Interview de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, avec RMC et BFM TV le 2 mars 2015, sur l'assassinat de l'opposant russe Boris Nemtsov, le voyage de quatre parlementaires français en Syrie, l'accord de paix au Mali, la politique économique de la France et l'Union européenne, la laïcité et sur la lutte contre le dérèglement climatique.

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Média : BFM TV - Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

JEAN-JACQUES BOURDIN
Notre invité ce matin, Laurent FABIUS, ministre des Affaires étrangères. Laurent FABIUS, bonjour.
LAURENT FABIUS
Ravi d'être avec vous.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci d'être avec nous. Boris NEMTSOV, 55 ans, homme politique russe, ancien proche de Boris ELTSINE, tué en plein coeur de Moscou, à quelques centaines de mètres du Kremlin, quatre balles tirées dans le dos, en pleine nuit, dans la nuit de vendredi à samedi. Est-ce que cet assassinat profite à Vladimir POUTINE selon vous ?
LAURENT FABIUS
D'abord je veux condamner cet assassinat, qui est absolument révoltant. J'avais eu l'occasion de rencontrer, lorsqu'il était vice Premier ministre d'ELTSINE, monsieur NEMTSOV, et c'était un opposant, on le sait, a été tué, et c'est donc révoltant. Ensuite, je veux demander, souhaiter, comme ça a été fait d'ailleurs par d'autres, une enquête, parce que ça soulève toute une série de questions.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le Kremlin dit qu'il y aura enquête.
LAURENT FABIUS
Très bien.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça veut dire que vous avez quelques doutes sur la qualité de cette enquête ?
LAURENT FABIUS
Non, mais on ne sait pas ce qui s'est passé, on ne sait pas, donc il faut condamner, il faut qu'il y ait une enquête, et puis c'est vrai que ça vient, même si les circonstances peuvent être différentes, après d'autres morts, il faut rappeler la mort de la journaliste…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Anna POLITKOVSKAÏA.
LAURENT FABIUS
Oui, et il y a eu la mort aussi de LITVINENKO, la mort de BEREZOVSKY, à chaque fois, ça peut être des circonstances différentes, mais le fait est qu'il ne fait pas bon être opposant.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il ne fait pas bon… mais vous demandez une enquête, le Kremlin n'en n'a que faire de votre demande, non, Laurent FABIUS ?
LAURENT FABIUS
Non.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Parce que vous demandez une enquête, très bien, mais vous demandez officiellement une enquête ?
LAURENT FABIUS
Mais vous avez noté que, si vous m'invitez, c'est parce que je suis ministre des Affaires étrangères, donc évidemment…
JEAN-JACQUES BOURDIN
La France, officiellement, demande une enquête ?
LAURENT FABIUS
Bien sûr que les Russes feront ce qu'ils souhaitent faire, mais dans la situation actuelle, où il y a énormément d'interrogations, il est tout à fait normal qu'il y ait une enquête, c'est d'ailleurs ce qu'ont déclaré les officiels russes. Maintenant, comment elle sera faite, je n'en sais rien.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Implication de la Russie dans le conflit ukrainien, il travaillait sur le sujet, Boris NEMTSOV, aussi, il s'apprêtait à rendre un rapport, ça ne fait aucun doute l'implication de la Russie dans le conflit ukrainien. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que… je regardais, l'ONU, Ukraine, plus de 6000 tués depuis avril 2014, avec des dévastations impitoyables, dit l'ONU. Est-ce qu'aujourd'hui, dans la situation actuelle, vous pensez qu'il y a une lueur d'espoir en Ukraine, franchement ?
LAURENT FABIUS
Vous savez, nous travaillons beaucoup là-dessus, le président français et moi-même, vous vous rappelez ce qu'est le « format de Normandie », et nous avons pu à Minsk, il y a de cela quelques jours, faciliter un accord qui permet, sans doute, de passer de l'escalade, où on était avant, à une désescalade. Donc, aujourd'hui, on travaille concrètement. Qu'est-ce que ça veut dire ? Le cessez-le-feu il est, en général, observé, mais il faut rester très, très, très prudent, maintenant la phase, ensuite, telle qu'elle a été signée, c'est le retrait des armes lourdes. Il y a eu certaines armes lourdes qui ont été retirées, d'autres non. Et puis…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et le retrait des forces russes ?
LAURENT FABIUS
Bien sûr. Et puis…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qui sont présentes côté ukrainien ?
