Texte intégral
Madame la directrice de l'école nationale supérieure de la police,
Monsieur le Préfet de police de Paris,
Monsieur le Préfet de Seine-et- Marne,
Monsieur le directeur général de la police nationale,
Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les directeurs,
Mesdames et Messieurs,
J'ai tenu à être présent à cette cérémonie de baptême de la 20ème promotion d'élèves-officiers qui a choisi de se placer sous le patronage des lieutenants de police Franck BRINSOLARO et Ahmed MERABET, tués en service, le 7 janvier dernier, sous les balles des terroristes qui avaient voulu plonger notre pays dans la peur et dans la division.
Ces hommes étaient des policiers. Ils ne sont pas tombés au hasard, mais parce qu'ils exerçaient un métier – le vôtre – où l'on prend son service, chaque matin, en acceptant de pouvoir croiser sur son chemin, avant de rentrer chez soi, la violence, dans ses formes parfois les plus extrêmes.
Ces hommes étaient des policiers. Ils avaient, comme chacun d'entre vous, une vie personnelle, une famille, des sentiments, des aspirations, des rêves. Mais ils partageaient surtout une volonté et un idéal : la volonté de protéger leurs concitoyens et l'idéal du service de la République.
Tout au long des cortèges qui ont défilé le 11 janvier, à Paris et dans toute la France, les forces de sécurité ont reçu les hommages et les remerciements de nos compatriotes. La pancarte « Je suis policier » a été brandie par des centaines de milliers de mains. Par ces mots et par ces gestes, les Français n'ont pas seulement exprimé leur gratitude à l'égard de ceux qui venaient de les délivrer d'un terrible danger en mettant fin à cette série de crimes. Ils ont dit aux policiers et aux gendarmes qu'ils mesuraient la portée de leur engagement, qu'ils savaient qu'ils risquaient chaque jour leur vie pour les protéger et pour défendre leurs libertés.
Je sais que vous êtes conscients de cet honneur et de cette responsabilité. Je sais que vous serez dignes de l'héritage moral que nous laissent Franck BRINSOLARO et Ahmed MERABET.
Ahmed MERABET était né en Seine Saint-Denis, à Livry Gargan, voici 40 ans dans une famille d'origine algérienne. Il avait du reste conservé sa double nationalité et en était fier.
J'ai fait au lendemain de sa mort la connaissance de sa famille, de sa mère, de son frère et de ses trois sœurs, ainsi que de sa compagne et de sa belle-sœur. Eperdus de chagrin, ils m'ont accueilli avec beaucoup de gentillesse et de dignité. Ils m'ont décrit le travailleur infatigable qu'était Ahmed MERABET, qui avait été employé notamment par une chaîne de restauration, dont il avait géré plusieurs établissements, puis par la SNCF pendant plusieurs années, avant de réaliser sa vocation en réussissant le concours des gardiens de la paix.
Affecté en tant que policier en tenue au commissariat du XIème arrondissement, il était profondément attaché à sa mission au service des citoyens. « Un policier en tout point exemplaire, qui faisait la fierté de sa hiérarchie » m'a dit le commissaire de l'arrondissement. Mais c'était aussi un homme bon et juste, au tempérament pondéré, sachant apporter l'apaisement dans les différends familiaux et ramener le calme en s'interposant entre des individus agressifs sur la voie publique. Il était, pour cette raison, très apprécié de ses collègues, qui l'avaient choisi comme délégué syndical.
C'était un policier promis à un bel avenir, qui venait d'obtenir de façon brillante son habilitation de police judiciaire et qui aurait donc dû faire l'objet d'une nouvelle affectation. Le destin en a décidé autrement en lui faisant croiser la route des terroristes, auquel il a tenté héroïquement de barrer la route. Chacun sait avec quelle lâche cruauté l'un d'eux a exécuté Ahmed MERABET, alors qu'il gisait à terre déjà touché par une première salve de tirs.
