Déclaration de M. Harlem Désir, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, sur l'Union de l'énergie, les enjeux de croissance et d'emploi au niveau européen et sur l'Union européenne face à la situation en Ukraine, à Paris le 25 mars 2015.

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Circonstance : Audition devant les commissions des affaires européennes de l'Assemblée nationale et du Sénat, le 25 mars 2015

Texte intégral

En ouverture de cette audition, je veux naturellement d'abord témoigner de ma solidarité à l'égard de nos amis allemands, espagnols et de tous les autres pays concernés par le crash aérien qui s'est produit hier. Je veux adresser toutes mes condoléances aux familles et aux proches des victimes. Ce drame nous a tous plongés, en France et en Europe, dans une profonde tristesse. Nous l'avons appris au moment où débutait la visite d'État du Roi d'Espagne qui avait choisi la France pour sa première visite.
C'est le message que j'ai naturellement porté auprès de mes homologues, comme l'ont fait le président de la République, le Premier ministre et le ministre des affaires étrangères. C'est aussi dans ces épreuves que la solidarité européenne doit s'exprimer. Et la présence aujourd'hui même sur place du président de la République, de la chancelière et du président du gouvernement espagnol témoigne une fois encore de notre unité.
C'est aujourd'hui la deuxième fois que nous nous retrouvons dans ce format pour une audition conjointe par les commissions des affaires européennes de l'Assemblée nationale et du Sénat, à l'issue d'un Conseil européen dont l'agenda était dense : union de l'énergie, semestre européen, croissance et emploi, Ukraine, des sujets importants étaient soumis aux chefs d'État ou de gouvernement.
Mais, comme souvent lors des Conseils européens, l'actualité est venue bousculer, enrichir cet agenda.
Avec la situation en Grèce qui a donné lieu à une réunion entre le Premier ministre grec, le président de la République, la chancelière ainsi que les présidents de la Commission européenne, du Conseil européen, de la Banque Centrale Européenne et de l'Eurogroupe.
Avec aussi la situation en Libye et le soutien aux actions conduites par le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies, Bernardino Léon, pour permettre de reconstruire l'unité nationale, d'éviter la déstabilisation de la région et d'endiguer le risque sécuritaire et migratoire.
Avec la solidarité européenne à l'égard de la Tunisie, frappée à son tour par un effroyable attentat, et notre disponibilité bien sûr à intensifier notre aide technique, financière et économique à ce pays engagé dans une transition démocratique sans équivalent.
Le Conseil européen a lancé l'union de l'énergie qui est une nouvelle étape de la construction européenne.
L'union de l'énergie, c'est un vrai projet politique, une nouvelle ambition pour davantage d'intégration et de solidarité au sein de l'Union européenne.
C'est le sens du cadre stratégique proposé par la Commission européenne le 25 février dernier. Il repose sur cinq piliers : la sécurité énergétique, le marché intérieur, l'efficacité énergétique, la décarbonisation de l'économie, et la politique de recherche et d'innovation.
Ces piliers ont une cohérence. Ils sont interdépendants, se renforcent mutuellement. Nous tenions à ce que cette idée soit affirmée avec force. Elle l'a été. Et le Conseil européen a demandé au Conseil de faire avancer les travaux sur chacune de ces dimensions et de lui faire rapport avant décembre.
Lors de cette réunion, l'accent a été mis principalement sur la sécurité énergétique, avec :
- l'accélération des projets d'infrastructure pour l'électricité et le gaz, y compris les interconnexions, sujet sur lequel la France, l'Espagne et le Portugal ont réalisé des avancées lors du sommet du 4 mars tenu avec les présidents de la Commission européenne et de la Banque européenne d'investissement ;
- la nécessité de renforcer notre sécurité énergétique, grâce à des réseaux robustes, à davantage d'efficacité énergétique et au recours aux énergies dites autochtones, comme les renouvelables ou le nucléaire ;
- la nécessité de réexaminer et d'étoffer la législation existante en matière de réduction d'émissions, de renouvelables et d'efficacité énergétique afin d'atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés en octobre dernier pour 2030. Nous devons également nous concentrer sur des secteurs comme le logement et les transports qui peuvent permettre de réaliser des économies d'énergie importantes ;
- l'élaboration d'une stratégie en matière de recherche et développement, sur la prochaine génération d'énergies renouvelables, sur le stockage de l'électricité ou le captage et le stockage du C02 ;
- l'établissement de partenariats stratégiques avec les pays producteurs et de transit.