LAURENT FABIUS
Alors c'est nié, mais les séparatistes…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pour vous c'est évident ?
LAURENT FABIUS
Les séparatistes ne s'arment pas tout seuls.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pour vous c'est évident, il y a des soldats russes qui combattent aux côtés des séparatistes ?
LAURENT FABIUS
Je pense que oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui ?
LAURENT FABIUS
Je pense que oui, et donc il faut appliquer l'accord de Minsk, et là-dessus tout le monde reconnaît que l'action, à la fois de l'Allemagne et de la France, a été tout à fait décisive. Nous, nous avons depuis le début, de cette affaire ukrainienne, toujours pris la même position, d'une part il faut être extrêmement ferme. Parce que, qu'est-ce que veut la Russie, qu'est-ce que veut monsieur POUTINE ? Il veut, probablement, avoir une influence très forte sur l'ensemble des pays voisins, mais ça il ne peut pas le faire au détriment du droit international. Il a envahi la Crimée, ce qui est inacceptable. Donc nous, nous disons, il faut faire preuve de fermeté, d'où les sanctions, mais en même temps on ne va pas déclarer la guerre à la Russie, et donc il faut permettre ce dialogue. Et l'attitude de la France, en permanence, a été d'être ferme, mais en même temps de faciliter le dialogue. D'où l'accord de Minsk, il y a de cela quelques semaines, et on continue sur la même ligne.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Laurent FABIUS, le voyage de nos quatre parlementaires en Syrie était-il connu ? Est-ce que vous saviez que ces quatre parlementaires allaient se rendre en Syrie, et pour trois d'entre eux, rencontrer Bachar EL-ASSAD ?
LAURENT FABIUS
On m'avait dit qu'il y avait une initiative de cette sorte, je n'en connaissais pas les détails, et j'avais fait dire que je la désapprouvais tout à fait.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc vous saviez ?
LAURENT FABIUS
Oui, on m'en avait parlé, et j'ai dit que je…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le « on », ce sont vos services ?
LAURENT FABIUS
C'est mon attaché parlementaire qui m'a dit « il y a certains des parlementaires qui veulent aller là-bas », et j'ai dit « c'est absurde. »
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous avez essayé de les dissuader de partir, comme ça ?
LAURENT FABIUS
Ils connaissaient ma position, la position du gouvernement français. Vous m'interrogez sur ma réaction. Ma réaction c'est condamnation, plus consternation. Pourquoi ? Condamnation, parce qu'il y a une politique de la France, les parlementaires sont absolument libres, mais finalement – je vais être un peu grossier – mais aller servir la soupe à monsieur Bachar EL-ASSAD c'est absurde. Quand on connaît la réalité de la situation syrienne, vous avez… au départ, c'est une petite manifestation, vous vous rappelez, il y a 3, 4 ans, de quelques jeunes, et les choses ont été traitées de telle manière par monsieur Bachar EL-ASSAD, qu'aujourd'hui il y a 220.000 morts. Et, ce qu'il faut bien comprendre, c'est que Bachar EL-ASSAD et les terroristes de Daesh, d'ISIS, c'est l'avers et le revers d'une même médaille, ils se soutiennent les uns, les autres. D'ailleurs, au départ, c'est en libérant des prisonniers que monsieur Bachar EL-ASSAD a encouragé le mouvement terroriste, donc croire que Bachar peut être l'alternative au terrorisme, c'est complètement absurde. Comment voulez-vous imaginer qu'une population, qui a souffert, 220.000 morts, des millions de déplacés, tout d'un coup dise « Bachar est notre sauveur » ? Ça n'a aucun sens. Donc je condamne, je condamne. Et en même temps c'est assez consternant, parce que les parlementaires sont, encore une fois, libres, mais qu'on ne puisse pas réfléchir à tout ça, alors qu'on est un parlementaire, donc quelqu'un de majeur, qui doit réfléchir, c'est un peu… c'est même absurde, voilà, c'est absurde.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ils doivent être sanctionnés ?
LAURENT FABIUS
Non, ce n'est pas mon affaire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ce n'est pas le problème.
LAURENT FABIUS
Ce n'est pas mon affaire. Le fond…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Leur explication est claire… oui, sur le fond. Alors, ils disent « ASSAD est notre ennemi », d'accord, c'est un ennemi, mais est-il interdit de discuter avec un ennemi, avec son ennemi ?