« Ahmed, Français d'origine algérienne et de confession musulmane, était très fier de représenter la police française et les valeurs de la République » m'a dit son frère Malek. Son sacrifice revêt ainsi une dimension particulière puisque cette série de crimes commis au nom d'une conception dévoyée de l'Islam a précisément frappé au sein de la police un gardien de la paix de confession musulmane qui chérissait les valeurs et les idéaux républicains. La Police nationale accueille tous les Français qui font la preuve de leur compétence et de leur volonté de défendre ces valeurs, sans discrimination aucune. La Police nationale ne connaît que des citoyens. C'est cela, la République.
Promu lieutenant à titre posthume, Ahmed MERABET a été décoré de la Croix de Chevalier de la Légion d'Honneur.
Frank BRINSOLARO, lui, était né il y a 49 ans à Toulon. Il était entré très jeune dans la police, en tant que gardien de la paix, tout comme son frère jumeau, Philippe. Il a d'abord exercé sa mission en tenue en région parisienne, dans la brigade de surveillance de la voie publique de Bobigny, puis au sein de la BAC de Seine-Saint-Denis. Il a ensuite été sélectionné pour être formé aux emplois de protection des ambassades et aux missions de protection rapprochée.
Ce grand professionnel appartenait ainsi à une catégorie de policiers spécialement entraînés pour assurer la sécurité des personnalités menacées ou exposées à des risques particuliers. Ce « métier » si singulier requiert une expertise spécifique, mais aussi un sang-froid et un dévouement exceptionnels.
Cette compétence et ces qualités, Frank BRINSOLARO les possédait au plus haut point.
Il avait acquis toutes les qualifications professionnelles utiles aux missions sensibles et dangereuses qui lui étaient confiées : tir de précision, secourisme au combat, conduite en sécurité, « extraction de personnalités ». Mais il se signalait surtout, m'ont dit certains de ceux qu'il a protégés au cours de sa longue carrière, par des qualités humaines particulièrement appréciées : une capacité d'empathie, une attention au détail et un soin minutieux de l'organisation, un calme et une sérénité de tous les instants qui inspiraient à chacun une parfaite confiance.
Pendant 20 ans, Frank BRINSOLARO a ainsi assuré la sécurité des personnalités parmi les plus menacées – notamment les magistrats du pôle anti-terroristes du Parquet de Paris – mais aussi celle de nos représentations diplomatiques dans les contextes les plus délicats et les plus dangereux. A Kaboul, en 1996, il a ainsi assuré le regroupement et l'évacuation des 46 ressortissants français pris sous le feu des Talibans. L'année suivante, il a été chargé avec son équipe de la sécurité de l'Ambassade de France au Cambodge, dont le site a reçu 39 obus, et de son personnel lors du coup d'Etat mené par Hun Sen. En 2005, au Congo cette fois, il a assuré la sécurité de l'ambassade de France à Brazzaville et permis l'évacuation de 35 écoliers de l'école française lors d'affrontements armés entre les forces gouvernementales et les forces rebelles Ninja. Il a également été fait appel à lui pour des missions en Bosnie-Herzégovine, en Slovaquie, en Slovénie, en République Dominicaine, au Liban et au Rwanda.
C'est à ce grand professionnel qu'a été confiée la protection rapprochée de Charb, Stéphane CHARBONNIER, le rédacteur en chef de «Charlie hebdo ». Des relations d'amitié et d'estime s'étaient nouées au fil des mois entre ces deux hommes, que leurs cultures et leurs parcours réciproques auraient pu tenir éloignés l'un de l'autre, comme avec le reste de la rédaction de l'hebdomadaire. La présence de Frank BRINSOLARO au sein de la conférence de rédaction de «Charlie » témoigne du reste de la confiance qui lui était faite par toute l'équipe.
Nous savons que, lorsque les terroristes ont fait irruption dans les locaux de «Charlie Hebdo » pour se livrer au carnage, Frank BRINSOLARO, dans un ultime réflexe a tenté de riposter pour défendre ceux qui l'entouraient et qui étaient devenus ses amis. Le combat, face à des ennemis décidés à tuer, bénéficiant de l'effet de surprise et supérieurement armés, était inégal. Mais Frank BRINSOLARA est mort l'arme au poing, avec le courage et l'abnégation qui le caractérisaient.
Père de deux enfants, cet homme courageux a été promu lieutenant de police à titre posthume et décoré de la Croix de Chevalier de la Légion d'Honneur.