Une dynamique a donc été initiée. Nous devons maintenant l'entretenir, en veillant à ne pas perdre de vue l'équilibre d'ensemble de la proposition initiale de la Commission, auquel nous souscrivons largement.
Il était pour nous essentiel que ce Conseil européen soit aussi un jalon important dans la perspective de la COP 21. C'était loin d'être acquis, mais là aussi le résultat est très satisfaisant. Nous sommes en train de voir émerger une véritable diplomatie climatique européenne, en soutien des efforts que déploie la France pour obtenir un accord ambitieux et contraignant sur le climat qui engage tous les pays à agir dans la lutte contre le dérèglement climatique.
D'abord parce que le Conseil européen a salué, comme il se doit, la présentation de la contribution européenne à la convention climat des Nations unies au terme de l'accord qui a été trouvé lors du Conseil environnement.
Ensuite, parce que le Conseil européen a appelé les autres États parties à présenter leurs propres contributions d'ici la fin du mois de mars 2015.
Enfin, parce qu'il a demandé une intensification des travaux, au sein de l'Union européenne, sur les questions de financement, de transfert de technologie et de renforcement de capacités qui seront des enjeux clés dans le cadre de la préparation de la Conférence de Paris.
Le deuxième sujet à l'ordre du jour du Conseil européen était le semestre européen, et plus généralement les enjeux de croissance et d'emploi.
Comme tous les ans au mois de mars, le Conseil européen a eu un échange sur la situation économique, la situation budgétaire et la mise en oeuvre des réformes structurelles dans les États membres. Il a ainsi endossé les priorités présentées par la Commission dans l'examen annuel de la croissance pour le semestre européen 2015 - l'investissement, les réformes structurelles et un assainissement budgétaire axé sur la croissance - et appelé les États membres à en tenir compte dans l'élaboration de leurs programmes nationaux de réforme et leurs programmes de stabilité ou de convergence.
Ces priorités sont bien sûr partagées par la France. Lors de son déplacement à Bruxelles la veille du Conseil européen, le Premier ministre a d'ailleurs réaffirmé avec force que nous tiendrons nos engagements budgétaires : 0,5% d'effort structurel en 2015 et un déficit revenant sous la barre des 3% du PIB en 2017. C'est la trajectoire que vous avez vous-mêmes approuvée. Elle est convergente avec la recommandation approuvée par le Conseil Ecofin du 10 mars. Elle est surtout compatible avec notre objectif : ne rien faire qui puisse enrayer la reprise, dont les derniers indicateurs montrent qu'elle est à portée de main.
Avec la même force, le Premier ministre a porté un deuxième message : l'élan des réformes ne s'interrompra pas. Non pas pour satisfaire à des demandes qui nous seraient adressées, mais parce que la France en a besoin pour consolider la croissance et favoriser les créations d'emplois.
Cet effort de mise en perspective de ce que nous sommes en train de faire a été accueilli très positivement par la Commission européenne.
Le deuxième point abordé par le Conseil européen, c'est le plan d'investissement de 315 milliards d'euros proposé par la Commission. Le Conseil européen a ainsi salué l'adoption par le Conseil de son orientation générale sur le règlement relatif au Fonds européen pour les investissements stratégiques, et invité le Parlement européen et le Conseil à trouver un accord sur ce texte d'ici juin 2015.
La France est pleinement engagée dans la mise en oeuvre de ce plan.
D'abord, avec l'annonce par le président de la République que la Caisse des dépôts et consignations et la Banque publique d'investissement se mobiliseraient à hauteur de 8 milliards d'euros en cofinancement, ce qui nous place au même niveau que l'Allemagne.
Ensuite, avec l'identification, en lien avec les collectivités territoriales et en particulier les régions, des projets susceptibles d'être financés. Et ce travail doit aller vite car la Banque européenne devrait, dans les prochaines semaines, commencer à financer des projets labellisés «plan Juncker» sur ses fonds propres.
Enfin, avec notre mobilisation pour convaincre les parlementaires européens de tenir l'échéance de juin 2015, de manière à ce que ce Fonds soit le plus rapidement possible opérationnel au second semestre de cette année.
Un mot enfin sur la Grèce, car la réunion tenue en marge du Conseil européen a permis de créer les conditions du dialogue, ce qui est un objectif de la France depuis la prise de fonction d'Alexis Tsipras. La visite du Premier ministre grec à Berlin y a d'ailleurs également contribué. Elle a été utile pour surmonter les désaccords qui peuvent exister.