LAURENT FABIUS
Mais, vous comprenez bien, et vous l'avez vu immédiatement, relayé le cas échéant par la presse, il se sert de ça. Donc, on ne va pas… il est responsable de la situation. Il ne fait pas partie, ce n'est pas lui qui incarne l'avenir de la Syrie ; j'ai écrit d'ailleurs, récemment, avec mon collègue britannique, le ministre des Affaires étrangères britannique, un petit article en expliquant tout cela. Quelle est la solution là-bas ? La solution est politique, Monsieur BOURDIN, et donc ce qu'il faut, et ce à quoi nous travaillons, avec d'autres, vous avez cité les Russes, et d'autres pays, des pays arabes, ce à quoi nous travaillons, c'est quoi ? C'est arriver à une solution qui préserve l'unité de la Syrie, c'est très compliqué, et qui respecte les communautés. Dans cette solution il faudra qu'il y ait qui ? Qu'il y ait, non pas Bachar, qui est absolument déconsidéré, mais certains éléments du régime, plus l'opposition modérée. D'ailleurs cette semaine nous allons recevoir l'opposition modérée en France. Et vous avez peut-être vu, c'était une dépêche d'hier, que l'opposition, courageuse, c'est très difficile, a dit « la politique de la France est une politique exemplaire. » Depuis le début, nous sommes des gens pragmatiques, nous savons bien que ce n'est pas la solution militaire qui va l'emporter, et qu'il faudra donc qu'il y ait un accord, mais pas avec monsieur Bachar EL-ASSAD, avec certains…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous mettez Bachar EL-ASSAD et Daesh sur le même plan.
LAURENT FABIUS
Absolument.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Sur le même plan ?
LAURENT FABIUS
Ils sont coresponsables. D'ailleurs, est-ce que vous voyez, dans certains endroits, que monsieur Bachar EL-ASSAD attaque Daesh ? Non, jamais.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Laurent FABIUS, l'Espagne a rouvert son ambassade à Damas.
LAURENT FABIUS
Oui, et alors ?
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y a des discussions, parrainées par Moscou d'ailleurs, entre ASSAD et une certaine partie de l'opposition syrienne, actuellement.
LAURENT FABIUS
Vous avez entendu ce que je vous ai dit ?
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui.
LAURENT FABIUS
J'ai dit qu'il fallait qu'il y ait, dans la solution politique, certains éléments du régime, et l'opposition, mais pas monsieur Bachar EL-ASSAD. Voilà.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qui contrôle encore 60 % de son pays.
LAURENT FABIUS
Oui, enfin !
JEAN-JACQUES BOURDIN
Plus ou moins.
LAURENT FABIUS
Quand on dit « il contrôle », c'est largement le Hezbollah.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le Hezbollah, allié de l'Iran chiite. Quelles sont les trois personnes qui accompagnaient ces parlementaires, vous les connaissiez, vous, au Quai d'Orsay ?
LAURENT FABIUS
Qui ça ?
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ces trois personnes, on a beaucoup parlé de trois personnes qui accompagnaient, des hommes d'affaires…
LAURENT FABIUS
Non, je ne sais pas, j'en sais rien. Mais BOURDIN…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous ne connaissez pas, oui, bon !
LAURENT FABIUS
Vous faites très bien votre travail, mais un conseil, ne vous appesantissez sur ce point-là.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, sur ce point-là, sur ce voyage-là…
LAURENT FABIUS
Oui, ça ne mérite pas…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça ne mérite rien ?
LAURENT FABIUS
Ça ne mérite…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Du mépris ?
LAURENT FABIUS
Non, non, j'ai dit condamnation…
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est une forme de mépris.
LAURENT FABIUS
Revue de presse audiovisuelle Invités politiques – Lundi 2 mars 2015
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Non, ce n'est pas mon genre, mais si vous voulez, je pense que, imaginez que la politique extérieure de la France, ça devrait être monsieur Bachar EL-ASSAD, s'ils ont des loisirs, ils peuvent les occuper autrement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui. Laurent FABIUS, certains disent, et eux aussi, la France est alignée, la politique étrangère de la France, est alignée sur les positions américaines. Vous entendez ces accusations, qui reviennent ici ou là, non ?