Je tiens à saluer très chaleureusement les familles d'Ahmed MERABET et de Franck BRINSOLARO, à les remercier d'avoir accepté d'être présents parmi nous en cette occasion chargée d'émotion et à leur dire que nous n'oublierons jamais leur sacrifice.
Elèves officiers de la 20ème promotion, vous avez choisi pour vous représenter deux policiers de grande valeur, dont la vie, l'engagement, l'attachement aux valeurs de la République, et l'abnégation, vous serviront d'exemple dans l'accomplissement de vos futures missions.
Ce choix vous honore. Il témoigne du sens de la solidarité qui vous anime. Mais il doit également vous conduire à réfléchir sur le sens de ce métier de policier que vous avez choisi.
Etre policier, est-ce un métier comme les autres ? Je ne le crois pas.
Etre policier, comme l'ont montré par leur mort héroïque Ahmed et Franck, c'est accepter la possibilité du sacrifice. Rares sont en réalité les professions dont ceux qui les embrassent savent qu'ils exposeront leur vie pour le bien commun. Les militaires, les sapeurs-pompiers, les démineurs et bien évidemment les policiers et les gendarmes, appartiennent à cette aristocratie républicaine du courage et du risque librement assumés.
Etre policier, c'est défendre les valeurs de la République, comme l'ont montré les forces de l'ordre en traquant les assassins des journalistes de «Charlie Hebdo », ces terroristes auxquels nos libertés font horreur. C'est pourquoi, à rebours, les forces de police doivent se montrer absolument scrupuleuses dans le respect de la loi républicaine. C'est même pourquoi un policier doit s'abstenir d'obéir à un ordre manifestement illégal.
Etre policier, c'est protéger nos concitoyens et en particulier ceux qui ont le plus besoin de cette protection et qui sont les premières victimes de la délinquance. La délinquance est en effet la première des injustices. Elle prend racine dans les quartiers où vivent les ménages les plus modestes et où se concentrent toutes les détresses. Elle les atteint en outre de manière plus cruelle : un cambriolage, le vol d'un véhicule, constituent une catastrophe pour ceux qui n'ont pas les moyens de remplacer les biens dérobés, qui ont emprunté pour les acquérir.
Sachez qu'en tant que policier, vous serez souvent pour nos concitoyens celui auquel on s'adresse en dernier recours, en désespoir de cause, face aux drames inévitables et de toutes sortes de la vie. Si vous n'intervenez pas, personne ne viendra à votre place. Des existences basculeront, parfois sans retour. Etre policier, c'est donc également cela : intervenir quand d'autres seraient tentés de ne rien faire, faire face quand d'autres seraient tentés de se cacher, écouter et comprendre quand certains préfèrent détourner les yeux et passer leur chemin. Vous serez les sentinelles de la République. Vous serez ceux grâce auxquels, contrairement à ce qui s'écrit parfois paresseusement, il n'existe pas en France de zones de non-droit.
Mais vous n'êtes pas seulement des policiers. Vous êtes désormais des officiers de police. Vous aurez donc à assumer des responsabilités au sein d'une chaîne de commandement. Commander c'est faire preuve de rigueur et de justesse dans votre façon de diriger les femmes et les hommes placés sous votre autorité. C'est à vous, en premier lieu qu'il incombera d'expliquer, sur le terrain, comment répondre aux attentes de nos concitoyens, de veiller à la bonne exécution des missions de sécurité et d'en contrôler la mise en œuvre.
Vous serez également au service des policiers placés sous vos ordres. Vous devrez veiller à leur bien-être et à leur sécurité, tout en étant garant de leur dynamisme et de leur efficacité collective. Il vous faudra vous montrer enthousiaste et droit sans jamais tomber dans la démagogie. Il vous reviendra également d'être à l'écoute des policiers avec qui vous travaillerez, de repérer les éventuels signes de fragilité ou de détresse. La prévention des risques psycho-sociaux compte au nombre de vos missions et doit être tenue pour une obligation dans l'exercice moderne du commandement. Nous ne pouvons pas tolérer en 2015 que des policiers mettent fin à leurs jours faute d'avoir été écoutés et d'avoir reçu le secours qu'ils méritaient.
