat ?
- "Je n'en sais rien. Ce qui m'étonne, c'est que je connais un peu J.-M. Ayrault et je pensais qu'il était pour l'augmentation du Smic. Vous voyez comme on peut se tromper ! Ce n'est vraiment pas normal. Entre nous, est-ce que c'est normal que ce soit aux seins des états majors d'une organisation politiques, y compris celle qui est au pouvoir, que se discute effectivement la décision qui est une décision pratique sur un débat qui a eu lieu ? Le phénomène politique - que je vois pour la première fois depuis longtemps - est qu'on a un Gouvernement qui dit : "J'ai trop d'impôt alors je vous en redistribue." C'est le phénomène ; le reste, les modalités avouez quand même que c'est quand même un débat de sémantique. C'est fort intéressant."
Le problème, c'est que la politique est inscrite dans les mots et que les mots ont quelque fois une telle subtilité.
- "C'est l'importance de la communication. C'est comme la refondation sociale, c'est de la communication."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 11 janvier 2001)