LAURENT FABIUS
Ecoutez, ce que j'entends, et je ne voudrais pas, bien sûr, faire preuve d'arrogance, mais la politique extérieure de la France est appréciée à peu près partout dans le monde, et par les Français. Quand on interroge les Français, « est-ce que vous pensez que cette politique extérieure est bonne ? », il y a une forte majorité qui l'approuve. Alors, qu'il y ait quelques contestations, c'est tout à fait légitime. Maintenant, par rapport à votre question, les Etats-Unis, nous sommes un pays indépendant, croyez-vous que sur l'Iran, c'est un sujet que vous connaissez bien, lorsqu'il s'agit du nucléaire iranien, la France soit alignée ? Vous vous rappelez ce qui s'est passé. Croyez-vous que, en Syrie précisément, la France soit alignée ? Croyez-vous qu'en Afrique, on va peut-être parler du Mali…
JEAN-JACQUES BOURDIN
On va parler du Mali là, oui.
LAURENT FABIUS
Quel est le pays qui est reconnu comme étant le pays qui montre le « la » ? La France. Alors, j'ai de très bonnes relations avec les autorités américaines, mais ces autorités savent que la France est un pays indépendant.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le Mali, accord de paix entre le gouvernement malien et six groupes armés du Nord, pas tous, on est bien d'accord, Laurent FABIUS ?
LAURENT FABIUS
Un groupe a encore demandé du temps, comme on dit « ad referendum », avant de donner son accord, mais si l'accord était effectivement signé, c'est une très bonne nouvelle. Pourquoi ? Pour trois catégories. D'abord pour les Maliens, parce qu'il faut rappeler que, il y a de cela 2 ans, le Mali allait tomber sous le coup du terrorisme. Vous vous rappelez, janvier 2013, le président de l'époque, président de transition, appelle François HOLLANDE en disant « Monsieur le président de la République, si la France n'intervient pas, demain je serai mort, et les terroristes auront pris Bamako », c'était en janvier 2013. Nous sommes en mars, 1er mars, 2015, les terroristes ont été chassés, la légalité a été rétablie, il y a un président de la République, une Assemblée nationale, les crédits nécessaires au développement ont été votés, et maintenant il y a, espérons-le, une solution politique. C'est remarquable. Le premier gagnant c'est les Maliens, puisque vous savez qu'il y avait une opposition entre le Nord et le Sud, donc cet accord vise à mettre fin à cette opposition, donc premier gagnant, les Maliens. Deuxième gagnant, la stabilité régionale, et troisième gagnant, la sécurité internationale, puisque si le Mali n'est pas stabilisé, évidemment ça a des incidences sur le terrorisme. Donc, si ça a lieu, ce que je crois, c'est remarquable, et je veux rendre hommage à la fois à ceux qui acceptent cet accord, et à la médiation algérienne, à mon ami LAMAMRA, le ministre des Affaires étrangères algérien, qui avec la diplomatie algérienne, avec nous, avec d'autres, a fait un travail remarquable.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que ça veut dire que l'engagement français au Mali va être encore allégé ?
LAURENT FABIUS
Alors, nous avons…
JEAN-JACQUES BOURDIN
L'engagement militaire.
LAURENT FABIUS
Nous avons mis l'essentiel de nos moyens, maintenant, dans l'opération Barkhane, qui ne vise pas le Mali, qui vise l'ensemble de la zone sahélo-saharienne, et cet engagement, qui représente 3000 hommes, qui est bien utile, parce qu'il y a des risques terroristes…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et puis il y a la Libye, pas loin.
LAURENT FABIUS
Il est maintenu cet engagement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il est maintenu, pour l'instant ?
LAURENT FABIUS
Oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Cet engagement français au Mali, en république Centrafricaine, est-ce que l'Europe devrait le prendre en compte financièrement, lorsque l'Europe examine le budget de la France ?
LAURENT FABIUS
Ça c'est une suggestion qui a été faite, par beaucoup, et qui a du sens, bien sûr. Parce que…
JEAN-JACQUES BOURDIN
La France va en faire la demande officielle ?
LAURENT FABIUS
Non, mais je dis souvent, aux parlementaires, qui m'en parlent, « mais convainquez vos groupes parlementaires, au niveau européen, d'en faire la demande. » Parce que, si on regarde – c'est le sens de votre question – quels sont les objectifs de notre politique étrangère ? Premièrement, paix et sécurité, on vient de parler du Mali. Deuxièmement, planète, peut-être parlera-t-on du climat. Troisièmement, Europe. Quatrièmement, rayonnement de la France. Et à chaque fois que le président de la République ou moi-même nous avons des décisions à prendre, nous nous référons à ces quatre principes. Bon, la Défense, évidemment lorsqu'il y a un conflit, que c'est conforme au droit international d'intervenir, qui est-ce qu'on réclame ? La France. Il n'y a pas beaucoup de pays dans le monde, lorsqu'il faut se lever et y aller, pour parler vulgairement…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais est-ce que l'Europe pourrait voter des fonds pour intervenir au Mali ou ailleurs ?