Le métier de policier est exigeant toujours, éprouvant souvent. Il est également de plus en plus technique, en raison de l'évolution des menaces auxquelles la police fait face et des conditions juridiques et techniques dans lesquelles elle intervient. Un officier de police doit maîtriser une procédure pénale à la complexité croissante. Il doit être au fait des techniques d'investigation, lesquelles font de plus en plus appel aux procédés de la police scientifique et technique, ainsi qu'à l'outil informatique. Il doit être rompu à l'usage d'armes sophistiquées, savoir communiquer, diriger une équipe. Tout ceci nécessite une formation exigeante.
L'existence de l'école de Cannes-Ecluse, partie intégrante de l'Ecole nationale supérieure de police, résulte de cette exigence croissante de formation des policiers.
Elle a formé, depuis son ouverture en 1974, plus de 16 800 inspecteurs et officiers.
Je voudrais redire combien cette mission de formation des futurs cadres de la police nationale est essentielle, et contribue à façonner une police moderne et efficace au service de tous. Il s'agit en effet de permettre aux futurs officiers que vous êtes d'acquérir les compétences nécessaires à l'accomplissement de leurs missions dans leur premier poste d'affectation, mais aussi de s'imprégner des valeurs républicaines qui sont celles de la police nationale.
Je connais en outre le souci constant des responsables de votre école de développer une formation qui colle au plus près des réalités auxquelles le jeune policier va être confronté.
La démarche qui a été engagée par l'ENSP, en lien avec les directions d'emploi de la police nationale, consistant à recenser les compétences attendues d'un lieutenant sur ses premiers postes d'affectation s'inscrit dans cet objectif. Cette démarche permet d'ajuster encore davantage la formation initiale aux besoins des services. De même, l'effort accompli depuis plusieurs années par l'école pour que l'apprentissage soit davantage professionnalisé et individualisé, afin que les élèves soient les acteurs de leur propre formation à travers des simulations, des études de cas et de stages dans les différents services de police, doit être encouragé et poursuivi.
Par ailleurs, l'Ecole Nationale Supérieure de la Police, qui regroupe désormais les formations initiales de commissaire et d'officier, doit favoriser les temps de formation communs. Le stage de maintien de l'ordre et de lutte contre les violences urbaines, qui a lieu chaque année à l'école de Nîmes, donne ainsi l'occasion à des élèves commissaires, officiers mais aussi gardiens de la paix, de travailler ensemble autour d'une thématique qui constituera pour eux une préoccupation commune au cours de leurs carrières respectives.
Autre source d'enrichissement pour les élèves, votre école est également ouverte à la dimension internationale puisque, depuis 1974, elle accueille chaque année des auditeurs étrangers dans le cadre de nos accords de coopération. Près de 400 auditeurs étrangers de 46 pays différents ont ainsi été formés ici. Ils ont été parmi les premiers, aux quatre coins du monde, à envoyer à l'ENSP des témoignages de solidarité à la suite des attentats de Paris. Je salue la présence de certains de leurs représentants qui nous ont fait l'amitié d'être parmi nous aujourd'hui.
En tant que ministre de l'intérieur, je suis fier de présider cette cérémonie de baptême de la 20ème promotion des officiers de police.
Cette cérémonie prend cette année un relief particulier, au lendemain des attentats qui ont ensanglanté notre pays, qui ont endeuillé la police nationale, mais qui ont également amené nos concitoyens, comme je l'ai rappelé, à manifester aux forces de sécurité leur reconnaissance et leur respect.
Votre carrière est devant vous. Vous avez choisi un métier d'une grande noblesse. Cette école vous a donné les moyens de l'exercer avec compétence et professionnalisme. Je vous demande de demeurer fidèles à l'esprit de sacrifice qu'ont montré vos collègues tombés victimes du devoir, de répondre fidèlement à la confiance que vous a manifestée le peuple français descendu dans la rue le 11 janvier et de toujours servir la République.
Vive la Police nationale !
Vive la République !
Vive la France !
Source http://www.interieur.gouv.fr, le 19 mars 2015