Et les lignes sont en train de bouger. Une première liste de mesures proposée par le gouvernement grec le 24 février avait été validée par l'Eurogroupe, notamment en matière de réforme de l'administration publique et de lutte contre la corruption et la fraude fiscale. Ces mesures doivent maintenant être mises en oeuvre de manière effective. Les travaux techniques doivent donc s'accélérer. C'est la voie sur laquelle les autorités grecques ont accepté de s'engager. C'est essentiel pour conclure le plus rapidement possible les négociations de l'actuel programme d'assistance.
En matière de politique étrangère, j'ai évoqué en introduction de mon propos la Libye et la Tunisie. Je voudrais revenir rapidement en conclusion sur l'Ukraine.
La discussion a été centrée sur la question des sanctions : le Conseil européen a établi un lien entre la mise en oeuvre intégrale de l'accord de Minsk et la durée des sanctions sectorielles (dont l'échéance normale est le 31 juillet) en renvoyant la décision formelle de renouvellement au Conseil européen de juin.
Or, on assiste depuis quelques jours à une dégradation de la situation sur le terrain. Les combats s'intensifient à l'est de Marioupol.
Une réunion des directeurs politiques se tient aujourd'hui même à Paris. De nouveaux contacts auront lieu entre les chefs d'État et de gouvernement en «format Normandie».
Le processus de Minsk reste notre feuille de route. Il n'y en a pas d'autres. Les Russes comme les Ukrainiens doivent en prendre en conscience. Pour éviter le scénario du pire, il leur revient de faire la démonstration de leur volonté de continuer à s'investir dans le processus de Minsk.
Le sommet du partenariat oriental aura lieu au mois de mai. Nous souhaitons maintenir la nécessaire distinction entre la politique de voisinage et la politique d'élargissement. Il faut aussi permettre une différenciation entre les pays concernés qui ne sont pas dans des situations identiques.
Voilà, Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs les Députés et Sénateurs, ce que l'on peut retenir de ce Conseil européen.
(Interventions des parlementaires)
Pour ce qui est du délai de deux ans accordé à la France lors du «semestre européen», la réalité est que les solutions sont différentes pour plusieurs pays : certains affichent un déficit supérieur à 5% et il en est tenu compte. Il n'y a pas de différence de traitement entre grands et petits pays, mais lorsque des réformes sont reconnues, que la réduction progressive du déficit est reconnue, la situation de la croissance est prise en compte. L'Union européenne a d'ailleurs récemment modifié sa doctrine en intégrant la notion de flexibilité dans le pacte de stabilité et de croissance. Il n'y a donc pas de distinction par rapport à la taille du pays mais on prend en compte les éléments pertinents, notamment les réformes engagées et le nécessaire soutien à l'investissement. Il ne s'agit pas d'une faveur faite à la France, mais c'est l'intérêt même de la zone euro que la croissance ne soit pas freinée.
En effet, la convergence fiscale manque, comme d'ailleurs manque également la convergence sociale... Oui, on ne peut accepter de l'optimisation fiscale basée sur l'opacité. C'est une priorité pour la Commission qui veut, par exemple, la transparence sur les rescrits fiscaux. Cela étant, des règles communes ont été établies à l'unanimité sur la TVA. De même prend forme l'idée d'une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (l'«ACCIS»). Il ne faut pas de «niche» fiscale. On gagnerait à l'établissement d'un «serpent» fiscal européen et la zone euro y travaille car la concurrence fiscale n'est pas saine.
Le mécanisme ISDS de règlement des différends Investisseur/État prévu au TTIP est en effet un sujet sensible. Le mécanisme public de règlement prévu pour l'OMC est adapté au cadre multilatéral mais là, comme avec le Canada, il s'agit d'accords bilatéraux. La France a un principe : que rien ne remette en cause le droit des États à réguler, qu'il s'agisse de la sécurité sanitaire, de la viande aux hormones, ou d'autres sujets. Par ailleurs, l'accord se négocie entre l'Union européenne et ses 28 États membres, d'une part, et les États-Unis, de l'autre ; c'est-à-dire entre des pays qui ont tous des systèmes juridiques solides et fiables. Doit-on dès lors créer un dispositif supplémentaire ? Quant à l'accord économique et commercial global avec le Canada (AECG), il est désormais conclu et ne revêt pas la même ampleur économique. Il faut le ratifier. Les négociations sur le TTIP, en revanche, viennent de commencer, il faut continuer à négocier sur l'ISDS.
Les ressources propres ne risquent pas d'être impactées par le TTIP, qui porte davantage sur les normes, la convergence réglementaire ou encore l'accès aux marchés publics que sur les réductions tarifaires. Les droits de douane entre les États-Unis et l'Union européenne sont au demeurant déjà très bas pour l'essentiel. En revanche, le Parlement européen travaille sur la question des ressources propres, en attendant une possible coopération renforcée sur une taxe sur les transactions financières, même si celle-ci serait plus orientée vers l'aide aux actions pour le climat.