LAURENT FABIUS
Eh bien, je dis souvent… alors, elle nous a accompagnés au Mali, en Centrafrique, ailleurs…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, timidement, elle a accompagné, oui…
LAURENT FABIUS
Mais l'hymne, la Marseillaise, ce n'est pas : « Allez enfants de la patrie », c'est « Allons, enfants de la patrie », c'est-à-dire, allons-y tous ! Et je dis souvent en souriant à mes collègues et amis européens : je vous remercie énormément de vos félicitations, et j'espère qu'elles vont se traduire par un accompagnement concret.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc l'Europe doit prendre en compte dans l'examen du budget de la France des engagements militaires de la France à l'étranger ?
LAURENT FABIUS
Ce n'est pas en ces termes-là, mais il faut avoir une appréciation globale. Vous avez parlé de la Libye, bon, la Libye, le Nord de la Libye est à 350 kilomètres de l'Italie, ce qui se passe là-bas, en Afrique, certains disent : il ne faut pas s'en mêler, mais il faut bien voir que si ça tourne mal là-bas, ça a des conséquences chez nous, vous le savez. Et donc l'Europe, qui est une grande puissance, doit se préoccuper sans ingérence de ce qui se passe en Afrique, pas seulement de ce qui se passe à l'Est, c'est utile, mais aussi de ce qui se passe en Afrique…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais alors est-ce qu'on doit envisager une intervention en Libye ?
LAURENT FABIUS
Non, ce n'est pas en ces termes, je pense que ce qui est essentiel, et l'envoyé des Nations-Unies, monsieur Bernardino LEON, le fait, c'est d'abord de rapprocher les deux camps, vous savez qu'il y a deux gouvernements, deux Parlements, donc il faut qu'ils travaillent…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Deux capitales.
LAURENT FABIUS
Voilà, deux capitales. Il faut qu'ils travaillent ensemble politiquement, donc là, comme en Syrie, la solution prioritairement est politique. Ensuite, il faudra se préoccuper des terroristes qui sont très nombreux, en particulier dans le Sud.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je reviens à l'Europe quand même, la France n'est-elle pas vue comme une petite puissance économique et politique, franchement, aujourd'hui, de Bruxelles ?
LAURENT FABIUS
Non…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Attendez, nouveau délai accordé à la France, mais on est sous surveillance, en mars, nous devons montrer nos ajustements budgétaires, en avril…
LAURENT FABIUS
Je vois dans votre oeil…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ce qui frise…
LAURENT FABIUS
Oui, qui frise, non, que vous ne croyez pas vraiment à cela. Bon, on nous demande des choses sur le plan économique…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, si, je crois. Attendez, on nous demande : ajustements budgétaires en mars, réformes structurelles en avril, évaluation de l'impact des réformes en mai ; on est sous surveillance de Bruxelles, c'est-à-dire que tous les mois, on va à Bruxelles…
LAURENT FABIUS
Alors, Monsieur BOURDIN, deux aspects différents, d'abord, la France n'est pas une petite puissance économique et politique, la France est un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, et la France est une puissance militaire, la France est une puissance… est la cinquième puissance économique du monde, il y en a 190 derrière, alors si on est une petite, il y en a 190 qui sont plus petites. La France est une puissance scientifique, la France est une puissance qui a des principes, non, la France, ce n'est pas une petite puissance. Mais en même temps, la France, économiquement, elle a des progrès à faire, pas seulement par rapport à l'Europe, mais en général. Quand vous avez un déficit budgétaire important, quand vous avez des dettes, quand vous avez une croissance insuffisante, que l'Europe nous dise quelque chose, non, de toutes les manières, il faut agir, on a commencé à le faire, mais il y a encore…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais l'Europe nous a mis sous surveillance, Laurent FABIUS !
LAURENT FABIUS
Mais il y a des règles, il y a des règles quand vous faites partie d'un club, vous faites peut-être partie d'un club de football ou de rugby…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui…
LAURENT FABIUS
Il faut respecter les règles. Mais ça n'est pas par rapport à l'Europe…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Sauf qu'on demande des reports tous les deux ans…
LAURENT FABIUS
Ce n'est pas par rapport spécifiquement à l'Europe, c'est par rapport à l'exigence. Si on veut régler la question de l'emploi, qui est quand même la chose numéro un, il faut de la croissance, si on veut de la croissance, il faut moderniser notre économie, la rendre plus compétitive, c'est ce qu'on est en train d'essayer de faire, et l'Europe prend acte de cela.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Laurent FABIUS, une question que j'avais envie de vous poser…
LAURENT FABIUS
Je vous en prie…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qui sort un peu de votre cadre, la loi de 1905…
LAURENT FABIUS
Sur la séparation de l'église et de l'Etat…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Sur la séparation de l'église et de l'Etat, n'est-ce pas le moment de la modifier cette loi, de la faire évoluer, de la moderniser ?
LAURENT FABIUS
Non, je ne pense pas…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non ?
LAURENT FABIUS
Je ne pense pas.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Elle est figée dans le temps quoi qu'il arrive ?
LAURENT FABIUS
D'abord, c'est une grande loi, vraiment, c'est principiel pour la République, bon, simplement, beaucoup de gens font remarquer, et ils ont raison, que, à l'époque, quand la loi a été faite, il y avait, donc par rapport à la religion, la religion, c'était la religion catholique, et il n'y avait pas des musulmans, autant de musulmans qu'en France, mais on peut très bien, et j'ai beaucoup apprécié les propositions de Bernard CAZENEUVE, du ministre de l'Intérieur, en respectant la loi de 1905, sans la changer, faire en sorte par exemple qu'on puisse former les imams, qu'on puisse développer… lutter contre la radicalisation, c'est ça qu'il faut faire. Mais pas changer la loi…
JEAN-JACQUES BOURDIN
On ne touche pas à cette loi ?
LAURENT FABIUS
Non, ce n'est pas nécessaire. Et ce serait à mon avis une faute. Vous savez, il y a un grand esprit qui a dit : il faut toucher aux lois avec une plume tremblante.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez présider cette grande conférence sur le climat, qui se déroulera fin novembre, début décembre, à Paris, prochain.
LAURENT FABIUS
Exact.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Laurent FABIUS, qu'est-ce qui pourrait faire échouer ?
LAURENT FABIUS
Beaucoup de choses…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Moi, je préfèrerais qu'elle réussisse pour la planète…
LAURENT FABIUS
Eh bien oui, tout le monde…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pour la planète, et tout le monde…
LAURENT FABIUS
Tout le monde doit le souhaiter…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais aujourd'hui…
LAURENT FABIUS
C'est compliqué…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qu'est-ce qui pourrait la faire échouer ?
LAURENT FABIUS
Bon, je prends les choses à l'envers…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, je le fais volontairement, mais, oui, allez-y…
LAURENT FABIUS
C'est très compliqué, parce que, il y a 196 parties, et il faut qu'à la fin de la conférence, puisque je vais la présider, je dise, une fois qu'on aura élaboré le texte : Mesdames et Messieurs, que ceux qui sont d'avis de l'adopter lèvent la main, que ceux qui sont d'un avis contraire lèvent la main. Et il ne faut pas qu'il y ait d'avis contraires. Car on ne peut – c'est une règle de l'ONU – on ne peut avoir un accord que si tout le monde est d'accord. Donc imaginez mettre d'accord la Russie, les Etats-Unis, la Chine, la Malaisie, le Canada, l'Australie, l'Europe, etc. Donc ça, c'est la principale difficulté. Mais l'objectif, il est absolument central, vous savez que, actuellement, on envoie des gaz à effet de serre qui font que le climat est en train de se détraquer complètement, le dérèglement climatique, les typhons, les phénomènes, vous n'arrêtez pas de montrer à la télé…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et les réfugiés climatiques…
LAURENT FABIUS
Et les réfugiés climatiques, avec les conséquences sur la paix, etc… Et donc notre objectif, c'est d'arriver à un accord qui fasse que la température n'augmente pas de plus de deux degrés, c'est très compliqué, ça demande des négociations. Et toute l'année, le président de la République et moi-même, nous allons nous consacrer à cette tâche, là, dans le mois qui vient, je serai au Japon, je serai au Groenland, nous allons… à chaque fois qu'un visiteur étranger vient, nous nous saisissons de cela. C'est la plus grande conférence jamais organisée en France, 40.000 personnes, des délégués, 20.000 délégués, 3.000 journalistes, l'objectif, c'est tout simplement que la planète soit vivable.
Source : service d'information du Gouvernement, le 3 mars 2015