Mandat a en effet été donné à la Haute représentante de l'Union européenne, Mme Federica Mogherini, pour qu'elle fasse des propositions sur la meilleure manière de répondre aux fausses informations lancées par les médias russes autour du conflit ukrainien.
Il est difficile de faire avancer la cohérence et l'intégration européenne dans le dossier de l'Union de l'énergie. On progresse vers une meilleure coordination européenne des régulateurs nationaux. Par ailleurs, la logique d'un marché intérieur de l'énergie va de pair avec l'interconnexion des réseaux. De même, des progrès se font sur les «flux inversés», en particulier pour les pays d'Europe centrale et orientale, très dépendants de la Russie. L'alternative à court terme, ce sont des gazoducs sud-nord ou de l'ouest vers l'est. Le Portugal et l'Espagne ont une capacité en matière de GNL notamment par le pipeline Medgaz qui part d'Algérie vers l'Espagne. Le fonds Juncker pourrait contribuer à développer de telles infrastructures.
Les 8 milliards d'euros que la France va apporter en appui au fonds Juncker se décomposent en 5 milliards d'euros de la Caisse des dépôts et 3 milliards d'euros de la Banque publique d'investissement (BPI). Ils prennent la forme de prêts ou de prises de participation en fonds propres, soit pour financer des projets d'infrastructures, soit pour financer des projets plus réduits et séparés. Ils pourraient favoriser des aménagements portuaires comme Calais ou Marseille.
Ce sont 8 milliards d'euros qui viennent en plus du plan Juncker. Dans le fonds Juncker, l'Union européenne apporte 21 milliards en garantie sur des projets sélectionnés et la BEI prêtera pour ces projets (à hauteur d'environ 60 milliards d'euros de prêts avec la garantie du budget de l'Union), afin aussi d'attirer les investissements privés. En plus, plusieurs États - dont la France, l'Allemagne - apportent d'autres contributions : 8 milliards d'euros en ce qui concerne la France. La Caisse des dépôts et consignations vise plutôt les infrastructures et la BPI les entreprises. Ces 8 milliards d'euros en prêts ou prises de participation interviennent dans le cadre du plan Juncker car ils bénéficient de la garantie des 21 milliards du budget européen. L'idée générale est de faire venir les partenaires privés. Le plan Juncker se met en place, il reste à finaliser le cadre juridique.
La question de l'immigration a fait l'objet de travaux des ministres de l'intérieur de l'Union européenne du fait de la situation en Libye. Leurs décisions ont aussi concerné le renforcement de Frontex, où l'opération européenne Triton succède à l'action italienne «Mare Nostrum». Ils ont acté le besoin d'un renforcement des moyens de surveillance des frontières ainsi que de secours. Il convient aussi d'accroître la coopération au profit des pays de départ et de transit. Cela relève directement de la politique de développement avec les pays du Sahel ou d'Afrique centrale notamment. Notre gestion des crises dans ces régions a aussi pour objectif de contribuer à stabiliser les populations. En la matière, l'harmonisation est nécessaire. Il n'est pas possible de conduire 28 politiques d'immigration différentes. Il s'agit d'un enjeu vital pour l'Europe et c'est aussi une réponse aux populismes.
(Interventions des parlementaires)
La Commission va étudier la stratégie d'achats groupés. Il faut savoir cependant que nous sommes là dans un marché où des contrats pluriannuels sont en cours. Ce qui importe est que si un pays subit une pression de la part d'un fournisseur, il doit avoir une alternative. C'est l'enjeu de l'implantation de terminaux GNL et de liaisons sud-nord. Cela démontre aussi la nécessité d'une interconnexion et d'une Europe des réseaux.
Pour les investissements du plan Juncker, des plateformes différentes seront mises en place. Certaines au plan européen ou régional, d'autres sur un plan plus thématique : par exemple, dans le domaine des énergies renouvelables pour financer un parc d'éoliennes... Les investisseurs privés sont invités à s'associer à ces projets. Quant aux plateformes plus géographiques, le Commissaire général aux investissements est chargé d'aider à coordonner les projets, avec la Caisse des dépôts et la BPI. Il faut veiller à ce que les projets des territoires puissent bénéficier du fonds Juncker.
(Interventions des parlementaires)
Une réunion de travail est possible avec mes services, en liaison avec les institutions qui sont chargées de la mise en oeuvre du plan d'investissement.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 avril 2015